Ce jour-là, Piwi dormait d'un sommeil profond,
roulé en boule
sur son lit de mousse, bien au chaud au creux de son vieil arbre.
L'écureuil
rêvait de noisettes, de glands, de châtaignes, de
champignons
et de faines ; il les voyait remplir par centaine son garde-manger. Oh,
quel bonheur c'était de pouvoir contempler ces bonnes
choses qu'il aurait tant
de plaisir à faire tomber dans son tout petit estomac.
"Tiouk, tiouk, tiouk !" murmurait en dormant le bel écureuil
et cela signifiait qu'il
était heureux et que son rêve pouvait se
poursuivre
longtemps, longtemps, longtemps...
Piwi vivait dans une belle forêt
où se mêlaient les pins sylvestre, les
épicéas et les bouleaux. Dès le
début de l'automne, il commençait à
faire des réserves de nourriture, pour l'hiver qui
viendrait,
en cueillant les beaux champignons et en décrochant les
fruits secs qui
poussaient de tous côtés.
L'écureuil avait pris l'habitude de partir tous les matins
à la recherche des graines que lui
fournissait la forêt. Il sautait de branche en branche,
s'arrêtant de-ci de-là pour écouter les
chants et les murmures autour de lui. Parfois, il pouvait admirer des
biches et leurs faons qui gambadaient joyeusement dans les environs. Ou
encore un renard qui filait si vite entre les buissons que Piwi
n'apercevait qu'une sorte de
traînée blanche qui apparaissait pour
disparaître aussitôt.
Piwi fut soudain réveillé par un tremblement qui
secouait son arbre comme le vent secoue parfois les feuilles ; mais
c'était impossible car il n'y avait pas de vent et, surtout,
c'était l'arbre tout entier qui tremblait.
Il y eut un grand bruit sourd, l'arbre cessa de bouger et le silence
revint.
Piwi se leva et s'approcha au bord de son nid pour jeter un coup d'oeil
timide à l'extérieur. Rien n'avait
bougé : les arbres étaient toujours à
leur place habituelle avec leurs troncs posés bien droits
sur le sol et le ciel gris pâle était toujours
ouvert comme un parapluie au-dessus de leur tête.
« Tiouk, tiouk, tiouk ? » se demanda Piwi avant de
découvrir qu'une branche gisait au pied de son arbre.
C'était donc cela ! Son arbre venait de perdre la plus
grosse et la plus solide de ses branches.
Un frisson d'inquiétude secoua le petit écureuil.
Si un autre branche tombait à son tour, et une autre encore,
c'est l'arbre tout entier qui finirait pas se coucher sur le sol et le
pauvre Piwi se retrouverait sans logis. Le mois de décembre
venait de débuter et désormais, tous les matins,
le soleil se levait habillé de beaux nuages rouge
orangé qui annonçaient les premières
gelées de l'hiver. Bientôt le ciel deviendrait
gris argent, puis gris foncé et les premiers flocons se
mettraient à tomber.
Hélas,il aurait fallu trouver un arbre,
jeune et robuste, comme nouvelle maison, et plusieurs
semaines de travail auraient été
nécessaires pour creuser un trou dans le tronc, et ensuite y
transporter les réserves de nourriture cachées
dans le vieil arbre. Et Piwi manquait de temps.
Quelques journées s'étaient
écoulées depuis ce triste
événement quand, un matin, Piwi entendit des
véhicules qui se déplaçaient sur la
route en terre ; ils semblaient se diriger vers une maison
située en bordure de ces bois. Piwi connaissait le
père, la mère et les trois enfants qui y
vivaient. Il y avait également un gros chien qui aboyait
chaque fois qu'il apercevait l'écureuil sautillant sur les
branches. Heureusement, les chiens ne savent pas grimper aux arbres.
Piwi aimait regarder les enfants en train de s'amuser dehors
dès le printemps et durant tout l'été.
Ils poussaient des cris en courant après une grosse balle
bleue et jaune. Ils chantaient des chansons que le père
accompagnait à la guitare. Parfois, ils oubliaient une
poignée de noisettes sur le sol et Piwi se disait que
c'était un cadeau qu'ils lui offraient.
Mais ce jour-là, personne ne criait ou ne chantait et Piwi
comprit soudain qu'un événement inhabituel se
déroulait et que sa vie allait bientôt changer.
Les parents commencèrent à sortir les meubles de
la maison, les uns après les autres, et à les
entasser dans deux petits camions. Ensuite ce fut les vêtements
et puis la nourriture qu'ils avaient dans leurs armoires.
L'écureuil pensa d'abord
que les êtres humains faisaient la même chose que
lui à cause de l'arrivée de l'hiver : ils
faisaient des provisions de nourriture. Mais alors, pourquoi ne les
laissaient-ils pas dans leur maison ?
Quand le soir arriva, la maison était entièrement
vide. Les parents, les enfants et le chien montèrent
à bord des véhicules et ils partirent sur la
route loin, très loin de la forêt. Piwi ne devait
plus jamais les revoir.
Le lendemain, Piwi vint se percher sur une branche et il contempla la
maison. La porte et les fenêtres étaient
fermées, la cheminée ne fumait plus, on
n'entendait plus aucun cri d'enfant. La maison était
déserte.
Piwi était un écureuil très patient.
Il décida d'attendre le retour des habitants et, jour
après jour, il vint se poster sur une branche pour
surveiller les lieux. Puis il décida de se rapprocher en
passant d'arbre en arbre pour finir à quelques pas de la
maison.
Sur le sol, il reconnut l'os que le
chien aimait ronger de ses grands crocs blancs. Il y avait aussi le tas
de bois coupé en prévision de l'hiver et, un peu
plus loin, accroché à la corde à
linge, un torchon avait été oublié.
Quand la maman mettait la lessive à sécher en
utilisant une multitude de pinces en bois, Piwi aimait
écouter le linge qui claquait au vent en faisant
résonner une étrange musique ; mais
l'écureuil aimait par-dessus tout se coucher entre les bras
d'un pull et s'en servir comme balançoire.
Aujourd'hui, le torchon oublié restait immobile, raidi par
le froid. C'est alors que Piwi réalisa qu'il avait
très froid lui aussi et il s'enroula dans sa jolie queue en
panache.
A cet instant, un bruit affreux se fit entendre dans le lointain. Piwi
songea aussitôt que le pire était en train de se
produire : son arbre, son vieil arbre venait de s'abattre sur le sol.
L'écureuil courut de branche en branche mais quand il arriva
près de son "chez lui" le pire venait d'arriver :
allongé au milieu des feuilles mortes jaunes, orange, rouges
le vieil arbre avait terminé sa très longue vie.
Piwi était un écureuil courageux, il
décida de sortir toutes ses noisettes, ses glands, ses
châtaignes, ses champignons et ses faines qui
étaient cachés à
l'intérieur du tronc. Quand il eut terminé, il y
en avait tant et tant qu'il réalisa, qu'avec ses tout petits
bras, il n'aurait jamais la force de les mettre à l'abri
dans un autre lieu.
Heureusement, Piwi comptait beaucoup d'amis parmi les animaux de la
forêt. Tout à coup, il y eut de l'agitation dans
les fourrés et un renne en sortit. Mais il
n'était pas seul : un ours brun, un renard polaire si beau
avec sa fourrure blanche, un lynx, un carcajou et d'autres
écureuils l'accompagnaient.
– Le bruit de ton arbre qui tombe nous a alertés,
expliqua le renne, et nous nous sommes
dépêchés de venir te proposer notre
aide. Nous allons transporter tes provisions mais dis-nous
où les emmener ?
Piwi songea aussitôt à la maison
abandonnée. Alors les écureuils
déposèrent les noisettes, les glands, les
châtaignes, les champignons et les faines sur le dos des
animaux et ils marchèrent tous ensemble jusqu'à
la maison. Il fallait les voir avancer en file indienne, si heureux
d'être là pour aider leur ami !
Quand ils furent devant la maison, l'ours ouvrit
la porte d'un coup de sa large patte et bientôt les
provisions de Piwi furent rangées dans un panier en osier
qui avait été oublié là.
Piwi remercia très fort ses amis et, comme il
était très ému par leur gentillesse,
il versa une grosse larme qui lui mouilla les pattes.
Depuis ce jour, Piwi vit dans la maison abandonnée qui est devenue la sienne. Mais il n'habite plus tout seul. Au dernier printemps, il a rencontré une demoiselle écureuil et, dans quelques jours, des bébés écureuils viendront remplir un peu plus la maison de Piwi.
Découvrir tous les contes sur Bopy.net