A FLEUR DE PEAU


                    par Claude Jégo

Déposées délicatement sur l'eau, les fleurs de soie glissaient sur le flot, une lente descente fluide qui les emportait entre les rives verdoyantes. Seuls des galets isolés, s'érigeant parfois sur leur trajet, les invitaient à esquisser une jolie ronde avant de rallier la rivière.
Plongeant sa fine main au sein des gouttelettes, Ameline guetta patiemment que quelques-unes d'entre elles, cœur rouge et pétales roses viennent s'alanguir au creux de sa paume. D'un regard amusé, elle suivit les fleurs effeuillées qui fuyaient à vau-l'eau et ne put se retenir de pousser un soupir de bonheur.
« Je vis dans une oasis où aucun nuage ne pourra me priver de ce merveilleux soleil, lui soustraire le plus infime de ses rayons lumineux. A moins d'engloutir, à jamais, mon immensité bleutée, murmura-t-elle.»
Ameline fit un tour sur elle-même, découvrant avec intérêt chaque parcelle de son décor : les prairies où herbes et coquelicots s'entrelaçaient tendrement, où papillons et abeilles dansaient et fredonnaient jusqu'à la nuit, où oiseaux et petits mammifères se croisaient pour échanger chants et glapissements.
« Comment pourrais-je imaginer que tant de gens déroulent leur vie sur une terre couverte de mangroves... ? Sans se plaindre, savourant peut-être même les étranges paysages qui sont les leurs... Marchant sous les ondées quotidiennes, leurs cheveux, leur visage, leurs vêtements ruisselant jusqu'à leurs pieds. Et le pire, qu'ils parviennent à le supporter !

– Hé, Ameline, c'est toi qui parles toute seule ? La voix la surprit, elle se retourna brusquement.
Il se tenait à une courte distance, le visage amusé par ce surprenant monologue.
« Tu as l'air d'une sotte, Ameline, trouve les mots qu'il faut pour lui répondre. »
Elle improvisa sans attendre :
– Mick , te voilà enfin ! Tu veux te rafraîchir d'une boisson spitante ? Et, pour répondre à ta question, je vais de ce pas te rapporter mon aquarelle afin que tu puisses admirer mon dernier chef-d'oeuvre.
Elle revint et posa le verre sur la table basse. Puis elle lui tendit la modeste toile.
– Voici pourquoi je monologue, cher Mick.

Il regarda le vert, le brun, le gris mélangés et les minuscules taches rouges. Hésitant, il fit pivoter le cadre sur la droite, sur la gauche... l'éloigna de ses yeux avant de le rapprocher.
– Je comprends mal ce que cela représente. Peux-tu m'aider à comprendre ?
Elle parut choquée. Pour elle, c'était l'évidence même.
– Des fleurs se jetant à l'eau !
Il fronça les sourcils:
– Et par conséquent, cela signifie quoi, très précisément ?
Un beau sourire se dessina sur les lèvres roses d'Ameline :
– Elles s'expriment à leur façon. Ecoute-les, tu n'entends pas ? Un énorme « Plouf ! »



F I N

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En 2020, le thème de la Semaine de la Langue française était : Au fil de l'eau.

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