Lorsqu'elle entendit un grand "Houhou ! retentir dans son sommeil,
Lily ouvrit les yeux et aperçut un croissant de lune par sa lucarne ;
aucun doute possible, il était minuit. Koul le hibou donnait toujours
l'heure avec une précision qui faisait de lui le meilleur réveil matin
de toute la forêt de la Blanche-Carpe.
Koul habitait tout en haut du grand chêne, dans
une niche creusée dans le large tronc. Dès la nuit tombée, le hibou se
perchait sur une branche, puis il ébouriffait son magnifique plumage
et, bien droit et fier, il lançait ses " hou " destinés à réveiller son
voisinage.
La petite luciole ne s'attarda pas sous sa
couette. Elle sauta hors de son lit et secoua ses courtes ailes pour
les défroisser. Ensuite, elle jeta un coup d'oeil à son agenda ;
c'était, en réalité, un lierre qui grimpait joliment sur un mur de son
logis et chacune de ses feuilles portait un numéro différent. Sur celle
marquée du 18, deux rendez-vous étaient griffonnés à l'encre noire ;
entre minuit et six heures du matin, elle devait apporter son aide à
Choupa la taupe avant d'aller assurer une ronde de nuit chez les
fourmis.
Il y aurait aussi des imprévus, il y en avait
toujours. Par exemple les voyageurs égarés qu'elle aurait à remettre
sur le bon chemin. C'est fou ce que les habitants de la forêt avaient
tendance à se perdre dans l'obscurité.
Et comme Lily s'avérait être la seule luciole de
ces bois, il valait mieux qu'elle ne s'attarde pas. La luciole se
concentra et "hop", elle s'alluma. Ce qui signifie qu'elle se mit à
briller d'une ravissante lueur jaune et blanche.
Lily prit son envol et se dirigea vers la
clairière qui se situait à l'extrémité ouest, à la limite des arbres
les plus anciens de la forêt. La nuit était douce et une légère brise
s'amusait à chahuter les coquelicots et à faire onduler leurs pétales
de soie rouge.
La luciole aperçut quelques cigales endormies
qu'elle prit bien garde de ne pas réveiller. Car après avoir chanté
toute la journée sous le soleil, les cigales étaient épuisées et elles
avaient besoin de reprendre des forces avant d'entamer une autre
matinée de vocalises.
Enfin elle reconnut la butte de terre signalant
la maison de Choupa ; la luciole plongea dans le souterrain et ne tarda
pas à se trouver nez à nez avec la taupe.
- Bonjour Choupa. Es-tu bien reposée ?
- Oui, Lily. J'ai dormi à poings fermés toute la journée. Je me sens
prête à renverser les montagnes.
- Allons-y !
Choupa désirait creuser un nouveau couloir qui
partirait de sa cuisine et déboucherait à proximité d'un petit
ruisseau. Cette sortie, qui se trouverait sous une masse de fougères,
lui permettrait de disposer d'une eau fraîche à volonté tout en restant
à l'abri des regards.
- J'ai surpris, à plusieurs reprises, une famille de sangliers et leurs
nombreux marcassins qui venaient se rafraîchir, raconta la taupe. Si je
ne déteste pas avoir des amis, je préfère éviter de lier connaissance
avec ces êtres qui ont la fâcheuse manie de retourner la terre comme
s'ils cherchaient un trésor. Ils laissent, partout où ils passent, un
désordre inimaginable ! Mais il est temps de commencer.
Sans plus attendre, la taupe se mit à creuser la
terre et à la repousser tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, se
servant de ses larges pattes comme de véritables pelles.
Volant à côté d'elle, Lily éclairait le parcours
de Choupa et lui facilitait la tâche ; ainsi, au fur et à mesure de
leur avancée, le tunnel s'allongeait.
La taupe a la réputation d'être courageuse mais
son travail était si éprouvant qu'il lui fallut s'arrêter et se reposer
plusieurs fois.
Enfin, le dernier rempart de terre s'effondra et
un magnifique coin de ciel étoilé apparut qui récompensa nos deux amies
de tous leurs efforts.
Lily avait bien rempli sa mission mais avant
qu'elle ne s'en aille, Choupa lui proposa une tasse de tilleul que la
luciole accepta avec joie.
Puis il fallut se séparer.
- Au revoir, Choupa !
- A bientôt, Lily et merci de ton aide, répondit la taupe dont les yeux
se fermaient de fatigue.
La luciole venait à peine de quitter les
profondeurs de la maison de Choupa que la taupe dormait déjà, couchée
sur un épais et moelleux tapis de bruyère parfumée, et prête pour un
merveilleux voyage au pays des rêves.
Lily dut parcourir plus de la moitié de la forêt
pour atteindre la fourmilière. Elle plongea dans le dédale qu'avaient
créé les innombrables ouvrières et se rendit à la salle des nounous où
Emy l'accueillit chaleureusement, comme à son habitude. Elle portait la
lourde responsabilité de veiller sur les cent cinquante bébés fourmis
qui dormaient dans les différentes pouponnières. Eclairée par Lily,
elle put faire le tour des berceaux où reposaient les petites fourmis.
Mais tout allait bien et la luciole ressortit bientôt de la
fourmilière.
Lily s'apprêtait à reprendre le chemin de son
logis pour y prendre un repos qu'elle avait bien mérité lorsqu'au
détour d'un talus, elle distingua une ombre qui se mit à lui faire de
grands signes désespérés. La luciole se posa et reconnut Mia la
coccinelle.
Celle-ci avait de grosses larmes dans les yeux
et elle se montra très heureuse d'avoir rencontré la luciole.
- J'étais allée me promener au milieu des boutons d'or, expliqua la
coccinelle, quand un gros nuage a caché le soleil, et puis la nuit est
tombée. J'ai bien tenté de retrouver mon chemin mais sans y parvenir.
Mes soeurs doivent s'inquiéter de ne pas me voir revenir.
- Nous ne sommes qu'à quelques centaines de pas de chez toi, répondit
la luciole. Tu as dû tourner en rond durant toutes ces heures et
l'obscurité t'aura empêchée de reconnaître les allées de jacinthes qui
mènent à ta maison. Suis-moi ! Je vais te guider.
Et la petite luciole se mit à voler au ras du
sol pour que la coccinelle puisse la suivre.
Après quelques détours, la luciole et la
coccinelle s'arrêtèrent devant un énorme champignon qui abritait la
famille de coccinelles.
- Merci Lily !
- Au revoir, Mia.
La coccinelle fut accueillie par de grands cris
de joie ; ses soeurs s'étaient fait tant de souci pour elle.
Et Lily s'envola à nouveau.
La luciole se rapprochait de son logis et elle
songeait à la couette sous laquelle elle pourrait bientôt se glisser
quand une forme, gesticulant dans la pénombre, attira son regard.
Intriguée, Lily se mit à la survoler. Ce long
corps surmonté d'une sorte de cabane, c'était Dodo l'escargot, il n'y
avait aucun doute.
Lily se planta devant les deux yeux du
gastéropode qui stoppa net.
- Que fais-tu dehors en pleine nuit, Dodo ? Ce n'est pas dans tes
habitudes et je crains que tu ne t'égares ?
- C'est qu'une chose terrible est survenue, répondit l'escargot qui
cherchait à reprendre son souffle. Kraka, la chauve-souris l'a attrapée
par surprise et l'a jetée dans une affreuse cage.
- De qui parles-tu, Dodo ?
- Elle a dit qu'elle ne la laisserait plus jamais en ressortir. Je
cours chercher du secours auprès des abeilles. Elles sont nombreuses
et, avec leurs dards, elles réussiront à la délivrer, je n'ai aucun
doute là dessus.
- Délivrer qui ?
- Tu vois bien que je n'ai pas le temps, Lily. Je dois me dépêcher !
Ebahie, Lily suivit des yeux l'escargot qui
repartit en se hâtant, ou du moins il essayait ; hélas, il fallait
reconnaître que malgré sa bonne volonté, il n'avançait pas très vite.
Qui donc Kraka avait-elle emprisonné ? Dodo
avait oublié de le dire, pourtant l'escargot semblait si contrarié
qu'il ne pouvait s'agir que d'une gentille personne de la forêt. En
tout cas, la malheureuse n'était pas prête de recouvrer la liberté car
il faudrait de longues heures d'effort à l'escargot avant d'atteindre
la ruche et de donner l'alerte.
Lily n'avait rien d'une héroïne mais elle
n'aimait pas Kraka et elle craignait le pire de sa part. Alors, sans
vraiment réfléchir, elle prit la direction du mont de la Râpée et elle
fut bientôt en vue du repaire de la chauve-souris.
Lily eut la présence d'esprit d'éteindre sa
lumière avant de pénétrer dans la grotte qui abritait Kraka ; il y
faisait si sombre qu'elle aurait eu du mal à passer inaperçue.
Mais Lily ignorait toujours à quoi ressemblait la prisonnière ?
Lily progressa au ras du sol car les
chauves-souris, c'est bien connu, dorment accrochées en l'air, la tête
pendue en bas ; ce qui n'est pas confortable, à priori.
Cinq longues minutes s'écoulèrent, puis dix. Il
n'y avait pas trace de Kraka, ouf tant mieux, mais aucune prisonnière
non plus, et là, c'était plus ennuyeux.
Soudain, Lily distingua une lueur orangée, qui
lui fit penser à une étoile tombée du ciel. Toute étonnée, la luciole
s'approcha et découvrit une fée minuscule, enfermée dans une vieille
cage toute rouillée.
- Mon nom est Lily, chuchota la luciole car il ne fallait attirer
l'attention de Kraka. Je viens vous délivrer.
- Je suis Odyssa la fée, répondit la fée. Je venais de rapetisser pour
rendre visite à la mère renarde et à ses deux renardeaux quand Kraka
m'a attrapée avec un sac de toile. Ensuite, elle m'a emportée ici pour
me jeter dans ce vilain endroit.
- Pourquoi s'est-elle montrée aussi méchante avec vous ? s'étonna Lily.
- Elle veut m'obliger à réaliser tous ses souhaits et, pour cela, elle
s'est emparée de ma baguette magique. J'ignore où elle l'a cachée.
- Je la retrouverai, je vous le promets !
La grotte était vaste, avec des parois couvertes
de mousse verte. Il y avait un nombre incalculable de coins et de
recoins, et le sol était jonché de feuilles mortes. Lily se lança à la
recherche de la baguette de la fée mais elle venait tout juste de
commencer à chercher quand quelqu'un lui enfonça un sac de toile sur la
tête. Et
la luciole alla rejoindre la fée dans la vieille cage toute rouillée.
Kraka éclata de rire en les voyant toutes les
deux derrière les barreaux.
- C'est gentille d'être passée me voir, dit-elle à la luciole. Ainsi
j'aurai de la compagnie le soir et je ne m'ennuierai plus seule chez
moi. Soyez sages, toutes les deux, je dois m'absenter pour faire une
promenade et dérouiller mes longues ailes. A tout à l'heure !
Kraka s'était à peine envolée que Lily et la fée
entendirent une voix qui les appelait.
- C'est Dodo, l'escargot ! dit la fée. Les abeilles vont venir à notre
aide.
La cage était posée sur une pierre plate et Dodo
n'eut aucun mal à l'escalader.
- J'ai croisé Bert le scarabée, expliqua-t-il. Pendant qu'il va
prévenir les abeilles, j'ai décidé de venir avertir Odyssa que les
secours arrivaient. J'ignorais qu'il y aurait une prisonnière de plus à
libérer.
- Si tu pouvais ramener ma baguette magique, dit la fée, je pourrai
nous faire sortir d'ici sans difficulté.
- J'y cours, répondit l'escargot.
Il fit le plus vite possible, mais ce fut quand
même si long qu'à l'instant où la fée récupérait sa baguette et ouvrait
la cage pour en sortir et retrouver sa taille normale, Kraka revenait
de sa promenade, suivie de près par les abeilles qui cernèrent la
chauve-souris et l'obligèrent à se tenir tranquille.
- Pourquoi as-tu fait cela, Kraka ? demanda la luciole. Nous t'écoutons
!
Alors Kraka expliqua sa terrible solitude, au
fond de sa grotte noire et poussiéreuse, et deux grosses larmes
finirent par couler sur ses joues.
Autour d'elle, Odyssa, Lily, Dodo et les
abeilles étaient si bouleversés qu'ils décidèrent de faire
quelque chose pour Kraka. Les abeilles s'occupèrent de débarrasser les
feuilles mortes, la fée recouvrit les murs de la grotte d'une superbe
glycine dont les grappes colorées étaient doucement parfumées.
Bert, le scarabée, qui était arrivé à son tour,
promit d'aller chercher une famille de musaraignes qui apprécierait la
chaleur de la grotte et tiendrait compagnie à la chauve-souris.
Quand ils quittèrent tous ensemble la grotte,
Kraka était la chauve-souris la plus heureuse de la forêt.
Odyssa la fée remercia les abeilles, ainsi que
Dodo l'escargot, Bert le scarabée et Lily la luciole d'être venus à son
secours.
La fée remarqua les yeux cernés de la luciole et Lily lui expliqua :
- Je suis la seule luciole et il y a beaucoup de travail à faire la
nuit.
- Je te promets d'arranger cela, dit la fée.
Et elle tint parole. La nuit suivante, une
multitude de lucioles apparurent et Lily eut désormais beaucoup d'amies
et moins de travail.
Voilà pourquoi il y a tant de lucioles qui
brillent la nuit dans les forêts !
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