Ils se réveillèrent au mitan du jour dans l’odeur de chanterelle et
de mousse séchée. Au-dessus d’eux, une pluie de soleil se frayait un
passage à travers les frondaisons. Après de longues heures de marche,
ils s’étaient abrités de la chaleur sous un vieux saule déployé en un
gigantesque parasol.
Tout était calme, figé.
L’ourson ouvrit un œil, s’étira et parla le
premier.
– J’ai faim, dit-il.
– J’ai chaud, répondit le lapin.
– J’ai soif, dit le hérisson.
Les trois amis se frottèrent les yeux et
s’appliquèrent à bâiller bruyamment. Il y avait un ourson aux pattes
griffues avec un ventre arrondi par la gourmandise, un lapereau au
museau agité dont la queue blanche rappelait une boule de neige et un
hérisson aux petits yeux noirs vêtu d’un costume d’épingles.
Egarés, ils cherchaient à s’échapper de cette fournaise. Cernés par des
chênes centenaires et des châtaigniers hérissés de bogues, ils
s’aventurèrent dans le labyrinthe d’écorce avec l’espoir de retrouver
leur chemin. Le lapin était en tête et progressait par petits bonds.
Régulièrement, il se retournait pour encourager ses compagnons.
– Dépêchez-vous, leur dit-il inquiet, la nuit va
tomber.
Terrorisés, ils se serrèrent l’un contre l’autre.
– Ouille ! grogna l’ourson, tu piques.
– Aïe ! gémit le hérisson, tu griffes.
– Chut ! dit le lapereau les oreilles dressées,
il ne doit pas nous entendre.
Trempés de sueur, le visage coquelicot, la
panique s’empara d’eux.
Soudain, une secousse.
Pareille à un coup de marteau sur l’enclume,
elle les paralysa.
La nuit venait de tomber.
Glaciale, elle habillait sinistrement la forêt d’un manteau de
frimas et de tourment. Un long silence s’ensuivit avant que les
premiers noctambules se mettent en voix. Quand le crapaud buffle
balança son cri et que la hulotte lui répondit, le grand concert
nocturne débuta. Tout n’était que crissements, chuchotements,
hululements et plaintes étouffées. Encerclés par leurs angoisses, les
petits se regroupèrent pour épier les moindres mouvements. Ils ne
reconnaissaient rien. Tout leur était subitement étranger et hostile.
Malgré tout, ils trouvèrent le courage de se remettre en marche. Ils se
hâtaient maintenant, trébuchaient, se relevaient. Harassés, des larmes
plein les yeux, ils étaient sur le point de renoncer lorsqu’un éclat
d’argent attira leur attention.
– Regardez ! Là-bas ! De la lumière... dit le
hérisson de sa voix pointue.
– Et si c’était sa maison ? dirent en tremblant
l’ourson et le lapereau.
Le froid, la faim, la soif, les aiguillonnèrent. A pas de loup, puisque
qu’il s’agit de lui, vous l’avez compris, ils s’évadèrent de leur
prison de branches et de racines pour déboucher dans une vaste
clairière.
Ils découvrirent une modeste habitation en pisé,
au toit de chaume bien fatigué. De la cheminée s’élevait un tourbillon
de fumée pareil à un escalier en colimaçon, tandis qu’à travers le
fenestron une lueur trémulait.
La maison était habitée.
Ils longèrent la barrière de bois jusqu’au portillon. Oursinet manœuvra
la poignée.
– C’est ouvert, murmura-t-il.
Après quelques hésitations, ils se décidèrent à
traverser le jardin pour se poster sous la fenêtre.
– Qui regarde ? demanda l’ourson.
– Toi, chuchota le hérisson. Moi, je suis bien
trop petit.
– Non, c’est Lapinou. Il n’a qu’à sauter.
Le lapereau acquiesça. Il prit son élan, se
détendit et exécuta un saut parfait.
– Alors ? questionnèrent aussitôt les deux
autres.
Les oreilles de Lapinou s’étaient brusquement
rejetées en arrière et son museau s’agitait nerveusement.
– C’est bien sa maison, finit par dire Lapinou.
Je l’ai vu. Il est assis près du feu, face à une géante marmite.
– Malheur ! Qu’allons nous faire ? demanda
Hérisson.
– Entrer, répondit contre toute attente Oursinet.
– Entrer ? reprirent les deux autres.
– Oui, j’ai trop faim !
– C’est bien ça le problème ! dirent-ils
horrifiés.
– Nous verrons bien...
Oursinet s’approcha de la porte et sa petite
patte frappa trois coups. Blottis l’un contre l’autre, Lapinou et
Hérisson retenaient leur respiration. La porte s’ouvrit. Le loup, droit
sur ses pattes, se tenait dans l’encadrement.
– Eh bien ? demanda-t-il de sa grosse voix de
loup.
– Nous sommes perdus... répondit Oursinet.
– Perdus ? répéta le loup.
– Oui, répondirent en tremblant Lapinou et
Hérisson.
– Et nous avons terriblement faim... poursuivit
Oursinet.
– Une faim de loup ? demanda Ysengrin en
s’esclaffant.
Oursinet recula, Lapinou manqua de s’évanouir et
les piquants de Hérisson s’effondrèrent
comme de la guimauve. Devant la puissance de son rire, les murs
tremblèrent, le toit de chaume s’ébroua, la fumée pâlit de frayeur. Il
s’interrompit subitement pour les dévisager. Ses yeux, profonds
et sombres comme des abîmes, semblaient prêts à les engloutir tandis
que ses babines écarlates incendiaient ses crocs.
Pourtant, il rangea ses armes blanches, ouvrit
lentement les bras et les invita à entrer.
Bien sûr, ils hésitèrent.
Mais finalement, ils pénétrèrent chacun à leur
tour dans l’antre de la bête.
Quand la porte se referma brutalement derrière eux, ils ne purent
contenir plus longtemps leur peur.
– Nous sommes cuits ! dirent-il épouvantés.
– Bientôt ! Assurément ! répondit le loup de sa
grosse voix. Quelle idée aussi de s’aventurer seuls en forêt.
– Vous serez donc punis, fit une autre voix.
Monsieur Lapin s’arracha à la pénombre. Les bras
croisés, il arborait un regard dur tandis que Monsieur Hérisson et
Monsieur Ours s’approchaient à leur tour.
– Puisque vous avez désobéi, vous serez tous les
trois privés de sortie.
– Papa ! dirent-ils en se jetant dans leurs
bras. Nous avons eu si peur !
Les parents se regardèrent. S’ils affichaient le
même masque de reproche, leur cœur et leur gorge se serrèrent si forts
qu’ils n’eurent pas le courage de les gourmander davantage. Monsieur
Loup, quant à lui, souriait gentiment.
Après avoir servi un encas aux enfants, une fois
réchauffés et reposés, les parents s’excusèrent encore du dérangement
avant de prendre congé. Monsieur Loup leur serra la main avec virilité,
déposa un baiser bruyant sur le front de chacun
des enfants et souhaita un bon retour à la petite troupe.
Ils marchaient tous les six à la queue-leu-leu.
Monsieur Ours ouvrait la marche tandis qu’il levait bien haut sa
lanterne pour éclairer le chemin.
Personne ne parlait. La petite colonne s’enfonçait silencieusement dans
la nuit en se faufilant entre les troncs comme une couleuvre. Par
instant, quand les branches des chênes s’écartaient, la lune jetait un
peu de clarté sur leur visage. Il y avait encore de l’inquiétude.
– Vous avez eu une sacrée chance, finit par dire
un des parents.
– Pourquoi ? demanda naïvement Oursinet.
– Pourquoi ? demanda Monsieur Hérisson stupéfait.
– Pourquoi ? reprit Monsieur Lapin. Il demande
pourquoi ! insista-t-il en s’arrêtant.
– Eh bien, parce que vous êtes tombés sur le
seul loup végétarien de la région. Voilà pourquoi, dit Monsieur Ours.
Et ils se remirent en marche.
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