Maëlys des étoiles

partie 2

par Claude Jego

Les jours suivants, Maëlys eut beaucoup de devoirs à faire et de leçons à apprendre ; c'est donc avec plaisir qu'elle vit arriver les vacances de Pâques. La petite fille songea à ces deux longues semaines - soit quinze jours complets ou encore trois cent soixante heures - uniquement consacrées à la détente. Chouette !
Elle reprit la liste de toutes les activités qu'elle et ses amies avaient prévues de réaliser et la scotcha sur le mur. Ah ! les vacances. Sans elles, l'école n'aurait aucun charme.
Elle éprouva pourtant un léger regret. Ses cousins venaient de partir à la montagne avec, au programme : glissades en luge et balades en raquettes.
"Moi qui adore les bonhommes de neige, pensa Maëlys, j'en aurais fait un très gros, avec un ventre rebondi comme celui de l'oncle Julien. Mais j'ai peut-être une solution de rechange."
La petite fille ouvrit le tiroir du bureau, et en sortit une feuille de papier et des crayons de couleur. Avec le gris souris, elle coloria un ciel rempli de neige, avec le vert émeraude elle fit pousser une forêt de sapins, avec le brun caramel elle bâtit une belle cabane de rondins, et à coups de crayon blanc, elle fit tomber des milliers de flocons qui recouvrirent la nature d'un épais manteau neigeux.
Satisfaite de son dessin, Maëlys ferma les yeux très fort, puis les rouvrit… Rien ne s'était passé. L'effet magique des crayons n'avait pas fonctionné.
- Zut ! ça ne marche pas, marmonna la petite fille en parlant à haute voix. Décidément, Maëlys, tu as trop d'imagination.
- Je suis entièrement d'accord avec ma fille adorée, confirma la maman en entrant dans la chambre. Tu ferais mieux de rejoindre tes amies qui t'attendent dans le couloir, je crois qu'il est question de cinéma.
- La séance de quinze heures ! s'écria Maëlys en jetant un coup d'œil à sa montre. Je l'avais oubliée.

Aussitôt, elle se précipita hors de sa chambre et tout en dévalant l'escalier, elle cria : Je ne rentrerai pas tard !
- N'oublie pas ton manteau ! eut le temps de dire la maman avant que la porte d'entrée ne claque.

Puis elle ramassa les chaussettes qui traînaient sur le tapis, et rangea le dessin et les crayons de couleur dans un tiroir. Décidément, sa fille garderait toujours une préférence marquée pour le désordre.
Maëlys passa un après-midi bien agréable en compagnie de ses amies. Le film, projeté dans le petit cinéma de quartier, s'appelait "Les sept clés" et racontait l'histoire d'un jeune garçon qui trouve un trousseau de clés oublié au fond d'un vieux coffre. Avec chaque clé, il allait pouvoir entrer dans un monde différent, rencontrer des personnages gentils ou méchants, et il finirait par se débarrasser des clés quand il réaliserait qu'aucun monde ne pouvait le rendre plus heureux que celui dans lequel il vivait.
Après la séance, les quatre amies eurent une discussion à bâtons rompus où chacune essaya d'imaginer la clé qu'elle aurait choisie à la place du jeune héros. Mais impossible de se mettre d'accord !
L'après-midi se termina enfin devant une grande tasse de chocolat chaud préparé par la maman de Ludivine et les quatre amies se séparèrent.

* * *

La nuit suivante, Maëlys rêvait qu'elle était poursuivie par une clé gigantesque quand le tintement d'une clochette la réveilla.
Aussitôt, elle alluma la lumière mais elle eut beau écarquiller les yeux, aucun dragon ne se trouvait dans la chambre. Déçue, elle allait remettre sa tête sur l'oreiller quand une petite voix se fit entendre :
- Bonjour !
"Voilà que j'entends des voix, pensa Maëlys en constatant que la pièce était vide. Maman a raison : j'ai trop d'imagination."
Elle s'apprêtait à éteindre la lampe lorsque la petite voix retentit à nouveau :
- J'ai dit "bonjour !"

D'un bond, Maëlys se redressa dans son lit et jeta des regards inquiets tout autour d'elle.
- Tu n'as pas l'air très douée ! se moqua la petite voix. Je suis ici… près de tes chaussons.

Maëlys baissa les yeux et découvrit un étrange personnage qui se tenait à côté du lit.
Vêtu d'un habit de laine vert, les pieds chaussés de bottines, il était coiffé d'un long bonnet terminé par un pompon. Avec sa barbe blanche et sa petite taille - il atteignait à peine la couette - il ressemblait à un enfant qui aurait vieilli trop vite.
- Qui es-tu ? s'exclama la petite fille. Et que fais-tu là ?
- Tu es vraiment mal élevée, lui répondit le petit personnage en fronçant les sourcils. Car tu n'as pas répondu à mon salut. Fais donc attention la prochaine fois ! Je suis un troll et je vis en Scandinavie. Si je suis là c'est par ta faute, ce matin tu as dessiné mon domaine au milieu de ton paysage de neige.
- Moi, j'ai fait cela ? s'écria Maëlys. Mais, sur ma feuille, il n'y a que des arbres et une cabane !
- Bien entendu, puisque mon domaine est invisible, répondit le troll avec un haussement d'épaules. Sinon les touristes se bousculeraient pour venir nous prendre en photo et la vie deviendrait vite impossible pour nous, les trolls.

Maëlys se demanda comment elle avait pu dessiner une chose qui était invisible mais elle n'eut pas le temps de poser sa question. Le troll avait escaladé le couvre-pieds pour s'asseoir sur le lit.
Il ôta son bonnet et expliqua :
- Mon nom est Boggar et j'habite avec tous les miens dans le domaine des Mille Neiges. Un vieil homme, du nom de Tim, vivait sur nos terres dans une cabane de rondins qu'il avait construite de ses propres mains. C'était un grand voyageur qui avait traversé de nombreux pays, et amassé un véritable trésor au fil du temps. Hélas, il y a un mois de cela, ce pauvre Tim est mort et des gens malhonnêtes sont venus rôder autour de la cabane, à la recherche de son trésor. C'est alors que mes amis et moi avons décidé de cacher l'argent pour qu'il ne tombe pas entre de mauvaises mains.

Boggar eut une hésitation avant de poursuivre :
- Seulement, le vieux Tim avait deux fils qui sont venus vivre, à leur tour, dans la cabane. Ils ne sont pas très riches et cet argent leur serait très utile.

Boggar paraissait soudain embarrassé ; il s'était mis à triturer son bonnet entre ses doigts.
- Je ne vois pas où est le problème ? s'étonna Maëlys. Il suffit de leur rendre ce trésor.
- J'ai oublié où se trouve la cachette, avoua le troll, mal à l'aise.
- Tu as oublié où se…

Les joues empourprées, Boggar ne la laissa pas poursuivre :
- Tu as très bien compris, alors inutile de répéter. Cela ne t'arrive jamais d'être distraite ?
- Et en plus tu as mauvais caractère, fit remarquer la petite fille. Mais pourquoi es-tu venu me chercher ?
- C'est le dragon qui me l'a conseillé.

"Le dragon ! Il ne manque plus que lui dans cette histoire de fous, pensa Maëlys. Comment un troll peut-il demander de l'aide à un dragon chinois ?"
- Tu veux que je retrouve le trésor ? Mais j'ignore comment faire ?
- Tu as bien réussi pour le cerf-volant, répliqua Boggar. Allons, dépêche-toi de t'habiller ? Je ne suis pas en vacances, moi ! mon travail m'attend.

Maëlys quitta son lit à regret, et enfila des vêtements chauds, des bottes et prit son bonnet.
- Je suis prête, dit-elle enfin.
- Ce n'est pas trop tôt, maugréa le troll. Et Hop ! on est partis.

* * *

A la seconde suivante, Maëlys et Boggar réapparurent au milieu d'une immense forêt de sapins, les pieds enfoncés dans la neige ; autour d'eux, des milliers de flocons descendaient joliment du ciel en virevoltant.
- Brrr ! Il fait froid, fit Maëlys. Je n'ai jamais vu autant de neige de toute ma vie.
- C'est normal puisque nous sommes en Scandinavie, grommela Boggar. La prochaine fois je cacherai mon trésor sur une île au soleil.
- Quel grincheux, tu fais ! protesta la petite fille. Où va t-on maintenant ?
- Je t'emmène découvrir mon domaine, répondit Boggar, et faire connaissance avec les trolls. Mais d'abord, je vais réduire ta taille pour que tu puisses me suivre. Et hop !
Aussitôt Maëlys se sentit rétrécir, et bientôt elle ne fut pas plus haute que son étrange compagnon ; elle découvrit alors l'entrée d'une grotte qui s'enfonçait sous terre et où régnait une chaleur si douce que la petite fille se dépêcha d'ôter son manteau.
Boggar la guida dans ce qui ressemblait à un labyrinthe illuminé par des milliers de lampions. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, les trolls surgissaient de tous côtés. Ils étaient d'un caractère joyeux et se précipitaient à la rencontre de la petite fille.
- Bonjour, je suis Pok, dit le premier en rougissant.
- Je suis Amdar, dit le deuxième en ôtant son bonnet pour la saluer.
- Moi, c'est Janok, fit le troisième avec un grand sourire.
- Et je suis…

Maëlys ne sut jamais comment s'appelait le quatrième, car Boggar perdit patience. Il prit Maëlys par la main et l'entraîna jusqu'à la maison de leur chef, Tillik. Celui-ci avait des joues rouges comme des pommes et un ventre si rebondi qu'on ne voyait plus sa ceinture.
Pendant que Lila, son épouse, servait à chacun un morceau de gâteau et une tasse de chocolat chaud, le chef raconta comment les trolls et les humains vivaient en bonne harmonie depuis la nuit des temps :
- Les humains nous considèrent comme leur porte-bonheur, et pour nous remercier de veiller sur eux, ils déposent de la nourriture au pied des sapins. Ainsi nous ne manquons jamais de rien. Hélas, parfois il arrive qu'un humain tente de capturer l'un d'entre nous, pour le mettre en cage.
- C'est affreux ! s'exclama Maëlys. Pourquoi font-ils une chose pareille ?
- Pour être bien certain que la chance ne les quitte jamais.
- Donc quelqu'un du village a surpris Boggar pendant qu'il cachait le trésor du vieux Tim et a tenté de l'attraper ?
- Tu as deviné, Maëlys. Boggar a pu s'enfuir mais il a éprouvé une telle frayeur qu'il en a oublié la cachette.
- Il n'y avait personne pour lui venir en aide ?
- Dranar, un jeune troll, l'avait accompagné, répondit Tillik, mais il n'a rien pu faire. Les choses sont allées trop vite.

Maëlys se dit que le problème n'allait pas être facile à résoudre, et qu'elle devrait faire appel à tout son bon sens pour y parvenir. Pourtant une question la chiffonnait :
- Vous avez sûrement d'autres cachettes pour dissimuler vos trésors, dit-elle. Cela pourrait me mettre sur la piste…

Boggar secoua la tête avec tristesse :
- J'ai vraiment tout oublié, dit-il.

Tillik et Lila expliquèrent alors à la petite fille que si les trolls ne rendaient pas le trésor, les humains n'auraient plus confiance en eux, et ne leur donneraient plus de nourriture.
- Que deviendrons-nous ? s'inquiéta Lila. Dans le froid et la neige, nous ne pourrons pas survivre.
- Je vais essayer de vous aider, dit Maëlys. Il faudrait que je me rende sur place avec Boggar.
- C'est d'accord, approuva Tillik. Mais Dranar vous accompagnera.

Les trolls escortèrent Boggar et Maëlys jusqu'à l'entrée de la grotte où les attendait un traîneau tiré par un beau renard blanc, et mené par Dranar, un jeune troll très malicieux.
"Bonne chance ! s'écrièrent-ils quand le traîneau s'élança sur la neige. Bonne chance et retrouvez le trésor !"
Chaudement emmitouflés dans d'épaisses fourrures, nos trois amis parcoururent la forêt, emportés par cet étrange attelage. Ils se faufilèrent entre les grands sapins verts, franchirent un vaste étang en glissant sur sa surface gelée, et bientôt ils furent en vue de la cabane.
Le vieux Tim l'avait construite grande et robuste, avec une belle cheminée de pierre, et quatre minuscules fenêtres à cause du vent glacial qui soufflait parfois en rafales. A l'extérieur, un gros tas de bûches était adossé contre un mur, il servait à faire de bons feux de bois.
- De la fumée sort par la cheminée, fit remarquer Dranar. Les fils de Tim sont là. Il vaut mieux qu'ils ne nous voient pas.
- Comment s'appellent-t-ils ? demanda Maëlys.
- Bjorn et Angus. Ce sont des géants avec des mains si énormes qu'ils pourraient écraser un troll entre deux doigts.

Maëlys pensa que le jeune troll aimait exagérer les choses puis elle se tourna vers Boggar pour lui demander si les souvenirs lui revenaient. Hélas, c'était toujours le trou noir.
- Moi, je connais des cachettes que Boggar m'a montrées un jour où il était de bonne humeur, dit alors Dranar.
- C'est vrai ? s'exclama Maëlys. Lesquelles ?

Dranar prit un air important :
- Il y a celle qui est au pied du sapin 72. Boggar l'a nommé ainsi parce qu'il a 72 branches et que le nombre de ses aiguilles se monte à 12 millions trois cent…
- Ouiiiii ! s'écria Boggar en faisant un bond dans le traîneau. Je m'en souviens ! Une autre, Dranar, vite ! La mémoire va me revenir.

Très fier de son succès, Dranar ouvrit largement les bras et s'écria :
- La poésie !
- Euh… , fit Boggar qui se gratta la tête en cherchant. Non, celle-là je ne vois pas.
- Mais si ! reprit le jeune troll avant de réciter :
"Et quand vient le soir On ne peut plus voir Le trésor que Boggar Cache derrière l'abreuvoir."
- Oh ouiiii ! s'écria à nouveau Boggar. Sous le hangar des rennes. Quelle bonne idée j'avais eu ce jour-là.

Maëlys se prit la tête entre les mains pour dissimuler son air effaré. Jamais elle n'y arriverait !
Dranar se tourna vers elle, un large sourire sur les lèvres :
- Nous sommes contents d'avoir pu t'aider, Maëlys.
- M'aider ? Mais je ne vois pas comment…
- Oui, bien sûr. Tu dois bien avoir une petite idée grâce à nous ?
- Euh… , on en reparlera plus tard, répondit la fillette. J'aimerais voir cet abreuvoir.

Et c'est ainsi que le traîneau s'élança à nouveau sur la neige, dans un nuage de poudreuse. Dranar les mena sur les hauteurs d'une colline d'où ils purent admirer les lumières de la ville au fond de la vallée puis ils parvinrent de l'autre côté de la forêt. Un troupeau de rennes se régalait de fourrage et, sous un abri, on pouvait apercevoir un abreuvoir, plein d'eau fraîche, taillé à même un tronc d'arbre.
"C'est donc là que se trouve l'une des meilleures cachettes de Boggar", pensa Maëlys.

Puis, à haute voix, elle demanda à quoi servaient ces animaux ?
Les deux trolls en restèrent muets de surprise. Il existait donc une petite fille qui ne savait pas… Ca alors ! C'était incroyable.
Et avec un bel ensemble, ils lui lancèrent :
- A tirer le traîneau du père Noël !

Puis ils sautèrent en bas du traîneau et coururent jusqu'au pied de l'abreuvoir ; une grosse pierre dissimulait un trou creusé à même le sol, dans lequel il restait encore une jolie pièce en or.
- Et voilà ! dit Dranar en tendant la pièce à bout de bras.

Maëlys se demanda comment on pouvait avoir des idées aussi saugrenues.
- N'importe qui pourrait trouver ces cachettes, soupira-t-elle.
- Sauf les humains, répliqua Boggar, piqué au vif. Ils n'ont peut-être pas de cerveau ?
- Et les trolls n'ont pas de mémoire ! rétorqua Maëlys, vexée à son tour.

Le jeune Dranar s'interposa vivement :
- Si nous échouons, Tillik, notre chef, nous tirera les oreilles et elles sont déjà si grandes et si pointues que nous n'arriverons plus à les cacher sous nos bonnets.

Boggar et Maëlys hésitèrent mais la petite fille n'était pas d'une nature coléreuse ; elle tendit la main à Boggar et ils firent la paix.
C'est au moment de remonter dans le traîneau, qu'elle glissa sur une plaque de verglas et s'étala à plat ventre dans la neige…

* * *

- Maëlys, réveille-toi ! Tu as promis à tes amies d'aller à la piscine avec elles, ce matin. Le petit déjeuner est prêt !
Maëlys ouvrit les yeux et son escapade en Scandinavie lui revint à l'esprit.
Après sa chute, elle s'était retrouvée, à nouveau, dans sa chambre, avec ses vêtements humides qu'elle s'était empressée de faire sécher. Mais pour le moment, il n'était pas question de neige et de trésor ; c'était les vacances, et Maëlys avait bien l'intention d'en profiter.
Après une dizaine de plongeons, et trois ou quatre fois la longueur du grand bassin en nage crawlée, Maëlys et ses amies ressortirent de la piscine, épuisées mais enchantées.
Elles se retrouvèrent l'après-midi à la fête foraine où elles hurlèrent de peur sur le "grand-huit" et le "train fantôme" avant de se régaler en mangeant une barbe à papa.
Le soir, Maëlys s'écroula dans son lit et s'endormit aussitôt.
La petite fille dormait d'un profond sommeil quand elle réalisa que quelqu'un la secouait sans ménagement ; elle ouvrit un œil et aperçut un bonnet vert.
- Oh ! non, par pitié. Laisse-moi tranquille, je suis tellement fatiguée.
- Je m'en suis rendu compte, figure-toi ! maugréa Boggar. J'ai même cru que tu allais te mettre à ronfler.
- Je ne ronfle jamais, protesta Maëlys qui se redressa dans son lit, complètement réveillée cette fois. Pourquoi ne fais-tu pas un nœud à ton mouchoir quand tu dois te souvenir de quelque chose ?
- Me souvenir de quoi ? demanda le troll en ouvrant de grands yeux étonnés.

Maëlys soupira.
- D'accord, je me rends.

Elle se leva, s'habilla chaudement puis fit signe au troll :
- On peut y aller.
- Tu en as mis du temps, ronchonna Boggar. Et hop !

* * *

Dranar et le traîneau les attendaient, bien sagement abrités sous de grands sapins.
- Bonjour Maëlys ! Tu sais où nous devons chercher le trésor ?
La petite fille s'était posée la question durant de longues minutes sans trouver la solution mais elle avait, quand même, une idée.
- Bonjour Dranar ! Quand je suis avec mes amies, nous jouons parfois à un jeu très simple. Je donne une lettre de l'alphabet et il faut trouver un mot qui commence par cette lettre. Par exemple A, comme :
- Amnésique, s'exclama joyeusement Dranar, ce qui eut pour effet de faire grogner Boggar.
- A ton tour, Boggar, dit Maëlys. B comme
- Bois.

La jeune fille jeta un coup d'œil sur l'immense forêt qui les entourait. Il valait mieux que Boggar n'ait pas eu l'idée saugrenue de cacher le trésor au pied d'un sapin portant un nombre précis d'aiguilles, sinon…
- C, proposa-t-elle.
- Coffre.
- Pourquoi "coffre" ? s'étonna Maëlys.
- A cause de celui qui renfermait le trésor du vieux Tim.
- Tu savais où il l'avait caché ?
- Tim me l'avait dit. Depuis le temps qu'on se connaissait lui et moi. Et puis, on s'entendait bien tous les deux : il passait ses journées à râler.

Maëlys songea qu'il n'y avait rien de pire qu'un troll. Sauf " deux " trolls.
- Donc tu prends le trésor dans le coffre…
- Oui. Tobias le bûcheron me surprend et j'oublie où j'ai caché l'argent.

Maëlys ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle n'en croyait pas ses oreilles.
- Mais alors le trésor est caché dans la cabane ? dit-elle. Il ne peut pas être ailleurs.

Les deux trolls la contemplèrent avec un immense respect dans leurs yeux.
- Tu es drôlement forte ! lâcha Dranar, admiratif.
- Oui, je dois reconnaître que le dragon avait raison, reconnut Boggar. Tu es exceptionnelle.

Maëlys se lamenta à voix basse :
- Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? En ce moment, je serais bien au chaud sous ma couette, au fond de mon lit. Pauvre de moi.

Puis, à voix haute, elle dit à ses deux compagnons : On retourne là-bas !
Le traîneau les emmena rapidement. En arrivant, ils constatèrent qu'aucune fumée ne sortait par la cheminée : les deux fils du vieux Tim s'étaient absentés.
Maëlys sauta hors du traîneau et tourna la poignée de la cabane ; la porte s'ouvrit facilement.
Le coffre se trouvait au fond de la salle à manger, à côté d'une grande armoire en bois sculpté.
- Les pièces d'or étaient enroulées dans ce foulard rouge, dit Boggar en soulevant le couvercle. Soudain, Tobias est arrivé sur son scooter des neiges. Quand j'ai entendu le bruit du moteur, j'ai caché le trésor, puis j'ai sauté dans le coffre mais le pompon de mon bonnet dépassait, et dès que Tobias l'a aperçu, il a tenté de m'attraper.
- Je l'ai entendu appeler, continua Dranar. Je me suis précipité. Quand j'ai vu Boggar entre les mains de Tobias, j'ai pris un tison dans l'âtre de la cheminée et je l'ai utilisé pour l'obliger à lâcher prise. Ainsi nous avons pu nous enfuir tous les deux.

Maëlys fit le tour de la cabane qui n'était pas très grande. Il n'y avait qu'une chambre et une pièce principale avec quelques meubles, une vieille peau d'ours jetée à même le plancher devant l'âtre, une belle lampe à pétrole au verre dépoli et une photo jaunie dans un cadre.
Maëlys essaya de faire appel à son bon sens. Entre le coffre et la porte, il n'y avait que quelques mètres, et Boggar n'avait eu que peu de temps pour dissimuler le trésor, qui se trouvait donc forcément toujours dans la pièce principale.
Aidés par les trolls, elle se mit à fouiller chaque meuble, chaque recoin, mais en vain.
- C'est sans espoir, nous n'y arriverons pas, gémit Boggar après de longues minutes de recherches. Je n'ai plus qu'à m'exiler à l'autre bout du monde…
- Boggar ! Tu m'empêches de réfléchir, gronda Maëlys en regardant tout autour d'elle. Ce trésor est bien caché puisque personne ne l'a retrouvé...

La petite fille leva la tête et découvrit une tête de renne accrochée sur le mur comme un trophée de chasse ; à en juger par les toiles d'araignée qui la recouvraient, elle devait être là depuis longtemps.
Maëlys escalada le coffre ce qui lui permit d'atteindre facilement le dessus de l'armoire.
- J'espère que tu as eu une idée de génie, Boggar, dit-elle au troll qui la suivait des yeux avec inquiétude.
    Mais alors que Maëlys posait la main sur la tête empaillée, on entendit de grosses voix d'hommes qui provenaient de l'extérieur.
- Les fils de Tim ! jeta Dranar avant de sauter dans le coffre.

Boggar fit de même mais avant il rapetissa Maëlys (et Hop !) qui se coucha à plat ventre sur le dessus de l'armoire.
Et la porte d'entrée s'ouvrit sur Bjorn et Angus.
En début d'après-midi, ils étaient allés faire quelques courses au village voisin mais, sur le chemin du retour, le froid était devenu si vif qu'ils avaient marché à grands pas pour regagner leur cabane.
Tandis qu'ils déposaient leurs provisions sur la table, Maëlys risqua un œil du haut de sa cachette, et c'est alors qu'elle aperçut un pompon qui dépassait du coffre. Hélas, Bjorn l'avait vu, lui aussi.
Il souleva le couvercle et les deux trolls jaillirent en poussant des cris de terreur. Malgré leurs petites jambes, ils se mirent à courir dans tous les sens, passant et re-passant sous la table, tournant autour des chaises. Les fils de Tim n'arrivaient pas à s'en saisir.
- J'en tiens un ! cria l'un des deux frères en tenant Boggar bien serré entre ses grosses mains.
- Je vais chercher la cage, répondit l'autre en se précipitant dans la chambre. Ensuite, on aura l'autre.

Maëlys se mit debout sur le dessus de l'armoire et, hop ! d'un grand coup de pied elle fit chuter la tête de renne qui éclata sur le sol, libérant une brassée de pièces d'or. Elles se répandirent sur le plancher dans un joyeux et bruyant cliquetis.
En voyant ce trésor qui leur tombait du ciel, les deux frères n'en crurent pas leurs yeux ; oubliant les trolls, ils se précipitèrent pour ramasser les pièces en poussant des cris de joie.
Tandis qu'ils lui tournaient le dos, Maëlys en profita pour redescendre de l'armoire, et rejoindre Boggar.
- Vite ! Rends-moi ma taille !

Boggar obéit, et Maëlys, redevenue grande, empoigna les trolls puis, d'un bond, elle sauta par la fenêtre pour atterrir dans la neige. Boggar lui rendit à nouveau sa petite taille, et bientôt le traîneau, mené à un train d'enfer par Dranar, les emporta à travers la forêt.
Leur retour dans le domaine des trolls fut triomphal ; ils s'avancèrent sous les "hourras" et les applaudissements du petit peuple. Le trésor avait été rendu à ses propriétaires, l'honneur des trolls était sauf.
- Jamais je n'oublierai ce que tu as fait pour moi, Maëlys, dit Boggar.
- Aucun d'entre nous ne l'oubliera, affirma Tillik. Et ce soir, nous allons faire la fête. A nous, la musique et le chocolat chaud !

Jusque tard dans la nuit, les trolls chantèrent des chansons et jouèrent du violon ; certains se mirent même à danser avec beaucoup d'entrain.
Au cours de la soirée, Dranar s'approcha de la petite fille et lui confia que, lui aussi, aimerait jouer au jeu de l'alphabet :
- Tu veux bien ?
- D'accord, répondit Maëlys. Alors je propose la lettre T…
- Ta, fit le jeune troll avec un beau sourire.
- Comment ça, "Ta" ? s'étonna la petite fille qui ne comprenait pas.
- Oui. Quand je dis à Boggar que je vais devenir aussi grand et intelligent que lui, il répond toujours : ta ta ta.

Maëlys ne put s'empêcher de rire, et Dranar préféra arrêter le jeu et l'emmener danser au milieu des trolls.
La fête dura longtemps, et Maëlys eut un pincement au cœur quand vint le moment des adieux. Après un dernier "au revoir" qui laissa les gentils trolls, les yeux embués de larmes, Boggar prononça le "Hop !" fatidique.

* * *

Sitôt de retour dans sa chambre, Maëlys se hâta d'enlever ses vêtements, afin de les faire sécher devant le radiateur. Il valait mieux éviter que sa maman ne lui pose des questions embarrassantes ; en cette saison, il n'y avait pas de neige dans le Nord de la France.
La petite fille allait se recoucher quand elle posa le pied sur un gros pompon qu'un troll avait dû glisser dans sa poche sans qu'elle s'en aperçoive ; elle le rangea dans sa boîte à secrets, à côté du ruban jaune du dragon, puis elle sauta dans son lit.
Dehors, la nuit commençait à pâlir. Maëlys s'enroula dans sa couette et songea qu'il lui était arrivé une belle aventure au pays des trolls. Grâce à ces étranges crayons de couleur. Puis elle ferma les yeux et s'endormit aussitôt.
Demain il y aurait une autre journée passionnante : les vacances n'étaient pas encore finies !

F I N


Retour