L'enfant abandonna ses chaussures et son pantalon sur le sable et, poussant un cri de joie, il se précipita à la rencontre de la vague. Elle s'approcha, recouvrit ses pieds nus, entoura ses chevilles...
"Ça chatouille" murmura l'enfant et un large sourire s'épanouit sur ses lèvres tandis que ses joues rosissaient de plaisir.
Mais, déjà, l'eau bleue s'était retirée pour préparer un nouvel assaut. Elle parut se ramasser sur elle-même, prendre son élan... pour s'élancer avec plus de force. L'enfant eut un rire clair tandis que la vague éclatait, sur ses mollets, en milliers de gouttelettes blanches.
Quel jeu merveilleux ! Jamais il ne s'en lassait.
Soudain, un petit crabe rouge lui passa entre les jambes. Il marchait de guingois et filait, si vite, vers le large que l'enfant en fut tout étonné.
"Ses amis doivent l'attendre pour partir en vacances et il est en retard, songea-t-il. Les crabes n'ont pas de montre pour connaître l'heure, c'est ennuyeux."

L'enfant essaya de rattraper le petit crabe rouge mais il avait déjà plongé. Tant pis !
Et c'est alors qu'un phénomène extraordinaire se produisit.

La mer se mit à bouillonner, encore et encore ! Il y eut un jaillissement d'écume blanchâtre, puis une forme émergea. Grise, énorme ! Les lèvres de l'enfant dessinèrent un "o" muet. Une île ! Il ne rêvait pas, une île venait de surgir des flots.
L'enfant contempla cette masse, si imposante, qu'elle lui cachait désormais la ligne d'horizon. Ce serait passionnant de pouvoir la parcourir, de se livrer à son exploration. Quelles merveilles pouvait-elle renfermer dans de surprenantes cachettes ? Oui, mais comment s'y prendre ? L'eau était trop profonde à cet endroit et une famille d'oursins, aux piquants longs et douloureux pour les petits pieds tendres, vivait dans les parages.
Alors que l'enfant cherchait le moyen de l'approcher, l'île ouvrit deux grands yeux ronds et une multitude de dents apparut. C'était une île qui souriait.
– Bonjour !
– Oh ! Tu es une île qui parle ?
– Mais non. Mon nom est Shédane et je suis une baleine grise. Et toi, comment t'appelles-tu ?
– Ennio. Pourquoi ne sors-tu pas de l'eau, je t'emmènerai chez moi.
La baleine se mit à rire et ses dents blanches étincelèrent dans le soleil.
– Je ne peux pas vivre hors de la mer mais toi, tu pourrais venir sur mon dos.
– C'est vrai ? s'émerveilla l'enfant.
– Je t'attends là-bas. Dépêche-toi !
L'enfant aperçut un vieux ponton fait de rondins et de planches de bois à demi vermoulus. Il s'y précipita non sans récupérer, au passage, son pantalon et ses chaussures et quand la baleine passa à proximité, il sauta, d'un bond, sur le dos du mammifère qui poursuivit sur sa lancée.
Quatorze mètres de long ! C'est beaucoup pour un petit garçon. Ennio entama le tour complet du gros animal en comptant le nombre de ses pas. Il longea le flanc gauche, admira la longue nageoire, puis arriva à la queue si large qu'elle aurait pu, d'un coup, d'un seul, écraser un bateau.
– Cinquante et un, cinquante-deux... Que tu es grande !
– Oui.
Puis l'enfant remonta par le flanc droit, s'extasia devant l'autre nageoire et parvint enfin à la tête.
– Cent deux, cent trois... Que tu es grosse !
– Hé oui !
Ennio mit sa main en visière au-dessus de ses yeux pour se protéger des rayons du soleil qui l'aveuglaient.
– Je peux me promener avec toi ?
– Où veux-tu aller ?
L'enfant tendit le bras vers l'horizon.
– Jusqu'au bord de la Terre mais tu t'arrêteras avant. Je ne veux pas tomber dans le vide.
La baleine se mit à fendre l'eau bleutée et l'enfant s'assit sur son dos, fier comme le serait un capitaine à la barre de son nouveau navire. Au début, quelques goélands vinrent lui rendre visite ; ils semblaient intrigués par ce petit que la baleine transportait de si étrange façon et qui ne ressemblait vraiment pas à sa mère. Puis, ils se lassèrent et repartirent pêcher les poissons d'argent.
La mer émeraude se confondait maintenant avec le ciel, la plage avait disparu depuis longtemps. Bercé par le doux clapotis des vagues, Ennio s'allongea sur le corps chaud, glissa son bras replié sous sa tête et, le coeur gonflé de bonheur, il s'endormit.

Les heures passèrent...
La mer changea de couleur : bleu vert, puis bleu acier. Shédane avait oublié son passager et elle poursuivait son périple qui devait la mener jusqu'aux terres glacées du grand Nord.
L'air glacial réveilla l'enfant. Il ouvrit les yeux sur un monde recouvert de givre et parsemé de montagnes de cristal. La baleine s'était immobilisée le long de la banquise. L'enfant descendit et regarda ses pieds s'enfoncer dans la neige.
– Où sommes-nous ?
– Dans le monde Argenté, répondit Shédane qui ajouta, inquiète : Comment te sens-tu ?
– J'ai froid, dit l'enfant qui frissonna.
A cet instant, un magnifique aigle noir, aux ailes bordées de blanc, effectua un vol plané au-dessus de leurs têtes. Il salua la baleine grise d'un joyeux : Shédane, comment vas-tu ma grande ?
– Jack, mon ami, j'ai besoin de ton aide, lui répondit la baleine qui paraissait soucieuse.
L'aigle se posa et, comme il était très vaniteux, il apprécia le regard admiratif que l'enfant jeta sur ses longues ailes déployées.
– Ça va, petit ? On dirait que tu n'as jamais rencontré, de toute ta vie, un aigle royal de Sibérie. Alors regarde-moi bien ! Je suis assez fort pour être craint par les loups. Qu'en penses-tu ?
– Oh ! s'exclama l'enfant. Vous êtes fantastique !
– Oui, je suis assez d'accord avec toi, dit Jack en toute modestie.
– Jack, peux-tu m'écouter un instant ? s'impatienta la baleine. L'enfant doit repartir vers les terres chaudes et je n'en ai plus le temps. Je dois atteindre le pôle Nord avant la nuit. Merci de t'en charger, c'est un grand service que tu me rends.
– Ah non, j'ai passé l'âge de pouponner les mioches !
Mais la baleine s'éloignait déjà à toute vitesse.
- Hé ! Shédane, attends ! Reviens !
Mais les protestations de l'aigle tombèrent dans le vide, la baleine grise avait plongé. Lorsqu'elle refit surface, entre deux icebergs, il était trop tard.
L'aigle détailla l'enfant, qui tremblait de la tête aux pieds, et son regard se remplit de curiosité.
– Tu es quoi, comme animal ? Tu n'as pas un poil sur le dos pour te tenir chaud.
– C'est-c'est pa-parce que je suis-suis un hu-humain, hoqueta Ennio entre deux claquements de dents.
L'aigle eut pitié de l'enfant dont les lèvres commençaient à bleuir.
– Bon, allez grimpe sur mon dos et accroche-toi à mon cou. Mes copains pourront nous aider. Enfin, je l'espère.
Ennio se faufila entre les longues plumes, si chaudes, et l'aigle prit son envol.
"Quel étrange monde, fait de gris et de blanc, songeait l'enfant, tandis que Jack planait au-dessus de l'immensité glacée. Les couleurs n'existent donc pas ?"

Bientôt l'aigle atterrit aux abords d'un bois et Ennio sauta à terre, heureux de voir des arbres et leur joli feuillage vert.
– Barthélémus ! Ouhou ! Tu es là ?
Alors que Jack appelait à nouveau, un drôle d'animal vint à leur rencontre et Ennio se demanda ce qu'il pouvait bien être.
"Avec ses quatre pattes, il ne ressemble pas à Shédane. Ni à Jack puisqu'il n'a pas de plumes. Peut-être un âne, mais il lui manque les longues oreilles."
Tandis qu'Ennio réfléchissait, l'animal s'arrêta devant eux.
– Jack, vieille branche ! Que fais-tu dans les parages ?
– J'ai besoin d'un coup de main, Barthélémus. Il faudrait vêtir le gosse.
L'animal écarquilla ses grands yeux ronds pour contempler l'enfant.
– Je n'avais encore jamais vu de bête sans duvet, s'étonna-t-il. Quel nom lui donne-t-on ?
– Un hu-humain, répondit Jack. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit.
– C'est étrange, dit Barthélémus qui approcha son grand museau jusqu'à toucher le nez de l'enfant. Il n'a pas de sabots, non plus.
– Tu es un cheval avec des cornes ! s'exclama soudain l'enfant, ravi de sa trouvaille. Tu es très rigolo.
Vexé, l'animal redressa sa grosse tête sur laquelle trônaient de superbes bois.
– Je suis un renne, petit. Et je suis capable d'affronter des températures en dessous de quarante degrés, moi !
En disant cela, le renne regardait, d'un air réprobateur, l'enfant qui s'était remis à claquer des dents.
– Sois sympa, Barthélémus ! implora Jack. Tu ne vas pas le laisser mourir de froid, c'est juste un mioche.
– Okay, Jack ! Je dois avoir ce qu'il faut quelque part par là.
Le renne alla chercher, au pied d'un arbre, un objet qu'il revint déposer devant l'enfant.
Ennio inspecta avec curiosité cette bête ronde sans pattes, ni tête, mais couverte d'une épaisse fourrure. Peut-être un hérisson ?
Le renne la retourna d'un coup de sabot... La bête était vide à l'intérieur.
– Eh, c'est quoi, ce monstre ? s'exclama Jack en faisant un bond en arrière. Il n'a rien dans le ventre !
– Voyons, Jack, protesta le renne. Ce n'est qu'un bonnet en peau de castor qu'un bûcheron a oublié. Aurais-tu peur d'un tas de poils ?
L'aigle eut un petit gloussement gêné et il se dandina sur ses pattes.
– Pour qui me prends-tu ? Je plaisantais, bien sûr. C'était juste pour vous amuser tous les deux.
– Eh bien, tu ferais mieux de tailler un manteau au petit avant qu'il ne se change en bloc de glace. Ce qui ne devrais plus tarder si tu poursuis ton bavardage.
Jack utilisa son bec et ses serres pour faire trois trous dans le bonnet. Un pour la tête et deux pour les bras, et Ennio l'enfila. L'enfant sentit aussitôt la chaleur se répandre à travers tout son corps et il se mit à rire à l'idée de ressembler à un castor.
– Que comptes-tu faire de lui ? s'inquiéta Barthélémus qui s'attendrissait en voyant ce petit "hu-humain" si heureux en leur compagnie.
– Shédane me l'a confié, expliqua Jack. Il faut le ramener vers les Terres chaudes. Mais comment s'y prendre ? Il ne sait pas voler et il n'ira pas bien loin sur des pattes aussi courtes.
Le renne n'eut pas longtemps à réfléchir. Seule Cachou, la tortue, pourrait transporter l'enfant sur une si longue distance sans éprouver de fatigue.
– Va voir chez les manchots, suggéra-t-il à l'aigle. Je sais qu'elle adore leur compagnie. Et je te rejoindrai là-bas avec le gosse.
Tandis que Jack s'envolait, Barthélémus attrapa le gamin du bout des dents par sa "fourrure" et le déposa sur son dos.
– On va faire une balade, le môme. Tu es bien accroché?
– Je m'appelle Ennio et je suis déjà monté sur un poney.
– Un poney ! Ton univers est peuplé de bêtes épouvantables, le môme. Je n'aimerais pas y vivre. Que connais-tu des neiges éternelles ? Rien ? J'en étais sûr... Figure-toi qu'un jour un esquimau, perdu dans un terrible blizzard, s'était réfugié dans ma forêt. Il a eu beaucoup de chance parce qu'il aurait pu tomber nez à nez avec un ours blanc et cet animal a très mauvais caractère. Tu l'ignorais ? Alors, écoute-bien Barthélémus le sage : si tu croises un ours, cours petit ! Et surtout ne te retourne pas.
Barthélémus aimait raconter de belles histoires et Ennio aurait pu l'écouter durant des heures mais leur conversation fut interrompue par un lynx qui cherchait de quoi remplir son estomac vide. Son corps était recouvert, jusqu'aux extrémités des oreilles, d'une épaisse fourrure blanche mouchetée de roux qui lui donnait l'aspect d'une adorable peluche. Ennio n'avait jamais rien vu d'aussi joli.
– Le chat ! Regarde le chat, Barthélémus ! Je peux lui faire un câlin ?
– Je crois que ce ne serait pas une bonne idée, petit.
Mais le lynx avait entendu. Il fit quelques pas vers eux et se montra d'une grande gentillesse en s'adressant au renne.
– Laisse-le faire, mon cher Bart ! dit-il d'une voix doucereuse. J'adore croquer les enfants. Euh... je veux dire que j'adore les enfants.
– Tu entends, Barthélémus, dit Ennio. Il est très gentil le gros minou.
– C'est le genre de gros minou qu'il vaut mieux éviter, répondit le renne. Il a de longs crocs et il me semble qu'il a grand-faim. Garde tes distances, Griko, si tu ne veux pas rencontrer l'un de mes sabots.
Ainsi averti, le lynx les regarda s'éloigner, à regrets. Puis il partit chercher ailleurs son repas du soir.
"Gros minou ! Quand je raconterai ça à Jack, il va piquer un fou rire", songea Barthélémus en poursuivant sa route de son pas régulier.
– Tu vis seul ici ? demanda Ennio.
– Non, au contraire, j'ai une grande famille. Si je compte ma femme, mes enfants et mes nombreux cousins, nous devons être environ une cinquantaine. Les hommes nous laissent vivre en paix. Et, parfois, ils nous rendent visite, quand ils ont besoin de nous pour tirer un traîneau.

Barthélémus et Ennio avaient déjà parcouru la moitié du chemin mais, pendant ce temps, Jack n'avait encore rencontré aucun animal qui ait aperçu la tortue aux abords de la banquise. Il commençait à désespérer lorsqu'il reconnut un groupe de manchots à la silhouette pataude. Il se posa parmi eux.
– Salut les gros ! On se fait bronzer ?
– Tiens, Jack ! On se disait justement que le monde paraissait beaucoup plus beau sans toi.
– C'est toi, Tchouss ? Je ne te reconnaissais pas. Tu as encore pris quelques kilos, non ?
Le manchot secoua la tête pour manifester sa mauvaise humeur.
– Je n'aime pas tes manières, Jack, alors...
– Hé, Tchouss, calme-toi ! Je te taquinais juste un peu.
– Que veux-tu, Jack ?
– Je cherche Cachou la tortue depuis plus d'une heure. Je voudrais qu'elle effectue une livraison pour moi. Tu sais où elle se cache ?
Le manchot parut ravi à l'idée d'être débarrassé de cet aigle mal élevé. Il s'empressa de lui donner la réponse.
– Prends tout droit, tu ne peux pas la manquer. Elle se repose avant de repartir.
– Merci le gros, je te revaudrai ça. A plus !
– Jack, si jamais tu... s'écria le manchot en trépignant de colère sur ses deux pattes palmées.
Mais l'aigle s'était envolé et il n'entendit pas la fin de la menace que Tchouss lui lançait.
Jack fit demi-tour pour retrouver le renne et l'enfant.
– J'emmène le gamin, Barthélémus. Et merci pour ton aide.
Ennio sauta en bas du renne et passa ses bras autour de son cou.
– Je ne t'oublierai pas, Barthélémus. Je te le promets.
– Au revoir, petit, et fais bien attention aux gros chats qui adorent les enfants.
Le renne tenta de retenir une grosse larme qui menaçait de couler, mais déjà Jack entraînait l'enfant au milieu d'une foule d'animaux revêtus de smoking.
– Ce sont des manchots, expliqua l'aigle à l'enfant. Ils occupent leurs journées à manger et à ne rien faire. J'ai quand même réussi à savoir où l'on trouverait Cachou. D'ailleurs, la voilà !
Ennio découvrit une énorme tortue qui attendait au bord de la banquise et son large dos brun rougeâtre faisait une tache de couleur qui tranchait sur le blanc neigeux. En les voyant s'approcher, elle étira son long cou et cligna plusieurs fois des yeux.
– Salut, Cachou !
– Bonjour à toi, Raymond !
Surpris, Ennio se tourna vers l'aigle qui parut gêné.
– Je croyais que tu t'appelais Jack ?
– Euh.. C'est à cause des filles. Elles préfèrent Jack. Tu piges ?
Non, Ennio ne comprenait pas. Il était encore trop petit pour cela.
– Laisse tomber, gamin. Bon, dis-moi Cachou, peux-tu ramener le petit vers les terres chaudes ?
– Pas de problème, Raymond. Autre chose ?
– Oui. S'il te plait, arrête de m'appeler "Raymond". Merci, Cachou.
L'aigle se tourna vers l'enfant et lui tendit l'une de ses belles plumes blanche et noire.
– Ca te fera un souvenir de ton vieux copain, Jack. Allez, Ennio ! Embarque sur ton nouveau navire. C'est l'heure des grands adieux.
L'enfant s'installa sur la belle carapace et, lentement, la tortue s'écarta de la banquise. Avant qu'elle ne s'éloigne vers la haute mer, Jack les survola une dernière fois.
– Hé gamin ! La prochaine fois que tu me rendras visite, n'oublie pas ton manteau. Et si tu ramènes un ballon, on ira s'amuser avec les otaries. Elles adorent ça !
Un large sourire illumina le visage d'Ennio et il agita la main pour saluer son nouvel ami, l'aigle royal.
– Je reviendrai, Jack ! A bientôt !

F I N


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