BIENVENUE A ZONARANDE
Premier épisode : Les Kronga
par Claude Jégo


Parmi les dizaines de milliers de galaxies existant dans l'Univers, Myrille se trouvait être l'une des plus petites, une galaxie naine, ce qui ne l'empêchait pas de faire partie des plus belles car elle regorgeait d'étoiles magnifiques. Elle comptait aussi quelques planètes sur lesquelles la vie avait pu éclore et se répandre à travers une multitude de paysages mais aussi une certaine diversité d'êtres vivants et doués d'intelligence.
Hélas ! L'espace n'étant pas un lieu d'une absolue tranquillité, la survenue d'une comète surgie du fin fond de la galaxie, allait provoquer un cataclysme tel que peu de planètes en réchapperaient. Elle apparut sous la forme d'une intense lumière bleue, suivie d'une boule de feu. Elle heurta, cogna, fracassa tout ce qui eut le malheur de se trouver sur sa trajectoire avant de terminer sa course en percutant de plein fouet une étoile. Toutes deux s'évaporèrent dans un éblouissant feu d'artifices que peu d'êtres vivants eurent le privilège d'apprécier.
Rares furent les planètes épargnées par un chaos aussi dévastateur et plus rares encore les populations rescapées. Seules deux d'entre elles échappèrent à la disparition totale et, à partir de cet instant, leurs destins allaient se trouver liés, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Krongalie était l'une des deux. En effleurant son sol la météorite avait anéanti les trois-quarts de sa population et laissé les survivants au centre d'un épais brouillard de poussières et de particules métalliques qui rendait l'air à peine respirable. Pour comble de malheur, cette affreuse brumasse fut si longue à se disperser qu'elle eut le temps de leur détériorer le cerveau et d'affecter leurs capacités intellectuelles. Les Kronga, c'était leur nom, virent également leur sol si fragilisé qu'ils durent apprendre à vivre sur un territoire restreint et quelque peu dangereux. Il leur fallut se contenter d'affreux empilements de roches qui leur servaient aussi de logis et qui s'effondraient parfois sur eux. Mais personne ne s'en plaignait. Quelques Kronga de moins, cela faisait un peu d'espace en plus pour les autres. Face à l'adversité, le Kronga se révéla fataliste et il sut se servir avec talent de son humour, un humour toutefois très particulier.

L'autre planète s'appelait Zonarande. Déjà réputée comme étant la plus belle de toute la galaxie, elle n'eut, par chance, à subir que très peu de dégâts. Zonarande possédait de vastes territoires avec de superbes plaines, de grands plateaux, et également d'importantes ressources qui permettaient à ses habitants, les Zonder, de vivre sans souci. Enfin jusqu'à présent. Car depuis le passage de la comète, avoir les Kronga pour proches voisins n'allait pas se révéler de tout repos.

On peut affirmer, sans risquer de se tromper, que les Kronga étaient très laids. Ils avaient une toute petite tête ovale - ce qui était suffisant pour y loger ce qui leur restait de cerveau - et deux gros yeux jaunes vifs tout ronds et globuleux. Leur corps était maigre, avec des bras ondulants et des espèces de jambes courtes et larges, ce qui leur donnait une démarche de crapauds assez ridicule.
Leur chef s'appelait Kroji. Il n'avait pas vraiment le sens du commandement mais parmi les survivants il était le seul qui possédait cinq neurones de plus que les autres ; ce qui faisait toute la différence. Car le manque d'intelligence, se faisait, chez les Kronga, cruellement sentir.
La vie sur Krongalie devenait chaque jour de plus en plus difficile. Il y avait les falaises qui s'effondraient par pans entiers, les cours d'eau qui viraient parfois au vert ou bien encore les fleurs carnivores qui se multipliaient et dévoraient tout Kronga distrait qui passait à leur portée. Une conclusion parvint donc à s'imposer au très petit cerveau de Kroji : il devait dénicher une autre planète pour accueillir son peuple. Oui, mais laquelle ?
Après avoir beaucoup cherché, un nom lui vint à l'esprit : Zonarande. Inutile d'en chercher une autre - et pour cause : il n'y en avait pas ! - ainsi le choix était fait.
Kroji se montra très fier de sa décision et elle lui valut d'ailleurs une exceptionnelle popularité auprès des Kronga qui se réunirent en masse - du moins les quelques Kronga encore en vie - et l'acclamèrent avec enthousiasme.
Mais les obstacles allaient se révéler multiples.
D'abord, les Zonder refusèrent de céder Zonarande, ce qui démontrait qu'ils n'étaient pas du tout partageurs.
Les Kronga utilisèrent alors la menace d'une intervention armée de leur part. Hélas pour eux, Zonarande vivait sous la protection d'un bouclier invisible d'une redoutable efficacité qui interdisait la moindre tentative d'approche d'un ennemi par les airs.
De plus, les Zonder disposaient d'une unité de pilotes d'élites entraînés à la défense de leur planète et prêts à se sacrifier sans hésiter.
Après quelques laborieuses semaines de réflexion, Kroji parvint à la conclusion que si les Zonder refusaient d'abandonner Zonarande, il faudrait se passer de leur autorisation. Il fut applaudi, pour son audace, par des Kronga en délire. Quel chef d'exception ils avaient !
Il ne restait plus qu'à trouver les solutions. Concernant le bouclier et les pilotes d'élite les choses semblaient plutôt compliquées mais Kroji eut une idée de génie : avec des armes, les Kronga viendraient facilement à bout des Zonder et de leur bouclier. Et voilà. C'était si simple qu'il suffisait d'y penser.
Mais avec quelles armes ? Après le passage de la comète, les Kronga ne disposaient plus que d'une poignée d'engins spatiaux à peu près intacts - et portant le joli nom de Tridèle - et de quelques petits pistolets qui auraient fait pleurer de rire un Zonder.
Heureusement, dans la galaxie Myrille existait un passage en spirale qui servait de couloir de communication ultra-rapide aux nombreux vaisseaux qui désiraient de rendre dans d'autres galaxies. La plupart d'entre eux détenaient quantité d'armes. Il suffisait de leur demander, avec fermeté, de leur en céder une partie et le tour serait joué.
A partir de cet instant, les Kronga partirent tous les jours se poster sur la route de ces vaisseaux, afin de les rançonner et, petit à petit, ils virent augmenter leur stock de bombes et missiles en tous genres. Ces missions, très spéciales, auraient pu se poursuivre longtemps si une rencontre hors du commun ne s'était produite.

Ce jour-là, Kroji et trois de ses Kronga avaient quitté Krongalie à bord de leur Tridèle afin de gagner leur poste d'observation dans l'espace. A partir de cette position, ils guettaient les vaisseaux et choisissaient, avec soin, leur cible avant de passer à l'attaque. En général, ils préféraient s'en prendre aux transports de voyageurs car ceux-ci n'étaient guère méfiants et il était facile de monter à bord de leur appareil pour, ensuite, les dévaliser.
En général, la bonne humeur régnait à bord du Tridèle. Kroji et ses Kronga aimaient beaucoup la plaisanterie même s'ils ne la comprenaient pas souvent. Ce jour-là, l'un des Kronga se montra plus curieux que d'habitude.
- Quelle est le but de notre mission aujourd'hui, chef ?
- Il s'agit d'intercepter des vaisseaux étrangers et de leur faire payer une rançon, répondit Kroji.

Le Kronga sembla réfléchir puis :
- On fait ça tous les jours, chef.
- Bien sûr, répondit Kroji. Pourquoi tu proposes de faire autre chose ?

Le Kronga fit fonctionner ses quelques neurones - ce qui prit un certain temps - puis il suggéra :
- On pourrait attaquer des vaisseaux étrangers et leur faire payer une rançon ? Ca nous changerait de la routine habituelle.

Et tous les Kronga éclatèrent de rire : Yek ! Yek ! Yek !
L'ambiance à bord était vraiment excellente !

Depuis le passage de la comète, la galaxie manquait de distractions. Elle ressemblait à un bien triste désert où flottaient encore quelques satellites de forme papatoïde, une dizaine d'étoiles mourantes et deux lunes blanchâtres à l'agonie. Le Tridèle dessinait donc des ronds dans l'espace en attendant une proie quand soudain un Kronga poussa un cri de surprise...
- Chef ! Regardez cette drôle de chose.

Les Kronga n'avaient jamais rien vu de pareil. Le vaisseau qui glissait doucement dans l'espace paraissait d'une taille gigantesque et le matériau dans lequel il avait été créé évoquait un cristal mat et bleuté. Même sa forme galbée sur le dessus et applatie en dessous était inhabituelle et, pour le plus grand plaisir des Kronga, aucun missile n'était visible sous l'appareil. Ce qui était, quand même, le plus important.
La simple vue de cet immense bâtiment suffit à les convaincre qu'il devait renfermer des trésors exceptionnels.
- On lui demande gentiment de stopper ses moteurs, chef ? demanda un Kronga.
- Allez-y ! répondit Kroji.

Un tir de laser toucha le vaisseau étranger, provoquant une gerbe d'étincelles sur sa carlingue. L'étrange appareil s'immobilisa et les Kronga poussèrent des cris de joie.
" Yek ! Ils ne peuvent pas nous échapper "

Les Kronga arrimèrent leur Tridèle le long du vaisseau. Un sas coulissa et ils montèrent à bord. A leur grande surprise, il n'y avait aucune différence entre l'intérieur et l'extérieur ; les parois s'apparentaient toujours au cristal. Ils furent accueillis par une étrange bulle lumineuse qui leur souhaita la bienvenue et entreprit de les guider à travers d'interminables couloirs dans lesquels n'apparaissaient ni portes, ni ouvertures.
Les Kronga n'étaient pas patients et ces couloirs, qui semblaient ne pas avoir de fin commençaient à les énerver, lorsqu'ils débouchèrent dans une vaste salle. Les murs, le plafond, le sol étaient recouverts de fins grains métallique et, au centre de la pièce, s'élevait une colonne de verre, avec, à l'intérieur, un être en lévitation, à près de deux mètres au-dessus du sol.
Cela intrigua les Kronga qui n'avaient jamais rencontrés pareil phénomène et qui s'approchèrent pour voir "cela" de plus près.
Ce n'était pas fait comme un Kronga car "cela" n'avait ni tête, ni corps, juste une masse ovale transparente et gélatineuse au centre de laquelle un " coeur ? " pulsait avec régularité.
- Ce bidule ne ressemble à rien, gronda Kroji en découvrant ce qu'il prenait pour un être mal fini et pas du tout évolué. Ca ne parle pas ?

Mais alors, comment communiquer avec "ça" pour obtenir une rançon ?
La colonne se mit à vibrer et une voix s'éleva qui semblait provenir de nulle part.
- Pourquoi nous avoir agressé ? Nous sommes des êtres pacifiques et nous n'utilisons jamais la violence, elle nous est interdite depuis la nuit des temps. Que voulez-vous obtenir de nous ?
" S'ils ne font pas usage de la violence, ils sont à notre merci " songea Kroji qui répondit :
- Donnez-nous des armes sinon nous détruirons votre vaisseau !

La colonne vibra à nouveau.
- Pourquoi ? Nous ne pouvons vous faire aucun mal, je vous l'ai dit.

Les Kronga s'agitèrent. Que de temps perdu en bavardages inutiles !
- Des armes ! répéta l'un des Kronga en dégainant son arme-laser et en la pointant sur la colonne. Ou on fait tout sauter et puis c'est tout.

Le tas gélatineux, dans la colonne, sembla s'allonger et puis il y eut comme un claquement sec dans un recoin de la pièce.
Toujours sur leurs gardes, les Kronga se retournèrent d'un seul mouvement : une cavité venait d'apparaître dans un mur. Une boîte en sortit et elle vola jusqu'aux Kronga pour s'immobiliser au ras du sol.
Kroji regarda à l'intérieur... Il y distingua trois choses étranges. Trois choses de petite taille - pas plus de trente centimètres - rondes comme des boules, avec des mains à trois doigts et pas de pieds, ni de jambes, ni de tête.
Les autres Kronga jetèrent, à leur tour, un coup d'oeil dans la boîte et ils se reculèrent en émettant une sorte de couinement qui exprimait un mélange de perplexité et d'agacement devant ces "bidules" répugnants.
- Comment fonctionne cette arme ? demanda Kroji qui songea que discuter avec cet être mettait vraiment ses neurones à rude épreuve.
- Il ne s'agit pas d'une arme comme celle que vous avez l'habitude d'utiliser, expliqua l'être lumineux. Les Dagua - c'est leur nom - permettent d'obtenir l'immortalité. A l'approche de la mort, le Dagua devient le récipient de votre vie et de votre âme et il la conserve jusqu'à son transfert vers un autre corps à votre convenance.

Les quatre Kronga parurent se pétrifier durant trois ou quatre secondes puis Kroji et les deux autres s'agitèrent, énervés. Seul le quatrième Kronga demeura immobile puis, au bout de cinq secondes, il y eut une petite explosion et le Kronga se désintégra, ne laissant sur le sol qu'une flaque de mousse rose.
- Qu'est-il advenu de votre compagnon ? s'étonna l'être. Que s'est-il passé ?
- Il a tenté de comprendre ce que vous avez dit, répondit Kroji.
- Pas vous ?

Les trois Kronga restants ricanèrent.
- Yek ! Yek ! Yek ! Nous ne sommes pas idiots comme lui.

Puis Kroji cessa de rire et redevint menaçant.
- On veut des armes pour tuer les Zonder car ce sont nos ennemis et nous voulons nous emparer de leur planète. On ne veut pas de vos bidules bizarres.

Quelques lueurs dorées traversèrent la colonne et la voix parla à nouveau :
- Avec un Dagua, vous pourrez obtenir tout ce que vous voudrez sans avoir besoin de combattre. Qu'il s'agisse d'une planète ou de dix ou de vingt. Echangez les Dagua contre la puissance infinie !

Cette fois, l'être avait su trouver les mots qu'il fallait pour convaincre les Kronga car ils empoignèrent la boîte contenant les Dagua et demandèrent le chemin de la sortie.
La bulle lumineuse les escorta donc dans les couloirs qu'ils parcoururent dans l'autre sens pour revenir au sas. Dès qu'ils furent hors de vue de l'être, Kroji arracha un chevron en métal noir sur son épaule et le déposa sur le sol d'un geste discret.
Les Kronga réintégrèrent leur Tridèle et s'éloignèrent, à toute allure, du vaisseau en cristal bleu. Tandis que leur Tridèle filait dans l'espace, ils se mirent à rire bêtement.
- Tu leur as laissé un souvenir de notre visite, chef ?
- Oui, acquiesça Kroji. Ils vont l'apprécier dans quelques minutes. Ca fera Boum !

Les Kronga éclatèrent de rire : Yek ! Yek ! Yek ! Ils avaient, décidément, beaucoup d'humour.

A suivre... Deuxième épisode : les Zonder
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