texte Claude Jego |
illustrations Gueseuch |
|
Connaissez-vous un lieu merveilleux qui s'appelle le Pays Bleu ? Non
! Alors venez avec moi mais il vous faut avancer à grands pas car c'est
loin, très loin, caché entre des montagnes aux neiges éternelles et un
océan si vaste qu'il semble repousser la ligne de l'horizon.
Suivez avec moi ce sentier qui nous mène au
centre du village. Ouvrez grands vos yeux et regardez autour de vous.
Que voyez-vous ?
Des champs remplis de lavande et de bleuets, des
papillons aux ailes pervenche et des perroquets aux plumes turquoise.
Vous paraissez étonné, vous ne m'aviez pas cru ?
Et pourtant je ne faisais que vous dire la vérité : ici tout est bleu.
Le ciel et l'eau des rivières, le feuillage des arbres et la poussière
des chemins, les ponts et les bancs de bois, les toits et les murs des
maisonnettes.
Les gens ? Non, bien sûr, ils sont comme vous et
moi et ils vivent heureux et sans soucis. Oh ! pardon : ils "vivaient"
heureux et sans soucis. Oui, je suis désolée de devoir mettre ce verbe
au passé mais une chose terrible vient d'arriver ! Laquelle ? Dois-je
comprendre que vous ne savez pas ? Approchez donc que je vous conte cet
événement incroyable...
Ce jour-là, le ciel était bleu - oui, comme d'habitude il est vrai,
mais en même temps il paraissait plus lumineux, plus profond - et,
voilà que, sur le coup de midi, alors que tintait l'horloge de la
grand'place, un homme jaillit d'une maison et se mit à courir à travers
tout le village en criant : "c'est un garçon, c'est un garçon !"
Et c'est ainsi, tout simplement, que Nalia vint
au monde.
Les jours passèrent, puis les mois, et enfin les
années. L'enfant grandissait vite et bien, et ses parents, de même que
tous les gens du village, l'adoraient car Nalia montrait beaucoup de
qualités. Serviable, il était toujours prêt à aider son entourage ;
attentionné, il ne laissait personne autour de lui garder la mine
triste ; gentil, il était l'ami des enfant mais aussi de tous les
animaux. Un jour, il recueillit un perroquet dont une aile avait été
brisée par les serres d'un vautour. Nalia le soigna si bien que
l'oiseau, baptisé "Kako" put bientôt s'envoler à nouveau pour parcourir
la Terre entière car c'était un grand voyageur.
Mais Nalia continuait à grandir. A six ans, il
dépassait les autres enfants de son âge ; à douze, ses parents durent
lever la tête pour pouvoir lui parler. Hélas, quand il arriva à l'âge
adulte, il fallut bien se rendre à l'évidence : Nalia ne serait jamais
un enfant comme les autres, il était devenu un géant.
La taille de Nalia se mit alors à poser de
nombreux problèmes que ses parents ne pouvaient résoudre seuls, aussi
tous les habitants du Pays bleu décidèrent de leur venir en aide.
D'abord, pour lui construire une maison haute de trois étages, et
ensuite la remplir de meubles taillés dans d'énormes troncs d'arbres.
Coudre des vêtements nécessitait des kilomètres de fil, et les boutons
avaient la largeur d'une assiette. Quant on voulait s'adresser à lui,
on utilisait un porte-voix et pour lui couper les cheveux, le coiffeur
prenait une échelle. Mais malgré tous ces petits tracas, tout le monde
aimait Nalia à cause de son éternelle bonne humeur, et rien n'était
plus agréable aux habitants du Pays bleu que d'entendre résonner son
rire joyeux à travers les ruelles.
D'ailleurs, les choses auraient pu continuer
ainsi indéfiniment si, par un bel après-midi…
Nalia aimait faire la sieste, couché dans
l'herbe d'un pré à l'ombre de trois grands arbres. Les lapins bleus et
les écureuils indigo en profitaient pour lui sauter sur le ventre et
jouer à cache-cache derrière ses grands pieds ; c'était facile avec un
géant. Le hasard voulut que, ce jour-là, les parents de Nalia passent à
proximité ; ils marchaient sur un chemin bordé d'épais buissons et ne
pouvaient pas voir leur fils, dissimulé par tant de verdure.
Tous deux se désolaient et pleuraient à grosses
larmes :
– Quel malheur ! disaient-ils. Jamais notre fils ne pourra se marier
parce qu'il est un géant. Il nous faut renoncer aux petits-enfants
riant et courant dans nos jambes, qui auraient couvert nos joues ridées
de leurs baisers.
Voilà ! Maintenant, vous savez pourquoi les
habitants du village ne sont plus heureux.
Nalia eut le cœur brisé en découvrant leur
chagrin. Il aimait tant ses parents qu'il aurait fait n'importe quoi
pour les rendre heureux, aussi décida-t-il d'en parler à ses amis en
espérant qu'ils pourraient trouver une solution.
Ceux-ci cherchèrent longtemps, firent mille
propositions, mais aucune d'entre elles ne semblait réalisable. Comment
peut-on marcher jusqu'à s'user les jambes et ainsi les raccourcir ? Ou
encore sauter dans l'eau de la rivière en croyant rétrécir comme un
vêtement dans la machine à laver ?
Vous ne me croirez pas et pourtant c'est Kako le
perroquet, qui venait juste de rentrer d'un long voyage, qui eut une
idée un peu singulière il est vrai.
Au cours de ses multiples tours du monde, il
avait traversé de nombreux pays, parcouru des milliers de kilomètres et
rencontré des êtres extraordinaires parmi lesquels un magicien.
– Les gens disaient qu'il était capable de réaliser les plus grands
prodiges, expliqua le perroquet. Et qu'il pouvait transformer une
grenouille en diva d'opéra ou changer une souris en chat.
" Oh ! je détesterais cela ", se dit une petite souris qui passait par
là, et elle se dépêcha de regagner son trou.
– Si tu veux, je te conduirai jusqu'à lui, poursuivit Kako. Peut-être
pourra-t-il t'apporter son aide ?
Nalia n'eut pas la moindre hésitation. Il
embrassa ses parents – avec beaucoup de douceur pour ne pas leur faire
de mal – puis il partit sur la route avec Kako.
Le perroquet se révéla être un excellent guide
ainsi qu'un agréable compagnon de voyage. Ce curieux volatile parlait
plusieurs langues et dialectes, mais il avait aussi côtoyé des rois et
des princesses, des empereurs et des tyrans. Sa conversation émerveilla
Nalia et lui ouvrit l'esprit, lui qui n'avait jamais quitté son modeste
Pays bleu.
Et c'est ainsi que, l'un marchant à pas de géant,
et l'autre bavardant perché sur son épaule, ils arrivèrent dans une
contrée où tout était jaune.
Les arbres croulaient sous les poires et les
pommes ; les prairies débordaient de boutons d'or et de jonquilles, et
les mimosas embaumaient l'air de leur doux parfum. Partout des canaris
chantaient à tue-tête et un énorme soleil remplissait le ciel. On
l'appelait "le Pays jaune."
Nalia n'eut guère de temps pour se remettre de
sa surprise ; un jeune garçon passait sur le chemin et Kako lui demanda
où se trouvait la demeure de Lupin le magicien. L'enfant ouvrit de
grands yeux devant ce perroquet bleu, et plus encore en voyant le
géant, puis il désigna du doigt une étrange bâtisse à flanc de colline.
C'était un château biscornu, flanqué de deux
tours surmontées de girouettes : un dragon pour l'une et une souris
pour l'autre, ce qui donnait à l'ensemble un air plutôt étrange. Nalia
était bien trop grand pour pouvoir entrer, aussi apercevant une fenêtre
ouverte il regarda à l'intérieur et découvrit quelqu'un qui se
lamentait.
Quelle triste chose que de voir cet homme à la
chevelure
blanche accablé par le plus profond désespoir ! Nalia comprit qu'il
s'agissait du magicien à cause de son long manteau bleu nuit constellé
d'étoiles jaunes et sans hésiter, il l'interpella. D'abord très étonné
en découvrant ce géant devant sa porte (je veux dire : à sa fenêtre) le
magicien finit par lui conter le malheur qui venait de le frapper :
– A quelques lieues d'ici vit une terrible sorcière du nom de Malfrosa.
Depuis longtemps déjà, elle rêve d'accroître son pouvoir afin de
répandre la terreur sur les terres et les océans mais jusqu'à ce jour,
elle n'avait pu parvenir à ses fins. Hélas ! Pour m'obliger à lui
révéler
tous mes secrets, elle a enlevé ma fille et, comme je refusais de
céder, elle a juré que jamais elle ne me la rendrait.
Nalia en resta tout ébahi : comment un magicien
aussi renommé que Lupin pouvait-il baisser les bras devant une simple
sorcière ?
– Mes pouvoirs ne me sont d'aucune utilité face à Malfrosa. Je peux la
transformer en chenille ou en cactus, mais pas lui faire avouer où elle
a caché ma pauvre enfant. Je suis un père si malheureux !
Nalia avait un cœur généreux et la peine du
vieil homme l'avait touché ; il en oublia pourquoi il était venu et
promit au magicien d'aller délivrer sa fille. Celui-ci voulut le mettre
en garde contre les ruses de la sorcière, mais Nalia, toujours escorté
du fidèle Kako, avait déjà quitté le château.
– Diminuer la taille d'un géant n'est pas chose facile, dit alors le
perroquet, mais affronter une sorcière et délivrer une jeune fille me
paraissent pire que de combattre une dizaine de dragons ! Je sens que
nous allons y laisser des plumes.
Entre nous, je donne tout à fait raison à ce
perroquet mais comme personne ne me demande mon avis, et encore moins
celui d'un volatile bavard, je vais donc poursuivre mon récit.
Nalia refusa d'écouter Kako – je vous l'avais
bien dit qu'il n'en faisait qu'à sa tête ! – et il lui demanda de
survoler le Pays jaune afin de
trouver la demeure de la sorcière. Le perroquet n'eut aucun mal à
repérer des volutes de fumée noire qui s'élevaient dans le ciel et qui
y dessinaient des têtes de mort avant de s'évaporer dans les airs.
Le
géant et le perroquet suivirent donc cette direction et se retrouvèrent
sur un sentier fait de trous et de bosses, et cerné d'épaisses
barrières d'orties et de ronces entremêlées. Tandis qu'ils avançaient,
le silence se faisait autour d'eux. Plus un bruit, aucun chant
d'oiseaux. Juste le sifflement des serpents qui fuyaient devant eux ou
le cri aigu de quelques rats qui se battaient.
Enfin, Nalia et Kako parvinrent aux abords d'une
clairière encerclée d'arbres noirs entre lesquels des araignées velues
avaient tissé d'immenses toiles. Une affreuse créature aux cheveux
fillasse s'affairait autour d'un large chaudron à préparer une infâme
mixture. Elle jeta une griffe de dragon, deux plumes de vautours et une
fiole de bave de crapaud dans l'eau bouillonnante, et se mit à remuer
avec un os de tibia ; quelques yeux remontèrent à la surface et une
odeur nauséabonde se répandit dans l'air. Quand elle aperçut le géant,
la sorcière cessa de tourner et elle eut un large sourire édenté :
– Qui es-tu et que viens-tu faire dans mon ravissant logis ?
– Mon nom est Nalia. Je suis venu libérer la fille de Lupin le
magicien.
Les yeux de Malfrosa jetèrent des éclairs et des
scolopendres jaillirent de sa chevelure :
– Sais-tu bien à qui tu parles, jeune étranger ?
– Tu es Malfrosa la sorcière. Mais je suis un géant et je n'ai pas peur
de toi.
Nalia était vraiment un jeune homme très naïf
car il aurait suffi d'un simple sortilège pour que Malfrosa le change
en fourmi, en pot de fleurs, ou pourquoi pas, en limace.
Oh, quelle
affreuse idée ! Non-non, surtout pas en limace.
Heureusement qu'à cet instant une autre idée
traversa l'esprit de la vilaine sorcière. Alors qu'elle n'était encore
qu'une petite fille - il faut remonter très, très loin en arrière car
notre sorcière n'est plus toute jeune - un enchanteur du nom
d'Osménarus était venu vivre au " Pays jaune ". C'était un homme d'une
grande sagesse qui tirait sa puissance d'un anneau qu'il portait à son
doigt. Quant il sentit venir sa fin, l'enchanteur songea que son
pouvoir ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Il créa alors
deux autres anneaux qu'il glissa avec le sien entre les pages de son
grimoire puis il prononça un enchantement.
Comme il l'avait prédit, sa mort provoqua le
déferlement de gnomes, faux magiciens et sorcières en tous genres,
venus des quatre coins du monde pour s'emparer de l'anneau, mais les
épreuves se révélèrent si redoutables que tous échouèrent. Pire encore,
aucun d'entre eux ne réapparut jamais.
Brrrr ! c'est affreux, vous ne trouvez pas ?
Malfrosa aussi aurait voulu tenter sa chance mais elle était si
peureuse que la seule vue de son ombre la faisait trembler. Aussi quand
elle découvrit le géant, elle comprit qu'une telle occasion ne se
présenterait pas deux fois.
– J'aimerais pouvoir t'être agréable, jeune étranger, mais, hélas, j'ai
enfermé la fille du magicien dans un cercle magique et j'ai oublié le
sortilège qui peut la délivrer.
Malfrosa s'efforça de prendre un air désolé afin
de convaincre le géant. Elle essaya même de pleurer en pensant à
quelque chose de terrible, par exemple qu'elle n'arriverait jamais à
transformer tous les êtres humains en chauve-souris.
– Je suis grand et fort, dit Nalia, je pourrai peut-être briser le
cercle ?
– Non, c'est impossible, répondit la sorcière. Personne ne peut annuler
un sortilège sauf... si j'avais les trois anneaux magiques que j'ai
oubliés dans l'un des mes grimoires.
"Vous ai-je dit que cette sorcière était la pire
de toutes les menteuses ?"
Nalia n'hésita pas une seconde :
– Dis-moi où les trouver, et je te les ramènerai.
– Quelle bonne idée ! s'exclama Malfrosa. Et dès ton retour, je
tiendrai ma promesse, la fille du magicien sera libre. Alors suis cette
route et bonne chance, mon jeune ami. Hi hi hi !
Hélas, il n'y avait personne pour expliquer à
Nalia que la sorcière se moquait de lui et qu'elle l'envoyait se jeter
dans un terrible piège !
Alors, Nalia suivit le chemin, Kako voletant
toujours à ses côtés. Et soudain, alors qu'il parvenait à la lisière du
Pays jaune, il se retrouva devant un livre trois fois plus haut que sa
maison de géant.
Levant la tête, Nalia vit que sa couverture, en
cuir marron, était ornée de superbes dorures et portait le mot
"Grimoire" inscrit en lettres gothiques.
– Regarde ! s'écria le perroquet. Quel étrange phénomène.
En effet, une porte venait d'apparaître au bas
du livre. Taillée dans un beau chêne massif, elle possédait une poignée
en fer forgé que Nalia essaya d'abaisser mais sans y parvenir. Devant
cette résistance, il tenta d'enfoncer la porte d'un coup d'épaule mais
ne réussit qu'à se faire mal car elle était d'une belle épaisseur.
Alors que Nalia se demandait comment il allait
s'y prendre pour parvenir à ses fins, la porte se mit à protester avec
force :
– Sacripan, comment oses-tu me frapper ainsi ?
D'abord interloqué, Nalia répondit qu'il était désolé, qu'il ne
savait pas qu'une porte pouvait être vivante.
– Et pour qui me prends-tu donc ? Pour un vulgaire tas de bois !
Apprends, jeune homme, que j'ai été taillée dans un chêne plusieurs
fois centenaire dont les frondaisons avaient abrité des rois. Qu'en
dis-tu ?
– Que j'ignorais qu'une porte pouvait parler. S'il te plait, laisse-moi
passer !
La porte se radoucit car Nalia lui avait parlé
très gentiment. Elle lui expliqua qu'elle ne pouvait pas accéder à sa
demande :
– Seule la formule magique peut te permettre d'entrer. La connais-tu ?
Non, malheureusement Nalia l'ignorait.
– Alors, je le regrette pour toi mais tu ne franchiras pas mon seuil !
Nalia ne savait plus quoi faire lorsque Kako
vint lui chuchoter à l'oreille que Malfrosa possédait une ravissante
perruche pourvue d'un plumage vert tendre ainsi que d'une langue fort
longue.
– Je lui ai fait la cour, avoua le perroquet, car je me sens parfois
très seul. Et je dois avouer qu'elle n'a pu résister à mon charme. Elle
a même fini par me révéler certains secrets et je me souviens d'une
sorte d'incantation qui disait :
Kako avait à peine fini de prononcer ces mots que la porte et le
livre s'effacèrent, et un paysage apparut.
C'était une belle forêt remplie du chant des
oiseaux et de la caresse du vent sur les feuilles. Dans le ciel azuré,
de jolis nuages blancs bien dodus faisaient une ronde autour du soleil.
Nalia fut d'abord émerveillé devant tant de
couleurs si différentes mais il ne se laissa pas distraire, il lui
fallait trouver les anneaux. A condition de savoir où les chercher. Il
regarda autour de lui mais il n'y avait aucun village, ni même un
sentier, encore moins de panneaux indicateurs. Il ne lui restait plus
qu'à partir au hasard en espérant que la chance serait avec lui.
C'est ainsi que le géant s'enfonça dans la
forêt. Lui et Kako marchaient depuis deux bonnes heures lorsque le
perroquet poussa un cri de dépit : juste devant eux, le sol portait les
traces des pas d'un géant.
– Nous sommes revenus au point de départ, gronda le perroquet. Nous
n'avons pas cessé de tourner en rond.
– C'est impossible ! dit Nalia. Je suis bien certain d'avoir suivi la
direction du soleil.
– Oui, mais cette forêt est un labyrinthe, gémit le perroquet. Et nous
sommes ses prisonniers. Maudite soit Malfrosa !
Ne sachant plus que faire, Nalia s'était arrêté
et c'est alors qu'il remarqua des feuillages qui remuaient. Quelqu'un
les observait, mais qui ? Nalia fit semblant de reprendre sa route
puis, après quelques enjambées, il fit brusquement volte-face. Un petit
personnage se retrouva seul face au géant tandis que, derrière lui, un
buisson s'agitait furieusement.
Nalia s'accroupit pour observer de plus près cet
être qui n'était pas plus haut que trois pommes.
– Je m'appelle Nalia. Et toi, qui es-tu, petit garçon ?
– Crrrraaaa ! fit le perroquet. Tu n'as donc jamais vu un lutin ? Et je
suis persuadé que sa ribambelle d'amis ne doit pas être bien loin.
Le lutin lança un coup d'œil inquiet au buisson
qui resta immobile puis il se mit à raconter :
– Mon nom est Piou. Ce matin, j'ai préparé le déjeuner et j'ai fait la
vaisselle et puis j'ai aussi…
– Parle-lui de la clé ! souffla soudain une petite voix tout droit
sortie des feuillages.
– De quelle clé s'agit-il ? demanda Nalia.
– Celle dont nous avons besoin pour ouvrir la porte de notre maison. Je
l'ai oublié à l'intérieuuuur, dit Piou qui finit sa phrase en larmes.
Nalia sortit son mouchoir et le tendit au lutin
; entre ses mains minuscules, le mouchoir du géant ressemblait à une
grande nappe.
Une tête coiffée d'un bonnet rouge émergea d'un
buisson, puis une autre et une autre encore, et ainsi de suite jusqu'à
ce que Piou soit entouré par une dizaine de lutins. Ils étaient
amusants avec leur collerette en pétales de pâquerettes et leur habit
vert.
L'un d'entre eux prit la parole :
– Nous habitons une jolie maison au milieu des coquelicots mais ce
matin, Piou était si pressé d'aller jouer avec les coccinelles qu'il a
claqué la porte sans plus penser à la clé.
– Et vous n'en avez aucune autre ? demanda Nalia.
Tous les lutins firent " non " de la tête.
– Bientôt il fera nuit, dit l'un d'entre eux. Si nous ne pouvons pas
regagner notre logis, nous mourrons de faim et de froid, et je ne parle
pas des bêtes sauvages qui vivent dans ces bois.
Comme pour lui donner raison, le soleil
descendit
lentement à l'horizon tandis que l'air se rafraîchissait. Les lutins se
mirent à grelotter et ils se serrèrent les uns contre les autres pour
se réchauffer. Nalia comprit qu'il fallait agir vite.
Il ouvrit l'une de ses larges mains et proposa
aux lutins d'y grimper. Puis, guidé par Piou, il marcha jusqu'au champ
de coquelicots où se trouvait une charmante maisonnette aux murs jaunes
et aux volets bleus.
Attrapant le bord du toit entre le pouce et
l'index, Nalia le souleva délicatement ; puis, de l'autre main, il
déposa les lutins à l'intérieur de la maison avant de reposer le toit.
Quelques instants plus tard, Piou réapparaissait sur le pas de la porte
; il montrait fièrement une clé qu'il tenait à bout de bras. Ses amis
le rejoignirent et ils acclamèrent le géant.
– Tu nous as sauvé la vie, dirent-ils tous en choeur. Que pouvons-nous
faire pour te remercier ?
– Je suis à la recherche des trois Anneaux, répondit Nalia.
– Retourne dans les bois ! Au pied de l'arbre blanc se cache le
premier. Au revoir, Nalia, au revoir !
Tandis que le géant et le perroquet repartaient
vers la forêt, Piou demanda à ses amis :
– Que serait-il arrivé à Nalia s'il avait refusé de nous secourir ?
– Il aurait erré dans les bois sans plus jamais en ressortir, répondit
l'un des lutins.
– Comme tous ceux qui ont tenté leur chance avant lui et qui n'ont pas
voulu nous aider ?
– Oui, Piou. Il aurait subi le même sort.
Kako et Nalia venaient à peine de regagner la
forêt qu'ils aperçurent un grand arbre blanc. Entre ses racines
brillait un anneau d'argent portant le mot " sagesse " gravé dans le
métal. Nalia l'avait à peine rangé dans sa poche que la porte
réapparut.
A l'instant où le géant s'approchait d'elle,
elle le mit en garde :
– Gare à toi si tu me malmènes encore cette fois !
Mais le géant promit de faire attention et, la
porte à peine franchie, il se retrouva dans une nouvelle page du
grimoire.
– Quel endroit lugubre ! dit le perroquet. Crrrraaa ! Je crois que je
préférais la forêt.
Et il n'avait pas tort.
Devant eux s'étendait un large marécage sur
lequel des écharpes de brume verdâtre dessinaient d'étranges spectres
flottants au-dessus de l'eau. Il faisait chaud et humide, et la vase
stagnante dégageait une odeur qui empuantissait l'air.
Un crapaud, à l'aspect repoussant, bondit hors
de l'eau et s'adressa à Nalia :
– Coa-coa, que veux-tu, géant ?
– Savoir où trouver les trois anneaux, répondit Nalia qui n'avait
encore jamais entendu parler un crapaud.
– Je " coa " que tu devrais repartir d'où tu viens, coassa le
batracien. Si tu tiens à conserver ta pauvre vie.
– C'est une excellente idée, approuva Kako qui n'était pas rassuré.
Désolé de vous avoir dérangé, monsieur le crapaud, et le bonjour à
votre épouse. Nous repassons la porte, Nalia ?
– Non, je ne peux pas renoncer et abandonner la fille du magicien à son
triste sort.
Kako savait bien que le géant avait raison mais
il aurait donné n'importe quoi pour sortir du grimoire d'Osménarus et
ne plus jamais en entendre parler.
– Tu peux m'attendre ici, lui dit Nalia. Je me débrouillerai seul.
Le perroquet regarda s'éloigner le géant et il
eut des remords.
– Craaaa ! Il ne me reste plus qu'à guetter son retour en espérant
qu'il réussisse cette deuxième épreuve.
Le crapaud avait entraîné Nalia sur un ponton de
bois qui serpentait entre les marais et s'enfonçait au milieu de la
brume et des nuages de moustiques. Ils marchèrent ainsi un long moment
jusqu'à ce qu'ils parviennent de l'autre côté du marécage aux abords
d'une grotte si sombre qu'on ne distinguait pas grand-chose à
l'intérieur.
– Coa-coa, tant pis pour toi, géant ! Je t'aurai prévenu, coassa le
crapaud et, en trois bonds, il s'éclipsa.
Nalia était courageux mais il n'était pas
stupide. L'épreuve qui l'attendait serait difficile, le crapaud le lui
avait fait comprendre ; pourtant, le souvenir du magicien pleurant de
désespoir lui donna la force de faire quelques pas en avant... Et il
entra.
Il lui fallut attendre que ses yeux s'habituent à
la pénombre
pour découvrir que toute la caverne était tapissée d'une épaisse couche
de mousse, ce qui donnait la désagréable sensation que le sol
s'enfonçait sous les pieds au moindre pas. L'endroit était vaste et
rempli de recoins qui pouvaient dissimuler de nombreux pièges. Il
valait mieux rester sur ses gardes.
Il y eut, soudain, un bruit désagréable,
semblable à un long grincement. Nalia tendit l'oreille... Le bruit se
répéta, plus proche. Et puis une fois encore. C'est alors que Nalia
réalisa qu'il s'agissait d'une respiration ; il n'était plus seul dans
la grotte.
– Il y a quelqu'un ? demanda-t-il. Répondez-moi !
Une ombre entra en mouvement, et commença à se
déplacer.
– Qui es-tu pour oser ainsi venir troubler ma quiétude ?
– Mon nom est Nalia et je... euh, je cherche les trois anneaux,
répondit le géant tout en faisant deux pas en arrière.
Car Nalia venait de comprendre que si l'ombre
s'agrandissait de seconde en seconde, c'est qu'elle se rapprochait de
lui. D'ailleurs, il voyait nettement deux yeux injectés de sang qui le
fixaient avec cruauté.
– Aaah ! vraiment. Et tu crois que je vais obéir à ton souhait, petit
homme ?
– Vous avez raison, je n'aurais pas dû vous déranger, dit le géant que
personne n'avait encore appelé "petit homme". Je suis désol…
Mais il était trop tard. Nalia sentit des
tentacules s'enrouler autour de ses bras, de ses jambes, l'empêchant de
fuir.
– Tu tombes bien, c'est l'heure de mon repas. Et quand j'en aurai fini
avec toi, tes os iront pourrir au fond du marécage avec ceux des
autres.
Nalia tourna la tête de tous côtés en espérant
trouver de l'aide. Il vit s'ouvrir une gueule dégoulinante de bave avec
des dents comme des lames de couteaux.
S'il voulait rester en vie, c'était le moment ou
jamais de faire preuve d'initiative.
– J'ai faim, tellement faim, gronda le monstre. Je vais te...
– Relâcher ! lança Nalia en espérant de toutes ses forces que son
stratagème fonctionne.
Les yeux du monstre exprimèrent une certaine
perplexité.
– … tu crois ?
– Bien entendu, affirma Nalia en y mettant beaucoup de conviction.
Les tentacules desserrèrent leur étreinte.
– Je ne devais pas faire autre chose ? s'inquiéta le monstre qui
n'était pas très malin.
– Bien sûr que si. Me donner l'un des trois anneaux.
– Le voici, dit le monstre en plaquant une énorme griffe sous le nez du
géant.
Un anneau de vermeil portant le mot "Pouvoir" y
était accroché.
Nalia s'en empara d'un geste vif et se mit à
marcher à reculons.
– Je ne devrais pas te laisser repartir ainsi mais je ne sais plus
pourquoi ? dit le monstre qui cherchait à retrouver le fil de ses
idées.
– Parce que tu dois d'abord me souhaiter de réussir, souffla encore
Nalia qui avait enfin rejoint l'entrée de la caverne.
– Cela m'étonne, mais puisque tu le dis. Que la chance t'accompagne,
petit homme !
– Merci ! s'écria Nalia et il s'enfuit en courant de toute la vitesse
de ses jambes.
Il disposait de peu de temps avant que le
monstre ne réalise qu'il avait été berné et qu'il ne se lance à sa
poursuite.
En quelques enjambées, Nalia avait rejoint le
ponton qu'il entreprit de parcourir en sens inverse mais celui-ci lui
parut deux fois plus long au retour qu'à l'aller. Quand Nalia aperçut,
enfin, Kako qui l'attendait devant la porte, il était à bout de souffle
et sentait ses forces l'abandonner.
– Hâte-toi ! lui cria le perroquet. Un monstre horrible te poursuit et
il ne tardera plus à te rattraper !
Nalia jeta toutes ses forces dans les derniers
mètres. Il n'avait pas besoin de se retourner pour savoir que le
monstre gagnait du terrain, il entendait de plus en plus nettement
l'affreux craquement du ponton lacéré par les griffes.
La dernière chose que Nalia aperçut avant de
claquer la porte fut une gueule béante puis plus rien. Il n'entendit
pas le cri du monstre quand il s'écrasa contre le robuste obstacle en
chêne.
Le géant était, enfin, en sécurité à l'intérieur
du grimoire.
Nalia resta ainsi durant quelques minutes, le front appuyé contre la
porte, afin de retrouver son souffle.
Puis, il se retourna.
Le décor s'était métamorphosé. Nalia avait
échappé à l'enfer, il découvrait maintenant ce qu'était le paradis.
Vous ignorez à quoi cela peut ressembler ?
D'accord, je veux bien vous aider mais faites un petit effort
d'imagination, et les images apparaîtront toutes seules devant vos
yeux.
Prenez un jardin, immense, où s'épanouissent des
roses par milliers, embaumant l'air de leur délicat parfum. Il y a
aussi des bassins décorés de gracieuses statues et des fontaines qui
déversent une eau fraîche et limpide.
Ca y est ! Vous y êtes ? Alors je continue
Sous les frondaisons des saules pleureurs se
cachaient des balancelles aux coussins tendus de soie et, dans le
sous-bois, on pouvait admirer des paons qui faisaient la roue et des
biches qui promenaient leurs faons.
Quelques notes de musique s'échappèrent dans
l'air, délicates, légères. Une brise malicieuse les captura et les
changea en une douce mélodie qui charma tant et si bien Nalia qu'il se
laissa envoûter et se mit à la suivre, le regard trouble, le nez au
vent.
C'est ainsi qu'il la vit pour la première fois.
Imaginez un sofa de satin ivoire sur lequel
serait allongée la plus délicieuse créature qu'un peintre puisse
dessiner ! Elle a un teint de pêche, des yeux d'émeraude, un nez fin,
des lèvres semblables aux cerises sous la rosée du matin.
Nalia tomba à ses genoux et il resta ainsi, un
long moment, à la contempler en silence.
Enfin, la jeune fille parut s'apercevoir de sa
présence.
– Quel est ton nom, bel étranger ? lui demanda-t-elle, et sa voix était
le chant d'un rossignol.
– Nalia. Je veux… je cherche… je…
– Si tu le désires, tu resteras à mes côtés pour l'éternité.
Acceptes-tu, bel étranger ? lui murmura-t-elle, et son regard
d'émeraude plongea dans celui de Nalia qui sentit une douce torpeur
l'envahir.
– Oui, pour l'éternité, répéta-t-il et il ne reconnut pas sa propre
voix.
– Prends et glisse-le à ton doigt, dit la belle en tendant à Nalia un
anneau d'or.
A l'instant où Nalia allait s'en saisir, le
perroquet laissa tomber un caillou sur la tête du géant.
– Aïe !! s'écria Nalia en se frottant le crâne. Que t'arrive-t-il,
Kako, serais-tu devenu fou ?
– C'est à toi qu'il faut poser cette question, répondit Kako. Regarde
le vrai visage de ta belle maintenant que le charme est rompu.
Kako avait raison.
La pierre avait rendu tous ses esprits au géant
et Nalia ouvrit des yeux effarés en découvrant que la belle, sur le
sofa, avait disparu. A sa place se trouvait un petit asticot jaune et
bleu qui gigotait, un anneau d'or passé autour du corps.
– Euh… salut ! dit l'asticot qui semblait mal à l'aise. Belle journée !
Pas vrai ?
– Craaaaa ! fit le perroquet. Je crois que j'ai faim et j'aperçois un
ver qui remplirait bien mon estomac.
– Non, pitié ! implora l'asticot. Prenez l'anneau mais laissez-moi la
vie !
Nalia s'empara de l'anneau d'or et la porte
apparut à nouveau, mais le géant hésita :
– Qu'attends-tu pour ressortir du grimoire ? s'étonna la porte en
chêne. Je ne peux rester ouverte entre deux mondes indéfiniment, il
faut te décider.
Le visage de Nalia reflétait une grande
déception :
– Comment ai-je pu confondre une jeune fille avec un vermisseau ?
demanda-t-il au perroquet. Quel dommage ! Elle paraissait si réelle et
si belle à la fois.
– Ce lieu est victime d'un terrible sortilège, expliqua Kako. Si j'ai
pu y échapper c'est parce que je suis un perroquet. Heureusement pour
toi.
Nalia découvrit que le mot inscrit sur l'anneau
était "Amour". La simple idée qu'il aurait pu tomber amoureux fou d'un
asticot, même jaune et bleu, le glaça d'effroi.
– Je n'oublierai pas ce que tu as fait pour moi, Kako, dit Nalia avec
reconnaissance. Et je promets de veiller sur toi aussi longtemps que tu
vivras.
– Oooh ! méfie-toi, Nalia. L'un de mes amis a fini centenaire.
Et ils franchirent, pour la dernière fois, la
porte de chêne qui se montra très émue à l'idée de ne plus revoir le
géant.
- Fais bon usage de ces anneaux, Nalia, et que la vie te soit longue et
heureuse. Adieu, géant ! Adieu, perroquet !
Et soudain les bords du grimoire commencèrent à
s'effacer petit à petit jusqu'à ce qu'il ait totalement disparu.
– Bon débarras ! s'écria Kako. Allons donc retrouver cette vilaine
sorcière et quittons vite ce pays.
Ils reprirent le chemin poussiéreux et
caillouteux qui devait les ramener chez Malfrosa mais ils n'avaient pas
fait dix pas qu'un chant mélodieux caressa leurs oreilles.
Oubliant ce qui lui était déjà arrivé, Nalia se
laissa guider par la voix. Bientôt, il disparut derrière un bouquet
d'arbres.
– Allons bon, soupira le perroquet. Je croyais pourtant que s'en était
fini avec tous ces maléfices. Il vaut mieux que je le suive pour lui
éviter d'autres bêtises.
En trois coups d'aile, Kako rattrapa son ami et
il s'attacha à lui jusqu'à ce qu'ils parviennent devant une jeune fille
prisonnière d'un cercle magique.
Nalia fut ébloui ; elle était belle ! Belle comme
un rêve.
– Hélas, c'est sans doute un autre charme, s'exclama Nalia en se
frottant les yeux pour se réveiller. L'asticot est donc sorti du
grimoire ?
– Non, répondit Kako. Cette jeune fille est bien réelle. Mais qui
est-elle ?
Surprise de découvrir, devant elle, le géant et
le perroquet, la prisonnière répondit :
– Je suis Illyss, la fille du magicien. Malfrosa a jeté sur moi un
terrible sortilège et personne ne pourra me libérer.
– Mon nom est Nalia, dit le géant. J'ai affronté le grimoire pour
pouvoir te sauver. Regarde ! Voici les trois anneaux, bientôt tu seras
libre.
– Tu te trompes, Nalia, répondit Illyss. Dès que Malfrosa tiendra entre
ses mains l'anneau de vermeil, celui qui donne le Pouvoir, plus rien ne
pourra l'empêcher de réduire le monde en esclavage.
Le visage de Nalia s'assombrit.
Il ne fallait pas laisser la sorcière parvenir à
ses fins mais comment déjouer son affreux projet ? Soudain, une idée
jaillit dans l'esprit du géant.
– Il faut me faire confiance, Illyss. Je reviendrai te chercher.
Nalia repartit avec Kako à qui il expliqua son
plan en chemin, et ils se rendirent chez la sorcière.
Quand Malfrosa vit que le géant était de retour,
elle ouvrit des yeux médusés. Persuadée qu'il périrait comme tous les
autres avant lui, elle l'avait très vite rangé dans une oubliette de sa
mémoire.
– Tu as vaincu le grimoire ! s'écria-t-elle. J'avoue que je ne te
croyais pas capable de réussir les épreuves.
Elle lui fit son plus beau sourire et Kako se
cacha vivement derrière un arbre. Brrr ! Elle était laide à
faire peur.
– Tu possèdes les trois anneaux, mon jeune ami ?
– Oui, je les ai tous, répondit Nalia en ouvrant la main pour les lui
montrer.
Le géant dut faire un effort pour ne pas éclater
de rire en voyant le regard de la sorcière briller de convoitise.
– Oh ! Quelle merveille, s'extasia Malfrosa.
– Voici l'anneau de la Sagesse, dit Nalia. Celui de l'Amour et le
dernier est celui du Pouvoir.
Tout en disant ces mots, il tendit à Malfrosa
l'anneau d'argent. D'un geste plus vif que l'éclair, la sorcière
s'empara de l'anneau et le glissa à son doigt.
– Je détiens le Pouvoir !!! hurla-t-elle si fort que les araignées en
tombèrent de leur toile.
– Je suis la reine des Sorcières ! cria-t-elle et les chauve-souris se
bouchèrent les oreilles.
– Je suis très-très sage, murmura-t-elle.
Et les scorpions, et les scolopendres
s'approchèrent car ils ne pouvaient en croire leurs oreilles : Malfrosa
chantonnait une berceuse pour enfants.
– Craaaa ! fit Kako en venant se poser sur la tête de la sorcière. Ton
stratagème a fonctionné. La voilà plus docile qu'un mouton.
– Comment libérer Illyss ? demanda Nalia à Malfrosa.
– Avec une pincée de cette poudre, dit-elle en tendant au géant un
petit pot de verre. Je regrette d'avoir enfermé une si gentille
personne, j'ai honte de m'être montrée si méchante et je promets de ne
plus jamais recommencer.
Et une grosse larme coula sur la joue de la
sorcière.
Tandis que Malfrosa attrapait son balai et son
chiffon à poussière, et se lançait dans un grand nettoyage de
printemps, Nalia partit délivrer Illyss et la ramena à son père.
Lupin remercia cent fois Nalia de lui avoir
rendu sa fille et il lui demanda comment il pouvait lui prouver sa
reconnaissance.
– Mes parents sont malheureux car je suis un géant, répondit
celui-ci. Ne puis-je être simplement un homme comme les autres ?
Lupin mit la bague du Pouvoir à son annulaire
puis il prononça une formule magique. Aussitôt Nalia sentit sa taille
diminuer et bientôt il ne fut pas plus grand qu'Illyss qui posa sur lui
un regard plein de tendresse.
Alors Nalia laissa l'anneau d'or sur la table
car il n'en avait pas besoin pour se faire aimer de la fille du
magicien et ils repartirent tous ensemble vers le Pays bleu où Nalia et
Illyss décidèrent de se marier.
Ce fut la plus belle fête qu'on ait jamais vue
au village où toutes les maisons avaient été décorées de rubans bleus.
Les cloches sonnaient à toute volée et les habitants entouraient les
mariés pour les féliciter lorsque Kako le perroquet apparut dans le
ciel, tout essoufflé.
Il vint se poser sur l'épaule de Nalia et
implora sa protection.
– Que t'arrive-t-il, mon ami ? lui demanda Nalia. Toi qui m'as aidé à
vaincre les maléfices du grimoire devant quoi pourrais-tu trembler de
peur désormais ?
– Je dois avouer que j'ai volé l'anneau d'or, dit le perroquet un peu
embarrassé, et que je m'en suis servi pour plaire aux perruches. Je
crois que je n'aurai pas dû.
A cet instant, une nuée de perruches de toutes
les couleurs apparut dans le ciel. Heureusement, elles ne purent
apercevoir Kako que Nalia avait caché sous sa chemise et elles
poursuivirent leur chemin sans s'arrêter. Le perroquet jeta au fond
d'un puit l'anneau d'or ensorcelé, et il vécut longtemps et très
heureux aux côtés d'Illyss et de Nalia.
Vous voulez savoir ce qu'est devenu Malfrosa ?
La clairière où elle vit est devenue un modèle
de propreté que l'on cite en exemple dans tout le pays. Quant à la
sorcière, elle vient de fonder un club de broderie et même ses amies
les araignées décorent leurs toiles au point de croix. Comment ! Vous
ne me croyez pas ?