PENSEES POLAIRES


                          par Claude Jégo

Assis sur un glacier, Grol l’ours blanc se désolait de la fonte de ses icebergs quand, Icha, un aigle du Kamtchatka vint se poser à ses côtés.
– Pourquoi arbores-tu cet air ombrageux, Grol ?
– J’aime ma banquise et je me refuse à aller vivre ailleurs, gronda l’ours. Que font les humains ? Où fuiront-ils quand ils auront souillé la Terre ?
L’aigle étira ses longues ailes blanches et noires et déclama d’une voix théâtrale.
« L’homme se perd dans l’espace, sur la Lune ou sur Mars, de là-haut il vénère, un si beau clair de terre, qu’il oublie, peu à peu, notre douce planète bleue. »
Grol releva la tête et admira le ciel limpide tandis que l’aigle s’envolait.

Un manchot s’approcha à son tour en se dandinant joliment mais Grol poursuivait sa réflexion.
– Depuis plus d’un siècle leur charbon réchauffe notre air, leur pétrole salit nos mers et leur plastique défigure nos paysages !
– Je réfute vos allégations, protesta Tchouss le manchot qui énuméra : Ils érigent des éoliennes, multiplient les capteurs solaires et instituent le tri sélectif.
– Et voilà, conclut Grol, l’homme oppose une réponse à chacune de mes questions.
– Co...comment, s’offusqua le manchot qui écarta ses nageoires pour découvrir son ventre rebondi et ses pattes palmées. Mais je ne suis pas un h...
Grol s’inclina vers le manchot et lui murmura :
– Tu sais, Tchouss, les forêts dévastées, les rivières polluées, les animaux décimés, c’est une situation pérenne dont l’homme est le seul responsable.
Le manchot s’apprêtait à répondre mais un poisson frétillant dans un trou d’eau glacée attira son attention.
– Mille regrets, mon ami, mais j’aperçois mon dîner qui se languit.
Et le manchot plongea, soulevant une gerbe d’eau cristalline.

Grol parcourut du regard son immensité nacrée. Et, tandis qu’il soliloquait, derrière lui s’avança une grande ombre montée sur quatre pattes.
Transformer la planète en paradis ? Mais comment y parvenir ? Ah, si l’on pouvait, d’un simple clic changer l’homme et l’assagir...
Barthélémus, le renne, l’interrompit :
– Tu oublies l’accroissement naturel de la population « petit a », entraînant une augmentation de la demande énergétique « petit b » et la pollution engendrée « petit c ». L’inconnue – nous la nommerons « x » – étant : est-ce compatible avec une Terre propre ? Donc...
– Tu es certain de ton équation ? s’inquiéta Grol.
– Tout à fait. Bien entendu si nos génomes étaient identiques, tout irait pour le mieux pour chacun d’entre nous. Du moins, je le pense.
L’ours balança sa superbe tête blanche.
– Quel sera notre futur, Barthélémus ? Peux-tu me le décrire ?
– Oui, mon ami. J’ai la vision d’un bel avenir pour notre monde. Peut-être suffit-il de le désirer de toutes nos forces afin que les hommes, pour eux et pour nous, le réalisent.



F I N


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"Pensées polaires" a été publié dans l'Aède n°18, supplément de l'Union des Poètes francophones pour la semaine de la Langue française 2009.

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