Sitôt franchi le panneau de sortie de Vaison-la-Romaine, Kévin et
Solène, Mathéo et Emma, accélérèrent la vitesse de leurs motos et, sur
leurs puissantes mécaniques, ils longèrent les vignobles dont le
raisin, virant du vert au rouge, annonçait la prochaine véraison. Ils
prirent la direction de Crestet.
Après avoir déambulé dans la fraîcheur
du matin au milieu des vestiges romains, les quatre amis avait choisi
de se rendre dans ce petit village accroché aux Dentelles de
Montmirail, où vivaient les Crestelains.
Leurs motos garées, ils se
faufilèrent dans les calades étroites, d'une rare beauté, pour aller
admirer le vieux château et contempler la vallée du Toulourenc.
Une
pause fut décidée, Kévin ayant poussé des cris de protestation :
– Je
crève de faim ! Et il fait de plus en plus chaud : je meurs de soif !
Un modeste restaurant les accueillit et ils se régalèrent d'un
savoureux repas provençal pris en plein air, à l'ombre d'un large
parasol. En leur apportant le café, la serveuse leur conseilla une
balade à Malaucène, située à une courte distance.
– Son beffroi est
imposant, avait-elle expliqué. Et en montant au Calvaire vous
obtiendrez un point de vue magnifique. Vous ne serez pas déçus.
Rassasié, Kévin accepta d'enfourcher sa moto et les quatre motards
roulèrent jusqu'au joli bourg, dominé par le beffroi qui émergeait
au-dessus des toits de tuiles rouges. Une promenade les mena jusqu'au
Calvaire qui offrait un point de vue pittoresque.
Une main en visière
sur son front moite, Solène tendit un doigt devant elle et demanda :
–
C'est quoi ?
Obstruant le ciel bleuté de son imposante
présence, une
montagne dominait et son sommet, d'une blancheur éclatante, captait
l'attention.
– Je ne sais pas et je ne veux pas savoir, lui
répondit
Kévin. Quelle chaleur !
Emma feuilleta son guide touristique :
– Le
mont Ventoux. 1912 mètres d'altitude.
Mathéo plissa les yeux mais à
cette distance c'était inutile.
– Ce n'est quand même pas de la neige
qu'on aperçoit ? Emma ! Que dit ton bouquin ?
– Un peu de patience, Mat
! supplia la jeune femme, j'ai les doigts humides de transpiration. Sur
les pentes du géant de Provence on découvre des champs de lavande, de
magnifiques cerisiers, du miel... Ah, ça y est ! Son sommet est
couronné d'un immense champs de pierres blanches.
A côté d'elle, Solène venait de déplier son éventail et, la bouche
ouverte, les joues cramoisies, elle s'efforçait d'inspirer un peu d'air
frais.
– Oh, c'est incroyable ! s'écria soudain Emma.
Vous n'allez pas me croire quand je vous le dirai...
Kévin entrouvrit davantage sa chemisette trempée
de sueur. Il fit signe à Emma de terminer sa phrase restée en suspens...
– Il y a une dizaine de degrés de différence
entre le pied du Ventoux et son sommet !
Les quatre amis échangèrent des regards
intéressés puis, sans même se consulter, ils entamèrent la descente
pour aller récupérer leurs motos et prendre la direction du Mont
Ventoux.
Cette envie de s'élancer à la conquête de la
montagne géante, ils en reparleraient quelques semaines plus tard. Ils
se souviendraient du réel plaisir qu'ils avaient éprouvé à franchir les
17 kilomètres d'ascension et les 1535 m de dénivelé.
Juchés sur leurs grosses machines, ils se déplacèrent sur une large
et belle route goudronnée, escortés de forêts qui semblaient se
densifier à chaque kilomètre. Au fur et à mesure de la montée, la vue
devenait de plus en plus splendide.
Ils doublèrent des amateurs de la petite reine
qui montaient, en croisèrent d'autres qui descendaient à vive allure.
Ils eurent une pensée pour les courageux cyclistes du Tour de France.
Enfin, comme ils l'avaient convenu par avance,
ils firent une halte au mont Serein, un lieu cerné par un bois de
sapins où des familles se distrayaient avec leurs enfants sur des
terrains de jeux. Débarrassés de leurs tenues de cuir, ils savourèrent
l'air frais et vidèrent chacun leur bouteille d'eau minérale, tiédie
par la température ambiante dans leur sac à dos.
– Quel endroit sympa, se réjouit Kévin. On aperçoit des orchidées un
peu plus loin. Demain, on emporte des sandwichs et on part en balade.
Ça vous tente ?
Emma fit la grimace.
– Non, surtout avec toi qui n'a aucun sens de
l'orientation. Sur ce mont on peut faire face à des animaux sauvages :
des mouflons, des sangliers. Pire ! Des loups. Je propose qu'on reparte
pour atteindre la cime.
Ils franchirent les derniers kilomètres en
traversant un paysage lunaire où les fleurettes jaunes du pavot du
Groenland jaillissaient entre les pierres calcaires du sommet. Puis ils
s'arrêtèrent à proximité d'une brasserie-restaurant dont la terrasse
offrait un point de vue exceptionnel sur la plaine, un lieu de halte
idéal pour les touristes.
– On n'ira pas plus loin, constata Mathéo. C'est
la fin de notre grande aventure.
– Et il y a bien dix degrés de moins, s'efforça
de dire Solène qui claquait des dents.
– Ce n'est pas le pire, affirma Emma qui lut
dans son guide : le record du mistral est de 320 kilomètres par heure.
Ce qui a valu au Ventoux le surnom de « Montagne des tempêtes ». Un
titre mérité, je suppose.
Délaissant leurs engins ils savourèrent le
merveilleux panorama. Ce jour-là, l'horizon suffisamment dégagé leur
permit de voir, dans le lointain, la montagne Sainte-Victoire,
immortalisée par Cézanne sur ses tableaux.
– On reste jusqu'au coucher du soleil ? suggéra
Emma. Il est précisé que la nuit, par temps clair, on peut voir
scintiller les villes et les villages.
– Ça doit être génial ! s'exclama Solène, ravie
à cette idée.
Mathéo n'hésita pas.
– Moi aussi je suis d'accord seulement, à
minuit, on descendra dormir au Mont-Serein. Le temps de déplier la
tente et de planter les sardines et on s'endormira, bercés par le chant
des cigales.
– Moi, je prendrai une chambre à l'hôtel, grogna
Kévin.
– Monsieur est frileux, le taquina Emma.
A cet instant un Grand-duc passa au-dessus de
leurs têtes dans un vol gracieux.
Ensuite ce fut le silence. Gagnés par la beauté
du lieu, les quatre amis guettèrent les premières lumières naissant
dans la nuit, sans plus échanger un mot. Le géant pâle les avait
conquis.
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