– Mamie-Rose ! Mamie-Rose ! On s'ennuie !
Loïs, 10 ans, Iwen, 9 ans, et Mattéo, 12 ans,
encerclent leur grand-mère et l'empêchent de fuir. C'est le plan qu'a
mis au point Mattéo : entourer Mamie-Rose et l'obliger à s'occuper de
ses trois petits-fils qui n'en peuvent plus de faire des puzzles ou de
jouer au petit train.
Cernée par ses petits-fils qui lèvent vers elle
des visages implorants, Mamie-Rose réfléchit.
Elle doit décrocher le linge qui a séché sur les
cordes dans le jardin, le repasser, et puis le ranger dans l'armoire,
et dans les tiroirs et...
Soudain, elle réalise que si elle laisse encore
passer une seule seconde ces beaux yeux d'enfants se rempliront de
larmes. Vite ! Elle lève les mains en l'air et s'écrie :
– Je me rends ! Je vais vous raconter une
histoire.
Oups, cela ne semble pas suffisant pour les
contenter puisque les trois frères paraissent hésiter.
Peut-être parce qu'ils ignorent dans quelle
catégorie se range l'histoire de Mamie-Rose. S'agit-il d'un conte de
fées ? Un récit fantastique ? Une fable ? Une légende ? Un voyage ?
Elle les voit qui font tous les trois la grimace
alors elle déclare :
– Je vais vous raconter une histoire TERRIBLE.
Et voilà que des sourires enchantés apparaissent
sur les petits visages.
– Oh oui ! s'exclame Iwen.
– On est d'accord, ajoute Loïs.
– Et même
entièrement d'accord, rajoute Mattéo.
Sans plus attendre, les trois enfants se précipitent
vers le divan, l'escaladent et s'assoient, au milieu de gros
coussins moelleux.
– Mamie-Rose ! Mamie-Rose ! On est prêts !
Mamie-Rose a une dernière hésitation :
– Vous êtes certains que vous voulez entendre
mon histoire TERRIBLE, qu'elle ne vous fera pas peur ?
Les trois frères secouent leur tête de droite à
gauche, ils n'ont peur de rien, leur papa et leur maman le savent bien
et Mamie-Rose devrait le savoir aussi.
Désormais, elle n'a plus le choix. Elle prend
une grande feuille de papier blanc sur son bureau, vient s'asseoir sur
une chaise juste en face des trois enfants et elle annonce:
– Je vais vous raconter l'histoire TERRIBLE d'un
capitaine qui n'avait pas de bateau.
Et, tout en parlant, elle plie la feuille de
papier en
deux.
– Ce pauvre capitaine rêvait de naviguer sur toutes les mers et sur
tous les océans, mais comment faire quand on n'a pas de bateau ?
Mattéo eut un haussement d'épaules :
– Il doit en acheter un, tout simplement.
– Oui ! dit Mamie-Rose qui, tout en continuant
de plier la feuille, poursuit son histoire : Et pour cela, il faut de
l'argent. Alors le
capitaine chercha du travail et il en trouva. Il se mit à travailler
très dur dès le matin. Le midi, il s'arrêtait le temps d'avaler un
morceau de pain, une pomme et un peu d'eau.
– Il aurait pu aller dans un McDo, dit Loïs, et
ses frères font « oui » de la tête.
Mamie-Rose plie encore une fois le papier :
– Il travaillait aussi l'après-midi et jusque
tard dans la nuit. Parfois il lui arrivait de s'endormir, couché sur le
sol, sa tête reposant sur son bras. Après de longues semaines de
travail, de longs mois d'effort, le capitaine eut assez d'argent et il
s'acheta un magnifique bateau.
Mamie-Rose a fini de plier plusieurs fois la
feuille blanche, elle prend une extrémité dans chaque main, elle tire
et la feuille pliée se transforme en bateau de papier.
– C'est un bateau ? demande Mattéo.
– Oui, confirme Mamie-Rose. Un magnifique
trois-mâts.
Les trois frères regardent le bateau et
distinguent vaguement un mât qui dépasse au milieu.
– Elle sait pas compter jusqu'à trois ?
s'inquiète Iwen, mais Mamie-Rose poursuit son histoire :
– Le capitaine partit sur son beau bateau et
traversa tous les océans, il franchit toutes les mers, la mer Rouge, la
mer Noire, la mer Blanche, la mer Jaune.
– Il a sûrement eu le mal de mer et il aura vomi
sur son beau bateau, dit Mattéo, désolé.
– Il s'arrêta dans les plus grands ports et
visita les plus beaux pays du monde, dit Mamie-Rose qui interroge ses
petits-fils : Je vous ai avertis qu'il s'agissait d'une histoire
TERRIBLE ?
Loïs fronce les sourcils :
– Oh oui, Mamie-Rose, au moins quatre fois !
– Alors voilà que cette histoire arrive à sa fin.
Un jour, une tempête se leva. Les nuages cachèrent le soleil, le
ciel devint noir et un violent orage éclata, on pouvait entendre de
très loin gronder le tonnerre. Un gros éclair s'abattit sur le mât du
bateau et le brisa en deux.
Mamie-Rose arrache le bout de papier qui dépasse
au milieu du bateau.
– Ça y est, les ennuis commencent, dit Mattéo.
Maintenant, Mamie-Rose fait danser le bateau
entre ses mains :
– Le pauvre bateau était balloté par les vagues
quand, soudain, le vent se déchaîna et poussa
le bateau sur les rochers. L'avant du bateau fut fracassé.
Mamie-Rose déchire l'avant du bateau en papier.
– Le capitaine est mal parti, dit Iwen.
J'aimerais pas être à sa place.
– Le bateau ne tenait plus sur la mer et une
violente rafale de vent l'envoya s'écraser à nouveau sur les rochers.
Mamie-Rose déchire l'arrière du bateau en papier.
– C'est la fin, soupire Loïs.
Il ne reste entre les doigts de Mamie-Rose qu'un
morceau de feuille plié et déchiré qu'elle balance doucement en le
faisant descendre devant elle.
– Le bateau a coulé tout au fond de la mer. La
tempête a fini par s'arrêter, les nuages se sont dispersés, le ciel est
redevenu bleu et le soleil brille à nouveau. Sur la mer, il ne reste
plus rien du bateau, pas un morceau de voile, pas un seul bout de bois.
On n'a jamais rien retrouvé, sauf un petit quelque chose qui flottait
sur la mer...
Et Mamie-Rose déplie le morceau de papier qui a
la forme d'une...
– On a retrouvé... la chemise du capitaine.
Les enfants ouvrent grands leurs yeux en voyant
la chemise en papier que Mamie-Rose agite devant eux.
– C'était vraiment une histoire TERRIBLE, dit
Mattéo et il descend du divan, suivi par ses frères.
– Pauvre capitaine, il ne méritait pas ça, se
désole Iwen.
– On fait une partie de dominos ou on termine
nos coloriages ? demande Loïs.
Création réalisée lors du Prix Faites sourire 2018 organisé par
Short Edition
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