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L'interview de Ehryx

Ehryx est né en 1980 dans la banlieue parisienne. Dès son plus jeune âge, il se passionne pour l’écriture. Il est titulaire d’une licence de psychologie et d’un mastère en «infos-com» qu’il a obtenus après des études menées à Nîmes, puis à Montpellier où il vit actuellement.
Parmi ses passe-temps favoris : la lecture bien sûr, en particulier l’heroïc-fantasy et la science-fiction ; les jeux de société et jeux de rôles, mais aussi la culture japonaise au sens large (bd, séries télévisées et dessins animés, et la langue elle-même). Il a été durant plusieurs années le webmestre du site «Imaginaires.org». Il travaille actuellement comme développeur de sites web, et s’adonne toujours à l’écriture sous toutes ses formes ; outre sa série La Route de Darwin, il collabore à la création d’un jeu de rôles intitulé Les Ombres du Désert, et scénarise un projet de bande dessinée avec Gueseuch (gueseuch.blogspot.com), Nuits Félines.



 

 

(L’interview qui suit est destinée aux lecteurs de la route de Darwin. Elle révèle, et discute, certains éléments clés des 14 premiers épisodes du récit)


1) Comment vous est venue l’idée de ce roman avec ces peuples, si différents l’un de l’autre, et seuls survivants d’un monde pollué par les radiations ?

J’ai grandi durant la fin de la guerre froide, à une époque où on essayait de s’imaginer ce que serait le monde après une guerre nucléaire entre Est et Ouest. Cela a donné pas mal de fantasmes et de fictions (souvent fort médiocres) sur le monde d’après l’hiver nucléaire, où les radiations auraient causé des mutations génétiques très importantes… Ce qui n’est pas complètement faux mais reste quand même assez irréaliste…
La première idée de la Route de Darwin, qui doit remonter aux alentours de 1992, était de reprendre ce genre d’univers «après la guerre nucléaire», où différentes «races» mutantes se partageraient ce qui reste du monde, et où l’une de ces races, en apparence épargnée par les mutations, aurait un rôle à part, et serait haïe des autres, probablement à cause de son apparence «indemne». Déjà, l’action devait se situer en Australie, mais je n’avais alors aucune idée de ce que pourrait être l’histoire !

2) Pourquoi avoir situé l’action du roman en Australie ?

En partie par… Déduction ! Regardez la carte du monde, et demandez-vous quelle zone serait suffisamment vaste pour ressembler à un continent, et assez faiblement peuplée pour que personne ne la prenne pour cible en cas de guerre. Cela laisse une partie de l’Afrique, le désert de Gobi, l’Antarctique et l’Australie ; cette dernière me semblait un «théâtre des opérations» plus intéressant, d’autant que j’en connaissais déjà un peu la géographie. L’idée d’axer l’intrigue sur la ville de Darwin n’est venue que plus tard, juste avant de commencer l’écriture du premier chapitre.

3) Kest, le héros de la première partie, est-il un aventurier, un idéaliste, un fils qui essaie de répondre aux attentes de son père ? L’un des trois ou tous à la fois ?

Je dirais que Kest est avant tout un héros classique. Il est directement inspiré de la série des Trigun de Yasuhiro Nightow ; il hérite de son héros ses capacités physiques, mais aussi son côté «héros rejeté et incompris».
Son personnage a beaucoup évolué au fil du temps, le rendant assez complexe et ambigü. Au départ, je le voulais assez détaché de tout, peu émotif, mais dans la pratique, il est souvent guidé par ses émotions.
Je ne crois pas qu’il soit un «aventurier» ; je le vois surtout comme un héros déchu auquel le destin donnerait une seconde chance. Il évoque peu son passé, mais il est clair qu’il pensait avoir tout perdu, sa famille, son peuple, ses ambitions et ses illusions. L’«ancien» Kest était idéaliste, aventurier, charismatique ; le «nouveau» a probablement gardé toutes ses qualités, mais il est avant tout désabusé, et soucieux de ne plus s’impliquer dans la marche du monde. La «mission» qu’est le voyage pour la ville de Darwin est l’élément-clé, celui qui l’oblige à revenir sur le devant de la scène. On pourrait dire que cette mission est le véritable héros du livre, seul trait d’union entre ses personnages.
Quant aux liens entre Kest et son père, ils ont été brièvement évoqués et poseront de nouvelles questions dans les chapitres à venir, j’en laisse donc la découverte à mes lecteurs J

4) La peur apparait comme un trait dominant dans «La route de Darwin». Kest se méfie de tous ceux qu’il croise. Cette peur fait-elle partie de ce monde post-apocalyptique ou bien Kest est-il quelqu’un qui a plus à craindre que les autres ?
– Kest ne se méfiait pas des Techs, censés ne pas tuer ceux de leur peuple. C’était une grossière erreur de sa part ?

La méfiance perpétuelle entre les peuples de la Route de Darwin est l’un des principaux moteurs de l’intrigue, donc encore une fois, je ne peux pas trop en révéler…
Le bon sens commun (et un brin naïf) nous dit que les peuples, surtout dans des situations d’adversité comme le sont l’après-apocalypse, et la survie dans un monde sans repère, dont les connaissances et la culture s’effondrent, devraient se rapprocher, s’entraider, dépasser les clivages. Mais en vérité, que se passerait-il ? La méfiance et la haine ne seraient-ils pas les plus forts ?

En temps normal, celui qui prêcherait la communion entre les peuples serait un saint, celui qui prônerait la ségrégation raciale, un imbécile criminel. Kest pourrait même se situer au plus bas de l’échelle : il a causé (involontairement certes, mais combien en ont conscience ? Qu’en pense-t-il lui-même ?) un conflit ethnique meutrier.
Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le Prophète encourage ses Fidèles à oublier les barrières entre les races, mais il les encourage aussi à tuer les infidèles. Si on suit le raisonnement jusqu’au bout, on pourrait lui donner raison : ceux qui s’opposent à lui sont forcément ségrégationnistes, favorables à la haine entre les peuples ! Ils sont donc criminels et dangereux !
En vérité, c’est ce mode de pensée qui mène aux pires atrocités…
Ce n’est jamais tout blanc ou tout noir. Le monde n’est pas aussi simple et manichéen.

5) Kest est un être solitaire : pas de femme, pas d’amis ; dès le 1er épisode, il se retrouve seul, en panne de voiture, dans le désert. Pourquoi cette solitude ? A cause de son appartenance au clan des Techs ?

Très bonne question >_<

Je renverrais d’abord à la question 3, Kest était probablement très entouré, mais comme c’est un héros «déchu», il a coupé les ponts avec tous ceux dont il était proche, collègues, amis, famille. Ceux avec lesquels il n’a pas coupé les ponts sont ceux qui lui ont tourné le dos.
Par le passé, il s’est voulu leader, meneur d’hommes, et cela a mené à un désastre. Je crois qu’après cela, il a dû éviter de se lier à d’autres personnes. Par ailleurs, il se comporte à plusieurs reprises comme une bombe ambulante, un aimant à ennuis qui semble apporter le chaos partout où il passe (là aussi il hérite directement du héros de Trigun). Cela n’a pas dû faciliter les choses.

6) La religion affleure dans le texte où il est question de : Terre Sainte, Prophète, djihad ? La religion, les prophètes, sont-ils indispensables à l’humanité, pour le meilleur ou pour le pire ?

L’humanité de la route de Darwin s’est sortie de la guerre nucléaire, des «temps anciens», mais il ne lui en est rien resté : sa science et sa technologie sont en perdition malgré les recherches des Techs (les Technologiques de leur vrai nom), il ne reste presque rien de l’ancien monde, de son art, de sa culture, de ses traditions, de tout ce qui le composait. Seuls quelques fragments ont filtré, et les anciennes religions en font forcément partie, car ce sont les formes de «culture» ayant le plus fédéré les peuples de notre monde (entre 500 millions et 2,2 milliards de fidèles pour le Christianisme, l’Islam, le Bouddhisme, et l’Hindouisme).
Un peuple qui n’a rien, et dont la situation est désespérée (pertes de repères, conflits permanents, difficultés de survie, mortalité très élevée) se tourne souvent vers la religion. Pour le peuple du «nouveau monde» de mon récit, toutes les conditions sont réunies pour qu’une religion puisse s’imposer. Il ne manque que la religion elle-même et le Prophète, de toute évidence inspiré par les cultes anciens, va justement l’apporter. Le malheur vient du contenu des croyances professées par le Prophète, et non de la religion elle-même.

7) L’apocalypse, qui est à l’origine du feuilleton, est-il inscrit selon vous dans l’histoire du monde ? Quel est votre point de vue alors que l’on parle plus que jamais de sauver la planète ?

Toute littérature postérieure à la seconde guerre mondiale est influencée par la seconde guerre mondiale. Je n’échappe pas à la règle, bien que l’influence soit moins nette dans «la route de Darwin» que dans «Terres de Cristal», mon autre cycle de Fantasy. Nous avons déjà vécu l’apocalypse, sous plusieurs formes. L’idéologie nazie et ses camps de concentration en sont une forme, la résultante de la haine des peuples. L’idéologie communiste en est une autre, une sorte de haine autodestructrice de la nature humaine. Et nous avons eu un avant-goût d’une troisième apocalypse, celle de la destruction totale, à la fois au long des deux conflits mondiaux, et sous une forme extrême technicisée, celle de la bombe nucléaire (Hiroshima et Nagasaki).
La route de Darwin ne fait que supposer qu’une étape supplémentaire a été franchie. Je crois qu’imaginer le monde après une apocalypse, quelle qu’en soit la forme, est l’un des rôles clés de la littérature de science-fiction.

8) Quelle étrange idée de tuer votre héros à la fin de la première partie ? Ne redoutez-vous pas les conséquences d’un tel acte de la part d’un auteur ?

Cela en chagrinera certains mais dans la première version du récit (qui comptait 16 épisodes), Kest survivait. En fait, mon principal problème avec lui, c’est qu’il en sait trop. Il est plus intéressant de suivre un groupe de personnages essayant de reconstruire ce «puzzle» que sont la personnalité, les connaissances et les objectifs de Kest, que de suivre Kest dans une aventure dont il devine déjà toutes les grandes lignes.
Son autre problème, c’est qu’il est un personnage assez classique. C’est assez habituel dans mes écrits, mais pour un héros comme Kest, il est trop facile de s’entendre avec un illuminé tel que Mist, ou quelqu’un de discipliné comme l’est Kyan. J’ai trouvé plus intéressant de mettre l’accent sur d’autres personnages (en particulier Mist).

Ceci dit, n’enterrez pas Kest trop vite, nous sommes dans un récit de fiction et surtout de science-fiction, j’ai encore pleine de moyens de le faire intervenir : flashbacks, visions, messages enregistrés ou écrits par Kest… Résurrection…


9) – Mist n’est pas le combattant expérimenté qu’était Kest. Pourra-t-il assumer la mission que Kest lui a confiée ?


Non.


10) Une dernière question : Avez-vous un autre roman en projet ou en cours d’écriture ?

Je rédige actuellement l’univers d’un jeu de rôles appelé Les Ombres du Désert (oui, encore le désert, je sais), pour lequel je dois présenter l’histoire d’un monde, les peuples et régions qui le composent, leurs croyances, leurs secrets, leur avenir… Quelques nouvelles devraient accompagner l’ensemble, il est même possible qu’elles présentent un intérêt pour les non-joueurs (j’aviserai quand je serai un peu plus avancé !).
Il me reste pas mal de travail sur La Route de Darwin ; je marque actuellement une pause, après avoir rédigé d’un trait les chapitres 11 à 19; j’ai un plan général pour la série, mais j’étais à court d’idées pour raccorder les différents temps forts du récit. Mon synopsis suggère un total de trente-cinq à quarante épisodes, le temps de faire quelques grosses escales dans le nord de l’Australie, de révéler tout ce que Kest et Craft avaient gardé pour eux, et aussi, le temps de développer les personnalités des plus givrés de mes personnages (y a du boulot, croyez-moi !).

J’ai laissé en attente un roman écrit début 2007, dont j’ai une centaine de pages mais qui en nécessiterait le quadruple ; il s’agissait d’un récit d’heroïc-fantasy intitulé Droiture, au premier abord archétypal, dans lequel un chevalier d’un royaume en perdition, passablement dérangé (comme nombre de mes personnages) venait en pèlerinage auprès d’une puissance dénommée l’Oracle ; cet Oracle décidait de venir en aide au chevalier en envoyant à son secours «le Mal personnifié». L’intrigue est plutôt intéressante, mais je n’étais pas très satisfait du style, je ne suis pas encore décidé à y retravailler…
J’envisage aussi d’améliorer un roman de littérature générale écrit courant 2006, assez réussi mais auquel il manquait encore un petit quelque chose.

Enfin, il me reste le récit sur lequel j’ai passé le plus de temps, Terres de Cristal, cycle d’heroïc-fantasy qui a, pour son malheur, suivi mon évolution en tant qu’auteur : à chaque nouvelle version, passés quelques mois et plusieurs centaines de pages, je m’apercevais que les premiers chapitres, par leur style et leur intrigue, n’étaient plus à la hauteur des derniers, et il ne me restait plus qu’à tout reprendre à zéro >_< J’ai repris le récit de zéro à trois reprises (pour un total de plus de 800 pages), et j’ai toujours sur les bras son monstrueux synopsis, qui mériterait encore beaucoup de travail, mais bon, un jour peut-être…
A tout cela il faut rajouter la dizaine/vingtaine de synopsis en tous genres, heroïc-fantasy, anticipation, space opera, littérature générale… Je manque surtout de temps !



Cette interview est une exclusivité Bopy.net (février 2008)



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