– Loïs ! C'est l'heure de la sieste.
Du haut de ses deux ans, Loïs secoua la tête
pour dire « non » à sa grand-mère. Il aimait jouer avec son garage et
ses petites voitures, et il n'avait pas du tout l'intention de
s'arrêter.
Il posa la voiture rouge sur la rampe et la fit
descendre ;
il fit de même avec la verte, suivie par la jaune, la noire, la voiture
de police et celle des pompiers. Il en restait encore une dizaine et ce
n'était pas terminé puisqu'il faudrait aussi ranger les voitures sur le
parking. Elles devraient être installées côte à côte avec beaucoup de
soin. Cela prendrait sans doute toute l'après-midi !
Mais sa Mamie insista :
– Ta maman fait déjà la sieste dans sa chambre.
C'est ton tour maintenant.
Loïs ne répondit pas. Il savait que sa maman
était très fatiguée parce le bébé arriverait bientôt. Un petit frère ou
une petite sœur ? Loïs l'ignorait et il se demandait à quoi pouvait
ressembler un bébé. Son papa et sa maman ne lui avaient pas expliqué
alors Loïs tentait de l'imaginer.
Peut-être avait-il des cheveux longs comme maman
ou bien des lunettes comme papa ? Et pourquoi pas une moustache aussi
épaisse que celle du monsieur qui parlait dans la télévision ? Ou une
robe rouge comme la dame qui travaillait dans la boutique de jouets au
coin de la rue ? Mais, après tout, le bébé pouvait avoir une robe
rouge, des cheveux longs, une moustache et des lunettes. Dans ce cas-là
il s'agirait d'un bébé vraiment bizarre. Aussi bizarre que la voiture
de Batman que Mamie regardait sous tous les angles en se demandant à
quoi elle pouvait bien servir.
– Elle a un gros nez et parait prête à s'envoler
avec ses longues longues ailes à l'arrière. Quelle voiture bizarre !
Loïs était entièrement d'accord parce que le mot
« bizarre » lui plaisait beaucoup. Et si le bébé faisait « miaou »
comme le chat de la voisine et s'envolait dans les arbres comme
la pie qui habitait l'arbre juste en face de l'immeuble, alors ce
serait vraiment un bébé extraordinaire.
Bien décidée à faire dormir son petit fils,
Mamie décida de ruser.
– Regarde, Loïs, tu vois le gros nuage blanc
dans le ciel ?
Loïs posa la voiture bleue qu'il tenait dans ses
mains et se leva pour découvrir qu'un nuage s'était arrêté dans le
parc, en face de la fenêtre.
– Il est énorme ! dit l'enfant. Il est très beau.
Ravie de cette réponse Mamie poursuivit :
– Le nuage est passé te saluer avant de partir
en voyage. Quand tu te réveilleras après la sieste, il ne sera plus là.
Loïs regarda le gros nuage blanc et secoua la
tête :
– Où est ce qu'il s'en va ?
Mamie tenait la poignée du volet entre ses mains
et elle commença à la faire tourner.
– Il va traverser le ciel et il rencontrera des
oiseaux de toutes les couleurs.
Le petit garçon vit le volet s'abaisser
lentement. Il leva la main et l'agita devant la fenêtre.
– Au revoir, le nuage ! Au revoir, le nuage !
Mamie avait fermé le volet. Loïs se coucha dans
son lit et son ourson serré dans ses bras, il ferma les yeux et
s'endormit aussitôt.
Mamie referma la porte. Loïs avait l'habitude de
faire deux heures de sieste ; elle en profiterait pour mettre un peu
d'ordre dans la cuisine puis elle lirait le nouveau roman qu'elle
s'était achetée.
Vingt minutes plus tard, elle s'installait dans un fauteuil et
commençait sa lecture.
Loïs s'était endormi, couché dans son lit quand, tout à coup, il
entendit qu'on l'appelait.
– Ouhou, Loïs, réveille-toi ! Il est temps de
partir en voyage car tous mes amis veulent te connaître.
Il ne faut pas les faire attendre.
Loïs ouvrit les yeux et découvrit qu'il n'était
plus dans sa chambre. Allongé dans son lit il leva les yeux et aperçut
le ciel bleu à la place de son plafond.
Le petit garçon se redressa et vit que son lit
était posé sur le gros nuage blanc.
Loïs regarda tout autour de lui, puis se pencha
pour inspecter sous son lit. Il n'y avait rien du tout que le gros
nuage blanc. Il posa un pied nu sur le nuage, puis l'autre. Il se mit à
quatre pattes, se coucha sur le nuage, le caressa avec ses petites
mains d'enfant.
– Tu es tout mou !
– Bien sûr, s'exclama une grosse voix
chaleureuse. Et je suis aussi tout doux. Tous les nuages blancs sont
aussi doux que moi. Pour les autres c'est différent. Par exemple, les
nuages gris pâles sont humides parce qu'ils sont remplis de pluie. Les
gris foncés apportent la grêle qui fait de la musique quand elle tombe
sur les toitures des maisons et sur les voitures.
– Et ceux qui sont noirs ? demanda Loïs.
– Ils apportent l'orage avec les éclairs qui
éclairent le ciel et aussi le tonnerre qui joue du tambour et qui
empêche tout le monde de dormir durant la nuit.
Loïs fit « oui » de la tête. Il n'aimait pas
l'orage et son ours en peluche non plus.
– Comment t'appelles-tu ? demanda-t-il au nuage.
– Mon nom est Pommelé. Je me promène dans le
ciel et je découvre plein de choses extraordinaires. Cela te
plairait-il de faire une visite en ma compagnie ?
Oh oui ! Loïs serait ravi de parcourir cette
immense étendue bleue qu'on appelait le ciel, perché sur le large
dos... ou le large ventre... de Pommelé.
– Attends ! Je dois d'abord rassurer mon ours
sinon il se mettra à pleurer et sa fourrure sera mouillée
par ses larmes.
Loïs installa confortablement son ours dans le
lit, couché sur le côté, la tête sur l'oreiller. Il remonta le drap
jusqu'à son cou et lui dit de rester bien sage.
– A ton âge, Ourssinet,
il faut faire la sieste pour devenir grand et fort comme moi. J'espère
que tu as compris ?
Mais Ourssinnet ne répondit pas car il dormait
très
profondément.
Alors Loïs se tourna vers le nuage et murmura :
– Il ne faut pas faire de bruit parce qu'il dort
et qu'il ne faut pas le réveiller. Je suis prêt, Pommelé, partons en
promenade !
Le gros nuage commença à se déplacer et Loïs le
trouvait si moelleux qu'il se coucha à plat ventre et il regarda en
dessous la terre et le paysage qui défilait.
– Voici la forêt avec ses centaines d'arbres
verts, lui expliqua Pommelé avec sa belle voix. Tu peux admirer les
cerfs et les biches qui courent au bord de la rivière. C'est ce long
ruban bleu qui sort de la forêt pour s'élancer dans la vallée fleurie.
Loïs écarquillait les yeux et ce monde qu'il ne
connaissait pas encore semblait vraiment merveilleux.
– Bientôt, nous survolerons le désert. C'est un endroit immense avec du
sable à perte de vue.
Loïs ne savait pas ce que signifiait le mot «
désert » alors il demanda à Pommelé :
– On pourra se poser sur la grande plage ?
J'aimerais construire un grand château de sable avec une tour très
haute et des remparts pour la protéger.
Quand il entendit cela Pommelé éclata de rire et
c'était incroyable à voir. Il se secouait si fort que Loïs eut
l'impression de sauter et de sauter encore sur un trampoline. Loïs
s'accrocha au nuage pour ne pas tomber et c'était encore pire parce
Pommelé était un nuage très chatouilleux.
Enfin Pommelé réussit à se calmer et c'est à cet instant qu'une
cigogne vint se poser ; elle se mit aussitôt à bâiller en ouvrant son
long bec orangé.
– Que t'arrive-t-il, Longues-Pattes ? s'inquiéta
Pommelé. Tu parais fatiguée.
– Figure-toi, Pommelé, que depuis ce matin j'ai
déposé trois bébés dans des familles différentes, répondit le bel
échassier blanc et noir. Je dois encore aller chercher le quatrième et
ensuite je pourrai enfin regagner mon nid et me reposer. Oh, quelle
difficile journée !
Loïs avait écouté la cigogne. Il essaya d'en
savoir un peu plus.
– Ça ressemble à quoi un bébé ? Tu veux bien me
le dire, Longues-Pattes ?
Pommelé se mit à rire de nouveau et cela secoua
encore fois le nuage blanc.
– Dépêche-toi de lui expliquer, Longues-Pattes.
Un bébé est attendu dans la famille de Loïs et il aimerait savoir
comment il sera.
Du haut de ses longues pattes, la cigogne baissa la tête pour regarder
le petit garçon. Elle chercha les mots pour raconter les choses de
façon simple mais ce n'était pas simple du tout.
Elle réfléchit et finit par lui dire :
– Les bébés sont tous différents, ils ne se
ressemblent pas. Et puis voilà.
Loïs parut tellement déçu que la cigogne, un peu
embarrassée, ajouta :
– Ne te fais pas de souci. Je suis certaine
qu'il sera un très beau bébé.
Il était temps pour la cigogne de repartir ;
elle salua gentiment Loïs et Pommelé et elle déplia ses longues ailes
pour s'envoler.
Loïs la suivait des yeux et la regardait s'éloigner quand une plume
blanche et noire descendit du ciel en tourbillonnant. Loïs l'attrapa à
pleines mains et la montra à Pommelé qui s'exclama :
– Longues-Pattes t'a fait un joli cadeau, Loïs.
Elle t'a offert cette plume en souvenir de votre rencontre.
Le voyage de Loïs et du nuage blanc se
poursuivit et ils croisèrent d'autres amis de Pommelé qui étaient ravis
de faire connaissance avec le petit garçon.
Un rossignol vint leur chanter l'un de ses plus
beaux airs et Loïs fut heureux de l'applaudir : il n'avait jamais entendu
une musique aussi belle.
Une pie leur raconta une histoire amusante car
les pies, c'est bien connu, aiment bavarder avec tous ceux qu'elles
rencontrent, qu'ils soient humains ou oiseaux. Pommelé eut du mal à
cesser de s'agiter dans tous les sens tellement il riait avec les jeux
de mots de l'oiseau bavard.
Le temps s'écoula très vite et il y eut un
moment où cette longue promenade se termina. Pommelé vint s'arrêter
près de l'immeuble où habitaient Loïs et sa famille. Le petit garçon
reconnut le jardin où se promenait le gros chat noir des voisins et la
route sur laquelle roulaient les voitures.
– J'espère que tu as aimé ce voyage, Loïs, dit
le gros nuage blanc. Nous pourrons en faire d'autres si tu le veux. Je
reviendrai te chercher le mois prochain. Au revoir, Loïs !
– Au revoir, Pommelé ! A bientôt.
Tout à coup Loïs ouvrit les yeux et réalisa qu'il était de retour dans
sa chambre. Mamie se tenait auprès de lui, elle venait de ramasser son
ours qui était tombé sur le tapis.
– Tu as fait une longue sieste, Loïs,
s'étonna-t-elle. Surtout pour un petit garçon qui prétendait ne pas
être fatigué et ne pas vouloir dormir !
Mamie prit la poignée et remonta le volet. Alors
Loïs sauta en bas de son lit et se précipita à la fenêtre pour admirer
le ciel mais il n'y avait plus aucun nuage dans le grand ciel tout bleu.
– Il n'y a plus de nuage, dit le petit garçon et
sa voix était un peu triste.
– Les nuages reviendront, Loïs. Ils font de
grandes promenades dans le ciel, ils visitent de beaux pays et ensuite
ils reviennent chez nous. Je vais préparer ton goûter dans la cuisine.
Prends ton ours et viens me rejoindre, je t'attends.
Loïs venait de prendre Ourssinet dans ses bras quand il aperçut une
longue plume blanche et noire cachée dans le dos de son ours.
– C'est le cadeau que m'a fait Longues-Pattes !
s'exclama le petit garçon et un sourire apparut sur son visage. Quel
beau souvenir !
Loïs songea aux autres voyages qu'il ferait
bientôt avec Pommelé quand le gros nuage blanc serait de retour. Loïs
se sentit heureux. Il avait encore tant de choses à découvrir avec son
nouvel ami. Et un jour prochain, il emmènerait le bébé avec lui mais
seulement quand il serait devenu grand.
– On va s'amuser comme des fous ! murmura-t-il.
Et serrant son ours dans ses bras, il s'en alla
rejoindre Mamie dans la cuisine.
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