Parmi les dizaines de milliers de galaxies existant dans l'Univers,
Myrille se trouvait être l'une des plus petites, une galaxie naine, ce
qui ne l'empêchait pas d'être belle car elle
regorgeait d'étoiles magnifiques. Elle comptait aussi quelques planètes
sur lesquelles la vie avait pu éclore et se répandre à travers une
multitude de paysages et il existait également une certaine diversité
d'êtres vivants doués d'intelligence.
Hélas ! L'espace n'étant pas un lieu d'une
absolue tranquillité, la survenue d'une comète allait provoquer un
cataclysme tel que peu de planètes en
réchapperaient. Elle apparut sous la forme d'une intense lumière bleue,
suivie d'une boule de feu. Elle heurta, cogna, fracassa tout ce qui eut
le malheur de se trouver sur sa trajectoire avant de terminer sa course
en percutant de plein fouet une étoile. Toutes deux s'évaporèrent dans
un éblouissant feu d'artifices que peu d'êtres vivants eurent le
privilège d'apprécier.
Rares furent les planètes épargnées.
Seules deux d'entre elles échappèrent à la disparition totale et, à
partir de cet instant, leurs destins allaient se trouver liés, pour le
meilleur et surtout pour le pire.
Krongalie était l'une de ces deux planètes. En effleurant son sol, la météorite avait anéanti les trois-quarts de sa population et laissé les survivants au centre d'un épais brouillard de poussières et de particules métalliques. Pour comble de malheur, cette affreuse brumasse fut si longue à se disperser qu'elle eut le temps de détériorer leurs cerveaux et d'affecter leurs capacités intellectuelles. Les Kronga, c'était leur nom, virent également leur sol si abîmé qu'ils durent apprendre à vivre sur un territoire limité. Il leur fallut se contenter d'affreux empilements de roches qui leur servaient de logis et qui s'effondraient parfois sur eux. Mais personne ne s'en plaignait. S'il y avait quelques Kronga en moins, cela faisait un peu plus d'espace pour les autres. Face à l'adversité, le Kronga possédait un humour très particulier.
L'autre planète s'appelait Zonarande. Déjà réputée comme étant la plus belle de toute la galaxie, elle n'eut, par chance, à subir que très peu de dégâts. Zonarande possédait de vastes territoires avec de superbes plaines, de grands plateaux, et également d'importantes ressources qui permettaient à ses habitants, les Zonder, de vivre sans souci. Enfin jusqu'à présent. Car depuis le passage de la comète, avoir les Kronga pour proches voisins n'allait pas se révéler de tout repos.
On peut affirmer, sans risquer de se tromper,
que les Kronga étaient très laids. Ils avaient une toute petite tête
ovale - ce qui était suffisant pour y loger ce qui leur restait de
cerveau - et deux gros yeux jaunes vifs tout ronds et globuleux. Leur
corps était maigre, avec des bras ondulants et des espèces de jambes
courtes et larges, ce qui leur donnait une démarche de crapaud assez
ridicule.
Leur chef s'appelait Kroji. Il n'avait pas
vraiment le sens du commandement mais parmi les survivants il était le
seul qui possédait cinq neurones de plus que les autres ; ce qui
faisait toute la différence car le manque d'intelligence, se faisait,
cruellement sentir chez les Kronga.
La vie sur Krongalie devenait chaque jour de
plus en plus difficile. Il y avait les falaises qui s'effondraient par
pans entiers, les cours d'eau qui viraient parfois au vert ou bien
encore les fleurs carnivores qui se multipliaient et dévoraient tout
Kronga distrait qui passait à leur portée. Une conclusion parvint donc
à s'imposer au petit cerveau de Kroji : il devait dénicher une
autre planète pour accueillir son peuple. Oui, mais laquelle ?
Après avoir beaucoup cherché, un nom lui vint à
l'esprit : Zonarande. Inutile d'en chercher une autre - et pour cause :
il n'y en avait pas ! - ainsi le choix était fait.
Kroji se montra très fier de sa décision et elle
lui valut d'ailleurs une exceptionnelle popularité auprès des Kronga
qui se réunirent en masse - du moins les quelques Kronga encore en vie
- et l'acclamèrent avec enthousiasme.
Mais les obstacles allaient se révéler
multiples.
D'abord, les Zonder refusèrent de céder
Zonarande, ce qui démontra qu'ils n'étaient pas du tout partageurs.
Les Kronga utilisèrent alors la menace d'une
intervention armée de leur part. Hélas pour eux, Zonarande vivait sous
la protection d'un bouclier invisible d'une redoutable efficacité qui
interdisait la moindre tentative d'approche d'un ennemi par les airs.
De plus, les Zonder disposaient d'une unité de
pilotes d'élites entraînés à la défense de leur planète et prêts à se
sacrifier sans hésiter.
Après quelques laborieuses semaines de
réflexion, Kroji parvint à la conclusion que si les Zonder refusaient
d'abandonner Zonarande, il faudrait se passer de leur autorisation. Il
fut applaudi, pour son audace, par des Kronga en délire. Quel chef
d'exception ils avaient !
Il ne restait plus qu'à trouver les solutions.
Concernant le bouclier et les pilotes d'élite les choses semblaient
plutôt compliquées mais Kroji eut une idée de génie : avec des armes,
les Kronga viendraient facilement à bout des Zonder et de leur
bouclier. Et voilà. C'était si simple qu'il suffisait d'y penser.
Mais avec quelles armes ? Après le passage de la
comète, les Kronga ne disposaient plus que d'une poignée d'engins
spatiaux à peu près intacts - et portant le joli nom de Tridèle - et de
quelques petits pistolets si ridicules qu'ils auraient fait pleurer de
rire un Zonder.
Heureusement, dans la galaxie Myrille existait
un passage en spirale qui servait de couloir de communication
ultra-rapide aux nombreux vaisseaux qui désiraient de rendre dans
d'autres galaxies. La plupart d'entre eux détenaient quantité d'armes
et les Kronga se dirent qu'il suffisait de leur en voler une
partie et le tour serait joué.
A partir de cet instant, les Kronga partirent
tous les jours se poster sur la route de ces vaisseaux pour les
attaquer et c'est ainsi qu'ils augmentèrent leur stock d'armes et de
missiles. Ces missions, très spéciales, auraient pu
se poursuivre longtemps si, un jour, une rencontre hors du commun ne
s'était
produite.
Ce jour-là, Kroji et trois de ses Kronga avaient
quitté Krongalie à bord de leur Tridèle afin de gagner leur poste
d'observation dans l'espace. A partir de cette position, ils guettaient
les vaisseaux et choisissaient, avec soin, leur cible avant de passer à
l'attaque. En général, ils préféraient s'en prendre aux transports de
voyageurs car ceux-ci n'étaient guère méfiants et il était facile de
monter à bord de leur appareil pour les dévaliser.
En général, la bonne humeur régnait à bord du
Tridèle. Kroji et ses Kronga aimaient beaucoup la plaisanterie même
s'ils ne la comprenaient pas souvent. Ce jour-là, l'un des Kronga se
montra plus curieux que d'habitude.
– Quelle est le but de notre mission aujourd'hui, chef ?
– Il s'agit d'intercepter des vaisseaux étrangers et de leur faire
payer une rançon, répondit Kroji.
Le Kronga sembla réfléchir :
– Mais on fait déjà ça tous les jours, chef.
– Bien sûr, répondit Kroji. Pourquoi, tu proposes de faire autre chose
?
Le Kronga fit fonctionner ses quelques neurones
– ce qui prit un certain temps - puis il suggéra :
– On pourrait attaquer des vaisseaux étrangers et leur faire payer une
rançon ? Ça nous changerait de la routine habituelle.
En entendant cela, tous les Kronga éclatèrent de
rire : Yek !
Yek ! Yek !
L'ambiance à bord était vraiment excellente !
Depuis le passage de la comète, la galaxie
manquait de distractions. Elle ressemblait à un bien triste désert où
flottaient encore quelques satellites de forme papatoïde, une dizaine
d'étoiles mourantes et deux lunes blanchâtres à l'agonie. Le Tridèle
dessinait donc des ronds dans l'espace en attendant une proie quand
soudain un Kronga poussa un cri de surprise...
– Chef ! Regardez cette drôle de chose.
Les Kronga n'avaient jamais rien vu de pareil.
Le vaisseau qui glissait doucement dans l'espace paraissait d'une
taille gigantesque et le matériau dans lequel il avait été créé
évoquait un cristal mat bleuté. Même sa forme galbée sur le dessus
et applatie en dessous était inhabituelle.
La simple vue de cet immense bâtiment suffit à
les convaincre qu'il devait renfermer des trésors exceptionnels.
– On lui demande gentiment de stopper ses moteurs, chef ? demanda un
Kronga.
– Allez-y ! répondit Kroji.
Un tir de laser toucha le vaisseau étranger,
provoquant une gerbe d'étincelles sur sa carlingue. L'étrange appareil
s'immobilisa et les Kronga poussèrent des cris de joie.
" Yek ! Ils ne peuvent pas nous échapper "
Les Kronga arrimèrent leur Tridèle le long du
vaisseau. Un sas coulissa et ils montèrent à bord. A leur grande
surprise, il n'y avait aucune différence entre l'intérieur et
l'extérieur ; les parois s'apparentaient toujours au cristal. Ils
furent accueillis par une étrange bulle lumineuse qui leur souhaita la
bienvenue et entreprit de les guider à travers d'interminables couloirs
dans lesquels n'apparaissaient ni portes, ni ouvertures.
Les Kronga n'étaient pas vraiment patients mais,
enfin,
ils finirent par déboucher dans une vaste salle. Les murs, le
plafond, le sol étaient recouverts de fins grains métallique et, au
centre de la pièce, s'élevait une colonne de verre, avec, à
l'intérieur, un être en lévitation, à deux mètres au-dessus du
sol.
Cela intrigua les Kronga qui n'avaient jamais
rencontrés pareil phénomène et ils s'approchèrent pour voir " cette
chose " de
plus près.
Ce n'était pas fait comme un Kronga car il
n'avait ni tête, ni corps, c'était une masse ovale transparente et
gélatineuse au centre de laquelle un " coeur " pulsait avec
régularité.
– Ce bidule ne ressemble à rien, gronda Kroji et, en plus, ça ne
parle pas !
Mais alors, comment communiquer pour
obtenir une rançon ?
La colonne se mit à vibrer et une voix s'éleva
qui semblait provenir de nulle part.
– Pourquoi nous avoir agressés ? Nous sommes des êtres pacifiques et
nous n'utilisons jamais la violence, elle nous est interdite depuis la
nuit des temps. Que voulez-vous obtenir de nous ?
" S'ils ne font pas usage de la violence, ils sont à notre merci "
songea Kroji qui répondit :
– Donnez-nous des armes sinon nous détruirons votre vaisseau !
La colonne vibra à nouveau.
– Pourquoi ? Nous ne pouvons vous faire aucun mal, je vous l'ai dit.
Les Kronga s'agitèrent. Que de temps perdu en
bavardages inutiles !
– Des armes ! répéta l'un des Kronga en dégainant son arme-laser et en
la pointant sur la colonne. Ou on fait tout sauter et puis c'est tout.
" La chose ", dans la colonne, remua légèrement
et
puis il y
eut un claquement sec dans un recoin de
la pièce.
Toujours sur leurs gardes, les Kronga se
retournèrent d'un seul mouvement : une cavité venait d'apparaître dans
un mur. Une boîte en sortit et elle vola jusqu'aux Kronga pour
s'immobiliser devant eux.
Kroji regarda à l'intérieur... Il y distingua
trois objets de petite taille - pas plus de
trente centimètres - rondes comme des boules, avec des mains à trois
doigts et pas de pieds, ni de jambes, ni de tête.
Les autres Kronga jetèrent, à leur tour, un coup
d'oeil dans la boîte et ils émirent une sorte de
couinement qui exprimait leur agacement devant
ces "bidules" répugnants.
– Comment fonctionne cette arme ? demanda Kroji qui songea que discuter
avec " la chose " mettait vraiment ses quelques neurones à rude épreuve.
– Il ne s'agit pas d'une arme comme celle que vous avez l'habitude
d'utiliser, expliqua l'être lumineux. Les Dagua - c'est leur nom -
permettent d'obtenir l'immortalité. A l'approche de la mort, le Dagua
devient le récipient de votre vie et de votre âme et il la conserve
jusqu'à son transfert vers un autre corps à votre convenance.
Très énervés, trois des quatre Kronga
s'agitèrent. Seul le quatrième Kronga demeura immobile puis, au bout de
cinq secondes, il y eut une petite explosion et il se
désintégra, en laissant sur le sol une flaque de mousse rose.
– Qu'est-il advenu de votre compagnon ? s'étonna " la chose ". Que
s'est-il
passé ?
– Il a tenté de comprendre ce que vous avez dit, répondit Kroji.
– Pas vous ?
Les trois Kronga restants ricanèrent.
– Yek ! Yek ! Yek ! Nous ne sommes pas idiots comme lui.
Puis Kroji cessa de rire et redevint menaçant.
– On veut des armes pour tuer les Zonder car ce sont nos ennemis et
nous voulons nous emparer de leur planète. On ne veut pas de vos
bidules bizarres.
Quelques lueurs dorées traversèrent la colonne
et la voix parla à nouveau :
– Avec un Dagua, vous pourrez obtenir tout ce que vous voudrez sans
avoir besoin de combattre. Qu'il s'agisse d'une planète ou dix ou
vingt. Echangez les Dagua contre la puissance infinie !
Cette fois, " la chose " avait su trouver
les mots
qu'il fallait pour convaincre les Kronga car ils empoignèrent la boîte
contenant les Dagua et ils demandèrent la sortie.
Alors la bulle lumineuse les escorta dans les
couloirs et les laissa seuls dans le sas. Vite, Kroji arracha un
chevron en métal
noir sur son épaule et le déposa sur le sol. Puis, très vite, les
Kronga remontèrent dans leur Tridèle et
s'éloignèrent, à toute allure, du vaisseau en cristal bleu. Tandis que
leur Tridèle filait dans l'espace, ils se mirent à rire bêtement.
– Tu leur as laissé un souvenir de notre visite, chef ?
– Oui, acquiesça Kroji. Ils vont l'apprécier dans quelques minutes. Ça
fera un gros, un énorme Boum !
Les Kronga éclatèrent de rire : Yek ! Yek ! Yek
! Ils avaient, décidément, beaucoup d'humour.
A suivre... Deuxième épisode : les Zonder
version revue par l'auteur en mai/juin 2019