Damien s'arrêta sur le pont, englué dans la foule
; l'aurait-il voulu qu'il n'aurait pas pu s'en aller. Ils
étaient partout ; sans sexe, sans âge, sans visage
; à discuter, jacasser, s'agiter. Damien ressentit une
promiscuité identique à celle qu'il
éprouvait, tous les jours, en prenant son bus ; ces corps
étrangers qui vous frôlent, vous touchent, vous
repoussent ; ces odeurs plus ou moins agréables qui
s'imposent à vos narines, imprègnent vos
vêtements.
Encerclé, Damien capta,
malgré lui, des bribes de conversation où il
n'était question que de cette éclipse de soleil
en plein mois d'août, à l'heure où on
s'apprête d'ordinaire à prendre
l'apéritif. Il jeta un coup d'œil à sa
montre : dix heures cinquante ; le spectacle allait bientôt
débuter.
Des paires de lunettes à
la monture cartonnée et aux verres colorés firent
leur apparition, certaines offertes à la ronde par
d'aimables anonymes.
Damien fixa l'étrange
"bidule" ainsi déposé au creux de sa main, et
trépigna d'impatience. Un tas de dossiers urgents
l'attendait sur son bureau, de nombreux mails avaient dû
arriver qui nécessitaient une réponse rapide et
cette fichue réunion de seize heures trente allait encore se
terminer à une heure tardive. Il était
déjà en retard sur le programme
pré-établi de sa matinée ; le contrat
du client, dûment signé en son domicile
à neuf heures quarante-cinq, aurait dû
être déposé entre les mains du
directeur de la Magra and Co à dix heures huit.
Hélas, le client avait beaucoup tergiversé avant
d'apposer sa signature.
Pourquoi pinailler autant si c'est
pour tout accepter ensuite les yeux fermés ? Trente-trois
minutes d'hésitation ! Les gens sont vraiment
incompréhensibles.
Damien savait bien qu'une
carrière se construit à grands renforts de
volonté ; jamais de renoncement, ne baisser les bras en
aucune circonstance.
Il y eut soudain un mouvement de
foule autour de lui, et par mimétisme, il chaussa les
lunettes et leva les yeux pour suivre le
phénomène. Dans le ciel, une ombre
s'évertuait à entamer le soleil,
s'enfonçait dans sa rondeur. La Lune, car c'était
bien d'elle qu'il s'agissait, cheminait lentement, réduisant
l'intensité de la lumière. Il ne subsista
bientôt qu'un maigre croissant jaunâtre
voué, lui aussi, à la disparition. Damien
frissonna.
Sans qu'il eut
été bousculé, les lunettes
cartonnées lui tombèrent du nez. Damien
détourna aussitôt les yeux ; regarder
l'événement sans protection pouvait provoquer de
graves lésions oculaires. Il s'accroupit, tâtonna
sur le sol mais dans une telle pénombre, au milieu de tous
ces badauds, il était vain de compter retrouver quoi que se
soit. Il se redressa et ne put retenir un juron qui claqua dans le
silence. Un silence étrange, incongru.
Interloqué, il tendit
l'oreille : plus un seul commentaire, pas la moindre
onomatopée. Il fit quelques pas en prenant garde de ne
bousculer personne mais il n'y eut pas un mouvement, pas même
l'esquisse d'un geste. Tout demeurait figé, immobile.
Essayant d'obtenir une
réaction, Damien les toucha du bout des doigts puis,
l'inquiétude le gagnant, il les secoua sans
ménagement. Rien. L'impression d'évoluer dans un
monde rempli de mannequins de cire fit monter en lui une sourde
angoisse.
Ce doit être un
cauchemar tout éveillé, songea-t-il.
Il tenta un petit rire qui
s'étrangla dans sa gorge : c'est sûrement pour le
cinéma, "Rencontre du troisième type" nouvelle
version.
Il s'énerva soudain :
– Dites quelque chose, n'importe quoi ? Pourquoi restez-vous muets ?
Il posa deux doigts contre une
gorge, sentit battre le pouls. Il guetta un battement de
paupières... En vain.
Une petite brise venue de nulle
part déferla sur le pont, décoiffant les cheveux,
faisant onduler les robes ; Damien sentit sa caresse sur sa joue avant
qu'elle ne s'enfuie à travers les feuillages. Et c'est
à cet instant qu'il entendit la musique dans le lointain ;
les notes, guillerettes, voltigeaient dans l'air pour parvenir
jusqu'à ses oreilles.
Aussitôt, il traversa le
pont, se glissant entre les statues ridicules avec leurs lunettes en
carton perchées sur leur nez et leurs bouches grandes
ouvertes, les doigts pointés vers le ciel. Les notes
caracolaient pour l'attirer, le guider vers un espace
auréolé de lumière. Loin de la
pénombre spectrale.
Il suivit le trottoir, longea les
façades de briques. La musique provenait d'un charmant
kiosque posé au milieu d'un parc ; ses
bas-côtés recouverts de mosaïques, ses
balustrades en fer forgé et sa toiture en forme de
cône bleu vif lui conféraient un air
délicieusement rétro.
Damien foula la pelouse
à grandes enjambées, monta les
premières marches, et s'arrêta,
déconcerté ; il n'y avait pas d'orchestre, aucun
musicien. La ritournelle continuait pourtant à
s'égrener - répétant à
l'infini couplet et refrain - jusqu'à devenir
entêtante.
Damien redescendait quand un bras
lui tendit un cornet de crème glacée.
Machinalement, Damien le prit puis regarda… à
l'autre bout du bras le marchand de glaces, tête
blanchissante, allure bonhomme, qui lui souriait.
– La musique…, commença Damien en indiquant d'un
signe du pouce le kiosque derrière lui.
– C'est joli, n'est-ce pas ? s'enquit le marchand.
– Il n'y a personne, objecta Damien.
– Ce n'est pas utile. J'ai mis vos parfums
préférés, chocolat-pistache.
– Comment savez-vous que j'aime les…
Damien s'interrompit. Il
s'inquiétait pour une vulgaire glace alors que le monde ne
tournait plus rond.
– Que s'est-il passé avec ces gens ? s'emporta-t-il. C'est
incompréhensible !
Le marchand ne se
départit pas de son sourire rassurant.
– Regardez votre montre, dit-il simplement.
Damien releva son poignet gauche,
et s'aperçut que les aiguilles avaient stoppé
leur course ; elles marquaient onze heure trente.
– Soyez le bienvenu dans le monde de l'éclipse, mon cher
Damien, laissa tomber le marchand.
Puis, d'un pas nonchalant, il
rejoignit son triporteur surmonté d'une large ombrelle rose
et jaune sur laquelle s'étalait le mot
"glaces".
Des enfants, accourus du fond du
parc, le frôlèrent en riant puis se
précipitèrent à l'assaut
d'énormes grenouilles en bronze qui ornaient le bassin aux
poissons rouges. Leurs parents arrivèrent à leur
tour ; ils marchaient d'un pas tranquille, bavardaient de choses et
d'autres, éclataient de rire, grondaient leur
progéniture. Ils s'assirent sur un banc, l'air insouciant.
D'abord interloqué,
Damien rattrapa le marchand en quelques enjambées et
l'obligea à se retourner en l'agrippant par
l'épaule.
– Vous croyez que je vais me contenter de ce genre d'explication ?
lança-t-il, agacé. Pourquoi ce parc se
trouve-t-il sous la lumière alors que l'éclipse
est à son maximum ? Comment ces gens peuvent-ils se mouvoir
et pas les autres, là-bas ?
– Calmez-vous, Damien, calmez-vous ! protesta doucement le marchand en
se dégageant. Je vais vous donner les réponses. A
l'instant où votre montre s'est
arrêtée, vous avez basculé dans le
monde de l'éclipse. Les êtres silencieux sur le
pont appartiennent toujours à l'autre.
– L'autre ?
Le regard du marchand se fit
inquisiteur :
– A quoi ressemble votre avenir ?
– Euh… je, bredouilla Damien.
Et dans son crâne
resurgirent les années d'études, la course
acharnée pour décrocher un poste au sein d'une
des plus grandes entreprises.
Son avenir ? Une réussite
en or. Le duplex dans un quartier bourgeois, la grosse berline
intérieur cuir, le chalet à la montagne. Une
place au soleil !
– C'est ce que j'ai toujours voulu et je l'aurai même si je
dois y laisser dix années de ma vie. Je ne connais que deux
sortes de gens : les gagnants et les perdants. Je ne suis pas un loser
!
Le visage du marchand
refléta une certaine déception :
– Il y a quelques années, d'autres préoccupations
emplissaient votre esprit… Un élevage de chevaux,
une petite ferme, de grands espaces.
Les yeux de Damien s'agrandirent de
surprise :
– Comment le savez-vous ?
Le marchand de glaces eut un geste
de la main qui signifiait "peu importe".
– Il y a des rêves qui sont faits pour être
réalisés sinon la vie perd tout son sens. Elle
devient vide, terne. Comme une lampe d'Aladin qui ne servirait plus
depuis trop longtemps.
Damien secoua la tête pour
empêcher les bulles du souvenir de remonter à la
surface mais les images se formèrent plus belles, plus
attrayantes que jamais. Son regard se perdit dans le vague.
– Antoine… c'était mon meilleur ami. Il
était originaire de la Drôme, ses parents
étaient agriculteurs là-bas. Antoine me racontait
qu'ils vivaient au rythme de la nature, des saisons, avec le lever du
soleil, les quartiers de Lune. Vous savez qu'il faut tenir compte de la
Lune avant de planter quelque chose sinon ça ne pousse pas.
Le marchand de glaces sourit et fit
"non" de la tête.
Deux plis apparurent entre les
sourcils de Damien qui poursuivit :
– Antoine et moi on avait tout prévu, tout
calculé, du moins "sur le papier". Les chevaux,
l'écurie, les pâturages, ça
représentait une jolie somme et il nous fallait une mise de
départ sinon les banques ne nous auraient pas suivis. On a
donc décidé de tout faire pour gagner cet argent
le plus rapidement possible, et on s'est juré que le premier
à y parvenir sonnerait le rappel de l'autre. (le visage de
Damien se détendit) Je me souviens qu'on avait
repéré une bâtisse un peu
délabrée et une magnifique prairie qu'on aurait
pu avoir pour une bouchée de pain. A l'époque,
personne ne s'intéressait à ce genre de chose,
les touristes préféraient la mer ou la montagne.
Le visage de Damien se ferma
brusquement.
– C'était des trucs stupides, des idées de gosses
: aller sur la Lune, faire le tour du monde en vélo,
escalader l'Himalaya. On ne les réalise jamais.
– Antoine s'est installé dans la Drôme, murmura le
marchand.
Damien se souvint de la carte
postale reçue il y a quelque temps
déjà, celle qu'il avait
déchirée après l'avoir lue : "J'ai la
ferme et les premiers chevaux, il ne manque plus que toi. Quand
viens-tu…".
La colère monta
brusquement en lui.
– Vous jouez à quoi ? s'énerva-t-il. Vous croyez
que je vais passer le reste de ma vie sous cette espèce de
bulle située hors du temps ?
– Vous pourrez bientôt repartir si le cœur vous en
dit, répondit calmement le marchand de glaces. Mais cet
endroit n'est pas une cité utopique, c'est plutôt
un passage entre deux mondes, celui de la réalité
et celui du rêve. Ouvrez les yeux, Damien, et donnez un sens
à votre vie !
– Elle en a un ! cria presque Damien.
– En êtes-vous si sûr ?
Damien secoua la tête,
tout cela ne rimait à rien.
– Comment se déplace-t-on d'un monde à l'autre ?
Y a-t-il une sorte de porte ?
Le marchand de glaces
acquiesça :
– Oui, d'une certaine façon. Elle se refermera avec la fin
de l'éclipse.
– Mais... , hésita Damien. Qu'arrivera-t-il ensuite ? Est-ce
que tout redeviendra comme avant?
– Cela dépend uniquement de vous.
Mû par l'habitude Damien
jeta un nouveau coup d'œil à sa montre,
à la trotteuse toujours fixe. Quand il releva la
tête, le marchand avait disparu.
Dérouté, Damien s'assit sur un banc pour manger
sa glace ; le bureau, les dossiers, les mails avaient sombré
au fond de sa mémoire.
Un gros ballon rouge roula sur le
sol, et s'arrêta à ses pieds. Une fillette blonde
et bouclée, vêtue d'une robe violine, s'approcha
pour le ramasser.
– Comment tu t'appelles, demanda-t-elle.
– Damien. Et toi ?
– Capucine. Tu viens vivre dans notre monde ?
Le jeune homme hésita.
– Je ne sais pas. Est-ce que j'ai le choix ?
La fillette éclata d'un
rire léger :
– Bien sûr ! Le marchand de glaces ne t'a donc rien dit ?
Avant qu'il ait eu le temps de
répondre, la fillette était repartie en courant
derrière le ballon.
Damien termina sa glace - elle
était délicieuse - avant de faire quelques pas
dans le parc. Des enfants s'amusaient, au bord du bassin, à
faire glisser sur l'eau des petits bateaux en bois peints. Il entendit
le chant des oiseaux, huma le parfum de l'air.
Prendre le temps de vivre, de
respirer à pleins poumons… , songea Damien. Dans
la Drôme ! (Il eut une moue méprisante.) Je serais
déjà satisfait si je pouvais emmener ma femme au
théâtre une fois par mois et voir un peu plus
souvent mes amis. Avec le réveil qui sonne à six
heures, le bus à prendre, le patron qui ne tolère
pas le moindre retard...
– Hé, vieux ! Tu regardes où tu marches ? jeta
soudain une voix agressive.
Damien sursauta.
Tout avait disparu : le kiosque, le
marchand de glaces, Capucine. L'éclipse était
terminée depuis longtemps. Les gens allaient et venaient
dans une cohue indescriptible, respirant un air empuanti par les gaz
d'échappement, sur fond assourdissant de klaxons et de
rugissements de moteurs.
Emporté par la foule,
Damien fut projeté dans un autobus. C'était
l'heure de pointe. Cela puait la sueur et le tabac.
Qu'est-ce qui m'est arrivé ? se demanda-t-il avec effroi.
Il dévisagea un homme
debout à côté de lui, le regard absent ; une femme, le teint grisâtre,
quitta son siège
pour descendre à l'arrêt suivant. Damien scruta
les visages, un par un. Il eut l'impression que son cerveau refusait de
penser tandis qu'un grand froid se propageait à travers tout
son corps.
L'autobus freina, les portes
automatiques s'ouvrirent ; il y eut un autre mouvement de foule qui
laissa Damien seul sur le trottoir, déboussolé.
Un coup d'œil sur une pancarte au bout d'un poteau lui
indiqua le nom de la rue ; il était rendu chez lui ou
presque. Encore quelques centaines de mètres à
pieds, et le voilà devant le vieil immeuble.
– Et le paillasson, c'est pour les chiens ? aboya le concierge, peu
amène.
Damien s'essuya les pieds sur le
tapis-brosse usé, puis monta les deux étages sans
croiser de voisins ; de toute façon, ils l'auraient
ignoré, comme d'habitude. Il pénétra
enfin dans son petit appartement, déposa son
attaché-case dans l'entrée, laissa les
clés dans le vide-poche en osier, accrocha sa veste
à la patère. Puis il resta planté au
milieu de l'entrée, comme paralysé par le
silence.
Mû par une
étrange impulsion, il releva son poignet gauche. La
trotteuse courait comme une folle sur le cadran mais, malgré
ses efforts pour rattraper le temps perdu, la montre affichait six
heures de retard.
La sonnerie du
téléphone le tira de ses sombres
pensées. Il décrocha le combiné :
– Allo Damien ? Tu es déjà rentré ?
s'enquit une voix féminine.
– Oui. Mais qui est au bout du fil ?
– Tu te payes ma tête ! Je suis ta femme et tu ne reconnais
pas ma voix ?
– Excuse-moi chérie, je suis fatigué. Ma
journée a été difficile.
– Ne te plains pas, Damien ! rétorqua sèchement
son épouse. Moi, je suis encore au bureau, et je ne sais pas
jusqu'à quelle heure. Si tu as faim, il y a des
surgelés dans le congélateur. Ta
journée s'est bien passée ?
– Oui, enfin non, c'est-à-dire qu'il m'est arrivé
une chose incroyable...
– Tant mieux. Ne m'attends pas pour te coucher, je rentrerai tard. A
demain, chéri.
Damien resta le combiné
à la main, tandis que la tonalité
répétait : "C'est fini, c'est fini..."
- Bonjour Capucine !
– Bonjour Nina. Je suis tellement heureuse que tu sois
restée parmi nous.
– Moi aussi, répondit Nina. Je ne voudrais pas retourner de
l'autre côté, même pour tout l'or du
monde.
– Tu me racontes ?
– D'accord. Voyons, j'étais à la
fenêtre en train de regarder l'éclipse, rien de
bien original comme tu vois, quand j'ai entendu une petite musique qui
semblait provenir de ma salle de bain. Ou plutôt du cagibi
qui me sert de salle de bain. J'ouvre la porte et je vois la surface de
la psyché qui ondule. Tu imagines ma surprise ! J'ai tendu
la main… elle est passée à travers le
miroir… Et voilà !
– C'est tout ? s'exclama la petite fille en ouvrant les bras et en les
laissant retomber le long de son corps. Tu n'es pas terrible comme
conteuse.
– Désolée, dit Nina. Mais
déjà à l'école, quand je
racontais une histoire drôle, personne ne riait.
Capucine s'assit sur le banc
à côté de la jeune femme rousse aux
joues mangées de taches de rousseur et elle inclina
doucement la tête contre son épaule.
– Que vas-tu faire maintenant ?
– Je largue les amarres et je pars droit devant sans me retourner. Et
"vive l'aventure !" J'abandonne derrière moi les regrets qui
zigzaguaient dans ma tête, je ne me demanderai plus si
quelqu'un a fait une erreur en distribuant les rôles. Chaque
jour qui passe m'appartiendra. (Nina hésita) J'aurais voulu
revoir une dernière fois le marchand de glaces... pour le
remercier d'avoir été là, de m'avoir
ouvert les yeux.
Capucine secoua la tête :
– C'est inutile. Il a joué son rôle, celui du
grain de sable qui bloque la machine du destin tout tracé.
– Au revoir, Capucine ! Je ne t'oublierai pas.
– Bonne chance, Nina !
Capucine suivit des yeux la petite
silhouette jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la brume
bleutée. Alors une ombre voila le visage de l'enfant.
– C'est le départ de Nina qui te rend triste ?
Capucine leva les yeux vers le
marchand de glaces :
– Non. C'est à cause de Damien. Je l'ai cherché
partout mais je ne l'ai pas trouvé. Pourquoi ?
– On n'y peut rien, jolie Capucine, il n'a pas voulu changer de vie.
Il se mit à pleuvoir
dans les yeux de Capucine.
– J'aurai aimé devenir son ami..., dit-elle dans un murmure.
– Peut-être serait-il parti, lui aussi, comme Nina. Le monde
est si vaste à parcourir.
– Que va-t-il devenir ? J'ai peur pour lui.
– Il va poursuivre sa route. Personne ne l'a forcé
à prendre cette décision, lui seul doit
l'assumer.
Capucine poussa un gros soupir et
le marchand de glaces lui offrit une glace menthe-vanille qui ramena
vite un sourire sur son visage d'enfant.
Damien jaillit hors du bus et se
jeta, au pas de course, entre les piétons. La
réunion avait lieu à huit heures
précises et avec cette maudite grève du
métro les bus, littéralement pris d'assaut,
affichaient près d'une heure de retard.
Le temps était lourd,
orageux, le ciel menaçant ; Damien avait du mal à
respirer. Il parcourut le boulevard en se frayant, tant bien que mal,
un chemin parmi la foule, franchit la porte de l'immeuble où
se trouvaient les bureaux de la Magra and Co, fonça vers
l'ascenseur : en panne. Décidément ! La
journée commençait mal.
Il se rua dans l'escalier et se mit
à grimper les marches quatre à quatre.
Arrivé sur le palier du
second étage, une douleur vive lui traversa la poitrine, lui
coupant le souffle. Il lâcha son attaché-case, et
tenta de prendre appui contre le mur sans y parvenir ; il chuta
lourdement sur la moquette, sa vue se brouilla.
L'air avait du mal à
entrer dans ses poumons, la douleur devenait intolérable. Il
sentit que des gens se penchaient sur lui, desserraient sa cravate, lui
tapotaient les joues.
Il saisit quelques mots dans le
lointain : crise cardiaque, stress du cadre...
– Je parie que c'est un fumeur
invétéré, ajouta une voix
aiguë.
Non, je ne fume pas, pensa Damien.
Mais pas question de le dire, il
avait déjà tant de mal à respirer.
Il comprit qu'il partait et se dit
qu'il n'était pas d'accord du tout, qu'il était
bien trop jeune, qu'il avait encore tant de choses formidables
à vivre.
Lesquelles ?... Il ne s'en
rappelait plus, elles semblaient s'être
évaporées de sa mémoire. Il tenta de
s'accrocher mais il n'en avait plus la force, et c'est alors qu'il
l'entendit dans le lointain... la petite musique,
légère, légère,
légère.
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