Sous un ciel azur sans nuage, un beau ciel de juillet, une grand-mère
et sa petite fille marchaient côte à côte sur la longue avenue ombrée
de palmiers. Du bord de mer leur provenait le clapotis des vagues
semblable à une berceuse que personne ne pouvait entendre sur la belle
plage de galets ronds aujourd'hui désertée. Les touristes, amateurs de
bronzage et de chapeaux de paille, avaient délaissé leurs transats et
les plongeurs renoncés à découvrir les profondeurs mouvantes et
multicolores de la Méditerranée. Au loin, sur la ligne d'horizon, on
apercevait quelques élégants voiliers aux voiles déployées, dansant sur
les flots bleus à l'abri du monde et de ses fracas.
Chloé gardait ses yeux fixés sur ses sandales
roses toutes neuves dont elle se fichait éperdument. Le matin même,
Anaïs, sa meilleure amie, était repartie pour Bordeaux avec ses parents
; pourtant la rentrée des classes paraissait si lointaine.
– Elle avait promis de me prêter sa bouée canard
en échange de mon poisson-clown, dit Chloé en fronçant ses sourcils.
Elle n'a pas tenu parole.
– Tu la retrouveras bientôt, soupira la
grand-mère. Et tu joueras à nouveau avec elle, je te le promets.
Mamie-Jane portait, couché au creux de son bras,
un bouquet de marguerites. Chloé tenait entre ses mains serrées un
doudou lapin en velours beige et vert.
La fillette leva la tête et se mit à observer de
ses grands yeux écarquillés les personnes silencieuses qui, sans les
connaître, les accompagnaient vers une destination inconnue de l'enfant.
– Mamie-Jane, chuchota-t-elle, la dame avec le
pull gris elle a préféré un éléphant en peluche.
La grand-mère eut un pâle sourire.
– Oui, Chloé, je l'ai vu.
– Moi, j'ai choisi le doudou pour faire un câlin
sur la joue.
La fillette hésita. La question qu'elle voulait
poser lui paraissait si difficile.
– Dis, Mamie-Jane, il sera là aussi... le
méchant qui a fait du mal aux enfants ?
La grand-mère passa un bras autour de ses
épaules et la rassura :
– Non, la police l'a enfermé dans un endroit
loin, très loin de nous, d'où il ne sortira plus jamais.
Chloé hocha la tête.
– Tant mieux, c'est bien fait pour lui.
La grand-mère et sa petite fille s'arrêtèrent. A
leurs pieds s'étirait un interminable tapis de fleurs et de bougies
dont les lumignons frissonnaient. Sur des bouts de papier abîmés par
les larmes des mots tendres avaient été écrits par des mains
tremblantes et ressemblaient à des messages d'amour qui cherchaient
vainement leurs destinataires.
Mamie-Jane déposa ses marguerites contre la
photo d'un garçonnet, Chloé cala le doudou contre un gros ours pour
qu'ils se réconfortent l'un l'autre. On entendit un sanglot alors que
l'éléphant aux grandes oreilles rejoignait une grenouille verte sur le
tapis.
Mamie-Jane mit un baiser sur le front de Chloé
et, la tenant par la main, toutes deux repartirent sans se retourner.
Elles ne le virent pas, tout au bout de la
promenade des Anglais, tournant le dos au tapis de fleurs, face à la
baie. Seul et serrant une poupée abîmée contre son cœur brisé, ses
longues ailes blanches pendantes sur son dos, un ange pleurait.
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