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Dans la maison d’Aglaé, tout le monde s’affaire.
La maman de la fillette ajuste l’étoile d’or au
sommet du sapin dressé au milieu du salon. Un arbre de deux mètres
recouvert de cônes cramoisis si touffus qu’il en paraît emmailloté de
pourpre. Les parents ont peiné pour le trouver mais cette année ils ont
à cœur de réussir la fête. Plus encore qu’à l’accoutumée.
– Un sapin rouge, c’est une bien étrange idée !
disaient les vendeurs.
– Etrange peut-être mais indispensable !
rétorquait le père obstiné.
Les magasins ne répondant pas à leur attente,
ils ont pénétré la forêt pour dénicher l’essence rare. Nuitamment,
armés de scies, ils ont fini par débusquer le sapin de leurs rêves. Un
épicéa flamboyant, droit, fier. Toisant ses congénères de toute sa
hauteur, un mentor incontesté. Pour protéger leur trésor, ils ont
emprunté sentiers et routes de campagne. A l’abri des prédateurs.
– Nous avons été aidés par les elfes, s’amuse à
raconter la maman encore étonnée d’avoir mené à bien l’aventure. Je
suis sûre qu’ils nous ont conduits dans ce lieu secret pour le seul
bonheur d’Aglaé.
Fixant la dernière décoration, une petite luge
givrée de menthe, elle contemple son chef-d’œuvre. Les guirlandes
amande, tilleul, pistache s’enchevêtrent autour des boules céladon,
lichen et mousse. Ne sont autorisés que les camaïeux de vert pour
trancher sur l’arbre rutilant. Sur les branches carminées, les lutins
miniatures resplendissent de la couleur du printemps. Vert anglais pour
les plus chics, avocat pour les assoiffés de justice et vert empire
pour les nostalgiques d’un temps révolu.
Cette année, la maman d’Aglaé a refusé le houx
rituellement accroché à la porte ou sur le balcon, ne tolérant que le
gui, des grappes de minuscules sphères translucides d’un blanc
verdâtre. Les géraniums récalcitrants dormiront à la cave pour laisser
place à toutes sortes de plantes grasses.
La nappe damassée accueille la vaisselle de
porcelaine ornée d’un fil doré et les verres de l’aïeule scintillent
sous les pampilles du lustre de cristal. Le chemin de table composé de
roses de Noël blanches peaufine le tableau suranné. Jusqu’à la crèche,
discrète, qui attend patiemment les rois mages déjà en route.
Le feu danse dans l’âtre, attentif à ne pas
rejeter l’habituelle fumée qui fait tousser Aglaé. Les flammes suivent
le rythme caressant de l’air ambiant. Chacun a le souci que la fête
soit parfaite.
Les convives sont à l’heure malgré les chutes de
neige, les congères et la route verglacée. En arrivant, ils déversent
les cadeaux dans la hotte d’osier posée dans le vestibule. Avant même
de se dévêtir des lourds manteaux encore embués de givre.
Aglaé est ravissante dans sa robe de taffetas
blanche. Les anglaises de ses longs cheveux blonds rebondissent à
chacun de ses gestes gracieux. Pour l’occasion, sa maman l’a autorisée
à passer du rose sur ses lèvres et vaporiser un nuage de paillettes sur
ses bras frêles.
La fillette observe l’ensemble avec des yeux
tout neufs. Cette année, tout est différent et semblable à la fois,
elle ne saurait dire pourquoi. Une atmosphère, une sensation, un petit
quelque chose qui picote le cœur et lui plaît. Parce qu’elle grandit
peut-être. Sept ans, ce n’est pas rien.
Au cours du repas, elle chipote le chapon. Mais
bientôt la bûche aux marrons, auréolée d’étincelles, fait son entrée.
Elle sait alors que le clou de la soirée, l’instant fugace attendu
toute l’année, est imminent.
En effet, quelqu’un frappe à la porte. La
fillette intimidée se blottit dans les volants soyeux de sa mère qui la
cajole. Immuable rituel. Au milieu des rires et des clameurs, une
grosse voix impose le silence :
– Aglaé, c’est bien ici que tu habites ?
Bonsoir, je suis le Père Noël !
L’enfant, toujours agrippée à sa mère, relève la
tête en écarquillant les yeux.
Devant elle, un géant vêtu d’une houppelande à
capuchon vert sapin déverse sa hotte aux pieds de la petite. Son rire
est chaud et rond sous la barbe douillette. Les soubresauts de gaité
qui accompagnent son regard humide transportent Aglaé vers des cieux
inconnus. Non, cette année n’est pas comme les autres.
Le bonheur de la petite fait chaud au cœur de
ses parents. Ils se regardent en souriant, satisfaits des efforts
fournis, cette année, pour lui offrir un Noël traditionnel. Leur enfant
est daltonienne, qu’importe ! Cette différence n’empêche pas les
étoiles de Noël de briller dans ses yeux.
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