Bon anniversaire, Tommy !
Monsieur Gredon, le surveillant général, déposa une pomme verte dans l’assiette du petit garçon. Il y piqua un minuscule bougeoir en plastique blanc dans lequel il planta une petite bougie bleue à moitié fondue, il craqua une allumette pour enflammer la mèche et attendit.
Tommy sentit son coeur se serrer en songeant qu’il avait sept ans aujourd’hui et que les trois dernières années de sa jeune vie s’étaient écoulées entre les quatre murs de cet orphelinat. Le jeune garçon regarda les autres gamins assis à la même table que lui – regard éteint et tête basse – portant tous l’uniforme des orphelins : le pantalon bleu gris et le chandail fermé à l’encolure par trois boutons noirs. Sans oublier les lourdes chaussures qui couvraient les talons et les orteils d’ampoules douloureuses.
Les larmes remplirent ses yeux et ses lèvres tremblèrent pour retenir un sanglot.
– Alors, mon garçon, tu attends quoi pour souffler ? gronda le surveillant général.
D’un geste agacé, Monsieur Gredon moucha la flamme entre deux doigts et récupéra la bougie.
– Pas de gaspillage ici, maugréa-t-il.
Et c’est vrai qu’à l’Institut des Enfants Perdus tout devait servir avec parcimonie.
Il y eut un début d’agitation au fond de la salle et le surveillant général reprit en main la baguette qu’il avait glissée sous son bras le temps de l’anniversaire. Décidément, ces gosses n’étaient que de la mauvaise graine ; malgré l’autorité et les punitions, rien de bon n’en sortirait jamais !
Monsieur Gredon avait à peine tourné les talons qu’il y eut un bruit de vaisselle brisé. Le surveillant fit volte-face mais pas assez vite pour voir le grand Grégoire se rasseoir après avoir accompli sa mauvaise action. Car c’était lui qui venait de balayer l’assiette de Tommy en bas de la table d’un revers de main.
En voyant les débris sur le sol, Monsieur Gredon manqua s’étrangler de fureur.
– Faut pas lui en vouloir, m’sieur, glissa sournoisement Grégoire. Il n’aime pas qu’on lui fête son anniversaire, c’est ce jour-là que ses parents l’ont abandonné. Remarquez qu’on comprend pourquoi. N’est-ce pas, m’sieur le surveillant général ?
Tommy n’eut pas le loisir d’émettre une protestation. Une main de fer l’attrapa par le col de son vêtement et le traîna hors du réfectoire. Mais avant de sortir de la pièce, le petit garçon put voir un mauvais sourire s’étaler sur la figure de fouine de Grégoire.

Monsieur Gredon lui fit gravir, sans ménagements, les marches qui menaient au deuxième étage. Il poussa la porte du dortoir : quatre douzaines de petits lits alignés sur quatre rangées, entre des murs à la peinture écaillée et éclairés par une unique grosse ampoule. Au centre de la longue salle, un poêle en fonte qui ne servirait qu’aux premières neiges ; à l’Institut des Enfants Perdus, on savait économiser le papier et le bois.
– Tu resteras ici aussi longtemps que je le déciderai, gronda le surveillant général qui ajouta : Peut-être jusqu’à ton prochain anniversaire. Je suis certain que tu ne manqueras pas à tes camarades.
Le surveillant général repartit, la porte claqua et ce fut le silence.
Tommy aurait pu s’allonger sur son lit, éclater en sanglots et verser toutes les larmes de son corps jusqu’à ce que le sommeil vienne l’apaiser – cela se terminait ainsi chaque fois que le grand Grégoire le malmenait. Que se passa-t-il, ce soir-là, dans la tête de l’enfant ? Etait-ce le désespoir ou bien la révolte ? Il se mit à genoux sur le tapis usé et tendit les bras pour attraper une boîte en carton glissée sous son lit. A l’intérieur étaient soigneusement rangés les vêtements qu’il portait le jour de son abandon. Rien ne se perdait jamais à l’Institut des Enfants Perdus !
Il ôta le chandail aux boutons noirs et enfila son cardigan vert-comme-la-mer dont les manches, trop courtes, ne couvraient plus que la moitié de ses avant-bras. Il dut renoncer à chausser les sandalettes – ses pieds refusaient d’y entrer – mais le bonnet de laine tenait toujours sur ses cheveux châtains même s’il comprimait un peu les oreilles. Il restait encore l’écharpe que des mains tendres avaient tricotée pour l’enfant, il y a longtemps.
– Ne t’inquiète pas, Peluchon, j’ai un manteau pour toi.
L’enfant récupéra son ours caché sous l’oreiller pour l’enrouler dans l’écharpe.
– C’est fini, Peluchon. Grégoire ne t’appellera plus le Râpeux. Nous partons.
S’il avait été doté de la parole, l’ours Peluchon aurait pu expliquer à son petit maître que lorsqu’on a sept ans à peine, on est trop jeune pour s’aventurer la nuit, dans une ville pleine de dangers. Mais Peluchon ne parlait pas, sinon, il aurait appelé à l’aide le jour où le grand Grégoire l’avait jeté dans la bassine remplie de savon. Son joli poil brun n’y avait pas résisté et, depuis, Grégoire le surnommait le Râpeux.
Son ours serré contre son coeur, Tommy sortit du dortoir et referma la porte qui grinça légèrement. L’enfant se figea. Si Grégoire l’avait entendu, il allait le dénoncer. Tommy croyait déjà l’entendre alerter le surveillant.
« M’sieur Gredon, c’est Tommy et son râpeux qui s’enfuient. Attrapez-les, m’sieur ! Jetez-les au fond d’un puits ! »
Tommy sentit ses jambes fléchir sous lui. Il se colla le dos au mur et tendit l’oreille... Il y eut le bruit du chariot qui passe entre les tables pour servir les grands saladiers de pommes de terre tièdes, la voix de monsieur Gredon qui menace... Personne ne savait.
L’enfant traversa le palier et emprunta l’escalier réservé au petit personnel. Le faible éclairage projetait contre les murs sa fragile silhouette et la déformait, la grossissait.
Une histoire, que lui avait racontée le grand Grégoire, lui revint en mémoire : « La fée Carabosse vole les enfants pour les emmener tout en haut de son donjon où elle les enferme dans une cage avec de solides barreaux. Quand elle a faim, elle allume le feu sous sa marmite et fait bouillir de l’eau. Tu ne devines pas quel est son plat favori, Tommy ? Elle mange les enfants. Et elle préfère les petits maigrelets, comme toi. Elle viendra peut-être te chercher cette nuit, qui sait ! Si je la croise, je lui dirai au fond de quel lit tu te caches. »
Tommy rata la dernière marche. Il lâcha Peluchon pour se rattraper à la rampe et un gros sanglot le secoua. Il chercha à tâtons et trouva son ours, en même temps qu’il sentait l’air froid venu de l’extérieur.
La porte d’entrée était toute proche, deux ou trois mètres. Et en face, de l’autre côté de la cour, c’était le réfectoire avec le grand Grégoire, le surveillant, la fée Carabosse.
Tommy éprouva quelque difficulté pour actionner le loquet – il faut le lever ?...non, le tirer en arrière – il restait encore à faire coulisser le portail, si lourd pour ses bras d’enfant. Une bourrasque providentielle vint s’engouffrer, provoquant un entrebâillement suffisant pour qu’il se glisse entre les deux vantaux.
Ils étaient dehors ! Libres, ils étaient libres !
Tommy déboutonna son blouson pour y loger son ours bien au chaud. Sans poils, il était à la merci d’un mauvais courant d’air.
– Accroche-toi, Peluchon ! Je ne voudrais pas risquer de te perdre.
Et dans la nuit noire, un petit bonhomme partit en courant.

Aux abords d’un charmant village

La femme et l’homme s’approchèrent, les yeux remplis de larmes, et Théobald le panda leur tendit le bébé.
– Vous serez de bons parents pour lui. Soyez heureux tous les trois.
Il regarda le couple qui s’éloignait, avant de rejoindre Bix le kangourou qui patientait un peu plus loin. Celui-ci avait sorti un large mouchoir de sa poche et se mouchait bruyamment.
– Ca me brise toujours le coeur de les voir partir, chef.
– Tu es trop émotif, Bix, répondit Théobald tout en s’essuyant le coin de l’oeil.
– Oui, chef, je sais.
Emus, le panda et le kangourou se firent silencieux et leurs regards se portèrent sur le village, niché au creux d’une vallée verdoyante.
– Le temps est doux ce soir, dit le kangourou. Vous pensez que ça va durer ?
– Oh, à vrai dire, je ne crois pas, Bix, répondit le panda.
Comme pour lui donner raison, une rafale de vent accourut du fond de la vallée. Facétieuse, elle s’empara des dernières feuilles mortes sur le chemin, les fit tourbillonner et l’une d’elles vint se percher sur le museau du panda.
– Il me semble qu’un nouveau message vient d’arriver, chef ! s’écria Bix.
Le panda prit la feuille de chêne et y jeta un coup d’oeil intéressé.
– Une urgence. Cela concerne un enfant et un... sans poil ! Je ne connais pas cette espèce, Bix. Avez-vous une explication à me fournir?
Le kangourou plongea les pattes dans sa poche et en sortit un manuel portant l’inscription : « Je sais tout ! » Il l’ouvrit, le feuilleta...
– Il ne sait pas, comme d’habitude. Je me demande pourquoi il se vante sans arrêt de tout connaître ?
Une voix éraillée sortit d’entre les pages du livre :
– Je fournis des réponses intelligentes à des questions intelligentes. Je n’ai pas été imprimé pour jouer à des devinettes. Un «sans poil» ! Et pourquoi pas le calcul des quatre côtés d’un cercle ou encore...
Personne n’entendit la fin de sa protestation car le kangourou avait refermé le livre d’un geste sec.
Théobald monta à bord du train à vapeur et le kangourou le rejoignit d’un bond.
– Nous verrons sur place de quoi il retourne, Bix. Ne perdons pas de temps. Attention au départ, ça va secouer !
Théobald donna un coup de sifflet et la locomotive noire s’ébranla lentement. Quelques secondes plus tard, le train avait littéralement disparu du paysage.

Tommy vérifia que personne ne l’avait suivi avant de tourner l’angle du boulevard mais, à une heure aussi tardive, tout était désert. A bout de souffle, il ralentit. Il avait parcouru au moins quatre grandes rues, et plusieurs ruelles ; il devait être en sécurité.
Pauvre Tommy ! Avec ses petites jambes il croyait avoir sillonné la moitié de la ville, pourtant s’il avait levé les yeux à cet instant, l’enfant aurait reconnu, à quelques centaines de mètres seulement, la masse lugubre de l’orphelinat dominant les maisons du quartier.
Tommy franchit une élégante grille en fer forgé et ses lèvres laissèrent échapper un cri de ravissement. Son échappée l’avait mené aux abords d’un parc qu’il n’avait pu jusqu’à présent qu’entrevoir lors de ses rares sorties.
L’enfant parcourut les allées de gravier rouge, essaya, l’un après l’autre, les larges bancs de pierre blanche. Il se faufila en riant entre les haies taillées en forme de boules que la gelée nocturne blanchissait joliment. Les poissons restèrent au fond de leur bassin où ils dormaient sagement ; Tommy leur souhaita de faire de beaux rêves.
L’enfant aurait pu s’attarder dans le parc si un phénomène extraordinaire n’avait attiré son attention. A une courte distance, deux allées de réverbères s’étaient alignées au garde-à-vous le long d’un immense tapis noir. L’enfant s’y rendit en sautillant d’un pied sur l’autre – ce qui le réchauffa un peu – et il s’imagina que quelqu’un avait allumé les plus belles bougies que l’on puisse imaginer pour célébrer un anniversaire important, le sien.
Le tapis noir était le tablier d’un pont sous lequel l’eau faisait entendre son murmure. L’enfant s’approcha du parapet et passa la tête entre les barreaux pour apercevoir le fleuve. La lumière jetait sur ses flots des dizaines de feux follets.
– C’est joli, hein Peluchon ?
Mais, couché bien au chaud dans le blouson, l’ours ne pouvait rien voir.
Pendant que Tommy profitait de ses premiers instants de liberté, une brume descendit sur les alentours, effaçant le parc, les bancs de pierre et le bassin de poissons, et transformant les haies en d'étranges fantômes.
Soudain, Tommy se redressa. Il avait cru entendre un grondement sourd dans le lointain. Peut-être le surveillant général et le grand Grégoire s’apprêtaient-ils à surgir, lancés à la poursuite des deux fuyards ?
La peur le submergea à nouveau. Il se retourna pour fuir et heurta, de plein fouet, un corps mou et chaud. Il ouvrit la bouche pour crier mais le cri s’étrangla dans sa gorge. L’être qui se trouvait devant lui était si joli à regarder !
Il portait un uniforme bleu fermé par des boutons dorés et les parties de son corps qui dépassaient – les mains, les pieds – étaient couvertes d’une fourrure blanche à l’aspect soyeux. Sur sa grosse tête ronde, surmontée de deux oreilles noires comme les cercles autour de ses yeux, était posée une casquette arborant le mot « Chef » en lettres majuscules, dorées elles aussi.
Ce singulier personnage ôta sa casquette et salua.
– A votre service !
Surpris, l’enfant demanda :
– Qui êtes-vous ?
– Théobald, le panda. Pour vous servir.
– Vous êtes aussi un surveillant général ? demanda la voix tremblante de l'enfant.
Théobald mit une grosse patte blanche devant sa bouche pour pouffer de rire.
– Pas du tout, je suis chef de train. N’auriez-vous pas décidé de partir loin de cette ville ?
– Oh oui, je le souhaite très fort.
– Choisissez votre destination, où désirez-vous aller ?
Tommy entrouvrit son blouson dans lequel dormait un ours et, en le voyant, le panda comprit ce qu’était le « sans poil ».
– Je voudrais aller dans un endroit où plus personne ne se moquera de Peluchon.
Théobald hocha la tête d’un air sérieux :
– Oui, oui, bien sûr. Je crois que j’ai exactement ce qu’il vous faut. Alors, jeune homme, si vous voulez bien : En voiture !
Tommy se pencha pour regarder sur la gauche de Théobald, puis sur sa droite...
– Vous avez perdu quelque chose ? s’inquiéta le panda qui, à son tour, chercha à gauche, puis à droite…
– Je suis désolé mais je ne la vois pas... La voiture.
– C’est par ici !
Le regard de Tommy suivit la direction indiquée par la main du panda... Sous le pont, là où coulait le fleuve auparavant, s’étirait un train, un adorable tortillard avec une locomotive noire à vapeur, des roues et des bogies rouges. Il traînait une longue voiture marron décorée de fins liserés jaunes avec des vitres ornées de brise-bise en dentelle.
Théobald posa la patte sur l’épaule de Tommy.
– Nous devrions nous hâter, car il me semble entendre accourir des gens malintentionnés.
Le panda et l’enfant gagnèrent l’extrémité du pont et descendirent sur la berge par un petit escalier. Tommy tenta d’apercevoir le fleuve sous les rails métalliques, mais il ne vit que de l’herbe. En relevant la tête, le jeune garçon croisa le doux regard de la locomotive.
– Le train... il a des yeux !
– « Elle » a des yeux.
– Elle ?
– Myline. C’est son nom.
Tommy aurait aimé lui parler mais le chef de train le poussa vers un kangourou qui se tenait devant la voiture.
– Voici Bix, mon assistant.
Bix décocha un clin d’oeil appuyé au petit garçon.
– Bienvenue à bord, Tommy.
Il aida l’enfant à monter dans le train – les marches étaient très hautes – et le suivit. Théobald grimpa derrière eux, et se saisissant du sifflet d'argent qu’il portait autour du cou, il fit entendre un long sifflement.
La locomotive s’ébranla lentement. Les roues firent un tour, un autre encore. Elles se mirent à tourner de plus en plus vite, laissant échapper des grincements légers comme des soupirs. Le train s’engouffra sous le pont, ressortit de l’autre côté et s’éloigna en prenant de la vitesse.
Il était temps. Des silhouettes venaient de surgir de la brume : Monsieur Gredon le surveillant général et quatre policiers, lancés à la poursuite du fuyard.
– Un enfant de cet âge ne peut pas aller bien loin, s’exclama l’un des agents. Vous affirmez qu’il ne s’est pas écoulé plus de trente minutes depuis qu’il s’est enfui ?
– J’en suis certain, répondit le surveillant général. C’est un grand de l’orphelinat, Grégoire, qui m’a averti. Il m’a dit qu’il s’inquiétait pour Tommy parce que je l’avais puni et il s’est aperçu qu’il avait disparu du dortoir. Il aurait emporté des vêtements et son ours avec lui.
– Vous êtes sûr qu’il n’a personne chez qui se réfugier ?
– Personne. Un orphelin, pensez donc !
L’un des policiers parut perplexe. Il se pencha par-dessus la rambarde du pont, observa l’eau noire du fleuve qui coulait entre les berges désertes.
– Allons jusqu’au jardin ! Nos collègues l’auront peut-être récupéré endormi sur un banc.
Les policiers et le surveillant général firent demi-tour mais la brume devint si épaisse qu’elle noya la ville, ne laissant surnager que le clocher de la cathédrale. Dans des conditions aussi difficiles, les recherches durent être abandonnées.


Il régnait une douce tiédeur à l’intérieur de la voiture et le bruit des roues sur les rails ne parvenait que de manière atténuée, comme un ronronnement. Tommy sentit toute sensation de peur se dissoudre en lui ; c’était fini, il ne retournerait plus à l’Institut des Enfants Perdus.
– Tu devrais t'asseoir, conseilla le panda. L'heure du repas approche et je dois aller indiquer notre destination à Myline. Bix veillera sur toi.
Le chef de train quitta la voiture et l’enfant prit place sur la banquette de velours, son ours à ses côtés. D'un geste vif, le kangourou sortit de sa grande poche ventrale une table couverte d'une nappe bleue qu'il dressa devant l'enfant. Puis il noua un bavoir au cou de Peluchon et une serviette au cou de Tommy.
– J’espère que tu as faim ? Je t'ai préparé de la purée au lait, du jambon blanc, un gratin de tomates, un yaourt crémeux et, pour terminer, un dessert surprise.
Tommy suivit avec passion les deux pattes de Bix qui disparurent plusieurs fois dans la poche pour ressortir avec des assiettes pleines de bonnes choses à manger. Sans oublier un verre de grenadine et une grosse part de gâteau à la fraise.
Le kangourou posa devant l'ours une poignée de bonbons au miel et lui tapota gentiment la tête :
– Ce sont tes préférés, Peluchon. Bon appétit à tous deux !
Quand Théobald revint, le repas était terminé. La table et la nappe avaient regagné leur mystérieuse cachette, et Bix s’affairait à remettre de l’ordre dans la voiture.
– Tout va bien, Bix ?
– Oh oui chef ! Ce soir, nous avons recueilli deux anges égarés.
Enroulés dans une couette, couchés au fond d’un lit en bois blanc, Tommy et Peluchon dormaient d’un sommeil peuplé de jolis rêves, d’où étaient exclus le grand Grégoire et monsieur Gredon.
– Cela me serre le coeur, dit Bix en se penchant sur ses anges. Pas vous, chef ?
Le panda cligna plusieurs fois des yeux pour évacuer une larme.
– Ne nous laissons pas attendrir, Bix. Nous faisons notre devoir.
Le kangourou acquiesça en hochant la tête et se mit à chercher dans sa poche…
D’un geste vif, Théobald lui tendit un mouchoir.
– Vous devenez trop sentimental, mon ami.

Au réveil, Tommy avala un copieux petit-déjeuner, toujours préparé par Bix le magicien ainsi que l’enfant l’avait surnommé. Ensuite il y eut une séance d’habillage et Tommy enfila des vêtements neufs – pantalon beige et pull bleu – à sa taille. Quand à Peluchon, il fut doté d’un sweat marine à capuche qui lui tiendrait chaud.
Un peu plus tard, Bix et Tommy se livraient à une passionnante partie de dominos quand Théobald fit irruption dans la voiture, la mine contrariée.
– Je suis désolé Tommy. Un cas d’une extrême urgence nous oblige à faire un détour qui n'était pas du tout prévu.
– Qui allons-nous chercher ? demanda Bix un peu surpris par ce changement de programme inattendu.
– Il s’agit d’une demoiselle qui s’est spécialisée dans les énormes bêtises. Pour résumer, je dirais : une Miss catastrophe.
Pour Tommy, l'idée de prolonger son séjour chez ses deux nouveaux amis ressemblait plutôt à une bonne nouvelle. Et d'ailleurs, son ours aussi semblait ravi.
– Peluchon et moi serons très sages, nous le promettons.
Cette réponse soulagea le chef de train.
– Je te remercie, Tommy.
Théobald alla chercher une carte dans un toroir et la déplia.
– Notre intervention se fera dans cette zone, dit-il en tapotant le papier du bout du doigt. Et Gretti va nous indiquer le moment où elle aura lieu très précisément.
Bix et Théobald se tournèrent vers une longue pendule adossée à la paroi. Elle était taillée dans un joli bois et son balancier en cuivre faisait entendre un léger murmure.
– Greeettiiii
  Au cri du panda, la pendule se réveilla et Tommy réalisa qu'elle avait des yeux, tout comme Myline la locomotive.
– Qui ! Que ! Quoi ! Que se passe-t-il, monsieur Théobald ?
– Voyons Gretti, vous dormiez encore. Concentrez-vous sur votre travail, nous avons une urgence.
– Je ne faisais qu'une courte sieste, s’excusa la pendule. Il reste vingt secondes… dix-neuf… dix-huit…
– Vite, Bix ! Préparons-nous.
Théobald enfila un gilet de sauvetage et s’empara d’un filet à papillons. Bix se dirigea vers la portière et l’ouvrit… Un vent chargé d’embruns pénétra dans la voiture.
– Chette checondes ! annonça Gretti en bâillant.
Tommy grimpa à genoux sur la banquette, son ours serré dans ses bras et colla son front contre la vitre. Le train roulait au ralenti, le paysage disparaissait dans la brume.
Myline, la locomotive, lâcha un jet de vapeur, qui résonna comme une sirène. Théobald et Bix sursautèrent.
– Nous y sommes, Bix. En position pour la récupération !
Bix utilisa ses deux longues pattes arrière de kangourou pour prendre un solide appui sur le plancher de la voiture, il attrapa le panda par la ceinture et le maintint fermement.
– Prêt, chef !
Tommy vit le panda pencher le haut de son corps dans le vide et tendre le filet à papillons à bouts de bras.
– Trois, deux, un... décompta la pendule.

(A bord d’un navire de croisière)

– Mélanie ! Où te sauves-tu encore ?
La petite fille s’immobilisa. Raté ! Il ne lui restait pourtant qu’un dernier mètre à parcourir, sur la pointe des pieds, pour atteindre la porte. Sa mère avait-elle des yeux dans le dos ?
Mélanie se retourna et comprit ce qui avait causé sa perte. Le miroir avait renvoyé son image. Sale traître !
– Je m’ennuie à mourir, je veux aller jouer sur le pont.
– Je te l’interdis, il fait trop mauvais temps. Et nous sommes en plein milieu de l’océan.
– Je veux rentrer à la maison ! Je veux, je veux, je...
– Par pitié, Mélanie, cesse de hurler, c’est insupportable ! Les passagers de ce navire vont finir par nous haïr pour t’avoir emmenée à bord.
– Je ne voulais pas venir. Je l’ai dit et répété mais personne ne m’écoute jamais !
Mélanie sentit les larmes lui couler sur les joues avant de tomber sur le tissu fin de sa robe. Mais elle s’en fichait, elle détestait cette robe.
Sa mère se prit la tête entre les mains. Cette enfant était un démon d’une dizaine d’années à peine. Le nombre de bêtises qu’elle pourrait inventer avant d’atteindre sa majorité était infini.
– Mélanie, mouche-toi, tu as le nez sale ! Pourquoi ne vas-tu pas rejoindre ta cousine Léa ? Ca te changerait les idées. Elle est allée manger une glace.
– Ma cousine est stupide ! s’écria Mélanie qui en oublia de pleurer. Elle passe des heures à habiller et à peigner sa poupée Pétronille. Pfff ! Elle pue le plastique sa PétroGuenille.
– Alors rejoins ta soeur dans la salle de cinéma.
– « Winnie l’ourson » c’est pour les mioches et moi, je suis une demoiselle.
L'élégant navire de croisière "Le Roi des Mers" avait quitté le port quatre jours plus tôt. Depuis cet instant, Mélanie s'était employée à multiplier les caprices ; au grand désespoir de sa mère qui voyait ses deux semaines de vacances virer au cauchemar.
– Une vraie demoiselle ne se comporte pas comme une chipie !
Mélanie se sentit foudroyée par l’insulte. Elle, qui depuis le départ de cette croisière maudite, faisait tant d'efforts pour se montrer aimable avec chacun. Eh bien, elle allait leur montrer de quoi était capable une véritable chipie.
Avisant le livre préféré de sa petite sœur, elle le prit et le cacha derrière son dos.
Baissant la tête, elle fit mine d'être prise de remords.
– Tu as raison, maman chérie. Je serai sage, je te le promets. Je peux aller rejoindre Léa ?
Sa mère eut un soupir de soulagement.
– Je suis heureuse que tu te montres enfin raisonnable. Va t'amuser ! J'ai besoin d'un peu de repos.
À peine sortie de la cabine, Mélanie déchira le livre de sa petite sœur en petits morceaux et prit la direction du bar. Elle reconnut rapidement sa cousine au milieu des autres passagers et décida de passer à la seconde partie de son plan.
– Tout va comme tu le désires, Léa ?
Sa cousine lui décocha un regard étonné en la voyant s'approcher. Mélanie ne lui avait pas adressé la parole depuis que le navire avait levé l’ancre.
– Oui. Les glaces sont délicieuses, je te conseille celle aux quatre parfums.
Mélanie fit signe au serveur et commanda une glace vanille-chocolat-fraise-menthe nappée de crème chantilly. En attendant d'être servie, elle fit remarquer à sa cousine que sa poupée était très joliment habillée ; cette jupe droite et ce blazer à col marin lui allaient à merveille.
Léa fut ravie du compliment.
– Dis-moi, Mélanie, j'avais d’abord eu l’impression que cette croisière ne te plaisait pas. Je m’étais trompée ?
– Sûrement ma chère Léa. Je m'amuse comme une folle.
Le serveur revint déposer une large coupe glacée devant Mélanie qui y plongea sa cuillère avec gourmandise.
– Mmm, tu as dit la vérité : c’est un régal. Oh, Léa, retourne-toi ! Une fille vient d'entrer dans le bar et la poupée qu'elle serre dans ses bras ressemble à s'y méprendre à Pétronille.
Poussant un petit cri de surprise, Léa se leva de son siège et se mit à scruter chaque passagère.
– C'est impossible. Mon père m'a dit que Pétronille était un modèle exceptionnel.
– Le vendeur du magasin lui a peut-être menti, insista Mélanie qui trempa un doigt dans sa glace et l'essuya d'un geste vif, sur le vêtement de Léa.
– Tu es certaine d'avoir aperçu une autre Pétronille ? Je ne la vois nulle part.
— Je me suis peut-être trompée. Oh ! Léa, tu as sali ton corsage préféré. Quel dommage.
Léa poussa un cri d'horreur en découvrant la tache.
— Va vite passer un peu d’eau pour l’enlever ! Je veille sur ta poupée en attendant ton retour.
« Et inutile de te presser ! », pouffa Mélanie en regardant sa cousine s'éloigner.
La chipie jeta un coup d’œil alentour – personne ne faisait attention à elle – et s’emparant de Pétronille, elle lui renversa sa coupe de glace sur la tête. La crème se mit à dégouliner, répandant de grosses gouttes roses et vertes sur le petit blazer.
— Ma vieille PétroGuenille, tu as l’air aussi nulle que cette chère Léa. Et maintenant sauve-qui-peut !
Mélanie quitta le bar, traversa la coursive en courant et monta un grand escalier. Elle parvint aux abords du pont promenade et poussa la porte vitréee pour se retrouver au grand air. L’endroit était désert.
La chipie poussa un cri de victoire ; elle savourait pleinement le vilain tour qu’elle venait de jouer à sa cousine.
La nuit cernait le navire et le transformait en vaisseau fantôme égaré sur un océan sans fin. Mélanie ressentit ce que l’ambiance pouvait avoir d’inquiétante et de mystérieuse à la fois. Enhardie par un étrange sentiment de puissance, elle grimpa sur la rambarde et s’y installa à califourchon. D’un côté, le pont du navire, de l’autre, trente mètres plus bas, l'immensité de l'océan.
— Je convoque Eole, le dieu du vent ! s’écria la chipie en tendant des bras conquérants vers le ciel étoilé. Je lui ordonne de pousser ce vieux rafiot jusqu’au port le plus proche sinon je balancerai, par-dessus bord, ces sales gosses et leurs parents...
À cet instant, la proue du navire s’enfonça dans une vague plus grosse que les autres. Il y eut un léger roulis qui déséquilibra Mélanie et la jeta en bas de la rambarde. Elle tomba...

Je la tiens, Bix. Rentrez-moi vite !
Le kangourou ramena, d’un geste vif, le panda à l'intérieur de la voiture et referma la porte. Théobald retourna le filet à papillon pour libérer une demoiselle qui s’étala, de tout son long, sur le tapis.
— Vous n’auriez pas dû garder la bouche ouverte, chef, fit remarquer le kangourou en voyant le panda recracher une crevette rose.
— Merci pour ton conseil Bix. Je crois que nous avons fait une bonne prise, qu’en dis-tu ?
— Vous l'avez attrapée de main de maître, chef. Mais elle n'a pas l'air ravie d'être en notre compagnie !
Mélanie contemplait, éberluée, le plancher sur lequel elle se retrouvait allongée. Elle chercha à comprendre. Il y avait eu cette horrible impression de chute qui n’en finissait pas, et maintenant...
— Où suis-je ? demanda-t-elle en regardant autour d’elle.
— Dans un train, répondit aimablement Théobald.
Les yeus de Mélanie s’agrandirent d’horreur. Un panda en uniforme venait de lui parler ! Et il y avait aussi un très gros kangourou, et un ours...
— Au secours ! Je ne veux pas être dévorée par des bêtes sauvages ! Maman ! Papa !
— Bon courage, Bix, souffla Théobald avant de s'éclipser.
— Merci, chef, répondit le kangourou qui échangea, en un tournemain, son gilet de sauvetage contre un ravissant tablier.
— Pourquoi suis-je ici ? s'écria Mélanie. J'exige une réponse !
Gretti la pendule fit entendre un long grincement.
— Si certaines personnes pouvaient cesser de faire du bruit, j’aimerais me rendormir. Merci.
Bix profita du bref silence qu’avait provoqué l’intervention de la pendule pour aider la demoiselle à se relever.
— Théobald vous a sauvé la vie. Sans lui vous vous seriez noyée.
— Je ne veux pas rester une minute de plus avec vous ! lâcha la chipie avec un haussement d'épaules plein de mépris.
— Notre train vous déposera bientôt là où vous pourrez retrouver votre famille. Je vais en discuter avec Théobald. Attendez-moi sagement.
Pendant que Bix s'éclipsait, Tommy prit place sur une banquette et installa son ours à côté de lui.
— Tiens-toi bien, Peluchon. Je t’ai appris les bonnes manières.
— Qui es-tu ?
Le jeune garçon leva les yeux vers la fillette.
— Tommy et lui, c’est Peluchon.
Mélanie songea qu’elle n’avait jamais vu un ours sans poils et qu'il était décidément bien laid. Elle s’assit face au jouet, sur l’autre banquette.
— Je me demande pourquoi tu le gardes. Il a quoi dans le ventre?
Tommy ne comprit pas vraiment la question.
— Euh... je ne sais pas.
L’enfant détourna la tête pour chercher la silhouette rassurante de Bix mais le kangourou n'était pas encore de retour.
— On va voir ça tout de suite, dit Mélanie en tendant les bras.
Tommy poussa un cri d’effroi mais les mains de la chipie s'étaient déjà emparées de Peluchon. Elles allaient lui ouvrir le ventre pour arracher le rembourrage quand la banquette, sur laquelle Mélanie était assise, glissa en arrière jusqu’au fond de la voiture.
Il y eut un silence. Mélanie mit quelques secondes à réaliser que ses bras, qui tenaient toujours l’ours resté aux côtés de Tommy, s'étaient allongés démesurément. Horrifiée, elle lâcha Peluchon.
Le premier réflexe de Tommy fut de récupérer son ours et de l’abriter derrière son dos. Il songea ensuite à quitter la voiture pour aller chercher de l’aide, mais de grosses larmes ruisselaient sur les joues de Mélanie. Tommy aurait voulu lui dire qu’il était désolé de la voir ainsi, mais ce ne sont pas ces mots-là qui sortirent de sa bouche.
— Peluchon est mon seul ami et tu voulais lui faire du mal. Pourquoi ?
Médusée, Mélanie fixait toujours ses bras qui pendaient affreusement sur le plancher et ne trouva rien à répondre ; alors l’enfant poursuivit :
— Tu es aussi méchante que le grand Grégoire. Je ne t’aime pas du tout.
Il lui tourna le dos et s’en alla chercher le kangourou qu’il ramena avec le panda.
— Quelle triste chose ! constata Bix en voyant l'état de Mélanie.
— Je suis d’accord, dit Théobald qui énuméra de mémoire : nous avons un livre déchiré, une poupée couverte de crème glacée et j’ai failli rajouter un ours éventré. C'est bien cela ?
— Je ne l’aurais pas fait, dit Mélanie en reniflant. C'était pour rire.
— Vraiment ? Tu as fait peur à Tommy juste pour t’amuser.
Honteuse, Mélanie baissa la tête.
— Je regrette.
Théobald fit un petit signe de la main à son assistant.
— À toi de jouer, Bix !
Le kangourou plongea dans sa poche et en sortit deux pastilles noires.
— Ouvre la bouche !
Mélanie sentit les pastilles fondre sur sa langue ; elles avaient un goût amer qui la fit grimacer. Aussitôt ses bras se mirent à rétrécir et reprirent, très vite, leur taille normale.
— J'espère que tu as compris la leçon, Mélanie ? demanda Théobald. Et que tu sauras te montrer raisonnable à l’avenir.
La chipie acquiesça et, durant les heures qui suivirent, elle se montra d’une sagesse exemplaire.
Ce qui n'empêcha pas Tommy de cacher Peluchon derrière son dos et de surveiller la chipie du coin de l’œil.
La nuit était tombée quand le train fit une halte.
— C’est Mélanie, dit Bix en réponse au regard interrogateur du petit garçon. Elle va retrouver sa famille.
Théobald ouvrit la portière et aida Mélanie à descendre ; il fit quelques pas avec elle. À travers la vitre, Tommy s’aperçut que le train se trouvait à proximité́ d’un navire.
— C’est le « Roi des Mers », expliqua le kangourou. Un magnifique bateau de croisière. Mélanie est une petite fille très gâtée.
— Que va-t-elle devenir, Bix ?
— Personne ne la verra monter à bord. Elle pourra ainsi rejoindre sa famille et prétendre qu’elle s'était endormie dans un canot de sauvetage. Ses parents seront si heureux de la revoir qu’ils ne la puniront pas. Ils se sont fait beaucoup de souci pour elle et tout le monde l'a cherchée durant des heures.
— Elle n’est pas gentille, dit Tommy qui serra très fort son ours contre son cœur. Elle voulait abîmer mon Peluchon.
— Elle va peut-être changer, suggéra Bix. En tout cas, je l'espère pour elle.
— Je suis content qu’elle s’en aille.
— Oui, je comprends mais, avec nous, tu ne risquais rien.
Sur le quai, le panda tendit un objet à Mélanie. Ensuite elle monta la passerelle pour gagner le pont du navire. Théobald avait à peine refermé la portière du train qu’un jet de vapeur siffla dans l’air, comme un adieu. Et Myline fit, à nouveau, tourner ses roues d’acier pour reprendre sa route.
— Théobald, que lui as-tu donné ?
Le panda se tourna vers l’enfant que Bix était en train de mettre au lit.
— Un livre de Winnie l’ourson, identique à celui qu'elle a déchiré et qui appartenait à sa petite sœur. A Mélanie désormais de faire que les choses changent, dans le bon sens.
— Tu crois qu’elle peut y parvenir ?
— Je l’ignore, Tommy. Je ne peux pas voir dans son cœur.
— Allons, Tommy, interrompit Bix, il est temps de dormir.
Et le kangourou se pencha pour border la couverture.
— C’est vrai que les gens méchants peuvent devenir gentils, Bix ? demanda Tommy en frottant ses yeux remplis de fatigue.
— Oui, je le crois, Tommy. Et c’est une bonne nouvelle pour eux, et pour nous.
— Mais les gentils ne deviennent jamais méchants, n’est-ce pas Bix ?
Le kangourou regarda l’enfant à demi endormi.
— Non, ce n’est pas possible du tout.
— Oh, tant mieux. Bonne nuit, Bix.

(Quelque part en pleine campagne)

Le soleil se leva sur une vaste plantation d’abricotiers.
Myline s'était arrêtée dans l’attente de connaître sa prochaine destination. Tommy et son ours, Bix et Théobald descendirent du train.
— Bix et moi devons régler quelques détails avec Myline, expliqua Théobald à l’enfant. Tu devrais en profiter pour te dégourdir les jambes et je suis certain que Peluchon appréciera l’air du petit matin.
Tommy hésita. L’idée de s'éloigner du train réveillait ses peurs et l’image de l’orphelinat était encore vive à sa mémoire. Pourtant l’endroit baignait dans une douce chaleur et ce fruit, que Tommy venait de cueillir sur une branche basse, était si doux sous les doigts.
— Hmmm, ça sent bon. Tu en veux ?
Non, Peluchon préférait poursuivre sa nuit dans les bras de son petit maître. Quel paresseux !
Tommy savoura l’abricot gorgé de jus tout en partant à la découverte des arbres, des coquelicots et des oiseaux qui faisaient entendre un si joli chant. Petit à petit, il s'éloigna du train et, au détour d’un buisson, se trouva face à deux enfants.
La fillette – toute blonde et vêtue d’une salopette – lui tendit la main :
— Bonjour! Je suis Capucine. Et toi, comment tu t’appelles ?
– Tommy, et lui c’est Peluchon.
— Moi c’est Cédric, dit le garçon aux cheveux châtains. On ramasse des fruits pour faire de la confiture, tu nous aides ?
— Oui, mais je dois d’abord poser Peluchon.
— Ici, il sera bien, dit Capucine en montrant son gilet pendu à une branche. Laisse-moi faire !
Elle glissa l’ours dans une emmanchure de son vêtement, ne laissant dépasser que la tête, et Peluchon parut ravi de prendre de la hauteur.
Remplir les paniers fut un véritable jeu pour les trois enfants. Quand ils eurent terminé, leurs joues étaient rougies par l’effort et leurs yeux brillaient de plaisir.
— L’heure du déjeuner approche, dit Capucine. Tu peux venir manger chez nous, notre maison est à l’autre bout du pré. Si tu veux, tu pourras même rester vivre avec nous, et Peluchon aussi. Nos parents sont très gentils.
– Je ne sais pas... hésita Tommy qui se retourna. Mais derrière lui il ne vit que des arbres qui s'étendaient  à perte de vue.
L’enfant chercha dans sa mémoire. Il aurait dû se souvenir de quelqu’un tout en noir et blanc, et de quelque chose avec de grands yeux charmants...
– Tu viens ? demanda Capucine et elle le prit par la main tandis que Cédric décrochait Peluchon de sa branche.
Alors Tommy acquiesça : Oui, je reste.

Théobald, Bix et Myline étaient repartis. Ils avaient accompli leur mission : trouver une famille pour Tommy et son ours Peluchon. Toujours aussi ému, Bix avait baissé la vitre du train pour suivre l’enfant du regard le plus longtemps possible.
— Ils sont trop loin désormais, Bix. Vous devriez refermer avant de prendre une escarbille dans l’œil.
— Oui, je sais..., commença Bix mais il ne put poursuivre. Une brise facétieuse venait de lui plaquer une feuille de chêne sur le museau. Le kangourou la tendit aussitôt au panda.
— Une autre mission nous appelle, chef.
— Voyons cela, Bix. Oh ! Et je dirais même : Ohoooo !
Bix roula des yeux inquiets.
— Une opération délicate à réaliser, chef? Ou peut-être très périlleuse ?
— Exactement, mon cher Bix. Il s’agit d’une certaine Mélanie.
— On ne peut pas réussir à tous les coups, chef !
— En effet mais je pensais lui avoir fait comprendre que les bêtises ne menaient à rien. Soyez gentil de vous occuper de Gretti, Bix. Je vais prévenir Myline afin qu’elle choisisse le trajet le plus court pour nous rendre sur place.
— À vos ordres, chef ! Gretti ? Greeetiiiii !
Réveillée en sursaut, la pendule poussa un cri de protestation qui fit grincer tous ses rouages.
— Qui ! Que ! Quoi encore ?
— Mélanie a encore besoin de nous.
La pendule eut un étrange bruit de ressort qui couine.
— Les enfants du monde entier me laisseront-ils, un jour, dormir en paix ? Je me le demande parfois.
Bix lui décocha un large sourire.
— Quand tous les enfants du monde entier seront devenus sages, ma chère amie. Hélas, Gretti, je crains que cela ne prenne un temps absolument infini.

F I N



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