Claude Jego
la boutique du coin de la rue

Quelque part aux portes de la Provence, il existe une petite ville répondant au joli nom d'un fruit. Si vous vous glissez au hasard de ses rues, pas très loin de l'antique théâtre romain, vous découvrirez une, façade beige orangée et sa minuscule vitrine. Vous ne pouvez pas la manquer : c'est " la boutique au coin de la rue ".
Pendant la nuit, alors que les gens dorment, les livres descendent des étagères, leurs pages s'entrouvrent et les histoires s'échappent pour prendre vie. Approchez-vous sur la pointe des pieds et tendez l'oreille. Vous entendez ces chuchotements ? Ce sont les mots qui racontent...

* * * * *

Le chat de Noël

C'est le son de la cloche tintant dans le lointain qui réveilla Melki.
Il demeura quelques secondes engourdi de sommeil avant de retrouver, lentement, ses esprits. Il se redressa, se frotta les yeux, prit une profonde inspiration : l'air était doux et il faisait encore nuit. La cloche résonna à nouveau et soudain Melki se souvint.
Il poussa une exclamation effarée et se leva d'un bond en agitant les bras.
– Ils m'ont oublié ! Je ne peux pas le croire et pourtant ils m'ont oublié !
  Soudain une voix à moitié endormie s'adressa à lui :
– Pourquoi fais-tu tant de bruit ? Je ne comprends pas que tu t'agites ainsi.
Melki essaya de voir qui lui parlait dans la pénombre mais c'était peine perdue alors il demanda :
– Baba ! Est-ce toi mon ami ?
– Bien sûr que c'est moi, répondit à nouveau la voix mais cette fois elle était plus proche.
Melki tendit les bras à l'aveuglette et ses mains touchèrent une épaule, puis un visage.
– Toi aussi tu as entendu la cloche, n'est-ce pas ? Nous devons absolument les rejoindre, nous ne pouvons pas rester là. Une chose pareille ne s'est jamais produite.
– Oui, mais comment faire ? répondit Baba. Nous ignorons dans quel lieu nous nous trouvons et il fait si sombre que l'on pourrait tomber au fond d'un trou ou pire encore.
Melki se demanda pourquoi son ami se montrait si craintif lorsqu'il entendit tout à coup :
– Miaouuuu ! Miaouuuu !

Le cri venu de nulle part jeta Baba dans les bras de Melki.
– Qu'est-ce que c'est ? Quel est ce cri affreux ? dit-t-il d'une voix tremblante.
– Miaouuu ! répéta la voix. Je sens l'odeur des bougies, elles sont toutes proches.
– Ce n'est qu'un chat qui a beaucoup de flair, répondit Melki à son ami Baba. Je te croyais plus courageux.
Melki suivit les indications du chat. Il s'accroupit et, cherchant à tâtons, il trouva une boîte d'allumettes et un chandelier dont il enflamma la mèche ; une lumière jaunâtre se répandit autour d'eux. Elle éclaira les deux amis vêtus d'un habit d'or pour l'un et d'argent pour l'autre ; tout près d'eux un animal à long poil roux et blanc était couché dans un panier d'osier.
– Comment un chat a-t-il pu arriver jusqu'ici ? s'étonna Baba. C'est incroyable une chose pareille.
L'animal s'étira paresseusement.
– Je l'ignore mais peu m'importe. Miaou ! Je me rendors et je reprends mon beau rêve là où vous l'avez interrompu : quand j'allais attraper une douzaine de souris d'une seule patte.
Et il se roula en boule, la tête entre les pattes.
– Hé, le chat : Tu as mieux à faire que de t'occuper des souris ! protesta Baba. Cette nuit est la plus belle de toute l'année et la plus importante, l'aurais-tu oublié ? Nos amis nous attendent, ils doivent même s'inquiéter de ne pas nous voir arriver.
– Oh, je suis certain de ne pas leur manquer, répondit le chat qui bâilla à nouveau. Même par cette belle nuit.
– Et tu as raison, laissa tomber Melki qui tournait la tête de tous côtés et cherchait le moyen de sortir de leur étrange prison.
Mais de quelle façon ? La pièce était rectangulaire, avec des murs lisses ; il n'y avait aucune fenêtre, pas de porte.

Melki se disait que ce serait très difficile de s'évader de cet endroit lorsque, levant la tête, il aperçut un rai de lumière qui filtrait au ras du plafond.
– Là ! fit-il en montrant du doigt. Il y a un passage, allons-y !
– Miaou, c'est facile à dire ! ironisa le chat. Après tout il n'y a que deux mètres de hauteur. Il suffit de faire un bond et voilà, nous retrouverons la liberté. Tout le monde sait que les chats sautent mieux que les humains, voulez que j'essaie le premier ?
Melki fronça les sourcils en voyant le chat étirer ses longues pattes comme s'il se préparait à effectuer un bond gigantesque. Il n'aimait pas beaucoup les chats mais celui-là l'agaçait prodigieusement.
– C'est inutile, dit Baba au chat et il se tourna vers son ami : Je vais te faire la courte échelle. Regarde !
Baba posa la bougie à terre puis il plaça ses deux mains pour recevoir l'un des pieds de Melki et ainsi donner une forte impulsion à son ami.
– Et hop !
Profitant de cet élan, Melki bondit vers le plafond où, après un rétablissement laborieux, il se retrouva à cheval sur le haut du mur.
– Bravo, fit le chat. Je ne te savais pas aussi costaud. A ton tour, Baba. Je suis impatient de voir comment tu vas t'y prendre. Veux-tu que je t'aide avec mes petites pattes ?
– Ricane tant que tu le peux encore, boule de poils ! gronda Melki toujours perché sur le mur. Tu riras moins quand tu seras seul dans cet endroit lugubre.
– Ah non ! Il n'est pas question de le laisser, protesta Baba. Il part avec nous.
Il se pencha pour s'emparer du chat qui sentit son poil se hérisser sur son dos.
– Miaou ! s'écria-t-il. Qu'allez-vous faire de moi ? Au secou...
Mais Baba ne l'écoutait pas.
– Tu es prêt ? demanda-t-il à Melki. Alors je compte : un, deux et... trois.
Et le chat s'envola dans les airs.

Melki réussit à saisir le malheureux animal par la queue et le posa à côté de lui, sur le large rebord où le chat se cramponna de toutes ses griffes.
– Tu fais moins le malin, boule de poils, le taquina Melki. Je te conseille de te tenir tranquille, car si tu tombes, je ne retournerai pas te chercher.
A la lueur de la bougie, Baba avait exploré tous les recoins de la pièce qui le gardait encore prisonnier. Il finit par découvrir un vieux coffre en bois, le traîna jusqu'au mur et s'en servit comme marchepied. Il leva alors les bras vers Melki qui lui attrapa les mains et tira très fort pour l'aider à le rejoindre.
– Nous voilà bien avancés, grogna le chat qui frissonna car l'air était frais. J'étais mieux couché dans mon panier, sur un vieux pull de laine. Que fait-on maintenant ?
– On redescend de l'autre côté, dit Melki. Le sol semble tout proche.
Et "hop !" il se laissa tomber, suivi sans hésiter par Baba. Le chat, n'ayant plus le choix, lui sauta dans les bras.
– Nous voilà libres, dit Melki. Cherchons de quel côté nous diriger !

Ils observèrent les environs et réalisèrent qu'ils se trouvaient  sur un vaste plateau qui leur offrait une vue panoramique. Quel étrange paysage ! Quelles drôles de couleurs ! Quelles étranges senteurs flottant dans les airs !
– Je n'ai jamais vu un endroit comme celui-ci, dit d'abord Melki. Il ne s'agit pas d'un désert, il n'y a ni sable, ni chameaux.
– Ce n'est pas un village non plus, dit alors Baba. Pas une seule maison, aucune rue, ni de gens qui s'agitent.
– Miaou ! fit en dernier le chat. Pas de souris, ni d'écuelle pleine de lait. Aucun coussin moelleux devant un bon feu de bois. Quelle tristesse !
– J'ai l'affreuse impression que nous sommes perdus tous les trois au milieu de nulle part, gémit Baba.
– Peut-être parce que c'est la première fois qu'on nous oublie, répondit Melki qui plissa les yeux pour tenter de voir le plus loin possible et, tout à coup, son visage s'éclaira.
– Là-bas ! s'écria-t-il en tendant le doigt pour indiquer une direction.

Alors, dans le lointain ils virent un arbre qui se tenait comme un géant majestueux et, sous ses branches basses, il abritait une espèce de maison avec un toit de chaume. Sous le feuillage cela faisait une tache claire.
– On n'y parviendra jamais, grogna le chat qui secoua ses longs poils. Il faudrait d'abord quitter cet endroit mais comment faire ?
– Il n'a pas tort, reconnut Baba en voyant le vide qui les entourait. Nous voilà toujours prisonniers.
– Regardez cette grosse corde rouge ! s'exclama Melki. C'est exactement ce qu'il nous fallait.
Le long de la paroi pendait une grosse corde rouge qui descendait jusqu'au plateau. Baba proposa à Melki de passer le premier, ensuite il lui enverrait le chat attaché au bout de la corde et puis il se laisserait glisser à son tour.
– Oublie ce tas de poils, suggéra Melki. Il ne fera que nous ralentir.
– Tu es mal élevé ! lui répondit le chat. Mais j'avoue que je me passerai volontiers de ta compagnie.
– Cessez de vous chamailler ! dit Baba. Nous avons perdu assez de temps.
Après quelques minutes d'effort, ils atteignirent enfin la plaine mais celle-ci semblait s'étendre à perte de vue.
– J'aurai les pattes usées avant d'être parvenu de l'autre côté, se lamenta le chat. Pourquoi ne pas  me laisser ici ?
Mais Baba n'était pas d'accord. Il souleva le chat et le déposa sur son épaule.
– Tu es bien ainsi ? Alors, partons !

Au début, tout se déroula sans le moindre problème. Baba avait repéré la bonne direction pour atteindre l'arbre et les deux amis avançaient à grands pas, le coeur plein de courage. Mais soudain, au détour du chemin, un monstre terrifiant se dressa devant eux. Campé sur ses quatre pattes, le corps couvert de poils et la gueule pleine de crocs, il faisait entendre d'affreux grognements.
– Miaou ! Pitié, je ne voulais pas venir, gémit le chat qui ne savait pas de quel côté trouver un abri pour sauver sa pauvre vie de chat.
– Vite, par ici ! s'écria Melki en voyant un train qui arrivait de l'autre bout de la plaine et qui se rapprochait d'eux.
Quand il fut à leur hauteur, d'un bond, Melka grimpa à l'intérieur et Baba et le chat le rejoignirent. Alors le train accéléra et fonçant à toute vitesse sur ses rails, il les emporta loin, très loin du gros lion en peluche qu'un enfant avait sûrement oublié en allant se coucher. Le train traversa la plaine et bientôt la locomotive et ses deux wagons stoppèrent devant une adorable gare remplie de voyageurs en plastique et de fleurs en papier. Nos trois amis sautèrent sur le quai.
– Ouf ! Nous voiçi presque arrivés , s'écria Melki.
Sans attendre, Baba s'adressa à un voyageur qui tenait une valise à la main et  lui demanda son chemin.
– Nous voulons rejoindre nos amis qui sont dans la maison au toit de chaume, lui expliqua-t-il. Nous sommes déjà en retard. Pouvez-vous nous aider ?
– C'est avec plaisir que je vous guiderai, répondit gentiment le voyageur .
Il prit la tête du petit groupe et marchant d'un bon pas, ils traversèrent sans perdre de temps un tapis de laine fait de longs poils blancs qui leur cachaient parfois la vue. Mais le voyageur connaissait le chemin par coeur et enfin la maison, qui était en fait une étable, apparut devant eux avec ses murs de pierre grise et son toit de chaume que surmontait une étoile filante. Nos amis se sentirent terriblement émus en la découvrant.

Quand ils pénétrèrent dans l'étable, des cris de joie les accueillirent :
– Melchior, Balthazar, vous voilà enfin ! s'écria Gaspar en ouvrant les bras à ses amis. Prenez place, IL ne va plus tarder. Baba, à ma droite et Melki, à ma gauche.
Les rois mages s'installèrent dans la crèche, se tenant bien droits, les pieds dans la paille. Le chat courut se coucher entre les pattes de l'âne qui lui tiendrait chaud, et le voyageur s'installa juste à côté du boeuf. C'est alors que le douzième coup de minuit sonna dans le lointain.
Un petit garçon, entouré par ses parents, s'approcha de la crèche et déposa, dans l'abreuvoir, un petit Jésus en terre cuite. Auprès de lui, sa maman ouvrit des yeux tout étonnés en découvrant les trois rois mages qui entouraient Joseph et Marie :
– Je croyais avoir oublié deux santons dans la boîte en carton posée sur la commode ! s'écria-t-elle. Mais regarde, Martin, l'un de tes jouets est là aussi.
L'enfant ramassa le voyageur en plastique jaune qui tenait sa valise à la main. Un brin de laine blanche du tapis était resté accroché à son pied.
– Tu devrais le ranger avec ton train, dans le coffre, lui conseilla son papa. Sinon le chien risque de l'attraper et le croquer. Ce serait dommage.

Mais le petit garçon, prénommé Martin, pensait à tout autre chose à cet instant car, au pied du sapin, l'attendaient de gros paquets enveloppés de papier multicolore et de rubans de satin.
– Papa ! Maman ! Je peux aller ouvrir mes cadeaux ? Dites-moi oui, s'il vous plait ?
Les parents de Martin acceptèrent et l'enfant commença à déchirer le papier, poussant des cris de joie à chaque nouveau jouet qu'il découvrait. Le bruit du papier qu'on déchire cacha les murmures qui montaient de l'étable.
– Je suis allergique au foin, gémissait le chat qui se lamenta : Quand je pense qu'on m'a traîné ici de force ! Eh voilà, je sens venir une terrible envie d'éternuer. Atch... Atch... Atchoum !
En éternuant le chat avait éclaboussé Melki qui tendit la main vers lui pour l'empoigner.
– Et moi, boule de poils, j'ai envie de te tordr...
– Melki ! s'écria Baba. Je te rappelle que c'est Noël et que les rois mages doivent donner l'exemple.
Faisant un gros effort, Melchior se retint de répondre à Baba. Il se baissa vers le chat et lui murmura dans l'oreille :
– A ta place, je me méfierais ! Si tu éternues encore une fois, l'âne risque de prendre peur et de te donner un coup de sabot.
– Oh ! fit le chat en écarquillant ses yeux verts. Je crois que je vais me retenir.
– Bonne idée, boule de poils.
C'est ainsi que, grâce à Balthazar, (Baba) il y eut pour la première fois un chat dans la crèche de Noël. Mais, après tout, pourquoi pas ? Il y a bien un âne et un boeuf, et tout le monde trouve cela tout à fait normal.

F I N


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version revue et corrigée par l'auteur (juin 2017)