UN JOUR A NICE

                                   par Claude Jégo

Sous un ciel azur sans nuage, un beau ciel de juillet, une grand-mère et sa petite fille marchaient côte à côte sur la longue avenue ombrée de palmiers. Du bord de mer leur provenait le clapotis des vagues semblable à une berceuse que personne ne pouvait entendre sur la belle plage de galets ronds aujourd'hui désertée. Les touristes, amateurs de bronzage et de chapeaux de paille, avaient délaissé leurs transats et les plongeurs renoncés à découvrir les profondeurs mouvantes et multicolores de la Méditerranée. Au loin, sur la ligne d'horizon, on apercevait quelques élégants voiliers aux voiles déployées, dansant sur les flots bleus à l'abri du monde et de ses fracas.
Chloé gardait ses yeux fixés sur ses sandales roses toutes neuves dont elle se fichait éperdument. Le matin même, Anaïs, sa meilleure amie, était repartie pour Bordeaux avec ses parents ; pourtant la rentrée des classes paraissait si lointaine.
– Elle avait promis de me prêter sa bouée canard en échange de mon poisson-clown, dit Chloé en fronçant ses sourcils. Elle n'a pas tenu parole.
– Tu la retrouveras bientôt, soupira la grand-mère. Et tu joueras à nouveau avec elle, je te le promets.
Mamie-Jane portait, couché au creux de son bras, un bouquet de marguerites. Chloé tenait entre ses mains serrées un doudou lapin en velours beige et vert.
La fillette leva la tête et se mit à observer de ses grands yeux écarquillés les personnes silencieuses qui, sans les connaître, les accompagnaient vers une destination inconnue de l'enfant.
– Mamie-Jane, chuchota-t-elle, la dame avec le pull gris elle a préféré un éléphant en peluche.
La grand-mère eut un pâle sourire.
– Oui, Chloé, je l'ai vu.
– Moi, j'ai choisi le doudou pour faire un câlin sur la joue.
La fillette hésita. La question qu'elle voulait poser lui paraissait si difficile.
– Dis, Mamie-Jane, il sera là aussi... le méchant qui a fait du mal aux enfants ?
La grand-mère passa un bras autour de ses épaules et la rassura :
– Non, la police l'a enfermé dans un endroit loin, très loin de nous, d'où il ne sortira plus jamais.
Chloé hocha la tête.
– Tant mieux, c'est bien fait pour lui.
La grand-mère et sa petite fille s'arrêtèrent. A leurs pieds s'étirait un interminable tapis de fleurs et de bougies dont les lumignons frissonnaient. Sur des bouts de papier abîmés par les larmes des mots tendres avaient été écrits par des mains tremblantes et ressemblaient à des messages d'amour qui cherchaient vainement leurs destinataires.
Mamie-Jane déposa ses marguerites contre la photo d'un garçonnet, Chloé cala le doudou contre un gros ours pour qu'ils se réconfortent l'un l'autre. On entendit un sanglot alors que l'éléphant aux grandes oreilles rejoignait une grenouille verte sur le tapis.
Mamie-Jane mit un baiser sur le front de Chloé et, la tenant par la main, toutes deux repartirent sans se retourner.
Elles ne le virent pas, tout au bout de la promenade des Anglais, tournant le dos au tapis de fleurs, face à la baie. Seul et serrant une poupée abîmée contre son cœur brisé, ses longues ailes blanches pendantes sur son dos, un ange pleurait.

F I N


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