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Quelque part aux portes de la Provence, il
existe une petite ville répondant au joli nom d'un fruit. Si vous vous
glissez au hasard de ses rues, pas très loin de l'antique théâtre
romain,
vous découvrirez une, façade beige orangée et sa minuscule
vitrine. Vous ne pouvez pas la manquer : c'est " la boutique au coin de
la rue ".
Pendant la nuit, alors que les gens dorment,
les livres descendent des étagères, leurs pages s'entrouvrent et les
histoires s'échappent pour prendre vie. Approchez-vous sur la pointe
des pieds et tendez l'oreille. Vous entendez ces chuchotements ? Ce
sont les mots qui racontent...
C'est le son de la cloche tintant dans le lointain qui réveilla
Melki.
Il demeura quelques secondes engourdi de sommeil
avant de retrouver, lentement, ses esprits. Il se redressa, se frotta
les yeux, prit une profonde inspiration : l'air était doux et il
faisait encore nuit. La cloche résonna à nouveau et soudain Melki se
souvint.
Il poussa une exclamation effarée et se leva d'un
bond en agitant les bras.
– Ils m'ont oublié ! Je ne peux pas le croire et pourtant ils m'ont
oublié !
Soudain une voix à moitié endormie
s'adressa à lui :
– Pourquoi fais-tu tant de bruit ? Je ne comprends pas que tu t'agites
ainsi.
Melki essaya de voir qui lui parlait dans la
pénombre mais
c'était peine perdue alors il demanda :
– Baba ! Est-ce toi mon ami ?
– Bien sûr que c'est moi, répondit à nouveau la voix mais cette fois
elle était
plus proche.
Melki tendit les bras à l'aveuglette et ses
mains touchèrent une épaule, puis un visage.
– Toi aussi tu as entendu la cloche, n'est-ce pas ? Nous devons
absolument les rejoindre, nous ne pouvons
pas rester là. Une chose pareille ne s'est jamais produite.
– Oui, mais comment faire ? répondit Baba. Nous ignorons dans quel lieu
nous nous
trouvons et il fait si sombre que l'on pourrait tomber au fond d'un
trou ou pire encore.
Melki se demanda pourquoi son ami se montrait si
craintif lorsqu'il entendit tout à coup :
– Miaouuuu ! Miaouuuu !
Le cri venu de nulle part jeta Baba dans les
bras de Melki.
– Qu'est-ce que c'est ? Quel est ce cri affreux ? dit-t-il d'une voix
tremblante.
– Miaouuu ! répéta la voix. Je sens l'odeur des bougies, elles sont
toutes proches.
– Ce n'est qu'un chat qui a beaucoup de flair, répondit Melki à son ami
Baba. Je te croyais
plus
courageux.
Melki suivit les indications du chat. Il
s'accroupit et, cherchant à tâtons, il trouva
une boîte d'allumettes et un chandelier dont il enflamma la mèche ; une
lumière jaunâtre se répandit autour d'eux. Elle éclaira les deux amis
vêtus d'un habit d'or pour l'un et d'argent pour l'autre ; tout près
d'eux un animal à long poil roux et blanc était couché
dans un panier d'osier.
– Comment un chat a-t-il pu arriver jusqu'ici ? s'étonna Baba. C'est
incroyable une chose pareille.
L'animal s'étira paresseusement.
– Je l'ignore mais peu m'importe. Miaou ! Je me rendors et
je reprends mon beau rêve là où vous l'avez interrompu : quand j'allais
attraper une douzaine de souris d'une seule patte.
Et il se roula
en boule, la tête entre les pattes.
– Hé, le chat : Tu as mieux à faire que de t'occuper des souris !
protesta Baba.
Cette nuit est la plus belle de toute l'année et la plus importante,
l'aurais-tu oublié ? Nos amis nous attendent, ils
doivent même s'inquiéter de ne pas nous voir arriver.
– Oh, je suis certain de ne pas leur manquer, répondit le chat qui
bâilla à nouveau. Même par cette belle nuit.
– Et tu as raison, laissa tomber Melki qui tournait la tête de tous
côtés et cherchait le moyen de sortir
de leur étrange prison.
Mais de quelle façon ? La pièce était
rectangulaire, avec des murs lisses ; il n'y avait aucune fenêtre, pas
de porte.
Melki se disait que ce serait très difficile de s'évader de cet
endroit lorsque, levant la tête, il aperçut
un rai de lumière qui filtrait au ras du plafond.
– Là ! fit-il en montrant du doigt. Il y a un passage, allons-y !
– Miaou, c'est facile à dire ! ironisa le chat. Après tout il n'y a que
deux mètres de hauteur. Il suffit de faire un bond et voilà, nous
retrouverons la liberté. Tout le monde sait que les chats sautent mieux
que les humains, voulez que j'essaie le premier ?
Melki fronça les sourcils en voyant le chat
étirer ses longues pattes comme s'il se préparait à effectuer un bond
gigantesque. Il n'aimait pas
beaucoup les chats mais celui-là l'agaçait prodigieusement.
– C'est inutile, dit Baba au chat et il se tourna vers son ami : Je
vais te faire la courte
échelle. Regarde !
Baba posa la bougie à terre puis il plaça ses
deux mains pour recevoir l'un des pieds de Melki et ainsi donner une
forte impulsion à son ami.
– Et hop !
Profitant de cet élan, Melki bondit vers le
plafond où, après un rétablissement laborieux, il se retrouva à cheval
sur le haut du mur.
– Bravo, fit le chat. Je ne te savais pas aussi costaud. A ton tour,
Baba. Je suis impatient de voir comment tu vas t'y prendre. Veux-tu que
je t'aide avec mes petites pattes ?
– Ricane tant que tu le peux encore, boule de poils !
gronda Melki toujours perché sur le mur. Tu riras moins quand tu seras
seul dans cet endroit lugubre.
– Ah non ! Il n'est pas question de le laisser, protesta Baba. Il part
avec nous.
Il se pencha pour s'emparer du chat qui sentit
son poil se hérisser sur son dos.
– Miaou ! s'écria-t-il. Qu'allez-vous faire de moi ? Au secou...
Mais Baba ne l'écoutait pas.
– Tu es prêt ? demanda-t-il à Melki. Alors je compte : un, deux et...
trois.
Et le chat s'envola dans les airs.
Melki réussit à saisir le malheureux animal
par la queue et le posa à côté de lui, sur le large rebord où le chat
se cramponna de toutes ses griffes.
– Tu fais moins le malin, boule de poils, le taquina Melki. Je te
conseille de te tenir tranquille, car si tu tombes, je ne retournerai
pas te chercher.
A la lueur de la bougie, Baba avait exploré tous
les recoins de la pièce qui le gardait encore prisonnier. Il finit par
découvrir un vieux coffre en bois, le traîna jusqu'au mur et s'en
servit comme marchepied. Il leva alors les bras vers Melki qui lui
attrapa les mains et tira très fort pour l'aider à le rejoindre.
– Nous voilà bien avancés, grogna le chat qui frissonna car l'air était
frais. J'étais mieux couché dans
mon panier, sur un vieux pull de laine. Que fait-on maintenant ?
– On redescend de l'autre côté, dit Melki. Le sol semble tout proche.
Et "hop !" il se laissa tomber, suivi sans
hésiter par Baba. Le chat, n'ayant
plus le choix, lui sauta dans les bras.
– Nous voilà libres, dit Melki. Cherchons de quel côté nous diriger !
Ils observèrent les environs et réalisèrent qu'ils se
trouvaient sur un vaste plateau qui leur offrait une vue
panoramique. Quel étrange paysage ! Quelles drôles de couleurs !
Quelles
étranges senteurs flottant dans les airs !
– Je n'ai jamais vu un endroit comme celui-ci, dit d'abord Melki. Il ne
s'agit pas d'un désert, il n'y a ni sable, ni
chameaux.
– Ce n'est pas un village non plus, dit alors Baba. Pas une seule
maison, aucune rue, ni de gens qui
s'agitent.
– Miaou ! fit en dernier le chat. Pas de souris, ni d'écuelle pleine de
lait. Aucun coussin moelleux devant un bon feu de bois. Quelle
tristesse !
– J'ai l'affreuse impression que nous sommes perdus tous les trois au
milieu de nulle part, gémit Baba.
– Peut-être parce que c'est la première fois qu'on nous oublie,
répondit
Melki qui plissa les yeux pour tenter de voir le plus loin possible et,
tout
à coup, son visage s'éclaira.
– Là-bas ! s'écria-t-il en tendant le doigt pour
indiquer une direction.
Alors, dans le lointain ils virent un arbre qui se tenait comme un
géant majestueux et, sous ses branches basses, il abritait une espèce
de maison avec un
toit de chaume. Sous le feuillage cela faisait une tache claire.
– On n'y parviendra jamais, grogna le chat qui secoua ses longs poils.
Il faudrait d'abord quitter
cet endroit mais comment faire ?
– Il n'a pas tort, reconnut Baba en voyant le vide qui
les entourait. Nous voilà toujours prisonniers.
– Regardez cette grosse corde rouge ! s'exclama
Melki. C'est exactement ce qu'il nous fallait.
Le long de la paroi pendait une grosse corde
rouge qui descendait jusqu'au
plateau. Baba proposa à Melki de passer le premier, ensuite il lui
enverrait le chat attaché au bout de la corde et puis il se laisserait
glisser à son tour.
– Oublie ce tas de poils, suggéra Melki. Il ne fera que nous ralentir.
– Tu es mal élevé ! lui répondit le chat. Mais j'avoue que je me
passerai volontiers de ta compagnie.
– Cessez de vous chamailler ! dit Baba. Nous avons perdu assez de
temps.
Après quelques minutes d'effort, ils
atteignirent
enfin la plaine mais celle-ci semblait s'étendre à perte de vue.
– J'aurai les pattes usées avant d'être parvenu de l'autre côté, se
lamenta le chat. Pourquoi ne pas me laisser ici ?
Mais Baba n'était pas d'accord. Il souleva le
chat
et le déposa sur son épaule.
– Tu es bien ainsi ? Alors, partons !
Au début, tout se déroula sans le moindre
problème. Baba avait repéré la bonne direction pour atteindre l'arbre
et les deux amis
avançaient à grands pas, le coeur plein de courage. Mais soudain, au
détour du chemin, un
monstre terrifiant se dressa devant eux. Campé sur ses quatre pattes,
le corps couvert de poils et la
gueule pleine de crocs, il faisait entendre d'affreux grognements.
– Miaou ! Pitié, je ne voulais pas venir, gémit le chat qui ne savait
pas de quel côté trouver un abri pour sauver sa pauvre vie de chat.
– Vite, par ici ! s'écria Melki en voyant un
train qui arrivait de l'autre bout de la plaine et qui se rapprochait
d'eux.
Quand il fut à leur hauteur, d'un bond, Melka
grimpa à l'intérieur et Baba et le
chat le rejoignirent. Alors le train accéléra et fonçant à toute
vitesse sur
ses rails, il les emporta loin, très loin du gros lion en
peluche qu'un enfant avait sûrement oublié en allant se coucher. Le
train traversa la plaine
et bientôt la
locomotive et ses deux wagons stoppèrent devant une adorable gare
remplie de voyageurs en plastique et de fleurs en papier. Nos trois
amis sautèrent sur
le quai.
– Ouf ! Nous voiçi presque arrivés , s'écria Melki.
Sans attendre, Baba s'adressa à un voyageur qui
tenait
une valise à la main et lui demanda son chemin.
– Nous voulons rejoindre nos amis qui sont dans la maison au toit
de
chaume, lui expliqua-t-il. Nous sommes déjà en retard. Pouvez-vous nous
aider ?
– C'est avec plaisir que je vous guiderai, répondit gentiment le
voyageur .
Il prit la tête du
petit groupe et marchant d'un bon pas, ils traversèrent sans perdre de
temps un tapis de laine
fait de longs poils blancs qui leur cachaient parfois la vue. Mais le
voyageur connaissait le chemin par coeur et enfin la maison, qui était
en fait
une étable, apparut devant eux avec ses murs de
pierre grise et son toit de chaume que surmontait une étoile filante.
Nos
amis se sentirent terriblement émus en la découvrant.
Quand ils pénétrèrent dans l'étable, des cris de joie les
accueillirent :
– Melchior, Balthazar, vous voilà enfin ! s'écria Gaspar en ouvrant les
bras à ses amis. Prenez place, IL ne va plus tarder.
Baba, à ma droite et Melki, à ma gauche.
Les rois mages s'installèrent dans la crèche, se tenant bien droits,
les pieds dans la paille. Le chat courut se coucher entre les pattes de
l'âne qui lui tiendrait chaud, et le voyageur s'installa juste à côté
du
boeuf. C'est alors que le
douzième coup de minuit sonna dans le lointain.
Un petit garçon, entouré par ses parents,
s'approcha de la crèche et
déposa, dans l'abreuvoir, un petit Jésus en terre cuite. Auprès de
lui, sa maman ouvrit des yeux tout étonnés en découvrant les trois rois
mages qui entouraient Joseph et Marie :
– Je croyais avoir oublié deux santons dans la boîte en carton
posée sur la commode ! s'écria-t-elle. Mais regarde, Martin, l'un de
tes jouets est là aussi.
L'enfant ramassa le voyageur en plastique jaune
qui tenait sa valise à la main. Un brin de laine blanche du tapis était
resté accroché à
son pied.
– Tu devrais le ranger avec ton train, dans le coffre, lui conseilla
son
papa. Sinon le chien risque de l'attraper et le croquer. Ce serait
dommage.
Mais le petit garçon, prénommé Martin, pensait à tout autre chose à
cet instant car, au pied du sapin, l'attendaient de gros paquets
enveloppés
de papier multicolore et de rubans de satin.
– Papa ! Maman ! Je peux aller ouvrir mes cadeaux ? Dites-moi oui, s'il
vous plait ?
Les parents de Martin acceptèrent et l'enfant
commença à
déchirer le papier, poussant des cris de joie à chaque nouveau jouet
qu'il
découvrait. Le bruit du papier qu'on déchire cacha les
murmures qui montaient de l'étable.
– Je suis allergique au foin, gémissait le chat qui se lamenta : Quand
je
pense qu'on m'a
traîné ici de force ! Eh voilà, je sens venir
une terrible envie d'éternuer. Atch... Atch... Atchoum !
En éternuant le chat avait éclaboussé Melki qui tendit la main vers
lui pour l'empoigner.
– Et moi, boule de poils, j'ai envie de te tordr...
– Melki ! s'écria Baba. Je te rappelle que c'est Noël et que les rois
mages doivent donner l'exemple.
Faisant un gros effort, Melchior se
retint de répondre à Baba. Il se baissa vers
le chat et lui murmura dans l'oreille :
– A ta place, je me méfierais ! Si tu éternues encore une fois, l'âne
risque de prendre
peur et de te donner un coup de sabot.
– Oh ! fit le chat en écarquillant ses yeux verts. Je crois que je vais
me retenir.
– Bonne idée, boule de poils.
C'est ainsi que, grâce à Balthazar, (Baba) il y eut
pour la première fois un chat dans la crèche de Noël. Mais, après tout,
pourquoi pas ? Il y a bien un âne et un boeuf, et tout le monde trouve
cela tout à fait normal.
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