Le frein à main sitôt serré, Grégory jaillit de sa voiture, fonça au pas de course vers l’immeuble et s’engouffra dans le hall sans ralentir ; il avait encore en tête l’e-mail qu’il venait de recevoir : « Au secours ! signé Vincent.»
Décidément, il est bizarre ces derniers temps. Ce déménagement deux semaines avant le bac, ça ne lui a pas réussi. Qu’est-ce qui lui arrive encore ?
Le cheveu blond coupé en brosse, la carrure d’un judoka, Grégory grimpa quatre à quatre les deux étages et enfonça le bouton de la sonnette. La maman de Vincent lui ouvrit la porte :
- Greg ? s’étonna-t-elle en le découvrant sur le pas de la porte : Mais je te croyais plongé dans les révisions du bac ?

Devant son regard soupçonneux, Greg essaya de prendre un air détaché :
- Oui, madame, seulement j’ai un problème en physique-chimie. Alors si Vincent pouvait me filer un coup de main ?
- Il n’est pas sorti de sa chambre depuis ce matin, répondit la maman de Vincent qui poursuivit : Il n’a pas voulu déjeuner, il m’a dit qu’il n’avait pas faim. (Elle s’interrompit et son regard pesa longuement sur Greg qui se mit à admirer le carrelage) Il n’a pas de problèmes, j'espère ?
- Bien sûr que non, rétorqua Greg en se traitant intérieurement de vrai faux-jeton. Je peux aller le voir ?

La maman de Vincent ouvrit la bouche pour continuer l’interrogatoire puis renonça. De toute façon, elle n’en tirerait rien même sous la torture.
- Je te laisse aller, tu connais le chemin.

Avant qu’elle n’ait changé d’avis, Greg traversa le couloir et frappa à l’une des portes.
Une demi-seconde s’écoula : la porte s’ouvrit, une main l’agrippa par son tee-shirt et le tira brutalement à l’intérieur. Grégory n’eut que le temps d’apercevoir Vincent, le teint pâle, les yeux cernés, avant de se retrouver saisi à bras le corps, prisonnier d’une étreinte énergique.
- Greg ! Tu ne peux pas savoir comme je suis content de te voir !

Grégory bredouilla, décontenancé :
- Euh… moi aussi, je suis ravi d’être là. Tu veux bien me lâcher maintenant ? (Greg en profita pour mettre un peu de distance entre lui et son ami) C’est quoi cet e-mail ? Qu’est-ce qui...

Mais Vincent ne le laissa pas poursuivre ; il se mit à marcher de long en large en faisant de grands gestes avec les bras.
- Ça a commencé la première nuit après notre déménagement. Franchement ! Comment voulais-tu que je te dise… que je te raconte… que je… Tu vois ! C’est impossible.

Effondré, Vincent s’assit sur le bord du lit et se prit la tête entre les mains. Pantalon et chemise sombre, les cheveux noirs tombant sur la nuque, il tranchait singulièrement avec le pikachu jaune qui bondissait joyeusement sur un poster géant accroché au mur.
Perplexe, Grégory tenta de comprendre à demi-mots. Apparemment, c’était lié au déménagement ; pourtant le bac, si proche maintenant, était beaucoup plus stressant mais Vincent n’y faisait même pas allusion.
- Toute la nuit, j’ai entendu ses gémissements lugubres. Il ne dort jamais, forcément. Parfois, quand il s’ennuyait trop il venait m’entretenir de ses tourments.
- Euh… , fit Grégory qui ne trouva rien de plus intelligent à dire à cet instant.
- Il s’appelle Bertrand, poursuivit Vincent sans s’apercevoir du trouble de son ami. Il est mort il y a quatre cents ans et depuis il erre dans ma chambre.
- Il erre dans ta chambre depuis quatre cents ans ? demanda Grégory qui avait du mal à suivre.
- Non ! s’énerva Vincent. Depuis que j’ai emménagé dans cet immeuble.

Grégory s’assit, lui aussi, sur le lit ; il ressentait comme un passage à vide.
- Une petite seconde… Tu m’as bien envoyé un e-mail ?
- Oui, parce qu’il a beaucoup insisté. Je lui avais dit que tu étais un surdoué de l’informatique alors il a pensé que toi tu y arriverais ?
- Mais à quoi ? demanda Grégory qui tentait désespérément de suivre le fil de cette histoire.
- Attends, dit Vincent. Il va t’expliquer lui-même. Bertrand ? Vous êtes dans les parages…
- Non, attends Vincent, dit Grégory, c’est une blague que tu me fai…

Mais les mots s’étranglèrent dans sa gorge ; un spectre venait de traverser le mur, et l’homme, pardon ! le fantôme, avait vraiment fière allure : de longs cheveux châtains encadrant un beau visage aux pommettes hautes, un nez droit, un menton volontaire. Il portait avec élégance un habit en drap marron avec chemise blanche à jabot de dentelle, et il arborait, à l’annulaire de sa main droite, une chevalière en or portant ses armoiries.
Vincent fit les présentations très simplement :
- Voici le comte Bertrand Lamorie de Banold. Grégory, mon meilleur ami.
- Sieur Grégory, fit le fantôme d’une belle voix grave, Vincent m’a assuré de votre grande hardiesse et de votre prompt renfort.
- Euh... , bafouilla Greg. Oui, sûrement.

Réalisant soudain qu’il parlait à un spectre, le jeune homme attrapa son ami par le bras, et l’attira dans un coin de la chambre.
- Vincent, écoute-moi bien : les fantômes n’existent pas, tout le monde sait ça ! De plus, ils hantent les vieux châteaux en pierre, et pas les immeubles bétonnés du vingt-et-unième siècle. En conclusion, aucun spectre ne se trouve actuellement dans ta chambre.

Les deux amis échangèrent un long regard puis se tournèrent avec un bel ensemble vers le fantôme qui leur sourit aimablement.
- Greg, mon vieux copain… s’exclama Vincent en tapotant gentiment l’épaule de son ami, je suis entièrement d’accord avec toi. Alors si tu veux bien LUI expliquer qu’IL n’existe pas, cela m’arrangerait, parce que dormir la nuit bercé par ses hurlements, c’est insupportable.

Greg observa le fantôme du coin de l’œil. Son esprit cartésien et son caractère bien trempé lui interdisaient de croire ce que ses yeux voyaient pourtant très nettement.
- Et ta mère, comment elle fait pour ne rien entendre ?
- Elle dort toujours avec des boules Quiès, lâcha sobrement Vincent que plus rien, visiblement, ne pouvait surprendre.
- Donc ce fantôme t’a demandé de faire appel à moi ?
- Exactement. C’est à cause de Madeleine, sa fiancée. N’est-ce pas Bertrand ?
- Certes, acquiesça le fantôme. Cette femme, dont nulle autre au monde n’aurait pu égaler la grâce et la beauté, allait devenir mon épousée.
- Et alors ? demanda Greg.
- Bertrand s’en est allé guerroyer avec le roi, poursuivit Vincent, et…
- Et…, reprit Greg, qui se demandait où cette tortueuse histoire allait le mener.
- Le destin cruel m’a séparé de ma mie à tout jamais, termina le fantôme. Considérez mon triste sort, sieur Grégory, depuis quatre siècles j’erre.
- C’est beau le vieux français, tu ne trouves pas ? fit Vincent.
- Vincent ! aboya Grégory. Pourquoi tu m’as fait venir ici ?
- Pour l’aider.
- L’aider ! Mais à quoi ?
- A retrouver Madeleine, c’est évident ! Fais un effort, Greg, par pitié, sinon on n’y arrivera pas.

Grégory essayait de garder toute sa lucidité mais ce n’était vraiment pas facile, étant donné les circonstances.
- Tu veux réunir deux zombies pour qu’ils puissent filer le parfait amour dans ton appartement ?

Vincent fusilla son ami du regard :
- D’abord, ce sont des fantômes, pas des… Ensuite, comment veux-tu que je passe mon bac dans ces conditions ? Greg, je te demande un service, tu ne peux pas me le refuser.

Grégory poussa un soupir et, sans savoir pourquoi, songea à une grosse boîte d’aspirine. Vincent venait de lui jouer le chantage à l’amitié. Inutile d’insister.
- Okay ! Je vais voir ce que je peux faire mais laisse-moi réfléchir quelques minutes.
- Pas de problème ! dit Vincent qui fit signe au comte de venir s’asseoir à côté de lui sur le lit. Puis il lui murmura à l’oreille : J’espère que ce ne sera pas trop long.
- Ooooh ! j’ai tout mon temps, répondit Bertrand.

Grégory fit quelques pas dans la pièce, les sourcils froncés par la concentration :
- Je connais un site spécialisé en généalogie, ça devrait convenir à ce genre de recherche. Bien sûr si on avait un portrait de Madeleine, ce serait plus rapide.
- C’est sûr, ricana Vincent. Seulement j’ai peur que les couleurs du polaroïd soient un peu passées. Pas vrai, Bertrand ?
- Je ne connais pas ce Paul Laroïd, répondit le fantôme qui avait du mal à suivre la conversation. On pourrait s’informer auprès du webmestre de « Ectoplasme.com » ?

Interloqué, Greg se tourna vers Vincent :
- Tu le laisses pianoter sur ton ordinateur ?
Vincent eut un bref haussement d'épaules.
- Pendant qu’il surfe, il ne parle pas et j’apprécie, surtout la nuit. Pour le portrait, j’ai peur que ce ne soit pas facil…
- Monsieur Loriot ! J’aurais dû y penser tout de suite, s’exclama soudain Grégory en se frappant le front du bout des doigts. Tu te souviens : c’était notre prof d’histoire en classe de seconde, un véritable accroc du seizième siècle. Il pourra sûrement faire quelque chose, on va aller lui rendre une petite visite.

Joignant le geste à la parole, Grégory se leva de chaise pour se heurter, de plein fouet, à Vincent.
- Greg ! Tu n’as pas l’intention de lui raconter que j’héberge un fantôme ?
- Tu as une autre solution ? Non. Alors, on y va.

Malgré sa réticence, Vincent dut reconnaître que son ami avait raison ; devant une situation hors du commun, il fallait utiliser les grands moyens. Il expliqua au fantôme que leur absence serait de courte durée.
- Bertrand, vous restez là bien sagement jusqu’à notre retour. D’accord ? Et si vous trouvez le temps long, vous n’avez qu’à échanger quelques mails avec vos cousins écossais.

Bientôt, les deux garçons sonnaient à la porte de monsieur Loriot qui fut ravi de les revoir.
- Oh ! Que c’est gentil de rendre visite à votre vieux professeur. Entrez jeunes gens ! Nous allons nous installer au salon, nous y serons mieux pour bavarder gentiment.
- Pour être franc avec vous, monsieur Loriot, commença Grégory, Vincent a un problème un peu particulier et on s’est dit que vous pourriez nous aider à le régler.
- Ah ! fit le professeur. Vous m’intriguez. Dites-moi tout, je vous écoute.
- C’est pas très facile à expliquer, commença Vincent. Eh bien voilà : j’ai un fantôme qui hante ma chambre, mais depuis huit jours seulement.
- Oui-oui-oui, dit monsieur Loriot qui se laissa aller dans son fauteuil, joignit les mains doigts croisés, et plissa les yeux. Donc « avant » il n’était pas là et brusquement, il est apparu, c’est bien cela ?
- Non, c’est-à-dire, objecta Vincent, c’est depuis que j’ai emménagé dans ce nouvel appartement avec ma mère.
- Certainement, acquiesça le professeur. Et vous l’apercevez de préférence avant les repas ou après ?
- Euh…, hésita Vincent avant de lancer à Grégory : Tu vois, il ne me croit pas. On aurait dû emmener Bertrand avec nous…
- Vous m’avez mandé, ami Vincent ? demanda soudain une belle voix grave.
Et le fantôme se matérialisa devant eux.
- Je n’en crois pas mes yeux ! s’écria le vieux professeur en se relevant d’un bond. Bertrand Lamorie de Banold ! Quel honneur de vous voir ici dans mon humble demeure.
- Comment ça « quel honneur » ? protesta Vincent. Et d’abord depuis quand connaissez-vous MON fantôme ?

Mais monsieur Loriot entraînait déjà Bertrand vers son bureau.
- Figurez-vous, mon noble ami que j’ai une parenté, fort lointaine, hélas, avec votre illustre famille. C’est du côté d’une arrière-arrière petite cousine d’une de mes aïeules qui avait épousé le cousin d’un oncle des Lamorie de Banold. Si mes souvenirs sont exacts, vous étiez tombé au champ d’honneur ?
- Hélas, sieur Loriot, c’est ainsi que la mort m’a séparé de ma douce Madeleine.

Vincent et Grégory avaient suivi monsieur Loriot et le fantôme dans un petit bureau débordant de vieux livres.
- C’est justement ce qui nous amène, expliqua Grégory à son ancien professeur. Tant que Bertrand n’aura pas retrouvé Madeleine, il sera condamné à hanter un vulgaire immeuble.
- Dis, Greg, tu veux bien surveiller tes propos ? gronda Vincent. Mon immeuble est tout à fait correct.

Monsieur Loriot parut perplexe. Réunir Bertrand et Madeleine ? Oui, mais comment s’y prendre ?
- J’ai trouvé un site spécialisé, dit Grégory. Mais si vous aviez dans vos archives une image représentant Madeleine, ce serait mieux.
- Ah ! Je dois reconnaître que c’est une excellente idée.

Le professeur s’empara d’un livre couvert de poussière qui traînait, oublié sur une étagère, et il se mit à le feuilleter.
- Il devrait y avoir un portrait de Madeleine, réalisé par un peintre de l’époque… Le voilà.

En voyant apparaître une ravissante jeune femme au teint de porcelaine, Bertrand sentit l’émotion l’envahir.
- Oh ! Ma douce, déclama-t-il. Mon âme est pleine d’amour et de mélancolie, j’adore ton image et me languis de ta présence.
- C’est tout à fait charmant, s’exclama monsieur Loriot, ravi.
- Il peut passer des heures à réciter des poésies, dit Vincent, surtout la nuit.
- On n’a pas le temps ! coupa sèchement Grégory qui marmonna à voix basse : non mais, je rêve ! discutailler poésie avec un spectre, et puis quoi encore.

En familier de l’informatique, monsieur Loriot scanna l’image du livre afin d’obtenir une réplique à l’écran, puis il y ajouta un message, ainsi que son adresse sur le Net.
- Il n’y a plus qu’à espérer qu’une réponse nous parvienne rapidement, dit le professeur qui consulta sa montre : dites-moi, jeunes gens, vous avez bien un bac à préparer ? Alors rentrez chez vous ! Bertrand et moi nous avons plein de choses à nous dire, on ne vous retient pas.
- Vous êtes sûr ? interrogea Vincent.
- Mais oui. Laissez-moi une adresse pour vous joindre et sauvez-vous vite !

Vincent griffonna quelques mots sur un bloc-notes puis les deux garçons prirent congé de leur vieux professeur et du fantôme qui s’étaient mis à discuter « souris ».
- Celle-ci est sans fil, mon cher Bertrand.
- Chez Vincent, elles ont la triste habitude de mordiller mes hauts de chausse.
- Il y a des souris chez Vincent ? s’inquiéta le vieux professeur.
- Seulement dans les caves. Je m’y promène parfois ; c’est long l’éternité.
- Mmm, j’imagine, compatit monsieur Loriot.

Lorsqu’ils se retrouvèrent dans la voiture, Vincent ne put retenir un cri de joie :
- Ouf ! C’est le spectre le plus collant qui soit. Si seulement j’avais pu m’en débarrasser en appuyant sur une touche de mon clavier. « Paf ! » Suppression.
- Tiens, en parlant de ça, tu ne pouvais pas filer une autre adresse que : fabuleuxvincent@…. Tu fais toujours dans la modestie.
Vincent haussa les épaules avec désinvolture :
- Point ne m’en chaut, sieur Grégory. Je vais enfin pouvoir dormir douze heures d’affilée.

Grégory lui jeta un regard admiratif :
- Tu sais que tu m’épates avec ton vieux français ?
- J’ai peu de mérite, fit Vincent. Quand tu entends un fantôme rabâcher sa complainte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tu apprends vite.

Les deux amis se quittèrent pour se replonger dans les révisions du bac et les heures passèrent.
L’après-midi touchait à sa fin quand monsieur Loriot contacta Vincent. Une dame prétendait avoir tous les renseignements nécessaires et elle n’habitait qu’à une quinzaine de kilomètres de distance.

Vingt minutes plus tard, Grégory et Vincent frappaient à la porte de cette personne.
- Madame Campion ? Moi, c’est Vincent et lui, Grégory. Nous venons vous voir au sujet de la fiancée de Bertrand de Banold.
- Ouiiii ! s’écria madame Campion d’une voix suraiguë. Entrez donc !
Vincent et Grégory se retrouvèrent assis sur un divan couvert d’un plaid vieux rose bordé de pompons verts et jaunes. Madame Campion sortit une boîte de biscuits ramollis et elle leur servit une tasse d’un café transparent.
Et elle leur raconta :
- Madeleine était fiancée à Bertrand mais quand il est parti à la guerre, elle n’a pas supporté. Comme disait mon premier mari « elle s’est laissée mourir de chagrin ». La pauvre. Mes ancêtres... oh, cela remonte à quelques siècles en arrière, étaient domestiques dans cette noble famille. D’ailleurs ils sont restés à leur service pendant plusieurs générations, c’est pourquoi je sais ce qu’est devenue la famille de cette pauvre Madeleine.
Madame Campion eut un petit rire chevrotant.
- Mon deuxième mari disait en riant que c’était facile d’être noble quand on venait au monde avec une particule et un château. Mon Herbert avait beaucoup d’humour.
- Mais vous savez où elle a été enterrée ? demanda Vincent, pressé d’aller à l’essentiel.
- Oui, pratiquement. Par contre j’ignore totalement ce qui s’est passé par la suite avec la famille de Bertrand.
- Moi, je sais, murmura Vincent.
- Comment ça : pratiquement ? dit Grégory.
- Pardon ? fit madame Campion qui avait déjà oublié ce qu’elle venait de dire.
- Vous avez dit que vous saviez « pratiquement » où Madeleine se trouvait enterrée, insista Grégory.

Madame Campion eut à nouveau un petit rire :
- C’est-à-dire que je ne me souviens plus si c’est à Chauve-le-Bourg ou bien à Trifon-le-Grand. Henri, mon troisième mari, disait que j’avais une mémoire de guêpe et une taille d’éléphant. Ou l'inverse, mais c’est sans importance. J’ai vu que vous aviez une voiture, vous n’aurez qu’à vous rendre sur place pour vérifier.
- Vérifier quoi ? s’inquiéta Grégory.
- Oh ! c’est très simple, affirma madame Campion. L’église est facile à repérer avec son grand clocher qui se voit de loin. Et le cimetière est juste à côté.
- Le cimetière… , répéta Grégory.
- La famille de Madeleine avait fait construire un superbe monument funéraire, un grand mausolée en pierre blanche. S’il n’est pas dans le premier cimetière, il sera dans le second.
- Le second… , répéta Grégory avant de comprendre.
- Maurice aimait beaucoup visiter les cimetières, dit madame Campion d’une voix émue. C’était mon quatrième mari. Il appréciait les rangées de tombes alignées, les haies taillées, les allées entretenues. Il les apprécie plus encore depuis huit ans. Mon cinquième mari…

A cet instant madame Campion s’arrêta pour se moucher bruyamment et Grégory et Vincent en profitèrent pour s’esquiver.

Il était à peine neuf heures du soir mais les nuages étaient si nombreux et si épais qu’il faisait déjà nuit. Une nuit très sombre.
Un hibou hulula et des chauves-souris survolèrent la tête de nos deux «courageux» amis en train d’errer entre les tombes du «pittoresque» cimetière de Chauve-le-Bourg.
- C’est franchement lugubre, dit Grégory. On ne devrait pas être là.
- Moi, je ne trouve pas, dit Vincent. Tous ces cyprès, ces fleurs, et puis l’originalité de ces pierres tombales, il y a une poésie incroyable dans tout ça.
Grégory secoua la tête en grommelant qu’il détestait la poésie.
- Puis-je vous venir en aide ? demanda soudain une voix

Grégory eut un haussement d’épaules et grommela :
- Et voilà que maintenant tu me vouvoies ? Ca devient n'importe quoi, Vincent !
- Mais je n’ai rien dit.
- En effet, car c'est moi, jeune sire, qui vous ai parlé, reprit la voix.

Grégory et Vincent effectuèrent une volte-face avec un bel ensemble. Devant eux se trouvait un fantôme d’un genre très classique : grand drap blanc très propre et boulet accroché à une cheville par une lourde chaîne.
- Ma… ma… ma… Madeleine, bégaya Vincent. La… fiancée de… Bertrand de Ba...Banold.
- Prenez tout droit, répondit le fantôme, puis la première allée à gauche et ensuite la deuxième à droite. Vous ne pouvez pas vous tromper.
- Mé… mé… merci, dit Vincent.
- Je suis à votre disposition, répondit à nouveau le fantôme. Toutes les nuits de 20 heures à 3 heures, sauf les samedis et dimanches.
- Pas le week-end ? dit Grégory qui songea aussitôt qu'il posait une question stupide.
- Je fais les trente cinq heures, jeune homme, dit le fantôme avant de s’évaporer dans les airs en faisant de grands « houhou !»

Nos deux amis se retrouvèrent seuls au milieu des tombes, cernés par un lourd silence.
- Bon, on va voir ? demanda Vincent.
- Ah non ! ça suffit, gronda Grégory. C’est la bonne adresse, alors Monsieur Loriot et Bertrand feront le reste. Je ne tiens pas à me retrouver nez à nez avec le spectre de Madeleine. On rentre.
- Oh ! fit Vincent, déçu. Pourtant, d’après le portrait que nous avons pu voir d'elle, elle est jolie.
- Elle ETAIT, rectifia Grégory. Quatre siècles de plus, ça vous change une femme. Et j’en ai plus qu’assez de fréquenter des courants d’air.
- Dommage ! Une courte promenade nocturne serait plutôt... commença Vincent.

Mais Grégory s’éloignait déjà à grands pas et Vincent se hâta de le suivre.

La nuit était bien avancée quand Vincent s’installa devant son ordinateur, soulagé d’être débarrassé de Bertrand Lamorie de "etc" et ravi à l’idée de dormir douze heures d’affilée sans être réveillé par un courant d’air glacé.
Il se mit à pianoter sur son clavier et frissonna.
Brrr ! Quelle froidure dans cette chambre. Décidément, je deviens frileux.

Pendant que Vincent prenait connaissance des mails qui s’étaient accumulés durant son absence, un corps commença à se matérialiser derrière lui.
Petit, maigrelet, le cheveu raide et gras surmontant un visage de fouine, l’œil fuyant, Grégoire de Trévises n’était ni beau, ni très intelligent.
Le départ du comte l’avait fort contrarié, il avait l’habitude de hanter les caves en sa compagnie. Maintenant que Bertrand était parti, lui, Grégoire, allait se retrouver seul. Sauf s’il pouvait retrouver son épouse ; celle qu’il avait jetée au fond d’une oubliette juste avant que la foudre ne tombe sur leur château et ne le tue, lui aussi.
- Sieur Vincent ? appela Grégoire. Puis-je implorer la grâce de votre aide ?

Lentement, très lentement, Vincent se retourna. Et lorsqu’il vit le spectre debout face à lui, le boulet gisant à ses pieds, il ouvrit la bouche et hurla.



F I N


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version revue et corrigée par l'auteur en mars 2013