Ludovic quitta le petit hôtel qui l'hébergeait pour quelques jours
et monta dans sa voiture. Son cœur battait comme un fou... Ludovic
avait rendez-vous avec une femme.
« A mon âge ! Je profite de ma retraite pour
m'offrir mes toutes premières vacances et voilà que je tombe amoureux.
Ce n'est pas croyable. Quand mon fils l'apprendra à mon retour, il se
moquera de moi. »
Ludovic l'avait rencontrée dans un thé dansant,
l'avait serrée dans ses bras, et le joli sourire qu'elle lui avait
offert l'avait fait fondre. Après l'avoir embrassée – un vrai baiser,
mais discret, sous un arbre alors que la nuit tombait – Adeline lui
avait murmuré :
– Je n'attendrai pas toute une année pour vous
revoir. A demain ?
Tôt le matin, Ludovic avait mis son plus beau
polo, le gris qui lui allait à ravir. Puis il avait enfilé le pantalon
noir et ses dernières tennis à la mode, histoire de se rajeunir un peu.
Sur une table, il avait déplié un de ses vieux plans et relevé le
trajet ; sa voiture, un modèle récent, était pourtant dotée d'un GPS
mais il trouvait cela inutile. Après avoir mis le moteur en route, il
avait suivi la départementale, puis traversé une charmante petite
agglomération classée parmi les Plus beaux villages de France. Des
jardins, plantés de camélias et de mimosas, bordaient les maisons aux
toitures bleutées.
Mais il était impatient de l'étreindre à nouveau
et son pied avait parfois écrasé l'accélérateur, frôlant les 53
kilomètre par heure en dépit de la limitation de vitesse à 50.
Le paysage alentour était un enchantement. Des
kilomètres de prairies magnifiques, de haies et d'étangs où vivaient
cygnes et canards, s'étendaient sous un ciel bleu radieux.
« La nature étale sa magnificence pour me rendre
encore plus heureux. J'arrive, Adeline. Me voilà ! »
Il ne put retenir
un rire léger et un sourire
se dessina sur son visage.
Les minutes passant, il fut bientôt en vue du
bâtiment érigé sous le règne du roi Charles X. Il s'en rapprocha, gara
sa voiture et en descendit.
« Quel bel endroit ! Et je le découvre grâce à «
Elle ». Jamais je n'aurais pensé visiter un lieu aussi impressionnant !
Alors allons-y, mon rendez-vous m'attend. »
Il marcha vers le beau bâtiment, poussa la
lourde porte en bois et entra. Sans la moindre hésitation, il entama la
montée de l'escalier en colimaçon.
Au fur et à mesure de sa progression, Ludovic
apprécia les petites fenêtres par lesquelles la lumière blanche
pénétrait, l'invitant à poursuivre son ascension. S'appuyant sur le
mur, à défaut de rampe, il sentit la caresse du granite sous sa main,
une jolie mosaïque grise, noire et blanche.
La 168ème marche atteinte, Ludovic profita d'un palier pour s'octroyer
un temps de repos. Il réalisa que les cinq kilomètres de course à pied
qu'il pratiquait tous les dimanches matins le gardaient en bonne forme et
il l'apprécia : Ouf ! Tant mieux.
Il reprit sa montée. Le silence se révélait
apaisant et même agréable mais, après tout, il aurait été difficile
d'être mêlé à un groupe, ou pire, une ribambelle d'enfants provenant
d'une classe verte.
Après la 310ème, il renonça à compter les
marches, devenues plus étroites. Essoufflé, il profita d'un nouveau
palier pour s'asseoir et soulager ses jambes. Il jeta un coup d'oeil à
sa montre et se donna quinze minutes avant de reprendre la montée.
Adèle risquait de s'impatienter.
« Quelle idée étrange de me proposer de la
rejoindre dans cette étonnante construction. Ses goûts artistiques sont
un peu particulier, me semble-t-il. Il faudra que je m'y habitue. »
Les dernières marches l'amenèrent derrière une
porte métallique qui vibrait bruyamment contre le mur de granite. Le
front couvert de transpiration, il l'ouvrit et dès qu'il se retrouva à
l'air libre un vent frais frappa son visage, emmêlant ses cheveux
grisonnants. Surpris, il posa les mains sur la rambarde et s'y agrippa,
cherchant à reprendre son souffle.
Enfin, écarquillant les yeux, Ludovic découvrit,
du haut des 75 mètres du phare, un panorama à couper le souffle, une
vue incroyable sur une mer verte aux vagues scintillant sous les rayons
du soleil.
– La Manche et les côtes du nord Cotentin ! dit-il en se parlant à
lui-même. Mare Britannicum, la nommait les Romains et ils avaient
raison. C'était plus joli à entendre.
Il inspira profondément et éclata de rire :
– Décidément, je ne pensais pas être aussi
heureux sur ce joli bout de terre.
Ludovic aperçut soudain, sur la route, une
voiture claire qui ralentit et se gara à côté de la sienne. Une femme
en descendit, portant une robe rouge. Adeline ! Elle fit quelques pas,
leva la tête en direction de la lanterne... Il la vit faire de grands
gestes et il comprit.
Il respira encore une fois une grande bouffée de
cet air marin iodé en provenance du grand large, avant de redescendre
les marches.
Quand il fut devant Adeline, elle lui raconta
l'histoire de ce phare aux 365 marches, les jours, 52 fenêtres, les
semaines et 12 paliers, les mois.
– « Je n'attendrai pas toute une année pour vous
revoir. » Je croyais que vous comprendriez mon jeu de mots, Ludovic ?
Je suis désolée, il s'agissait du phare de Gatteville.
Il la serra dans ses bras :
– La prochaine fois, Adeline, citez-moi l'église
St Nicolas de Barfleur et je vous raconterai ses huit marches en
granite et les 1724 tuyaux de son orgue. Mais j'ignore encore le nombre
de ses vitraux.
Et tous les deux éclatèrent de rire.
Concours des "72 heures" sur le thème "Un peu d'air" organisé par Short Edition (avril 2020)
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