Les lucioles n'éclairaient que faiblement les grands murs rouges de
la pièce presque entièrement vide. Il n'y avait aucun meuble, ni
tenture, juste une longue et lourde pierre noire recouverte d'une
épaisse fourrure et, posée sur celle-ci, un Karodan en train de mourir.
A ses côtés un jeune garçon, encore un enfant, se tenait à genoux et
ses yeux guettaient le dernier souffle de vie.
Faisant appel à ce qui lui restait de force, le
Karodan se redressa légèrement.
– Ilad..., murmura-t-il d'une voix à peine audible. C'est à toi,
désormais, de veiller sur notre peuple.
Un sanglot s'étrangla dans la gorge du jeune
garçon.
– Père, comment ferai-je sans vous ? Il est trop tôt, j'ignore comment
je pourrai...
L'enfant s'interrompit, désemparé.
– Il le faudra, Ilad, reprit le Karodan. Tu trouveras, en toi, la force
et le courage.
Ilad aurait voulu protester qu'il n'était pas
prêt à assumer pareilles responsabilités, qu'il se sentait impuissant
face à un tel enjeu mais le visage du Chagar avait changé de couleur,
la mort ne tarderait plus. Le Chagar ouvrit sa main et Ilad y mit la
sienne, puis il ferma les yeux. Et le don passa, quittant le corps du
père
pour envahir, avec force, celui du fils.
Ilad retira sa main et se releva. Il ouvrit la
porte et demanda à un serviteur que le conseiller vienne sans tarder.
Puis le fils du Chagar sortit sur la terrasse et contempla la cité qui
s'étendait à ses pieds.
Le conseiller entra, se
hâta vers la pierre et, se penchant sur le Karodan, il constata que
celui-ci vivait encore.
– Grand Chagar...
– Bakor, je te confie mon fils. Guide-le !
Une légère teinte verdâtre se répandit sur son
visage, gagna ses mains ; c'était fini. Le Chagar tout-puissant de la
planète Karoda venait de s'éteindre.
Le conseiller rejoignit l'enfant sur la terrasse.
– Demain aura lieu le voyage du Chagar, dit Bakor, et vous recevrez le
don.
Ilad secoua la tête et, la voix nouée par
l'émotion, protesta :
– Quelle importance ! Les Ohres nous guettent depuis longtemps, ils
pourraient mettre cet événement à profit pour s'emparer de Karoda.
Comment puis-je croire que mon peuple suivra l'enfant que je suis dans
un combat aussi redoutable ?
– Pourquoi ne pas le leur demander ? proposa Bakor.
– Je ne comprends pas..., dit Ilad qui songea que c'était une idée
incongrue de la part de Bakor.
– Avec un déguisement, expliqua le conseiller, personne ne nous
reconnaîtra et nous les entendrons discuter entre eux sans qu'ils
sachent qui nous sommes. De cette manière, nous connaîtrons leurs
pensées et nous saurons comment agir.
Bakor était le conseiller fidèle de mon père,
je dois suivre son avis, songea Ilad.
– Quand ?
– Ce soir, dit le conseiller, car le temps nous est compté.
Bakor entraîna l'enfant hors de la pièce et le
confia à un serviteur.
– Allez vous reposer, jeune Ilad. Je veillerai le Chagar jusqu'à la
venue de l'obscurité, et ensuite je viendrai vous chercher.
Tandis que le serviteur emmenait l'enfant, Bakor
les regarda s'éloigner dans les couloirs du palais et il se murmura à
lui-même :
" Ne craignez rien, jeune Ilad. Je m'occupe de tout, faites-moi
confiance ! "
Lorsque la cité de Corail fut plongée dans la
pénombre, les deux Karodan entrèrent dans une petite pièce dont l'accès
était réservé au seul Chagar et ils empruntèrent un escalier dérobé,
dissimulé derrière une tenture d'algues bleues ; ils se retrouvèrent
bientôt hors du palais.
Bakor avait jeté une longue cape sur ses épaules
pour couvrir son écharpe de conseiller tandis qu'Ilad avait revêtu une
ample tunique qui le faisait ressembler aux enfants de la cité.
Ils marchèrent entre les bâtisses d'argile rouge
et les cabanons en marne, ne croisant que peu de gens à une heure si
tardive. Se faufilant, en silence, dans les ruelles, ils arrivèrent à
la place des Echos, une large étendue délimitée par des amoncellements
de galets et de coquillages. A l'opposé de la cité endormie, celle-ci
grouillait de marchands, d'étrangers et de passeurs de vie.
– Par là, murmura Bakor en désignant un petit groupe qui s'était assis
à même le sable et autour duquel une foule bigarrée s'était agglutinée.
Bakor et Ilad s'approchèrent et se mêlèrent aux
curieux.
– La rumeur enfle et grandit, expliqua un marchand. Elle dit que les
Ohres rassemblent leurs forces. Ils veulent s'emparer des planètes du
Triangle et Karoda en fait partie.
– Le Chagar nous protègera, répondit un passeur de vie.
– Les Ohres sont puissants, ce sont des destructeurs, gronda un Krival.
Je quitte votre planète dès la prochaine Lunance, je ne veux pas
mourir.
– Personne ne le veut, Krival. Retourne chez toi, nul ne te retient !
– Vos chances sont bien minces face aux Ohres ! insista le Krival. Ils
déferleront sur Karoda et vous tiendront à leur merci !
– Nous nous battrons pour défendre notre terre, cria un Karodan. Le
Chagar sera notre guide !
Tous les Karodan présents reprirent alors en
choeur : " le Chagar veillera sur nous ! "
Ilad sentit une grande fierté l'envahir ; son
peuple se battrait à ses côtés, il n'en doutait plus. Très éprouvé par
cette journée qui avait vu la mort de son père, l'enfant eut envie de
retrouver les épais murs du palais. Il avait besoin de prendre du
repos.
– Allons-nous en, soufla-t-il. J'en ai assez entendu.
Mais quand il se retourna, Bakor n'était plus à
ses côtés. Ilad chercha des yeux sa haute silhouette sans
parvenir à la
localiser.
Laissant les marchands reprendre leur discussion
avec le
Krival, Ilad déambula parmi les
curieux qui écoutaient sans prendre parti, et se contentaient d'un
hochement de tête, ou d'un grognement pour acquiescer ou manifester
leur
mécontentement.
Ilad ne pouvait rentrer au palais sans Bakor
mais, à trop regarder les visages et à rester silencieux, il risquait
de se faire remarquer.
Il ignorait quelle décision prendre quand,
brusquement, les bavardages cessèrent. Quatre gardes armés de longues
lames d'ivoire venaient d'arriver sur la place. Ils la traversèrent
pour faire halte devant des curieux qui, rapidement, s'écartèrent.
– Arrête-toi, voleur ! cria l'un des gardes.
Chacun chercha du regard celui que les gardes
menaçaient de leurs armes et Ilad fit de même avant de réaliser que
c'était lui que visaient les lames d'ivoire.
– Rends-toi ou nous utiliserons la force !
Les autres gardes avaient encerclé le jeune
Karodan et Ilad sentit la colère monter en lui.
– Arrière ! s'écria-t-il. Je suis Ilad, le fils du Chagar. Vous n'avez
pas le droit de porter la main sur moi.
En l'entendant parler avec autant d'autorité, les
gardes hésitèrent mais, soudain, un cri jaillit, venu du milieu de la
foule :
– C'est un espion des Ohres, il est venu en éclaireur pour nous faire
massacrer !
Aussitôt la foule s'agita, menaçante, et Ilad ne
dut son salut qu'à la rapidité avec laquelle les gardes s'emparèrent de
lui.
Tandis qu'ils l'emmenaient sous les vociférations de la foule,
Ilad se souvint que personne n'avait jamais vu son visage. Son père
l'avait tenu à l'écart depuis sa naissance, et le fils du Chagar ne
devait être révélé que par le don.
Sur le chemin qui le ramenait au palais, Ilad
tenta de parlementer avec les gardes mais ceux-ci avaient reçu des
ordres et jamais ils ne les transgresseraient.
– Le conseiller Bakor doit être informé, dit Ilad. Cela ne peut pas
attendre.
– Bakor veille le Chagar qui est mourant, répondit l'un des gardes, et
nous savons quoi faire des voleurs comme toi.
Ilad préféra garder le silence ; Bakor serait, de
toute façon, averti par le chef des gardes. Le jeune Karodan songea à
son père ; Bakor n'avait pas encore fait l'annonce officielle de sa
mort, peut-être avait-il décidé d'attendre la prochaine Lunance.
Ilad n'eut pas le loisir de se poser davantage de
questions.
Les gardes l'entraînèrent sous les voûtes sombres du palais
et, sans écouter ses protestations, ils le jetèrent au fond d'une geôle
; puis, à l'aide d'un anneau attaché à sa ceinture, l'un d'eux referma
la barrière magnétique. Si Ilad tentait de la franchir, il serait
réduit en poussière par un rayon mortel.
En entendant les gardes s'éloigner, Ilad s'écria
une dernière fois :
– Faites venir Bakor !
Une voix d'enfant lui répondit :
– Il est inutile que tu perdes ton souffle. Bakor ne descend jamais
dans les voûtes, l'humidité pourrait ternir sa belle écharpe de
conseiller.
Ilad découvrit un garçon, ayant à peu près son
âge, assis par terre à quelques pas de lui. Son front était barré d'une
double et large cicatrice, les deux traits de l'infamie.
– Tu es un voleur, tu portes la marque ! s'exclama-t-il, horrifié.
– Tu l'auras aussi, répliqua l'enfant sans se laisser impressionner.
Demain, avant de recevoir le châtiment.
– Le châtiment ? De quoi parles-tu ?
L'enfant haussa les épaules avec fatalisme.
– Demain, ils nous mettront à mort.
Ilad lui jeta un regard plein de mépris.
– Tu ne dis que des sottises, personne n'a le droit de porter la main
sur moi !
Le jeune garçon éclata d'un rire clair.
– Je suis heureux de t'avoir rencontré. Ainsi ma dernière nuit de vie
sur Karoda ne sera pas morose.
Il se leva et fit face à Ilad.
– Mon nom est Givish, frère voleur. Et toi ?
– Ilad. Et je ne suis pas un voleur.
– Quoi que tu aies fait, puisque les gardes t'ont mené ici, tu mourras
demain, c'est ainsi.
– Et toi, tu as volé ? demanda Ilad.
D'un geste vif, Givish fit apparaître une pierre
grise en forme de losange au creux de sa main.
– J'avais faim et personne ne m'aurait donné à manger.
La pierre disparut en un clin d'oeil et Givish
s'allongea sur le sol, les mains croisées sous la tête.
– Dors ! Demain, tu verras le conseiller Bakor. C'est lui qui ordonnera
notre mise à mort.
Le lendemain matin, la triste lamentation d'une corne de brume les
sortit de leur sommeil. Le son, d'abord faible, s'amplifia puis
la plainte déchira l'air avant de s'éteindre pour renaître à nouveau.
– Ecoute ! dit Givish. Cela signifie que le Chagar n'est plus, que sa
vie s'en est allée. Aujourd'hui, le don sera transmis à son héritier et
les deux voleurs que nous sommes seront exécutés pour fêter ce grand
événement. Oui vraiment, ce sera une belle fête pour le nouveau Chagar.
– Le Chagar n'est pas ainsi, protesta Ilad. Il aime son peuple.
– Je ne sais pas, je n'aurai jamais le grand honneur de le connaître,
ironisa Givish qui accompagna sa phrase d'un salut plein de déférence.
Mais j'ai entendu parler de Bakor, son conseiller, que l'on dit plus
cruel que les Ohres.
– C'est faux, protesta Ilad. Il sera contrit de me trouver dans cette
geôle et il m'en sortira, je t'assure.
– Tant mieux pour toi, dit Givish, mais à ta place je ne serais pas
trop pressé de le rencontrer car alors tu découvriras que tu es dans
l'erreur à son sujet et, dès cet instant, il te restera peu de temps à
vivre, frère voleur.
Deux heures s'écoulèrent, rythmées par le son de
la corne puis, soudain, il y eut les acclamations de la foule.
– Le grand moment est proche, dit Givish. Les Karodan se sont
rassemblés aux portes du palais, ils veulent voir le passage du don tel
qu'il doit se dérouler, ainsi que les anciens nous l'ont souvent
raconté. L'héritier va dévoiler le corps du Chagar qui repose sur un
lit tendu d'or.
Comme pour participer, malgré leur enfermement, à
cet événement exceptionnel les deux enfants s'approchèrent au plus près
de la barrière magnétique. Ils aperçurent les gardes qui s'étaient
amassés à l'entrée des voûtes pour ne rien perdre du spectacle.
La corne retentit à nouveau. Un son bref.
– L'héritier se tourne vers le Chagar, dit le jeune voleur.
Il y eut un nouveau coup de corne et le silence.
Ilad tendit l'oreille.
– Je n'entends rien et puis Bakor ne recevra pas le don.
– L'héritier s'agenouille, continua le jeune voleur. Il pose les mains
sur le Chagar... et le don passe. Ecoute, frère voleur ! Le peuple va
hurler sa joie.
Mais ce fut un grondement qui leur parvint et qui
se transforma en une puissante clameur. A l'entrée des voûtes, les
gardes se pressaient, inquiets de la tournure que prenait la cérémonie.
– Qu'y a-t-il ? s'inquiéta Givish. Le peuple est en colère, il crie des
insultes.
Givish se tourna vers Ilad qui restait muet. Le
jeune voleur avait l'esprit vif et son compagnon de geôle lui
paraissait bien étrange, tout à coup.
– Que disais-tu au sujet de Bakor et du don qu'il n'aurait pas ?
– Bakor me fera sortir d'ici, dit Ilad qui semblait mal à l'aise. Oui,
il le fera dès que les gardes l'auront informé.
Givish dévisagea le garçon avec insistance et,
subitement, une idée absurde lui traversa l'esprit.
" Givish, songea-t-il, si tu as raison, et ton instinct te dit que
"oui," alors il vaut mieux pour toi déguerpir de ce lieu au plus vite. "
– Ilad, si je te fais sortir d'ici, accepteras-tu de guider le voleur
que je suis hors du palais ?
– Bien sûr mais ce sera inutile. Dès que j'aurai retrouvé le
conseiller, je t'offrirai la liberté, tu as ma parole.
Givish faillit répliquer à son compagnon de
prison qu'il était vraiment trop crédule mais ce n'était pas le moment.
Il sortit, de sa poche, la pierre volée et la
tendit à Ilad.
– Il faut que tu distraies un garde pendant que je lui volerai son
anneau, expliqua-t-il.
– Tu peux faire cela sans qu'il s'en aperçoive ? s'étonna Ilad.
– C'est un jeu d'enfant, dit Givish. Appelle-le !
Ilad dut s'y reprendre à plusieurs fois avant
d'être entendu par les deux derniers gardes encore présents à leur
poste. Les autres s'étaient portés, en hâte, au secours du conseiller
Bakor pour le protéger de la foule et la disperser sans ménagement.
Les gardes arrivèrent à regrets.
– Ne peux-tu rester tranquille ? gronda l'un d'eux. Que veux-tu ?
– Je désire rendre ce que j'ai volé, dit Ilad qui ouvrit la main.
En voyant la pierre, les gardes n'eurent pas une
hésitation. Le premier utilisa son anneau pour neutraliser la barrière
et l'autre entra dans la geôle.
– J'ai honte de ce que j'ai fait, dit Ilad en reculant de deux pas.
Oubliant toute prudence, le garde s'avança et
s'empara de la pierre qu'il leva devant ses yeux pour tenter d'en
évaluer le prix.
D'un signe à peine perceptible, Givish indiqua à
Ilad que c'était réglé mais déjà le garde ressortait et son compagnon
remit la barrière. Puis ils s'isolèrent dans un recoin, discutant
âprement de la façon dont ils allaient partager ce gain inespéré.
– Ils nous tournent le dos, dit Ilad. Profitons-en !
Givish se servit de l'anneau et le rayon s'effaça
; les deux garçons quittèrent leur geôle.
Le fils du Chagar connaissait la montée en
spirale qu'utilisaient les serviteurs pour atteindre les étages
supérieurs et ils avaient peu de risque, étant donné les événements en
cours, de croiser l'un d'entre eux.
Une fois parvenus à l'étage où se trouvaient les
appartements du Chagar, Ilad fit entrer Givish dans une petite pièce et
il lui indiqua une tenture bleue.
– Par cet escalier dérobé tu retrouveras le monde extérieur, dit le
jeune garçon qui ajouta avec sincérité : je vais te regretter.
– Tu n'as donc rien compris ? protesta Givish. Tu dois t'enfuir avec
moi.
– Mais pourquoi ? s'étonna Ilad.
A cet instant, il y eut un bruit de pas dans le
couloir et la voix courroucée du conseiller retentit :
– Je veux qu'on m'amène ce voleur sur le champ ! Qu'en ont fait les
gardes ?
– Ils l'ont enfermé, vénérable Bakor, répondit le serviteur d'une voix
mielleuse. Ils attendaient vos ordres.
– Occupez-vous de cela immédiatement !
Aussitôt, Ilad voulut sortit de sa cachette mais
Givish le retint d'une main ferme.
– Ils sont deux, conseiller Bakor, dit encore le serviteur. Lequel
voulez-vous ?
– Les deux ! gronda Bakor. De toute façon, ils mourront ensemble.
Le conseiller et son serviteur s'éloignèrent ;
Givish relâcha Ilad et s'adressa à lui :
– Faut-il que je t'explique ou bien...
– Non, c'est inutile, fit Ilad, l'air sombre. Bakor s'est joué de moi,
il a abusé de ma confiance.
– Il veut ta place, dit Givish. Et nous, nous devons sortir d'ici, très
vite !
Attrapant Ilad par le bras, le jeune voleur
l'entraîna dans l'escalier. Aussitôt que Bakor apprendrait qu'ils
s'étaient échappés, il lancerait la garde à leur poursuite.
Il leur fallut de longues minutes pour descendre
les nombreuses marches et les deux garçons parvenaient à l'extérieur
lorsque le mugissement grave des conques retentit pour avertir Karoda
que des prisonniers s'étaient évadés. Les Karodan devaient rentrer chez
eux et ne plus en sortir, laissant les gardes parcourir les ruelles de
la cité de Corail, les armes à la main. Malheur à celui qui croiserait
leur chemin !
Mais Givish était un voleur plein de ruse et la
cité n'avait plus de secrets pour lui. Il emmena son compagnon
d'infortune dans une course éperdue, évitant les lieux d'habitation, se
cachant derrière les dunes pour échapper aux gardes qui surgissaient de
toutes parts.
Quittant les ruelles, les deux garçons
contournèrent un
champ d'anémones de mer et s'engouffrèrent dans une profonde cavité au
pied d'une falaise. Après avoir traversé un étonnant dédale de tuyaux
ondulants verts ou blancs, ils finirent par aboutir dans une large
cour.
Les deux garçons s'arrêtèrent pour reprendre leur
souffle. Alors apparurent des personnages tous plus étranges les uns
que les autres.
– Givish ! Je te croyais mort, s'écria quelqu'un.
– Tu te trompais, Tah ! Tu es, à coup sûr, le chef des voleurs mais tu
ne connais pas l'avenir. Je suis venu avec un nouvel ami, il s'appelle
Ilad et il m'a sauvé.
Ilad vit s'avancer un être mi Karoda mi poulpe, à
la peau gluante et pourvu de deux tentacules à la place des jambes. Tah
posa sur l'enfant un regard rempli d'animosité.
– Ilad, c'est ton nom ? Approchez mécréants et rebuts de Karoda, Givish
nous amène un invité !
Les voleurs et les mendiants de la cité de corail
se rassemblèrent et formèrent un cercle autour des nouveaux venus. Ces
pauvres êtres correspondaient exactement au terme de "rebuts" qu'avait
utilisé Tah. Avec un corps couvert d'écailles, ou des mains palmées, ou
parfois une nageoire dorsale, aucun d'entre eux ne pouvait espérer se
montrer en plein jour sans redouter l'injure ou pire encore.
Tah contemplait les deux enfants avec un air
affable que démentait son regard glacial.
– Jeunes Karodan, vous avez bien fait de chercher refuge parmi nous.
Personne n'osera s'aventurer dans mon antre. N'ai-je pas raison, vous
autres ?
Quelques murmures réprobateurs s'élevèrent.
– Tes amis ne sont pas contents, Givish, reprit Tah. Ils ont compris
que c'est pour ce Ilad que les gardes déferlent sur la cité. Ils se
demandent ce qu'il a bien pu faire à Bakor pour provoquer son courroux
et puis... notre grand conseiller, vient de promettre cent perles
noires à qui lui ramènera deux misérables voleurs.
Tah tendit démesurément le cou en avant et sa
bouche s'ouvrit sur un affreux sourire rempli de dents aiguisées.
– Cent perles noires ! répéta-t-il avec envie.
Les voleurs et les mendiants firent un pas en
avant, et Givish les dévisagea, incrédule.
– Je suis l'un des vôtres. Vous n'allez pas me livrer ?
La horde s'avança d'un pas.
– Qui résisterait à tant de perles ? soupira Tah et ses yeux jaunâtres
s'agrandirent démesurément. Mon cher Givish, tu ne veux pas faire
passer ton propre intérêt avant celui de tes amis ? Serais-tu le
pire des égoïstes ?
Ilad attrapa Givish par le poignet et le força à
reculer.
– Tah ! Tu me le paieras, je te le jure ! s'écria Givish.
– Capturez-les ! Ne laissez pas s'enfuir pareille fortune !
Ilad et Givish n'avaient pas attendu que Tah
lance son imprécation pour tourner le dos et détaler de toute la
vitesse de leurs jambes. Trop pressés de les attraper, voleurs et
mendiants se bousculèrent tant et si bien que deux d'entre eux
trébuchèrent et firent chuter les autres dans une incroyable mêlée.
Ilad et Givish mirent à profit ce répit inespéré
pour ressortir du refuge des voleurs mais à l'extérieur, le danger
n'avait pas disparu. A une courte distance les enfants pouvaient
apercevoir une ligne de gardes tandis que, dans leur dos,
retentissaient les braillements de la horde de Tah qui se rapprochait.
Jetant des regards affolés à droite, à gauche,
les deux jeunes garçons cherchèrent une issue pour sauver leur vie.
– Par là ! dit Ilad en indiquant une faille.
Ils s'enfoncèrent dans un passage étroit et
coururent, sans ralentir, jusqu'à ce qu'ils aient distancé leurs
poursuivants.
Alors ils stoppèrent, trop épuisés pour faire
un pas de plus et incapables d'échanger le moindre mot.
Plusieurs
minutes s'écoulèrent avant que le doux murmure d'un ruissellement
n'attire leur attention. Les deux enfants réalisèrent que le couloir
qui les avait amenés là s'était effacé et qu'ils étaient littéralement
cernés par des murs d'eau.
– Où sommes-nous ? demanda Givish mais Ilad n'en avait aucune idée.
– Te voilà enfin, fils du Chagar !
La voix avait résonné sur les parois d'eau et les
enfants firent volte-face pour découvrir un être des plus étonnants.
Sa taille dépassait de trois fois celle des
enfants et son corps n'était qu'une masse rose, hérissée de longues
épines argentées.
– Comment savez-vous mon nom ? demanda Ilad.
– Le Chagar m'avait consulté dans les temps anciens, répondit l'être.
Je suis Malzadanet, le génie de l'eau. Que viens-tu faire dans mon
abysse ?
– Nous ne pouvons pas être au fond d'un abysse, s'étonna Givish.
Puisque à aucun moment nous n'avons descendu de pente.
Le génie se pencha vers le jeune
garçon et son mouvement s'accompagna du clapotis des vagues.
– Tu es Givish, le voleur. On m'a parlé de toi.
Givish chercha les yeux, la bouche dans cette
masse rose mais il n'en trouva pas.
– Qui... qui donc a pu vous parler de moi ?
– L'une de mes filles que tu as arrachée au filet d'un Krival pour la
remettre à la mer.
Givish se rappelait bien de cet épisode mais il
s'agissait alors d'une anguille visqueuse. Une bien étrange fille.
– Elle aime à changer de forme, répondit Malzadanet. Aujourd'hui, c'est
à moi de vous protéger. Les gardes et la horde de Tah sont dehors et
vous guettent.
Une image apparut sur le mur d'eau et les deux
garçons virent des visages féroces et des lames d'ivoire qui ne
laissaient rien présager de bon.
– Nous sommes perdus, dit Givish d'un ton funèbre. Comment
pourrions-nous
leur échapper ?
Mais Malzadanet n'avait pas terminé ses funestes
prévisions.
– Les Ohres se sont emparés de plusieurs planètes appartenant au
Triangle, raconta-t-il. Karoda se trouve sur leur route mais Bakor veut
la garder pour lui seul. Il est parvenu à faire croire aux Ohres qu'il
était l'héritier du don et il s'apprête à signer un accord avec
l'ennemi. Les Ohres préféreront s'en faire un allié puissant plutôt que
le combattre.
Les deux jeunes Karodan étaient effondrés par
cette épouvantable nouvelle.
– Le Chagar t'a transmis le don de son vivant, poursuivit Malzadanet.
C'est contraire à la tradition millénaire mais il redoutait une
trahison de son conseiller et il avait raison. Bakor a compris qu'il
avait été joué, il ne peut te laisser en vie.
– Je suis trop jeune pour maîtriser la puissance du don, dit Ilad. Je
ne peux rien en faire.
– Comment ça " tu ne peux rien en faire " ? gronda Givish. Le génie
vient de te dire que les Ohres nous menacent, que Bakor t'a trahi et tu
es incapable de sauver ton peuple ! Alors à quoi sert-il d'être Chagar
si tu ne vaux guère mieux qu'un voleur comme moi ?
– Il doit apprendre à l'utiliser, Givish, expliqua le génie. Il lui
manque l'expérience de la vie pour y parvenir.
C'en était trop pour le jeune voleur qui laissa
éclater sa colère.
– Ilad donne sa confiance à n'importe qui ! s'écria-t-il.
Il croit tout ce qu'on lui dit, c'est vrai aussi. Mais qui lui
apprendra la vie ? Toi, Malzadanet ?
La masse rose ondula doucement et le génie
répondit :
– Givish le voleur sera son instructeur car il est le plus rusé de tous
les Karodan.
– Moi ! s'écria Givish stupéfait. Un voleur serait le maître du Chagar,
c'est stupide. Oh oui, vraiment.
Givish attendit une réponse du génie mais
celui-ci resta silencieux.
– Très bien, reprit le jeune voleur. Admettons que j'arrive à lui faire
comprendre qu'il ne faut pas se fier au premier venu et que je fasse
aussi entrer dans sa tête les choses sages que j'ai mises à profit pour
rester en vie toutes ces longues années... Tu oublies, génie, que si
nous te quittons, à regret je te l'accorde, il nous restera à choisir
entre les gardes de Bakor ou la horde de Tah. Qu'as-tu à répondre à
cela ?
– Que toi seul peux sauver le Chagar de Karoda, jeune Givish, dit
Malzadanet, car ton esprit est vif et ton coeur courageux. Tu as
compris, Ilad ? Givish fera ton apprentissage jusqu'à ce que tu sois
prêt. En attendant, vous allez changer de forme.
Givish avait d'abord considéré Ilad d'un regard
rempli d'orgueil mais les derniers mots du génie l'inquiétèrent au plus
haut point.
– Nous allons quoi ? s'exclama-t-il. Quelle est cette idée saugrenue ?
– Personne ne fera attention à une sargasse, dit Malzadanet et il
envoya une vaguelette rose tournoyer deux fois autour du voleur.
Givish ouvrit ce qui était ses bras deux secondes
plus tôt et qui venait de se transformer en larges rubans bruns
caoutchouteux. Il baissa la tête pour découvrir le bas de son nouveau
corps, puis son ventre.
– Une algue ! Je suis une vulgaire algue ! Je vous interdis...
Mais la vaguelette recommença sa double ronde
autour d'Ilad et celui devint un ver géant long de deux mètres, d'un
joli violet brillant.
Givish contempla le nouvel Ilad avec perplexité.
– Tu es certain, génie, que c'est la forme la plus adaptée pour notre
Chagar ?
– Bien sûr, répondit Malzadanet. Il ne pourra que t'écouter et aussi,
parfois, te répondre.
Givish parut sceptique mais il fallait bien
admettre que personne ne pourrait les reconnaître.
Toutefois, le jeune voleur avait encore une
question à poser et elle était importante.
– Jusqu'à quand cela durera-t-il ?
– Le moment venu, vous retrouverez votre apparence initiale, n'ayez
crainte !
Givish songea que les génies, du moins celui-là,
n'étaient pas d'une discussion très sensée puis un détail l'amusa.
– Les vers servent de monture, dit-il. Je peux donc utiliser
celui-ci...
– Tu n'y songes pas, Givish ? gronda le ver. Je refuse...
– Il a pourtant raison, jeune Chagar. Ainsi vous passerez inaperçus.
Les chutes d'eau s'écartèrent et le couloir
réapparut.
– Longue route à vous deux ! dit la voix du génie qui avait déjà
disparu.
Givish enfourcha le ver et ils refirent le chemin
en sens inverse. Quand ils furent en vue de la cité de Corail, la horde
de Tah avait regagné ses bas-fonds et seuls les gardes continuaient à
rechercher les deux fugitifs. Ils ne prêtèrent aucune attention à un
ver chevauché par une sargasse.
– Où allons-nous ? demanda Ilad.
– Il m'arrive de dormir chez un passeur de vie en échange d'un peu de
nourriture. Je lui dirai que Givish s'est absenté, il ne posera pas de
questions.
Ils arrivèrent bientôt devant une sorte de cahute
faite d'argile et de coquillages qui lui donnaient un aspect singulier.
– Il n'est pas là, dit Givish en jetant un coup d'oeil à la ronde.
Sinon, il y aurait son Triton garé à proximité.
Le jeune voleur n'eut pas la possibilité d'en
dire plus. Un Krival venait dans leur direction en se hâtant et,
lorsqu'il fut près d'eux, il abaissa la voix comme s'il craignait
d'être entendu.
– Sargasse ! Si tu cherches le passeur de vie, il ne reviendra pas. Il
est parti avec trois Dolph
qui voulaient fuir Karoda avant une attaque des Ohres. Pour mon
malheur, il n'y avait plus de place à bord de son Triton. Si tu
m'aides, je saurai me montrer reconnaissant.
Tout en disant cela, le Krival exhiba quatre
pierres grises.
Givish n'hésita pas une seconde et lui indiqua
le
chemin à suivre.
– Prends la grande allée qui remonte vers le palais et, bifurque à
gauche quand tu apercevras une façade en nacre. Tout au bout il y a un
passeur de vie.
Le Krival partit en courant...sans les pierres
qu'il avait lâchées si vite que Givish dut les rattraper au vol.
– Que craint-il donc ? s'étonna Ilad. Qui voudrait s'en prendre à un
Krival qui ne vaut pas grand-chose ?
– Et toi, pourquoi Bakor en voulait-il à ta vie ?
– Je vaux une fortune, dit Ilad et il y avait une pointe de fierté dans
sa
voix.
– Nous valons tous beaucoup, dit Givish qui montra les pierres :
Regarde ! C'est le prix d'un simple renseignement. Demain, chacun
d'entre nous vaudra son poids en perles pour servir Bakor et les Ohres,
mais en réalité, nos vies ne vaudront plus grand-chose puisqu'elles ne
nous appartiendront plus.
Ilad regarda la sargasse avec étonnement.
– Le génie a dit la vérité. Tu parles comme un sage même si, pour
l'instant, je ne comprends pas ce que tes paroles signifient.
– Cela viendra vite, hélas.
Le Krival ne reparut pas et, grâce aux pierres,
Givish et Ilad eurent de quoi se nourrir sans avoir à voler. Et les
mois passèrent.
Dès la Lunance - c'est-à-dire l'instant
où deux étoiles vertes s'élèvent dans le ciel orangé et illuminent
Karoda - tous les deux sortaient pour parcourir les ruelles et, au fil
des jours,
Ilad découvrait la réalité de la vie dans la cité de Corail. Le fils du
Chagar, comprit que, par son excès de protection, son père l'avait
totalement isolé des problèmes des Karodan et l'avait exposé à
l'ambition démesurée de Bakor.
Ce que Ilad réalisa surtout pleinement,
c'est que sans Givish, il n'aurait pas pu survivre. Celui-ci était
d'une
extrême débrouillardise et sa façon de détrousser un garde - Givish ne
pouvait pas toujours résister à ce petit jeu - était si hardi !
Il ne resta bientôt plus un seul passeur de vie
sur Karoda et le bruit se répandit que deux autres planètes du Triangle
avaient succombé aux Ohres. Quant à Bakor, il s'était décerné le titre
de Chagar - ce que personne n'oserait lui contester - et les deux
voleurs
évadés du palais avaient, parait-il, été mis en pièces par la horde de
Tah avant d'être jetés dans une mare profonde.
Un jour, alors que Givish et Ilad se
trouvaient sur la place aux Echos, un marchand s'approcha de Givish.
– Dis-moi sargasse, accepterais-tu de me vendre ton ver ? Il a l'air
solide et j'ai besoin d'une nouvelle monture.
Givish sembla d'hésiter.
– C'est vrai qu'il est résistant et capable de faire une longue route
sans se fatiguer. Combien m'en donnes-tu ?
– Trois pierres vertes.
– Tu n'es guère généreux et puis mon ver a mauvais caractère, il
pourrait te jeter sur le sol et te blesser. Je ne veux pas qu'il
t'arrive malheur.
– Je te propose quatre pierres, non cinq !
– Peut-être que si tu vas jusqu'à huit...
– Sept mais pas une de plus !
Givish allait lui répondre que son offre devenait
tentante quand quatre gardes arrivèrent, interrompant ce marchandage
qui paraissait vouloir s'éterniser. L'un d'eux, avec autorité,
interpella la foule qui vint s'agglutiner autour de lui.
Ilad en profita pour glisser à l'oreille de
Givish qu'il refusait d'être vendu comme une simple marchandise.
– Quel dommage ! dit Givish. Quelques pierres vertes c'était un bon
prix pour un ver qui se plaint de devoir me porter.
– Givish, je te préviens que si tu oses encore...
– Chut, Ilad. Un ver ne menace pas son maître et puis il vaut mieux
écouter le garde. C'est sans doute important.
Le silence se fit et le garde annonça d'une voix
qui portait haut et fort :
– Bakor le Chagar signera demain une alliance avec les Ohres (quelques
rumeurs s'élevèrent). Les Karodan devront assister à cette cérémonie
afin de prouver leur amitié envers nos nouveaux alliés. Ceci est le bon
vouloir de notre grand Chagar.
On n'entendit plus un murmure jusqu'à ce que les
gardes se soient éloignés alors, seulement, la foule se répandit en
cris
et protestations.
– Tu vois, Ilad, dit Givish. Nos vies dépendent désormais du bon
vouloir de Bakor et le marchand l'a bien compris. Il a oublié cette
monture qu'il espérait tant acheter et il préfère fuir à pied pour
rester en vie.
En effet, le marchand détalait dans les allées ;
peut-être espérait-il trouver encore un passeur de vie pour l'emmener
loin de Karoda mais il n'avait que peu de chance d'y parvenir.
– Je me demande encore comment un traître, comme Bakor, a pu demeurer
le conseiller de mon père durant toutes ces années ? dit Ilad.
– Ce doit être un très bon comédien et puis, le jeu en valait la peine.
Le voilà devenu maître tout-puissant de Karoda et nous, nous sommes
réduits à la valeur d'un grain de sable. Rentrons, nous en avons assez
entendu pour aujourd'hui.
Tandis que tous deux s'éloignaient, Ilad se
lamenta.
– Je me sens si inutile. Un incapable, c'est tout ce que je suis alors
que les Karodan ont besoin d'aide.
– Tu manques encore d'expérience, répondit Givish pour le
réconforter. Pourtant, tu fais de grands progrès, crois-moi.
– Quand saurai-je que je suis prêt ?
Givish ne put lui répondre, le génie n'avait
fourni aucun détail quant à la suite des événements ; pourtant, comme
il était impossible d'agir d'une manière ou d'une autre pour reprendre
leur ancienne forme, la sagesse commandait d'être patient.
Le lendemain, à la Lunance, les habitants de
Karoda se levèrent et ils quittèrent leurs habitations ; Givish et Ilad
firent de même. Dans un silence lugubre, les Karodan marchèrent
jusqu'au palais ; quelque chose leur faisait pressentir que ce ne
serait pas un bon jour.
Ils s'amassèrent au pied du palais, encadrés par
les gardes qui ne paraissaient pas plus rassurés. Bientôt Bakor se
montra, portant l'habit du Chagar, et, d'un geste qui se voulait
solennel, il désigna le ciel orangé. Les Karodan levèrent la tête et il
ne leur fallut guère attendre pour voir se profiler la forme noire et
massive d'un appareil volant portant trois griffes rouges sur son
fuselage ; les Ohres arrivaient.
L'appareil se posa et Mongrov, le chef des
Ohres, en descendit. Un frémissement de répulsion parcourut la foule.
Son corps, fait de chair gélatineuse, laissait voir son squelette par
transparence et sa large tête était recouverte de monstrueuses
boursouflures.
Le Karodan et l'Ohre se saluèrent puis Bakor
annonça qu'un accord de paix liait désormais leurs peuples et
qu'ils avaient décidé de veiller, ensemble, sur les planètes du
Triangle.
– Les Ohres et les Karodan se sont alliés pour terroriser les peuples
du Triangle, chuchota un Karodan à côté de Givish avant d'ajouter :
Quelle honte pour nous et notre Chagar.
– Je suis bien d'accord avec toi, lui répondit la sargasse. Mon nom est
Givish.
– Je suis Lomad.
Un garde vint se placer aux côtés de Bakor ; il
portait un petit coffret de nacre que Bakor ouvrit, dévoilant des
centaines de perles et de pierres de toutes les couleurs.
– J'ai préparé ce cadeau, Mongrov, dit-il, afin de te remercier et de
sceller, à jamais, notre entente.
– Il ne doit plus rester une seule pierre sur Karoda, souffla
Lomad. L'amitié de Mongrov nous coûte cher.
Mais, à la grande surprise de tous, le chef des
Ohres n'en voulut pas.
– Garde tes pierres, Chagar ! J'apprécierai de toi un présent de plus
grande valeur. Donne-moi quelques-uns de tes Karodan pour offrir en
sacrifice au redoutable Effroi qui veille sur ma planète.
Bakor, dont le visage avait d'abord exprimé une
certaine perplexité, retrouva son sourire cruel. Puisque ce fou
refusait une fortune pour se contenter de quelques misérables vies, il
n'allait pas s'y opposer.
– Sers-toi comme tu le désires, Mongrov !
Avant que Ilad, Givish et Lomad n'aient eu la
possibilité d'esquisser le moindre geste, ils se retrouvèrent, avec
deux autres Karodan, cernés par des Ohres et séparés de la foule.
– Merci à toi, grand Chagar, dit Mongrov. A mon tour de t'offrir une
marque de mon estime.
Deux Ohres apportèrent un superbe plateau
d'argent sur lequel était posée une modeste coupe en écume de mer.
– Te moques-tu de moi, Mongrov ? s'étonna Bakor. Cet objet n'a
aucune valeur.
– Regarde bien, Chagar ! Et tu y verras ton avenir révélé, sans que
rien ne te soit épargné, le meilleur comme le pire !
Impressionné, Bakor se pencha et, au fond du
récipient rempli d'un liquide blanchâtre, il vit apparaître le visage
d'Ilad. Le nouveau Chagar ne réussit qu'à grand-peine à conserver son
sang-froid et il lui fallut faire un effort pour remercier Mongrov de
son terrible cadeau.
La cérémonie était finie, les gardes dispersèrent
la foule. Ilad, Givish et leurs compagnons d'infortune furent embarqués
dans le vaisseau des Ohres, et ils quittèrent la belle cité de Corail
sans espoir de retour.
Après de longues et inconfortables heures de vol - car les Ohres
traitaient mal leurs prisonniers - le vaisseau atterrit sur la planète
Ohroz. Sans attendre, les Karodan furent escortés jusqu'aux abords d'un
précipice où les Ohres, après avoir déroulé une échelle de corde, les
obligèrent à descendre. Puis ils leur jetèrent plusieurs sacs contenant
de la nourriture, remontèrent l'échelle et s'en allèrent.
Durant plusieurs minutes, Givish, Ilad et leurs
compagnons - qui se nommaient Tonk et Duly - restèrent silencieux,
parcourant d'un regard inquiet le lieu
où ils avaient été abandonnés. De hautes murailles, percées de trous
immenses, se succédaient, formant un monstrueux labyrinthe d'où il
devait être très difficile de ressortir.
– Je n'ai pas retenu le nom de la chose à qui ils nous offrent en
sacrifice, dit Ilad.
– Un ver ne peut pas être doté de la parole ! s'étonna Lomad. Qui es-tu
donc ?
– Il s'appelle Ilad, dit Givish. Mais nous parlerons de cela plus tard.
Mongrov a prononcé le mot "Effroi", j'ignore de quoi il s'agit.
A cet instant, un affreux hurlement retentit qui
glaça de peur les malheureux Karodan. Ils se serrèrent les uns contre
les autres, écoutant ce cri qui se répercuta longuement contre les
parois.
– Nous allons mourir, gémit Lomad.
– Hélas ! Personne ne pourra ressortir vivant
de ce gouffre, dit Tonk tandis que son ami Duly se mettait à trembler
de tout son corps.
– Notre seule chance est de rester ensemble, dit Givish. Ainsi, nous
serons plus forts.
– Comment nous battre contre lui s'il est invisible ? protesta Lomad et
les deux autres Karodan acquiescèrent.
– Il ne l'est peut-être pas, dit Ilad. Il est urgent de trouver un
abri, ensuite, nous aviserons.
Ils se mirent à longer la falaise, cherchant un
renfoncement quelconque qui pourrait les accueillir et abriter leurs
vies. Ils finirent par dénicher une grotte et s'y refugièrent mais le
soulagement
qu'ils ressentirent fut de courte durée. Sur le sol
gisaient quelques lambeaux de vêtements et des restes de nourriture
indiquant que d'autres êtres y avaient séjourné avant eux.
– Inutile de se demander ce qu'il leur est arrivé, dit Lomad et
l'affreux cri retentit à nouveau, avec force, confirmant ses propos.
– Nous sommes hors de sa portée tant que nous demeurerons ici, dit
Tonk.
– Oui mais nous serons à sa merci quand nous irons chercher la
nourriture laissée par les Ohres, dit Ilad. La faim nous y poussera et
c'est sans doute ainsi que cela se termine.
Lomad acquiesça de la tête puis il contempla le
ver avec insistance.
– Les vers de Karoda ne parlent pas, dit-il. Puisque nous allons
bientôt mourir, dis-moi, qui es-tu réellement ?
– Ilad, votre nouveau Chagar. Bakor voulait me faire disparaître mais
Givish m'a sauvé la vie et un génie de l'eau m'a donné cette forme
étrange pour me mettre à l'abri. Hélas, cela n'aura servi à rien. Et ce
sont les Ohres qui auront, sans le savoir, rendu ce grand service à
Bakor.
– Notre nouveau Chagar ? s'étonna Lomad tandis que les deux Karodan se
montraient aussi surpris que lui. J'avoue que je suis prêt à te croire.
Et toi, sargasse ? demanda-t-il en s'adressant à Givish. A quoi
ressembles-tu quand tu n'es pas une algue ?
– A un voleur, répondit Givish. Un simple mais talentueux voleur.
Et il tendit à Lomad une minuscule pince de crabe
liée au bout d'un cordonnet noir.
– Mais c'est mon porte-bonheur ! s'écria Lomad avant d'éclater de rire.
Bravo, Givish. Je m'incline devant ton talent.
Tandis que Lomad récupérait son talisman, les
deux autres Karodan saluèrent le ver avec respect.
– Si tu es notre Chagar, alors nous sortirons vivants de ce ravin.
Quels que soient tes ordres, Chagar, nous t'obéirons.
Givish et Lomad se joignirent à eux.
– Ils ont raison, Ilad, dit Givish. Nous retournerons, tous ensemble,
sur Karoda et tu retrouveras ton palais.
– Et nous jeterons Bakor dans une geôle ! s'écria Lomad. Vive notre
Chagar !
Les jours passèrent. Lomad, Tonk et Duly faisaient le guet tandis
que Givish et Ilad
allaient récupérer un peu de nourriture. Ensemble ils s'efforçaient
d'élaborer un plan pour échapper au monstre mais, en attendant d'y
parvenir, il valait mieux économiser les provisions.
L'Effroi ne
s'était pas encore montré à eux mais, parfois, ils soupçonnaient sa
présence, lorsque le sol tremblait ou que son cri déchirait l'air.
Givish et Ilad décidèrent donc de se cacher
derrière un monticule afin de l'apercevoir et ils patientèrent. Ce ne
fut pas long. L'Effroi portait bien son nom car il était vraiment
affreux à voir : de la bave coulait en continu de sa large bouche, et
son corps
avait de multiples pattes terminées par de très longues griffes.
– Il porte bien son nom, dit Givish en faisant une grimace. Il est plus
laid à lui tout seul que tous les rebuts dont s'occupent Tah. Ce ne
sera pas facile d'en venir à bout.
Ilad ne répondit pas ; un détail l'intriguait.
– Givish, tu as vu comme il peine à se déplacer ?
L'Effroi se traînait entre les murailles
rocheuses ; il passa, à bonne distance, de la cachette des deux Karodan
en laissant de larges sillons dans le sol.
– Que veux-tu dire ?
– Comment une chose aussi lourde peut-elle attraper un être aussi
rapide qu'un Karodan ?
Givish réfléchit.
– On court moins vite quand on crève de faim.
– Il y a autre chose, je le crains. Viens, nous ne devons pas le perdre
de vue.
L'Effroi se dirigeait vers une paroi
épaisse dans laquelle les tourbillons de vent avaient fini par creuser
une ouverture de petite taille. Quand il fut à proximité, son énorme
masse s'étira et se déforma pour se glisser par l'étroit passage. Une
fois de l'autre côté, il poursuivit son chemin.
Les deux amis s'étaient arrêtés, ébahis par le
spectacle auquel ils venaient d'assister.
– C'est incroyable ! s'écria Givish horrifié. Il est passé par ce trou
aussi facilement que ma main entre et ressort de la poche d'un
marchand.
– Oui, répondit Ilad. Nous savons maintenant qu'il peut pénétrer dans
notre grotte sans la moindre difficulté.
– Pourquoi ne l'a-t-il pas encore fait ?
– Parce que la faim ne le tenaille pas suffisamment.
– Oui, dit Givish, mais cela ne tardera plus. D'ailleurs, j'ai remarqué
qu'il se rapproche un peu plus de notre grotte à chacune de ses rondes.
– Rentrons, dit Ilad, nous devons avertir les autres.
Les paroles du ver plongèrent les Karodan dans
une profonde stupeur.
– Cela signifie que si les Ohres nous ont donné de la nourriture c'est
pour nous garder en vie jusqu'au moment où l'Effroi voudra nous dévorer
? s'inquiéta Lomad.
– Oui, dit Ilad. Il se faufilera sans difficulté et nous serons à sa
merci.
– Que pouvons-nous faire ?
Ilad se posait la question depuis plusieurs
minutes et il eut la réponse en voyant une jarre abandonnée sur le sol.
– J'ai trouvé ! s'exclama-t-il. Duly, dépose un peu de nourriture au
fond de cette jarre. Maintenant Tonk, déchire ta
tunique et ajoute un moreau de tissu
portant l'odeur d'un Karodan !
Pendant que Duly et Tonk s'exécutaient, Ilad
demanda à Givish de ramasser un sac vide.
– Puisqu'il n'a pas d'yeux, dit le ver, il doit utiliser son flair pour
repérer ses proies. Nous allons lui tendre un piège. Lomad, donne ton
talisman à Givish,
juste le cordonnet.
– A toi, Givish, prends le cordonnet et la jarre et enfourche-moi !
Givish avait compris ce que Ilad préparait et il se sentit plein de
courage pour s'attaquer à l'Effroi.
– Allons-y, Ilad ! Et vous autres, attendez-nous ici !
Il leur fut facile de repérer les traces du
monstre. Ils déposèrent la jarre sur son lieu de passage, puis ils
s'abritèrent dans un recoin. Et quand le sol se mit à trembler, ils
surent qu'il approchait.
L'Effroi renifla rapidement les odeurs mélangées
et il succomba aussitôt à la tentation. Ilad et Givish se penchèrent
pour le voir se contorsionner et rapetisser pour entrer dans la
jarre afin d'atteindre la nourriture.
– Maintenant ! s'écria Ilad.
Givish se précipita et couvrit l'ouverture de la
jarre avec le
sac qu'il noua serré à l'aide du cordonnet noir.
Hourra ! L'Effroi était fait
prisonnier et bien incapable de se libérer par ses propres moyens.
– Je préfère ne pas être là quand il ressortira, se moqua Givish. Il ne
sera pas de bonne humeur. Allons annoncer la nouvelle à nos amis !
Mais ce fut inutile. Lomad, Tonk et Duly
n'avaient pas pu résister ; ils avaient quitté leur refuge et avaient
assisté, de loin, à l'enfermement du monstre.
Ils se précipitèrent vers Ilad et Givish et ils
allaient les féliciter pour leur courage lorsque tous les trois
poussèrent un cri de stupéfaction.
– Givish ! Tu es en train de changer de forme !
Givish regarda ses pieds, ses jambes et réalisa
qu'ils étaient réapparus, puis ce fut ses bras et enfin sa tête.
– J'ai retrouvé mon apparence, s'écria-t-il et il poussa un cri de
bonheur.
Mais Lomad, Tonk et Duly n'étaient pas au bout de
leurs surprises car Ilad subissait, lui aussi, une transformation et,
après ces nombreux mois écoulés depuis la rencontre avec le génie
Malzadanet, il avait grandi pour devenir un jeune Karodan plein de
vigueur et de sagesse.
– Oui, tu es bien un voleur, s'écria Lomad en montrant du doigt la
marque
de l'infamie sur le front de Givish. Alors, Ilad serait vraiment notre
vénéré Chagar ?
Et dans sa voix, il y avait de la crainte et du
respect.
– Oui, et je vais vous le prouver, s'écria Ilad qui se tourna vers
Givish : Tu as protégé ma vie et tu m'as servi avec fidélité.
Désormais, tu seras le grand conseiller Givish.
Puis il effleura de sa main le front du jeune
voleur et la marque de l'infamie disparut.
– Et maintenant, mes amis, efforçons-nous de quitter ce triste lieu !
– Tu as raison, Ilad. Nous devons nous occuper de notre bien-aimé Bakor.
Mais ils durent, rapidement, se rendre à
l'évidence ; les parois étaient toutes plus abruptes les unes que les
autres, il était impossible de les escalader.
– Il nous faudrait une échelle de corde identique à celle des Ohres,
dit Lomad.
Ils se tournèrent tous les quatre vers Ilad qui
comprit l'appel silencieux que lui lançait ses amis.
– Je vais essayer, mais j'ignore encore de quoi je suis capable.
Il étendit le bras vers le mur rocheux et se
concentra. Une première marche apparut, puis une deuxième, et une
troisième, et ainsi de suite jusqu'au sommet du précipice.
Tandis que Lomad, Tonk, Duly et Ilad remontaient
les marches
pour quitter le
gouffre, Givish empoigna la jarre contenant le monstre et l'emmena avec
lui.
– Il pourra nous être utile plus tard, dit-il à ses compagnons quand il
les
retrouva au sommet du précipice.
Et tous les cinq se mirent en marche, plein de
volonté
et de courage pour apporter leur aide aux habitants de Karoda.
Ohroz était une planète d'une grande fadeur ; un
mélange de roches jaunâtres et de champs d'épineux qu'il valait mieux
éviter de traverser pour ne pas finir couvert d'égratignures. Au
milieu de ce triste paysage, des habitations assez rudimentaires
avaient été construites. A proximité se trouvaient une série d'engins
volants autour desquels quelques Ohres s'affairaient.
– Nous devons regagner Karoda, dit Lomad. Si nous pouvons nous emparer
d'un vaisseau, je saurai le piloter.
– Je ne vois pas Mongrov et ses guerriers, chuchota Givish après avoir
scruté les alentours. Il n'y a qu'à se servir. Fais ton choix, Lomad !
– Les Ohres ne nous laisseront pas approcher, répondit le Karodan, un
peu surpris.
Givish eut un large sourire et il tapota la jarre
qu'il tenait toujours sous son bras.
– Je crois que notre ami aimerait prendre l'air, dit-il. Nous n'allons
pas le priver de ce plaisir.
Ilad et ses compagnons s'approchèrent en rampant,
pour ne pas se faire repérer, puis Givish ôta le cordonnet du sac qui
fermait le
récipient et, d'un coup de pied, il le fit rouler jusqu'au milieu des
Ohres. Ceux-ci ne comprirent pas tout de suite quelle était cette chose
griffue qui cherchait à s'extirper de la jarre, puis soudain celle-ci
se fracassa contre une grosse pierre libérant l'Effroi. Quand il
déploya son énorme masse, les Ohres furent pris de panique et ils
s'enfuirent en hurlant.
Ilad, Givish et leurs
compagnons se hâtèrent de monter à bord d'un vaisseau et Lomad n'eut
aucun mal à le
faire décoller.
Après le départ des Ohres, et de leurs malheureux prisonniers, Bakor
s'était enfermé dans son palais, impatient de regarder, à nouveau, dans
la coupe ; mais le visage d'Ilad ne réapparut pas.
Le temps passa mais le conseiller
continuait, chaque jour, à consulter son avenir. Celui-ci lui annonçait
peu de choses, et Bakor aurait peut-être fini par trouver cela ennuyeux
si l'image du jeune Karodan, revêtu de l'habit officiel du
Chagar, n'était venu troubler le fond de la coupe.
Tremblant de peur, Bakor envoya un message à
Mongrov, l'informant qu'il craignait pour l'alliance qu'il avait nouée
avec les Ohres ; ce qui ne manquerait pas, il le savait, d'alarmer
Mongrov et de le faire venir dans les plus brefs délais.
Ensuite Bakor fit placer des guetteurs afin
qu'ils donnent l'alerte si un engin suspect entrait dans le ciel orangé
de Karoda. Car, désormais, Bakor avait peur.
Personne ne s'inquiéta donc quand un vaisseau
portant trois griffes rouges - le symbole des Ohres - grossit à
l'horizon avant de se poser devant le palais.
Bakor se précipita à la rencontre des occupants
du vaisseau et il fut pétrifié quand il reconnut Ilad qui en
descendait.
– Tu ne resteras plus longtemps en vie, crois-moi, s'écria le
conseiller. Gardes, emparez-vous de lui !
Les gardes n'en eurent pas le temps. Les Karodan
arrivaient de toutes les ruelles de la cité de Corail et Givish les
rameuta pour qu'ils viennent les soutenir.
– Soyez à nos côtés, frères Karodan ! Bakor vous a trahis et vous a
vendus aux Ohres. Ilad est le véritable Chagar !
Les Karodan se montrèrent si menaçants que les
gardes commencèrent à reculer ; c'est alors qu'un autre vaisseau arriva
avec le chef des Ohres.
Le conseiller se précipita au devant de Mongrov
qui fut très surpris.
– J'ai reçu ton appel, Bakor. Pourquoi demander mon aide puisque tu
détiens le pouvoir ?
– Il vous a menti, répondit Ilad qui s'approcha d'eux. Moi seul, je
suis le Chagar et je possède le don. Allons,
toi Mongrov et les tiens allaient quitter Karoda et ne plus jamais
revenir
sur notre sol !
Mongrov hésita mais quelque chose dans le
comportement et dans la voix d'Ilad l'impressionnait.
– Montrez-moi lequel de vous deux est le véritable Chagar !
ordonna-t-il car il savait qu'il n'était pas de taille à lutter contre
une force aussi redoutable.
– Débarrasse-moi de cet imposteur ! protesta Bakor, et je te montrerai
l'étendue de ma puissance !
Mais, avant que Mongrov n'ait pu agir, Ilad
ramassa une poignée de poussière sur le sol et, d'un geste vif, il la
lança sur Bakor qui se changea, instantanément, en un gros coquillage.
Givish s'en empara et il le montra à la foule.
– Je le trouve plus sympathique sous cette forme-là, dit-il.
Ilad s'adressa ensuite à Mongrov.
– Rentre chez toi, chef des Ohres, et ne reviens plus jamais semer la
peur sur les planètes du Triangle, j'y veillerai désormais.
Mongrov salua le nouveau Chagar, puis lui et ses
Ohres remontèrent dans leur vaisseau et on n'entendit plus jamais
parler d'eux.
Tandis que la foule applaudissait leur départ,
Givish aperçut les rebuts de Tah qui se tenaient à l'écart.
– Mes frères voleurs sont venus, dit-il à Ilad. Mais ils ne seront
jamais libres comme je le suis car je n'ai plus la marque de l'infamie.
– Nous allons remédier à cela, dit Ilad. Venez, horde de Tah ! Tous les
Karodan doivent être heureux en ce grand jour.
Les Karodan s'écartèrent pour laisser passer ces
pauvres êtres. Alors, Ilad fit tomber sur eux une pluie de sable d'or
qui effaça toutes leurs disgrâces.
Tah fut le premier à crier "Longue vie à notre
grand
Chagar !" et la foule reprit ce cri avec force.
Depuis ce temps, les Karodan vivent heureux dans
leur belle cité de Corail et Ilad le Chagar ainsi que Givish, son
fidèle conseiller, veillent sur eux. Quant à Bakor... Le coquillage est
enfermé dans une boîte très solide et personne n'a l'intention de l'en
faire sortir.
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version revue et corrigée par l'auteur (juillet 2022)