L'alerte du tableau de bord ne cessait de sonner, agaçante au plus haut point. Jorg sentit la nervosité l'envahir et analysa la situation en trois secondes.
«Oui, les moteurs s'apprêtaient à lâcher, c'était une évidence. Oui, il devait poser son vaisseau rapidement sinon il s'écraserait à coup sûr et sa seule possibilité était cette fichue planète inconnue, la seule qui apparaissait sur son radar. Et toute jaune en plus. Une mocheté.»
Cramponné aux commandes, Jorg fit descendre l'appareil sans savoir ce qui l'attendait : s'écraser contre une montagne, plonger dans un étang vaseux, s'ensabler dans un désert ?
Malgré tous ces points d'interrogation et le ventre noué par l'angoisse il parvint à réaliser un atterrissage tout en douceur et sans casse.
« Un véritable exploit que je ne suis pas prêt de renouveler ! » songea-t-il en sentant son cœur cogner comme un fou dans sa poitrine.
Il s'efforça aussitôt de contacter sa base spatiale, sans y parvenir malgré ses essais répétés. Son tableau de bord lui jouait un véritable feu d'artifice et toutes les couleurs de l'arc-en-ciel fusaient dans le cockpit. C'était incompréhensible !
– Gruba 83, réveille-toi ! C'est quoi ce machin jaune suspendu dans l'espace sur lequel on a malheureusement atterri ?
Quittant son siège de copilote son droïde lui donna une brève explication :
– L'atmosphère de cette planète est respirable et c'est tout.
Jorg détestait entendre ce vilain couinement qui s'apparentait à une voix mais il n'avait pas eu le choix quand on lui avait octroyé ce droïde dernier modèle.
– Comment ça « respirable et c'est tout » ? Tu peux être plus précis, je suppose ?
– Sa masse métallique perturbe le fonctionnement de tous nos appareils, sans exception.
Surpris, Jorg jeta un coup d'oeil sur son phonica, un téléphone qu'il avait payé une petite fortune. L'écran était muet, à part un surprenant point d'interrogation placé au milieu du petit écran. Il ne pouvait joindre personne ? C'était à peine croyable !
– Et je fais quoi maintenant si ce n'est pas trop te demander ? Gruba 83, tu me réponds ?
Mais le droïde resta muet, les bras raidis le long du corps, en équilibre sur un seul pied. Il paraissait pétrifié.
– Saleté de machine, gronda Jorg avant de fulminer : Saleté de planète !
Il enfila sa combinaison de survie et utilisa l'ouverture manuelle pour pouvoir quitter son appareil.

A peine dehors il comprit la raison de la teinte jaune de la planète : une brume épaisse et jaunâtre la recouvrait à perte de vue.
Jorg frotta le sol du plat de sa chaussure : il était lisse et légèrement glissant mais rien de dangereux. Vérifiant que sa montre, qui lui indiquerait la distance parcourue, fonctionnait, il se mit à avancer.
Deux kilomètres plus loin il se retrouva face à une étrange muraille qui s'élevait et disparaissait dans la brume. Un mont ou une montagne ? Il songea à son vaisseau qui n'avait rien signalé d'anormal – son droïde non plus d'ailleurs – et se dit qu'il l'avait échappé belle. Il contourna le mont qui était de taille modeste.
Puisque l'air est respirable j'en conclus que la vie existe sur cette fichue planète. Et comme j'ai besoin d'aide pour redécoller et regagner la Terre, je vais poursuivre mes recherches.
Cela faisait déjà cinq kilomètres qu'il se traînait au ralenti quand une forme ovale marron foncé apparut à travers la brume.
Même gabarit que moi et ça vient à ma rencontre, mais j'ignore de quoi ou de qui il s'agit. Je reste sur mes gardes, on ne sait jamais.
Immobile, il attendit et la forme s'arrêta à environ un mètre de lui. Pas d'yeux, ni de nez, une bouche carrée, des griffes épaisses dépassant sous un corps sans jambes, aucun bras mais cela respirait, donc c'était vivant.
– Pouvez-vous m'entendre? demanda Jorg en se rappelant qu'il n'avait pas emporté son arme avec lui.
– Entendre, répéta la forme. Entendre ? grogna-t-elle. Entendre ! hurla-t-elle.
Et elle se volatilisa.
Tout redevint jaune autour de Jorg qui poussa un soupir :
– Pourvu que le prochain soit plus bavard.
Et il reprit sa marche.

Il arrivait au neuvième kilomètre et se sentait fatigué par le poids de sa combinaison. Il en avait plus qu'assez et s'en fit la réflexion en se parlant à voix haute :
– Quelle idée d'avoir accepté de remplir cette mission qui m'a mené dans ce coin pourri ! Et qu'est-ce que je fiche à des millions de kilomètres de chez moi, de ma base ?
– Base, entendit-il soudain répéter derrière lui.
Il se retourna et vit une sorte d'être rouge vif si proche qu'il faillit être bousculé. Cela ondulait sans cesse et une tentacule lui toucha l'épaule, lui brûlant la peau en dépit de sa combinaison.
– Base ? grogna à nouveau l'être hideux et son corps rouge enfla démesurément.
– Base ! hurla l'être et il explosa en centaines de petits morceaux qui se désintégrèrent dans une lueur aveuglante.

Ebloui, Jorg mit plusieurs minutes avant de recouvrer une vision normale. Déboussolé il préféra ne pas renouveler sa tentative pour rencontrer un autre autochtone.
– Je fais demi-tour et je regagne mon vaisseau ; au moins j'y serai à l'abri. Mon absence a dû être signalée sur Terre, je n'aurai plus qu'à patienter jusqu'à l'arrivée des secours et puis voilà. J'ai de la nourriture pour plusieurs mois et, de toute façon, je n'ai pas le choix.
Il rebroussa chemin, le souffle court, la sueur dégoulinant sur son front, sur son corps et mouillant l'intérieur de sa combinaison. Il finit par s'approcher du but, son vaisseau, et se sentit rassuré.
Plus qu'une cinquantaine de mètres à parcourir.
Il eut l'impression d'avoir couru pour se jeter dans l'engin spatial et, trois secondes et demie plus tard, il avait refermé la porte d'accès et l'avait bloquée, verrouillée, condamnée afin d'éviter toute intrusion extérieure.
Péniblement il se débarrassa de sa combinaison – trempée autant que lui ! – et ce n'est qu'à cet instant qu'il remarqua la poussière jaune qui avait envahi le compartiment par le sas resté ouvert durant son absence.
– Je vais dire à Gruba 83 de nettoyer ça tout de suite, c'est malsain.
Soudain il y eut ce couinement qu'il connaissait par cœur et il vit le droïde se dresser devant lui, couvert de traces jaunes.
– Pourquoi ne pas être resté dans le cockpit à m'attendre, Gruba 83 ? Ici, tu aurais pu être exposé à un terrible danger.
– Danger, répéta le droïde.
– Oui, Gruba 83, mais... pourquoi répètes-tu ce mot ? s'inquiéta soudain Jorg.
– Danger ? grogna le droïde.
Et le corps du droïde se mit à scintiller tandis qu'il s'approchait du terrien.
– Arrête ça, Gruba ! Tais-toi, tais-t...
– Danger ! couina le droïde en prenant le terrien à bras-le-corps.
Le droïde explosa, détruisant simultanément le vaisseau et le terrien, et soulevant un immense nuage de poussière jaune qui recouvrit les débris métalliques et les restes des deux corps.

Il fallut plusieurs jours avant que le nuage ne retombe totalement, laissant enfin apparaître le magnifique paysage de la planète Diformus, ses fleurs à grands yeux verts, ses arbres à longues jambes.
Des êtres de formes monstrueuses avaient suivi, de loin, la destruction du vaisseau et des deux aliens venus de l'espace. L'un d'eux sans yeux, ni de nez, une bouche carrée, des griffes épaisses dépassant sous un corps sans jambes, aucun bras, émit un affreux son guttural :
– Ras-le-bol de ces horreurs venues d'une autre galaxie ! Chaque fois qu'ils atterrissent sur notre planète, leur appareil soulève tant de poussière qu'on ne voit plus nos maisons à des centaines de kilomètres à la ronde. Comment ces aliens immondes peuvent-ils s'acharner à salir notre belle atmosphère ?
Et tous les autres autour de lui acquiescèrent bruyamment.



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