Chemin faisant, j'avais dix lettres à poster avec des timbres que je
souhaitais choisir,
que je voulais originales et non le timbre neutre et sans panache.
C'est pourquoi je me levai
tôt, me précipitai vers les dix heures, prenant soin de le faire après
dix heures et quart sachant que le
commencement de la journée matinale de travail souffrait de quelques
dérèglements.
Avant l'heure, ce n'était pas possible, et après l'heure ce n'était pas
tout à fait l'heure.
Je trouvai la poste, bien belle, bâtisse grande avec une belle entrée.
Après la traversée des rues encombrées,
après le passage des vaches et des chèvres et des scooters, après le
franchissement des trottoirs poussiéreux
toujours fondus de soleil et de sciures, trouver un espace sans
affluence me fit pousser un soupir qui partit
rafraîchir ma concience. Enfin un brin de repos ! Seulement, je ne
savais rien encore du fonctionnement de la poste dans
cette bourgade exotique, nichée sous les tropiques, située bien
au-dessus de l'Equateur.
J'avançai gaillardement vers le seul guichet
ouvert derrière lequel attendait une femme au chignon serré piqué de
fleurs de jasmin. Son point rouge sur le front, le troisième oeil,
m'observait en guise
de bienvenue. Je lui montrai mes dix cartes postales et je lui dis dans
un langage hésitant, chaotique que
je les envoyais en Europe.
Elle me dit brièvement :
– Voici les timbres, il y en a dix. Vous allez
les coller sur vos cartes. Pour cela, vous
allez à ce bureau. Il y a un pot de colle.
La colle ? Je repérai le bureau où se trouvait effectivement une
coupelle remplie de colle
brunâtre. Il fallait prendre une noisette de colle et frictionner
l'envers de chaque timbre et
l'apposer sur la carte.
La noisette de colle que je pris s'agglutina sur
mes doigts, s'y agrippa,
la glu de colle s'attachait comme une sangsue. J'essayai de m'en
dépêtrer. Le timbre, je finis par le
coller sur une carte postale et quand je vis la pâte visqueuse dépasser
des bords du timbre, je décollai
le timbre, épongeai le surplus de la colle, essuyai le bord de la carte
tachée par la colle
et je replaçai le timbre.
Il y avait neuf autres timbres. Mes doigts
suintaient de colle qui s'asséchait d'un côté et dégoulinait de
l'autre. Je sortis un mouchoir en papier pour ôter le gras de la colle.
Puis je recommençai
l'opération colle-carte-colle, opération longue et poisseuse qui
commençait à me donner ds sueurs et des
montées de chaleur déjà bien installée dans l'espace ambiant.
A ce moment, un homme portant un sac à dos, vêtu de jean et
chemisette, baskets aux pieds,
s'avança vers le guichet. Des tempes grisonnantes, un chapeau en coton
et des lunettes repoussées
en arrière, c'était le produit reconnaissable entre tous dans ce lieu
de villégiature.
Il se présenta au guichet pour demander quinze timbres, puis il vint se
placer contre le bureau.
Je poussai le pot de colle au centre du bureau, pensant qu'il en aurait
besoin. Je le vis sortir une
bouteille d'eau minérale et un mouchoir en papier. Intrigué, je le vis
humecter son mouchoir d'eau puis
le passer sur le timbre et placer le timbre ainsi humecté sur une
lettre. Il recommença l'opération.
La conversation s'engagea aussitôt.
– Avec cette colle, vous en aurez plein les doigts, vous vous
enfoncerez dans une sorte de vase visqueuse et vous passerez des heures
à vous en débarrasser ; le truc, c’est de ne pas utiliser la colle. Le
timbre est autocollant mais ne se colle qu’au contact d’un filet d’eau.
Je lui montrai mes mains collantes, suintantes de cordages de glu qui
tels des stalactites s’étiraient entre mes doigts ; j’achevai de coller
mes timbres tout en regardant la technique de l’autre auprès de moi qui
se mettait au travail avec un sérieux d’académicien.
– Vous savez, c’est comme cela ici, il faut
s’adapter, ajouta l’homme au sac à dos avec un sourire amusé qui eut
pour effet de me dérider.
Cela faisait déjà une demi-heure que je
m’esquintais !
Après avoir tout collé, je me présentai à
nouveau devant la guichetière en lui demandant où déposer mes cartes
car je ne voyais aucune boîte à proximité.
La belle dame en prenant mes cartes postales, me
répondit sans broncher :
– C’est moi qui suis la boîte.
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