Nuel commençait à se réveiller mais son corps était encore engourdi de sommeil et ses yeux, à demi fermés, à demi ouverts, refusaient de s'ouvrir complètement. Avec ses poings fermés il les frotta, puis bâilla sans la moindre retenue.
Wooooo ! Quel bonheur de demeurer allongé sur cette boule de mousse, si confortable, qu'il n'avait pas du tout envie de la quitter.
Encore un effort et, hop! le pantin ouvrit les yeux et s'étira. Hop ! Il se redressa. Il secoua la tête, agitant ainsi ses cheveux soyeux. Il regarda le ciel tout autour de lui : il était si sombre que Nuel n'hésita plus, il se leva.
Ses vêtements flottaient dans le vide, à portée de main. Nuel attrapa le pantalon bleu et l'enfila, puis le pull de la même couleur ; les manches étaient si longues qu'il dut les retrousser pour qu'elles ne recouvrent pas complètement ses mains.
Le pantin baissa la tête et fit un premier pas, soulevant un voile de poussière argentée. Encore un autre pas et un autre, et un autre encore ! Il poursuivit sans se retourner, atteignit bientôt le bord de l'astre ; là il s'arrêta et releva la tête. Son regard embrassa la voûte sombre qui l'entourait, elle était grande, géante, immense. Il ramassa une pleine poignée de poussière et, du geste ample du semeur, la répandit à la volée. A la seconde même les étoiles se mirent à scintiller, éclairant la voûte de mille feux.
Un sourire ravi apparut sur les lèvres du pantin.
Autour de lui c'était le silence et la solitude mais comment aurait-il pu en être autrement puisque Nuel était le seul habitant de la Lune. Sa tête s'inclina légèrement sur son épaule gauche ; c'était une de ses habitudes quand il était heureux et, à cet instant, il l'était vraiment.
Il se mit à cheminer sans but, s'arrêtant parfois pour contempler ses constellations préférées.
Celle des Gémeaux avec Castor et Pollux, et plus loin : une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept étoiles qui formaient la Grande Ourse. La plus belle à son goût.
Il poursuivit à cloche-pied – ce jeu l'amusait beaucoup – puis se lança dans une série de sauts qu'il réalisa dans un harmonieux ralenti du fait de la faible pesanteur.
Soudain, son regard fut attiré par un mouvement inhabituel dans l'espace ; une sorte d'éclat lumineux semblait se diriger vers lui.
Enfin, un peu de fantaisie dans sa monotonie sélène !
Nuel courut à sa rencontre mais c'était une démarche inutile. La boule de feu fonçait droit vers la Lune en se déplaçant à une vitesse phénoménale. Le pantin s'arrêta, se campa sur ses deux jambes et, anticipant le passage de la lumière au-dessus de sa tête, il ouvrit grands les bras.
Il était Nuel, le grand ordonnateur de l'infini ! La boule de feu allait devoir passer entre ses bras parce qu'il l'avait décidé ainsi et puis voilà. Il attendit... Mais, à la dernière seconde, la masse lumineuse se désintégra en une multitude de sphères qui poursuivirent leur route en s'éparpillant dans toutes les directions.
Certaines survolèrent l'astre, allant jusqu'à frôler Nuel et l'obligeant à se jeter à plat-ventre dans la poussière ; l'une d'elles ricocha joliment trois fois sur le sol avant de reprendre sa course éperdue ; une autre se fracassa sur la roche et se volatilisa dans une fantastique explosion d'étincelles.
Nuel se mit à applaudir des deux mains et à faire des bonds de joie ; quel merveilleux spectacle ! Il n'avait jamais assisté à une telle effervescence et il s'en remplissait les yeux.

Au même moment quelque part sur la Terre...

Deux hommes étaient en train de travailler dans un observatoire. Robert était assis à son bureau, les lunettes sur le bout du nez, la tête baissée dans un livre. Julien se tenait debout derrière un gros télescope et il observait le ciel avec attention quand, soudain...
Julien se retourna vers son collègue et l'interpella :
– Robert ? Je peux te parler un instant ?
Plongé dans un gros livre rempli de calculs et de dessins très compliqués, Robert n'était pas vraiment disponible.
– Non, je suis débordé, Julien.
Il y eut un silence, puis Julien se mit à tousser. D'abord fort, puis très fort.
Robert ne put retenir un soupir de lassitude ; décidément avec Julien il était impossible de travailler sans être dérangé. Qu'allait-il inventer cette fois-ci ?
– Que se passe-t-il, Julien ? Ce matin, j'ai préparé le télescope je l'ai orienté dans la bonne direction et tout semblait normal.
– Oui, oui, le télescope est tout à fait normal, répondit Julien. Seulement... c'est à cause de ce que je vois. Ce n'est pas du tout quelque chose d'habituel.
– Je ne comprends pas, Julien, s'étonna Robert. Mais je vais venir vérifier.
Robert quitta son bureau.
En ce début de juin, tous les astronomes professionnels ou amateurs guettaient avec impatience un événement peu commun : la chute des Perséides. L'entrée de ces météorites dans l'atmosphère terrestre déclenchait toujours un phénomène médiatique de grande ampleur et, pendant plusieurs jours, les médias ne parleraient plus que de ça : « Le ciel allait nous tomber sur la tête » mais par petites touches et sans le moindre danger pour les habitants de la Terre.
Robert et Julien appartenaient à cette grande famille des astronomes et ils attendaient, eux aussi, ces merveilleuse Perséides.
Robert prit la place de Julien. Il regarda dans le télescope et s'exclama :
– Elles sont là ! Les étoiles filantes sont déjà arrivées, elles filent de tous côtés ! Mais, enfin, Julien, pourquoi tu ne m'as rien dit ? Elles sont en en avance sur nos prévisions. tu as raison, ce n'est pas habituel !
Grâce au télescope, Robert pouvait apercevoir une nuée d'étoiles filantes bondissant par-dessus la Lune. Elles semblaient se précipiter vers la Terre et offraient un spectacle grandiose.
– Comme c'est beau ! dit Robert. Ah, le ciel nous réserve des surprises incroyables. N'est-ce pas, Julien ?
Robert attendait que Julien lui réponde mais celui-ci restait muet et paraissait toujours aussi perturbé.
– Ça n'a pas l'air d'aller ?
Julien montra le télescope :
– Je l'ai d'abord aperçu là-dedans. Et ensuite (D'un geste Julien désigna le ciel.) ensuite j'ai compris qu'en réalité IL était là-haut, sur la Lune. Tu comprends ? Parce que c'est quelque chose d'évident : IL vit sur la Lune comme NOUS vivons sur la Terre ! Cela saute aux yeux.
Robert fronça les sourcils. Il avait accepté un poste dans cet observatoire parce que le travail lui avait paru intéressant mais il s'était très vite trouvé confronté à un problème. Et « LE » problème s’appelait Julien. Un garçon d’une trentaine d’années, plutôt sympathique, du genre rêveur, ou imaginatif débordant, ou franchement schizophrène, c’est selon. En fait, Robert ne savait pas vraiment dans quelle catégorie le classer, mais le comportement de son collègue commençait sérieusement à le tracasser.
Robert tenta d'en savoir plus.
– IL vit sur la Lune, répéta-t-il en plissant les yeux pour mieux observer son collègue comme s'il allait brusquement se changer en fée clochette ou en loup-garou. Tu peux me donner des détails sur LUI. Je veux dire le « IL » dont tu parles c'est peut-être un débris provenant d’un vieux satellite ?
– Mais quel débris ? IL est vivant ! VI-VANT ! s'énerva Julien : IL marche sur la Lune et puis IL court et IL fait des bonds.
Robert préféra ne pas contrarier son collègue.
– Mais je te crois sur parole.
– IL se comporte comme un poisson dans l'eau, lâcha Julien. IL est totalement adapté à son milieu, à son environnement.
Robert se rappela que Julien était un véritable spécialiste des contes pour enfants. Du Chat Botté au Joueur de Flûte en passant par le vilain Petit Canard, il les connaissait tous par cœur.
Les parents ne savent pas le tort qu'ils font à leurs enfants quand ils leur racontent ce genre d'histoires, songea-t-il. Et voilà le résultat. C'est navrant.

Sur la Lune

Nuel se livrait à de grandes gesticulations de joie tout en regardant disparaître les derniers feux de la fête. Il aurait aimé que les Perséides poursuivent leurs cabrioles, mais elles filaient maintenant vers la Terre et n'allaient pas tarder à se trouver hors de vue.
Le pantin gagna le bord de l'astre pour les suivre des yeux le plus longtemps possible et se pencha tant et si bien qu'il bascula dans le vide spatial. Il tomba, tomba, tomba…
Quelle étrange sensation que cette chute vertigineuse qui n'en finit pas, n'en finit pas… La Lune s'éloignait de lui, ou bien c'était l'inverse ; elle n'était plus qu'une minuscule tache blanchâtre qui rétrécissait à vue d'œil. Ça y est ! Elle avait disparu.
Nuel entendit un bruit : "Boum !", chose tout à fait inhabituelle pour lui, en même temps que sa chute était stoppée net.
Nuel écarquilla les yeux ; étendu de tout son long sur le dos, il pouvait apercevoir, au loin, la voûte étoilée qui scintillait. Mais plus près, beaucoup plus près, il se retrouvait cerné par de longs bras brunâtres terminés par des mains noueuses couvertes de taches vertes. L'une d'entre elles se détacha de sa branche et, après avoir effectué un harmonieux vol plané, elle termina sa chute sur le front de Nuel.
Le pantin se redressa vivement et la feuille glissa jusqu'à son ventre dans un doux bruissement. Il la contempla avec ravissement ; il n'y avait rien de pareil sur la Lune.

Mais il n'était pas encore au bout de ses surprises. Face à lui, juste derrière ses pieds, venaient d'apparaître trois têtes qui le dévisageaient avec curiosité. Des têtes avec deux yeux, un nez, une bouche et beaucoup de cheveux, exactement comme lui en somme, mais les couleurs étaient différentes.
Alors il fit une chose qu'il n'avait encore jamais faite, il ouvrit la bouche et s'entendit prononcer :
– Bonjour ! Mon nom est Nuel.
Tandis qu'il mettait la main devant sa bouche pour retenir les autres mots qui voulaient sortir, un juron retentit :
– Il est pas vrai, celui-là ! Il dégringole sur le toit de notre cabane, et il nous balance : Je m'appelle « machin » !
– Tom ! dit une jolie petite fille. Pourquoi tu te mets en colère ? C'est mignon « Nuel ».
– Ouais ! c'est ça, gronda à nouveau le dénommé Tom. La prochaine fois que Rémi et moi on passe la nuit dans la cabane, TU resteras chez les parents. Les filles ça joue à la poupée, ça ne grimpe pas aux arbres avec les garçons.
– Pfff ! Tu es jaloux parce que moi, je n'ai pas le vertige ! s'écria Capucine, vexée.
Rémi n'avait encore rien dit. Plus calme que son frère et sa sœur – il était l'aîné – une question lui trottait dans la tête :
– Arrêtez de vous disputer tous les deux ! Vous pouvez me dire d'où il vient ?
Les trois enfants levèrent en choeur leurs yeux vers le sommet de l'arbre. On distinguait nettement une trouée à travers le feuillage, ainsi que des branchettes brisées. Inutile de chercher davantage, le nouveau venu avait laissé la trace de son passage.
– Il sera grimpé dans l'arbre pour faire le malin et il s'est cassé la g…
– Tom ! gronda Capucine. Maman ne veut pas que tu dises de gros mots.
– Ah ! les filles, je te jure, rouspéta Tom.
Cette explication ne sembla pas satisfaire Rémi.
– Alors on aurait dû l'entendre escalader puisqu'on ne dormait pas. Et on ne l'a jamais vu dans le quartier !
Nuel avait suivi les dialogues avec intérêt. La petite fille était très jolie à regarder, elle avait de belles boucles blondes qui l'enchantaient.
– Je suis tombé de la Lune, dit-il en s'adressant à elle.
Tom frappa plusieurs fois sa tempe avec son index.
– Il a l'air salement secoué à l'intérieur, dit-il. Quand il a heurté le toit de la cabane, ça lui a éclaté le cerveau.
– Il est vrai qu'après une chute pareille, s'étonna Rémi, il aurait dû se rompre le cou.
L'idée que le nouveau venu puisse venir de la Lune plut beaucoup à Capucine. La petite fille aimait lire des contes et l'histoire de Pierrot et Colombine la faisait rêver.
Les enfants grimpèrent sur le toit de la cabane, et se regroupèrent autour de Nuel.
– Tu t'es fait mal ? demanda Rémi en cherchant d'éventuelles marques rouges ou bleues sur le visage du nouveau venu. Comment il s'appelle déjà ?
– Nu-el, lâcha Tom qui ajouta : Tu parles d'un nom pour un garçon.
– Mais non, il ne s'est pas fait mal ! s'écria Capucine. Puisqu'il est en chiffon.
Et soulevant le bras gauche de Nuel, la petite fille montra une déchirure au coude par laquelle dépassait un rembourrage laineux.
– Ben mince alors ! fit Tom qui attrapa l'avant-bras de Nuel pour l'écraser entre ses doigts. Quand il rouvrit sa main le bras reprit sa forme initiale.
– Hé, t'es quoi au juste ? Un jouet ? Une marionnette ?
– Une marionnette est tenue par des fils pour la faire bouger ! protesta Capucine. Comme Pinocchio dans le livre de Collodi.
– Ouais, c'est vrai, reconnut Tom qui empoigna Nuel par une épaule et le secoua sans ménagement afin de vérifier qu'un fil quelconque n'était pas caché sous ses vêtements. Alors,comme ça tu es tombé de la Lune ? Et comment tu as fait ?
– Je me suis penché pour admirer les étoiles filantes, répondit Nuel. J'espérais en attraper une mais elle n'a pas voulu jouer avec moi.
Tom fit une grimace.
– Et, en plus, il n'et pas très malin. Jouer avec une étoile, Pfff !
Nuel dévisageait les enfants et il se posait bien des questions à leur sujet.
– Vous aussi, vous êtes des pantins ? leur demanda-t-il.
– Ah non ! Nous sommes des enfants, dit Tom. En chair et en os.
Et pour confirmer ses propos, il prit la main de Nuel et la posa sur son bras :
– Vas-y ! Tâte les biscoteaux, tu verras, c'est du costaud.
Rémi qui écoutait la conversation depuis le début sans intervenir, n'en crut pas ses oreilles.
– Vous gobez vraiment n'importe quoi, dit-il. Personne ne peut vivre sur la Lune, c'est impossible !
– Et pourquoi ? protesta Capucine. Je suis sûre que c'est très joli là-haut.
Le pantin secoua la tête d'avant en arrière pour acquiescer et sa tête n'arrêtait plus de se balancer. Il raconta :
– La Lune est toute blanche. Et la mousse sur laquelle je dors est toute blanche. Et la poussière est toute blanche. Et le sable est...
– Tout blanc, dit Rémi qui mit sa main derrière la tête de Nuel pour qu'elle cesse de s'agiter. Oui, nous avons bien compris.
La réponse de Rémi parut surprendre le pantin.
– Comment le savez-vous ? Je ne vous ai jamais vus sur mon astre.
– Oh non, parce qu'on s'en souviendrait, s'amusa Tom. Mais tu dois avoir des copains là-haut. Est-ce que tu grimpes avec eux dans les arbres ?
– Non, je vis seul. Et il n'y a pas d'arbres, et il n'y a pas de bruit non plus.
– Tu veux dire que t'as pas de jeux vidéo, ni de téloche ? s'exclama Tom, horrifié à cette idée. Mais tu dois t'ennuyer à mourir ?
Le pantin se redressa et la fierté se lisait sur sa figure tandis qu'il déclarait :
– Je suis le responsable des étoiles. Je dois les faire briller sans en oublier une seule.
Les enfants échangèrent un regard stupéfait.
– Tu parles d'un coin pourr... ! lâcha Tom qui se fit rappeler à l'ordre par sa soeur :
– Tom ! Pas de gros mots !
Une brise fraîche traversa le feuillage, agitant les grandes feuilles vertes et faisant frissonner les enfants.
– Il vaut mieux ne pas rester là, dit Rémi qui ordonna : Tout le monde au chaud !
Les enfants descendirent du toit, emmenant le nouveau venu avec eux et ils se retrouvèrent sur la plateforme en bois qui entourait le tronc d'un chêne.
La cabane était construite sur pilotis et quatre marches permettaient d'y accéder. C'est ainsi que Nuel entra pour la première fois dans une cabane. Il y avait un joli rideau rose sur l'unique fenêtre. Une petite étagère était accrochée sur l'un des murs et elle débordait de bonnes choses à manger. Les enfants avaient passé la nuit à l'intérieur de la cabane, emmitouflés dans leurs sacs de couchage. Ils étaient en train de savourer leur petit-déjeuner quand, soudain, un grand bruit sourd avait retenti au-dessus de leurs têtes. Aussitôt, les enfants s'étaient précipités au dehors, oubliant leurs bols à moitié remplis de chocolat chaud tout droit sorti de la bouteille Thermos.
– Tu as faim ? demanda Tom en plaquant un paquet de sablés sous le nez du pantin.
Mais Capucine s'interposa.
– Voyons, Tom, gronda-t-elle. Les pantins ne mangent pas, tu devrais savoir ça.
– Bah ! Tant pis pour lui, répondit le garçon.
Et, sans attendre, il se mit à dévorer un sablé.
– Qu'est-ce qu'on va faire de lui ? s'inquiéta Rémi en détaillant le nouveau venu de la tête aux pieds. Mais enfin regardez-le ! Il a les cheveux bleus et les yeux dorés. Vous imaginez la réaction de nos parents s'ils le voyaient ?
– Ils ne fiennent chamais ichi, parvint à dire Tom, la bouche pleine.
– Tom, arrête de parler, tu fais tomber des miettes partout, gronda Capucine. Rémi, laisse-moi m'occuper de Nuel il faut que je le répare.

Capucine sortit la petite boîte à couture qu'elle emportait toujours dans la valise de sa poupée et prépara une longue aiguillée de fil bleu. La petite fille remit en place le rembourrage à l'intérieur du bras et referma la déchirure du tissu à l'aide de quelques points. Puis elle coupa le fil d'un coup de ciseaux.
– Voilà ! Tu es réparé, dit la petite fille au pantin. Qu'en dis-tu ?
– Qu'il faut que je retourne sur la Lune, lui répondit Nuel. Les étoiles ont besoin de moi.
Le pantin ne redoutait pas la présence d'enfants même si les bruits et ces drôles de choses – la cabane, l'arbre – le déroutaient. Mais son monde de silence lui manquait.
– A quoi ressemblent les étoiles ? lui demanda Capucine, jamais à court de questions. Raconte-moi !
– Les grandes portent de jolis noms comme : Véga, Alpha ou Epsilon. Les petites vivent dans la pouponnière stellaire.
– Une pouponnière, s'exclama Capucine, et elle imagina des étoiles au centre d'un parc à bébés. J'espère que tu es gentil avec elles ?
Un peu à l'écart Rémi était en pleine réflexion. La présence du pantin posait un sérieux problème. Il était hors de question qu'il demeure avec eux. Mais comment le renvoyer sur la Lune ?
Pendant qu'il cherchait une solution Nuel répéta :
– Je dois retourner sur la L…
– Mais t'as tout ton temps, affirma Tom en assénant une grande claque amicale dans le dos du pantin, ce qui eut pour effet de l'envoyer s'étaler à plat ventre sur le plancher.
Outrée par les mauvaises manières de son frère Capucine aida le pantin à se relever.
– Tom ! Tu aurais pu le blesser.
– Mais non, il est en coton. Bon, je promets de ne plus taper dans le dos de cette peluche. Désolé, Nuel.
C'est à cet instant qu'une voix féminine se fit entendre depuis l'extérieur :
– Houhou les enfants, vous êtes réveillés ? Je peux entrer ?
Un vent de panique déferla sur la cabane.
– C'est maman ! s'écria Capucine qui montra le pantin du doigt : Vite, il faut le cacher.
Les trois enfants se tournèrent d'un côté, de l'autre, regardèrent le sol, le plancher, l'étagère.
– Le cacher ! Mais où ? s'écria Tom. On le jette par la fenêtre ?
– Houhou les enfants ! Me voilà.
Heureusement Rémi était un garçon plein de ressources :
– Tom ! Dépêche-toi de lui enfiler ton pull ! Capucine, la casquette, vite !
Tom se défit de son pull et attrapa un bras du pantin pour le glisser dans une manche, puis l'autre bras dans la seconde manche. Enfin il lui passa le pull par-dessus la tête. Nuel le laissa faire car il adorait ce qu'il croyait être un nouveau jeu. Capucine lui couvrit la tête et, du bout des doigts, enfonça quelques cheveux bleus qui dépassaient. Nuel était ravi.
La maman était en train de monter l'escalier. Une marche, deux, trois...
– Ses yeux ! souffla Rémi à son frère. Ils sont dorés !
Tom n'eut que le temps de plaquer des lunettes de soleil sur le nez du pantin. Et la porte s'ouvrit.
La maman était venue s'assurer que ses enfants chéris avaient passé une bonne nuit dans leur nouvelle cabane, et elle leur apportait, dans une corbeille en osier, des brioches à peine sorties du four.
La découverte de quatre enfants, au lieu de trois, lui causa une vive surprise ; il faut dire qu'avec ses lunettes noires et cette casquette enfoncée jusqu'aux oreilles, ce quatrième enfant paraissait pour le moins surprenant.
Rémi sentit l'hésitation de sa mère et s'empressa de faire les présentations :
– Maman, voici Nuel. Il est là pour les vacances.
– Bonjour Nuel, dit la maman qui s'étonna : Je ne t'ai encore jamais vu dans le quartier, d'où viens-tu ?
– De la Lu…, commença le pantin.
– Du pôle Nord ! s'exclama Tom qui lut sur les lèvres de sa soeur qu'il venait de dire "n'importe quoi". Il tenta de se rattraper : Enfin, je veux dire qu'il vient d'un pays proche de... euh
– De la Norvège, corrigea Rémi. C'est un lointain cousin de notre copain Lu... Olivier. Tu ne le connais pas, il vient juste d'emménager dans le quartier.
– Vraiment ? dit la maman qui observa le jeune Nuel de la tête aux pieds. Il vient d'un pays nordique et il n'a pas de pull à lui ? Il porte celui que j'ai tricoté pour l'anniversaire de Tom. Ou alors sa maman lui a fait exactement le même ?
– Euh… non, c'est bien celui de Tom, confirma Rémi. C'est parce que... Nuel croyait qu'il faisait chaud dans notre pays et il a été surpris par la fraîcheur du matin. Alors Tom lui a prêté son pull.
– Bien sûr, fit la maman sur un ton pas du tout convaincu et elle fronça les sourcils.
Rémi réalisa qu'il était urgent de faire diversion. Il ôta la corbeille des mains de sa mère et ouvrit la porte de la cabane. Puis, mettant une main dans son dos, il la poussa fermement vers la sortie.
– Merci pour les brioches, maman, on ne veut pas te retenir, tu as plein de choses à faire aujourd'hui. Allez, vous autres ! La balançoire nous attend.
La cabane se vida de ses occupants et la maman repartit vers la maison, de l'autre côté du jardin. Les enfants poussèrent un soupir de soulagement en la voyant s'éloigner.
– Je ne savais plus quoi lui dire pour qu'elle s'en aille, avoua Rémi. Elle avait l'air de trouver Nuel bizarre.
– C'est normal, il EST bizarre, lâcha Tom en enlevant les lunettes du nez du pantin. Il a les mêmes yeux que mon vieux lapin en peluche.
Mais le geste de Tom avait involontairement provoqué la stupeur de Nuel. Les verres fumés lui donnaient l'illusion de l'obscurité et voilà que ses yeux, débarrassés des lunettes, contemplaient un ciel totalement bleuté.
– Mes étoiles ! gémit le pantin. On me les a toutes prises ! Et la nuit a disparu. Où sont mes étoiles ?
– Il est pas vrai ce Nuel, gronda Tom avant de marmonner que « décidément" il fallait tout lui apprendre à ce pantin de la Lune.
Il attrapa Nuel par le cou et tendit le doigt vers le ciel pour lui expliquer :
– C'est le jour, Nuel ! Avec un gros rond jaune dans le ciel, c'est le soleil, et des pompons blancs qu'on appelle des nuages. On les a rajoutés pour faire plus joli. T'as pigé ?
Le pantin, éberlué, cligna plusieurs fois des yeux avant de répéter :
– Je dois retourn…
– Oui ! On sait, coupa Rémi qui tenta de rassurer le pantin. Tom et moi, on va réfléchir et trouver une solution, je te le promets. Capucine, emmène-le faire de la balançoire.
Ravie de l'avoir pour elle seule, Capucine prit le pantin par la main et l'emmena jusqu'à un arbre où une planchette de bois était suspendue à une branche par deux cordes.
Pendant ce temps, restés à l'écart, les deux frères s'interrogeaient sur le retour du pantin.
– Je préfère encore les histoires de robinets qui fuient de Miss Grincheuse, notre institutrice, rouspéta Tom. C'est plus facile à résoudre. Comment on va s'y prendre ?
– Ce n'est peut-être pas si compliqué, répondit Rémi. Après tout, en tombant de la Lune, il s'est seulement fait un accroc au coude. Donc, peut-être que si on lui donnait un peu d'élan, ça suffirait à le renvoyer là-haut. En tout cas, je l'espère.
– De l'élan ? répéta Tom, sceptique. Par exemple avec le trampoline ? Si c'est ça ton idée, il risque de s'éterniser dans notre cabane.
Le visage de Rémi s'éclaira :
– Mais oui, bien sûr, c'est exactement ce qu'il nous faut ! Tom, tu es un génie qui s'ignore !
– Non-non, affirma modestement Tom, moi je l'ai toujours su. Mais, euh, de quoi tu parles ?
– Du trampoline. Masi il va falloir attendre la tombée de la nuit pour éviter que nos parents ne nous surprennent en train de le transporter. Ils se poseraient trop de questions. Pour l'instant on va rejoindre Capucine et Nuel.
La petite fille s'amusait avec le pantin qui adorait se balancer dans les airs, en poussant de grands éclats de rire silencieux. Tom et Rémi tentèrent de lui apprendre à jouer à la marelle mais ils durent bien vite renoncer : à chaque fois que Nuel parvenait au « ciel » ses yeux se remplissaient de tristesse.
Tom lui confectionna une couronne avec des feuilles de chênes, Rémi lui fit découvrir un nid de grives perché sur leur arbre, et Capucine fredonna des comptines que Nuel s'efforça d'apprendre par coeur.
Les enfants s'amusèrent tant et si bien que lorsque l'obscurité revint, Nuel ne parlait plus de repartir. Pourtant, quand ils levèrent la tête et découvrirent un ciel sombre, sans le moindre éclat, les enfants comprirent que leur nouvel ami devait les quitter.
– Si Nuel ne fait pas briller les étoiles, dit Capucine, la nuit deviendra tellement triste.
– Je dois retour…
– Oui, on sait Nuel, dit Rémi. Allez Tom ! On y va.
Les deux frères s'empressèrent d'aller chercher l'appareil qu'ils placèrent au pied de l'arbre.
– Tu montes sur cette grande branche, expliqua Rémi au pantin qui écarquillait les yeux et tu sautes sur le trampoline à pieds joints. Ça te donnera de l'élan. Allez, essaie !
– Et si ça ne marche pas ? s'inquiéta Capucine. S'il retombe sur la Terre ?
– Tu n'auras plus qu'à le recoudre à nouveau, répondit Tom. Mais il vaudrait mieux qu'il y arrive parce qu'on ne pourra pas le garder indéfiniment dans la cabane.
Capucine savait que son frère avait raison mais elle s'était attachée au pantin.
– Attendez ! dit-elle, je voudrais qu'il emporte un souvenir.
Elle revint rapidement et tendit au pantin une planchette avec deux cordes enroulées tout autour.
– C'est notre balançoire, lui dit-elle. Papa nous en fera une autre, et toi tu pourras te balancer sous la Lune. Au revoir, Nuel ! Reviens vite nous voir.
Serrant très fort la planchette sous son bras, Nuel grimpa sur une haute branche, puis il sauta. Ses pieds avaient à peine touché la toile du trampoline que le pantin rebondit et, comme propulsé par une force invisible, il repartit en direction de la Lune. L'astre devint rapidement de plus en plus gros face à lui et bientôt Nuel posa ses deux pieds sur le joli sable blanc.
Les enfants l'avaient suivi des yeux le plus longtemps possible mais, très vite, Nuel avait disparu. Il était temps pour eux de regagner la cabane et de se blottir dans les sacs de couchage.
– Comment être sûrs qu'il est bien rentré ? demanda Capucine avec une pointe d'inquiétude dans la voix.
– Dès que les étoiles réapparaîtront, lui répondit Rémi, nous saurons que Nuel va bien.
– J'espère qu'il reviendra jouer avec nous ? murmura la petite fille. Il va me manquer.
– Il reviendra, j'en suis certain, dit Tom qui voulait rassurer sa sœur. Et maintenant, tout le monde au lit. Il est l'heure de dormir.

Aussitôt de retour sur son astre, Nuel avait ramassé de la poussière argentée et l'avait semée dans l'espace. Les étoiles avaient retrouvé leur éclat et la voûte sombre du ciel s'était joliment éclairée.
Mais le pantin n'avait pas encore terminé son travail.
Il se baissa à nouveau, prit une autre poignée de poussière et, se penchant au bord de la Lune, il ouvrit largement la main. Les grains d'argent tombèrent dans le vide et traversèrent l'espace jusqu'à la Terre.
Et soudain, dans la nuit, un halo argenté illumina un gros arbre comme en plein jour. Trois enfants jaillirent, émerveillés, de leur cabane en bois.
– C'est Nuel ! se mirent-ils à crier en sautant de joie. On a réussi ! Hourra !
A nouveau seul sur la Lune Nuel accrocha la balançoire à la pointe du croissant et, s'asseyant sur la planchette de bois, il laissa pendre ses jambes de chiffon dans le vide spatial. Puis il donna une impulsion et commença à se balancer doucement.

Au même moment dans l'observatoire

– Robert ?
– OUI, Julien. Encore un problème,je suppose ?
– IL est de retour ! Et tu vas avoir du mal à me croire : IL fait de la balançoire suspendu sous le croissant.
Robert se tourna vers son collègue et croisa ses yeux devenus rouges à force de regarder dans le télescope.
– C'est tout à fait normal, Julien. A force de faire des bonds, on se lasse.
Julien parut soulagé par cette réponse.
– Tu sais, Robert, je commençais à me demander si je n'étais pas victime d'hallucinations ?
– Mais non, Julien. Moi aussi je l'ai vu en train de se déplacer et même de courir à en perdre haleine. Il a les cheveux blonds, c'est bien ça ?
– Non, bleus, j'en suis certain.
– Oh ! excuse-moi Julien, tu as raison : ils sont bleus.
– Ça ne fait rien, Robert. Je suis content que tu me comprennes. Ce qui n'est pas le cas des autres collègues.
– Bah ! Les gens ont parfois des idées étroites. Tu devrais continuer à observer le… sur sa balançoire, j'ai un coup de fil urgent à donner.
Tandis que Julien, l'œil collé au télescope, s'abîmait à nouveau dans la contemplation de la Lune, Robert se rendit dans son bureau, décrocha le combiné et composa le «quinze». Il sut se montrer convaincant et, quand il raccrocha, il était à demi rassuré.
Les hommes en blouse blanche ne tarderaient pas à intervenir, ils avaient promis de se hâter et de ne pas faire hurler la sirène de l'ambulance.
Soudain, la voix de Julien retentit à travers la porte :
– Robert, tu n'en croiras pas tes yeux : IL joue à la marelle. C'est fou, non ?
Robert fonça jusqu'à la porte et tourna la clé dans la serrure. Puis, croisant ses mains qui tremblaient, il implora :
– Pourvu qu'ils fassent vite.

F I N

Découvrir tous les Contes sur Bopy.net

RETOUR

              version revue et corrigée par l'auteur (août 2015)

              Tous droits réservés.