LE JARDINIER DE DIEU

                          par Claude Jégo

Willy vint au monde par une magnifique journée de printemps ; le ciel était d’un bleu éclatant et le soleil se reposait, paresseusement, en s’appuyant sur un gros nuage blanc. Comme c’était la sainte Fleur, ses parents choisirent de le prénommer William Narcisse. Ils ne devaient pas tarder à réaliser leur erreur.
Dès qu’il put se déplacer à quatre pattes, Willy partit à la découverte des plantes vertes de la maison familiale, et des jardinières débordantes de pensées et de géraniums qui ornaient les fenêtres. Puis, quelques années plus tard, planté sur ses deux jambes, il se lança à l’assaut des pommiers ou escalada les hautes branches des grands platanes. Et cela inquiétait beaucoup ses parents qui furent soulagés de le voir entrer à l’école où il remplirait sa tête de choses passionnantes.
Ils ne se trompaient pas, Willy fut ravi. Il aima les tables en bois frottées à la cire d’abeille, le grand tableau vert accroché au mur, la cour ombragée de châtaigniers et l’institutrice, mademoiselle Violette.
Très vite, le jeune garçon apprit à lire, à écrire et à compter, mais la matière qu’il préférait, entre toutes, était la science naturelle. Les feuilles des arbres avaient des formes si différentes les unes des autres qu’il fallait beaucoup de temps pour apprendre à les reconnaître. Et il y avait aussi les pétales des fleurs, leurs jolies couleurs, leur doux parfum. Malgré tous ses efforts, Willy n’obtint guère de bonnes notes...sauf en science. Quand il montrait son carnet à ses parents, ceux-ci poussaient de grands « Oh ! » et Willy croyait qu’ils étaient heureux. Alors, il l’était aussi.

Vers l’âge de dix ans, il devint enfant de choeur et s’occupa des fleurs qui ornaient l’autel de la minuscule église. Il s’émerveilla devant les lys immaculés, les glaïeuls et les camélias qu’il déposait dans des vases remplis d’eau fraîche et dont il s'occupait avec amour.
Cela dura quelques années, et puis un jour, il advint ce qui devait arriver.
Willy revint de l’église le visage illuminé de bonheur. A ses parents qui lui demandaient ce qui le mettait de si bonne humeur il expliqua :
– Plus tard, quand je serai grand : je serai jardinier.
– Un simple jardinier ! s’exclamèrent ses parents qui rêvait de le voir devenir avocat ou, pourquoi pas, architecte.
– Non, corrigea leur fils tout tremblant de bonheur, je serai le jardinier de Dieu.
Effondrés, les parents cherchèrent de l’aide. Ils se précipitèrent chez le curé que cette idée combla de joie et qui s'en alla sonner les cloches pour apporter la bonne nouvelle à tous ses paroissiens.
Les parents de Willy consultèrent alors le médecin qui les rassura aussitôt : « Pourquoi pas ? Après tout, ce n’est pas contagieux. »
Pourtant le père de Willy refusait d’en prendre son parti et il décida de le faire changer d’avis. Mais comment ?
Il crut bientôt avoir trouvé la solution. Il emmena son fils jusqu’au jardin et tous les deux s’accroupirent devant une rose mélancolique. Frêle bouton rose, elle courbait la tête au bout de sa tige et les forces lui manquaient pour déplier ses minuscules feuilles vertes chiffonnées.
– Si tu parviens à la faire fleurir avant le prochain lever du soleil, dit le père à son fils, tu pourras devenir jardinier.
En prononçant ce serment, le père de Willy se montrait bien imprudent.

Durant la nuit, de sombres nuages s’accumulèrent dans le ciel et un violent orage éclata brusquement. Réveillé dès la première foudre, Willy enfila son peignoir et quitta la maison pour se précipiter au chevet de la rose.
Là, il s’assit auprès d’elle, l’abritant sous un grand parapluie et lui faisant, de son corps, un rempart contre le vent. Jusqu’aux premières lueurs de l’aube, il veilla sur elle, luttant avec courage contre le froid et le manque de sommeil.
Au matin, les parents, affolés de ne pas trouver leur fils dans sa chambre, descendirent au jardin et découvrirent leur fils endormi sous le parapluie noir. Quant à la fleur fragile, elle s’était changée en une rose éblouissante.

Willy est devenu jardinier dans son petit village et ses parents sont très fiers de lui. Les touristes viennent de toutes les provinces de France pour admirer les massifs d’hortensias rose et rouge, les guirlandes de glycines, les corbeilles de roses et les parterres de pivoines qu’il fait pousser. Mais c'est l'église qui demeure la plus belle à découvrir dans sa parure de fleurs blanches et cela n'a rien de surprenant puisque Willy a réalisé son rêve.

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