XXII – Téléologie

par Ehryx

Toute chose a une finalité
Tout homme a un objectif
Toute civilisation a une fin
(Précepte Falun)


« Très marrante ta théorie, fit Rigel avec un rire sans joie. La théorie de Jason Earl est qu'il n'y a pas un mais des Prophètes. Sa théorie faisait de Eldrik Sworn, le consul qui a ordonné l'exécution de Kest Slender après avoir voulu saboter les défenses de Springs, l'un des principaux candidats au rôle de Prophète. Je ne crois pas que Sworn ait jamais semblé doué de capacités d'hypnose. Mais c'est bien pensé, franchement, j'apprécie.
- Ce n'est qu'une théorie d'un vieux consul, qui essaie de trouver des explications pendant que sa prétendue forteresse s'effondre de l'intérieur..., objecta Mist.
- Ce vieux fou me paraît un peu plus digne de confiance que toi. Rien contre ta personne, mon petit Brume, mais je l'ai secondé pendant plusieurs années, et ça me donne une idée assez précise de son intelligence et de ses capacités d'analyse.
- D'accord, alors admettons qu'il soit bien le Prophète, ou l'une des personnes endossant l'identité du Prophète... Il n'avait aucun intérêt à vous montrer ses pouvoirs. Ca aurait pu vous mettre la puce à l'oreille. Et à la base, l'hypnose, ça n'a rien d'extraordinaire. Il y a des limites à ce qu'on peut faire pour la mettre à oeuvre, et il y a des limites aux volontés qu'on peut imposer aux personnes qu'on hypnotise. Ces limites doivent « simplement » être beaucoup moins contraignantes, pour le Prophète, que pour les hypnotiseurs de bas étage.
- S'il avait détenu pareil pouvoir, il s'en serait servi pour amplifier encore le chaos lors de la bataille des invisibles, quand les citoyens d'Alice Springs se sont entretués. N'était-ce pas une occasion rêvée de profiter de la confusion pour détruire la ville de l'intérieur ?
- Si ce pouvoir était assez puissant pour affecter la volonté de centaines de personnes en l'espace d'une soirée, alors toute l'Australie serait déjà à ses ordres. Nous parlons d'un pouvoir plus modéré, utilisé de façon insidieuse, et probablement sous un certain nombre de conditions. Il a très bien pu en user lors de la bataille des invisibles, d'ailleurs. Ca pourrait expliquer l'ampleur de votre déroute !
- Bon, vous nous lâchez, les Techs ? s'impatienta Ophandre. Je vous rappelle qu'on a une trappe à ouvrir. J'ai hâte de découvrir le coffret à bijoux des Fidèles. Je ne serais pas contre découvrir une centrale thermonucléaire en parfait état de marche dans les sous-sols de Manners Creek… Notez que si on tombe sur une cave à vins de l'ancien temps en parfait état de conservation, ça me convient aussi. »

Joignant le geste à la parole, le Falun étreignit la barre, cherchant d'abord la meilleure prise, puis tira de toutes ses forces. Il leur sembla reconnaître, sous ses atours minéraux, la forme de veines se contractant sous la violence de l'effort.
La trappe ne bougea pas d'un millimètre.
« Bon, s'énerva le Falun, vous m'aidez, oui ou merde ? »
Presque à contrecoeur, Mist et Rigel Mercs prirent en main les barres de fer dénichées dans le bric-à-brac de l'entrepôt, et vinrent se placer de part et d'autre de l'homme de pierre. Kyan ne fit pas mine de les rejoindre, mais surveilla l'entrée la main sur la crosse de son revolver, prête à bondir.
Ophandre compta à rebours, et à zéro les trois guerriers, dont deux avaient tenté de s'entretuer moins d'une heure plus tôt, joignirent leur force pour tenter d'ouvrir la dalle de métal. Mist tira jusqu'à sentir ses muscles brûler, gémit sous l'effort ; rien n'y faisait, c'était comme tenter de soulever une montagne avec un cure-dents. Au bout de son effort, il finit par lâcher prise et tomba à la renverse dans un grand fracas métallique.
Alors qu'il se sentait déjà miné – deux d'entre eux détenaient des caractéristiques physiques les plaçant dans la catégorie des surhumains, mais ils étaient tenus en échec par un stupide bout de ferraille – il entendit Rigel et Ophandre se lancer des encouragements joyeux.
Ca a mieux réussi que tu ne le pensais,s'amusa Kest.
« Allez, debout, Brume, rigola le consul. On va montrer à ce tas de ferraille que trois hommes libres valent mieux qu'une bande de Fidèles dégénérés, fanatiques et sous hypnose. »
En un sens, les encouragements de Rigel le revigorèrent. Il continuait à trouver le consul fou à lier, mais il avait conscience de son caractère exceptionnel, comme de celui d'Ophandre - et Kest avant eux.
Côtoyer des êtres aussi uniques, ça valait le coup d'être vécu.
Il se releva, reprit place à leurs côtés, et cette fois, il se chargea du compte à rebours, égrenant un « 3, 2, 1, zéro ! » sonore. L'effort lui parut aussi intense que le précédent, mais il garda son équilibre, et sentit la trappe de métal qui cédait peu à peu sous leurs coups de boutoir. Le métal n'avait pas dû être déplacé depuis des siècles et s'était retrouvé quasiment scellé dans la terre ; les premiers mouvements l'avaient déscellée, et ils avaient un peu plus de facilité à la déplacer.

Il leur fallut s'y reprendre à cinq fois pour ouvrir entièrement la trappe. Quand ce fut terminé, Mist se laissa tomber à terre, à bout de souffle et ruisselant de sueur.
J'ai plus de satisfaction à avoir déplacé ce bout de ferraille qu'à tuer qui que ce soit.
- Ne te repose pas sur tes lauriers. Il faut que vous découvriez ce qu'il y a au fond de ce passage.
- Je parie que tu as déjà ton idée sur la question ?
- Une idée un peu trop précise, hélas.

Une échelle métallique était amarrée sur l'une des faces du passage. Impossible de dire si la trappe menait à une cave à un mètre de profondeur, à une excavation enfouie à huit mètres, ou jusqu'aux tréfonds de l'enfer. La lumière de l'entrepôt ne pénétrait pas à plus d'une quarantaine de centimètres. Au-delà, c'était l'inconnu d'un passage demeuré scellé depuis plusieurs siècles.
« Si ça se trouve, c'est le reste d'un passage qui a été comblé il y a deux cents ans, ricana Rigel. Tout ce qu’on aura gagné, c’est un débarras supplémentaire pour ta ville de bouseux. »
Ophandre haussa les épaules. Puis il ramassa un gravillon, et le lâcha au-dessus de la trappe.
Il y eut un léger bonk.
Douze mètres, évalua Kest.
« Douze mètres, annonça Mist. Il y a forcément quelque chose.
- Puisque t’en es sûr, répondit Ophandre, descends voir. De toute façon, j’ai un peu peur qu’après deux cents ans, ces deux bouts de métal aient du mal à supporter mon poids
Vas-y, lui intima son moi-Kest.
-Très bien. J’utiliserai mon communicateur pour m’éclairer une fois en bas. Je vous dirai si ça en valait la peine… »
Personne ne protesta. Pas même Kyan.
L’échelle était composée d’un alliage métallique dont il ignorait la nature, mais dès les premiers échelons, il le sut imperméable à l’usure du temps. L’installation était comme neuve, sans la plus petite parcelle de rouille ou égratignure.
Par prudence, toutefois, il testa chaque échelon du bout du pied avant d’y prendre appui. Comment savoir quel piège avait pu être laissé là… Ou dans quel piège il se jetait.

Au lieu d’un nouvel échelon, son pied toucha enfin le sol. Alors qu’il s’apprêtait à allumer son communicateur, une lumière puissante se diffusa autour de lui. Ophandre jura.
D’autres lumières se réactivèrent, peut-être réveillées après deux siècles de sommeil, révélant un couloir en forme de tube, long d’une trentaine de mètres au moins, assez large pour laisser passer un gros véhicule. Aucune décoration, aucun affichage, seulement le blanc d’un béton lisse et sans imperfection, taillé pour traverser les âges.

Mais enfin, c’est quoi, ici ?
Tu le vois très bien, répliqua Kest.
Arrête de parler par énigme !
Ces infrastructures proviennent de l’ancien monde.
Ca ne m’apprend rien !
Ce qui prouve que tu en sais autant que moi.

Irrité, Mist coupa l’échange. Derrière lui, Rigel descendait à son tour dans la trappe, mais il n’en avait cure. Où étaient-ils ? Qu’y avait-il dans ce complexe souterrain pour que les Fidèles aient été prêts à tuer, et à sacrifier les leurs par dizaines, pour s’en emparer ?
Après quelques pas, il se mit à courir.
Le passage débouchait sur quatre couloirs perpendiculaires, plus larges encore. Il en prit un au hasard, ignorant les appels de Rigel, Ophandre et Kyan, qui étaient tous trois descendus, incapables de résister à leur curiosité. Il ne leur restait plus qu’à espérer qu’aucune sécurité ne puisse les enfermer ou les tuer dans ces sous-sols, ou ils disparaîtraient de la surface de l’Australie sans que nul puisse jamais les retrouver.

La section dans laquelle il s'engouffrait différait par son apparence, les murs étaient laqués de vert, et quelques panneaux d’affichage retenaient l'attention.
Ecrits en anglais, les panneaux édictaient ce qui semblait un vieux règlement intérieur. Un plan d’évacuation, était dessiné, visiblement partiel, indiquant que l'issue, qu'ils avaient empruntée, était réservée aux cas d’ « incendie, intrusion ennemie, contamination des lieux par une susbstance toxique ou une arme bactériologique ».
Un frisson lui parcourut l’échine et il se remit au pas de course, pénétrant plus profond encore dans les lieux. Des portes, des sas. Des lumières à la source indétectable, paraissant se diffuser du revêtement lui-même, s’allumaient sur ses pas, le précédant pour lui ouvrir la voie comme si quelqu’un le surveillait, et s’amusait à épier ses faits et gestes. Mais il n’en était rien. Ce n’était qu’une facétie des hommes de l’ancien temps, un gadget technologique parmi tant d’autres, parmi ces milliers de créations qui avaient existé en un autre époque, et dont certaines avaient mené le monde à sa perte, ne laissant pour seuls rescapés qu’une poignée de mutants dans les déserts d’Australie.
Les brancards abandonnés, le matériel médical, les indications fléchées griffées sur les murs, identifiaient sans ambigüité cette aile du bâtiment : un hôpital. Pourquoi on s’était échiné à l’enterrer à douze mètres sous la terre du Victoria, il n’en avait aucune idée. Il entra avec fracas dans la plus vaste salle localisée sur le plan, labellisée « réfectoire ».

Des tables et des chaises par dizaines, toujours cette lumière tenant de la magie, qui le précédait, lui révélant chaque parcelle de ce lieu que même la poussière et le sable n’étaient jamais parvenus à investir. C’était irréel. En claquant le double battant de l'entrée, il s’était presque attendu à tomber sur une centaine d’humains de l’ancien temps en plein repas, buvant, mangeant, parlant et riant comme si aucune guerre n’avait jamais eu raison de leur monde. Mais il n’y avait rien. Difficile d'imaginer les anciens Humains quittant les lieux dans le calme, en rang, pour aller se faire tuer à l'extérieur, proprement, sous le coup des bombes nucléaires.
On imaginait plutôt ce bunker quitté dans l’urgence, fui en pleine attaque surprise, laissant sur place repas, affaires personnelles, et les blessés trop faibles pour se déplacer.
Les tables étaient propres et laissées en rang, les chaises rangées. Insensé.
Il rebroussa chemin, s’aida d’un autre plan placardé au détour d’une porte, et se dirigea vers les dortoirs.
La première porte était entrouverte ; c’était le premier détail discordant depuis le début de leur découverte, le seul élément à suggérer qu’il ait pu y avoir, un jour, âme qui vive, que les lieux aient pu un jour être utilisés. Il poussa la porte et sursauta en découvrant une silhouette humaine, penchée sur une table de travail, avant de reconnaître Rigel.

Le consul ne l'accueillit d'aucune moquerie, ni mauvaise plaisanterie.
« Ophandre et Kyan nous attendent à l’entrée. J’aurais préféré que nous restions groupés. C'est peu probable, mais un autre groupe de Fidèles pourrait s’être introduit par une autre issue. Ophandre ignorait l’existence de celle-ci, pourtant, des générations entières d’habitants de Manners Creek sont passés par la pièce qui en abritait l’entrée. Il peut y en avoir d'autres
- Il n’y a pas d’autres groupes de Fidèles ici. S'il y avait une autre issue, il l'aurait utilisée, plutôt que de s’enfermer stupidement dans cet entrepôt.
Rigel fit la moue, guère convaincu, puis désigna le bureau.
-J’ai visité quatre chambres, et voici tout ce que j'y ai trouvé : des feuilles vierges, et des meubles. Cet endroit est anonyme. Aucun indice sur qui a bâti ce lieu, dans quel but, à quelle époque… Je suppose qu'ils l'ont fondé peu avant la guerre qui a mis fin à leur monde. Ils voulaient en faire un abri, un bunker qui les protègerait des radiations qui balayaient la surface… Je parierais que les parois bloquent les radiations. Peut-être que ça n'a pas suffi...
-Tu crois que ceux qui vivaient ici sont morts irradiés ? Il n’y a rien ici, Rigel, pas un mort, pas un squelette, pas le moindre effet personnel ! On croirait un appartement témoin, peut-être qu'ils faisaient visiter ce complexe pour convaincre leurs clients ? Les vrais modèles sont bâtis ailleurs, à Sydney ou Canberra, à trois cents mètres de profondeur, et nous ne les découvrirons jamais ! Plus sérieusement, je serais presque heureux de tomber sur un charnier. Note qu'un simple tibia rongé par les rats me suffirait...
- Nous n’avons pas encore tout visité. Cette place est immense…
- Et nous sommes dans leur infirmerie ! Si ces hommes avaient été en guerre, affectés par les radiations ou Dieu sais-je quelle arme bactériologique, ils auraient eu des blessés, des malades, s’il y a un corps quelque part, ce doit être ici ! Mais il n’y a rien ! Cet endroit a été abandonné sciemment, rangé, nettoyé, vidé de toute trace de ses habitants !
- Peut-être est-ce arrivé après le cataclysme. Peut-être ont-ils survécu pendant plusieurs années, peut-être plusieurs décennies, attendant que les radiations se dissipent, puis ils ont quitté cet endroit et se sont fondus dans la population des rescapés d’Australie. Ils ont scellé ce lieu pour que personne ne puisse le retrouver. »
Mist resta pensif, réfléchissant à la théorie de Rigel. Il lui fallait l’opinion de Kest.

Tu es parfaitement capable de penser par toi-même

« Des hommes qui se seraient fondus dans la population du nouveau monde… pensa-t-il à voix haute. Et qui seraient restés disséminés dans l’Australie sans jamais se révéler ? »
Rigel se releva, et lui fit signe de le suivre. Ils marchèrent jusqu’au premier couloir, celui où débouchait l’échelle métallique, où Ophandre et Kyan les rejoignirent. Le consul résuma ses découvertes – ce fut très bref – et leurs compagnons partagèrent les leurs – du même acabit. On dénotait seulement la présence, un peu partout, et quasiment intégrés au mobilier et aux murs, d’appareils et installations d’un niveau technologique exceptionnel, sans commune mesure avec ce que les chercheurs Techs déterraient habituellement aux quatre coins de l’Australie. Et cet endroit aurait été laissé à l'abandon ?

Rigel Mercs leur exposa sa théorie, sans grande conviction.
« Si les occupants des lieux ont survécu à la grande guerre, et si leurs descendants sont disséminés à travers l’Australie, cela expliquerait bien des choses, fit Kyan.
- Expliquerait bien des choses ? Rigola le Falun. Ca n’explique rien du tout. Dans leur apparence, le peuple le plus proche des humains de l’ancien temps, c'est les Techs. Et c’est aussi l’un des plus peuplés. Le seul peuple à être minoritaire et disséminé à travers toute l’Australie, sans que ses représentants se soient jamais regroupés, ce sont les Outlines… Alors ça ne tient pas debout !
- Cela expliquerait au moins pourquoi les Fidèles, et eux seuls, connaissent l’existence de cet endroit, s’énerva la Terrestre. Ca se tient. Les donneurs d’ordres, Prophète en tête, seraient les héritiers en ligne directe des humains de l’ancien monde. Ca justifie qu'ils montrent le moins possible leurs visages, non ? La connaissance de toutes les installations de pointe – comme le réacteur thermonucléaire de South Key, ou cet endroit – leur a été léguée. Ce complexe souterrain devait déjà être secret du temps de sa construction, supposons que dans l’ancien monde, seuls quelques initiés en avaient connaissance.
- Si je suis ta théorie, poursuivit Mist, Sworn serait l’un d’entre eux ? Pourquoi pas, après tout. Mais si c’est le cas, si ce sont vraiment des héritiers de l’ancien monde, leur apparence doit effectivement être celle de Techs – et c’est donc parmi les Techs qu’ils sont infiltrés. Je ne trouve pas cela de très bon augure.
- Et cela n’explique pas pourquoi ils ont besoin de revenir ici, fit Rigel. Allons voir ce qu’il y a dans les autres ailes… Nous y trouverons certainement la réponse.
- On appelle cela la téléologie, ricana Ophandre.
- La quoi ?
- Téléologie Toute chose, toute forme a une finalité. C’est toute la question, pour ces foutus Fidèles. Comprendre leur téléologie, leur but. Si vraiment la fin justifie les moyens, alors, au regard des moyens qu’ils déploient, la fin doit être fantastique… Ou terrible. »

Rigel secoua la tête. Il avait momentanément perdu son rictus moqueur et son air de doux dingue. Ophandre prit la tête du petit cortège, se dirigeant vers le dernier couloir.

« Si Kest voyait ça, murmura le Tech, il exulterait.
- Je n’exulte pas , laissa échapper Mist. Mais personne ne remarqua l’expression de panique qu’il arbora pendant quelques secondes. »

Et pourquoi diable tu exulterais, d’ailleurs ?
Un rapport avec l’anti-Darwinisme. Mon père et moi étions à la recherche de ce genre d’endroit, de ce genre d’anomalie.
Mais c’est quoi, l’anti-Darwinisme, nom d’un chien ?
Demande-toi d’abord ce qu’est le Darwinisme. Si tu as côtoyé suffisamment longtemps les Techs, tu ne peux pas ignorer ce dont il s’agit.

Une nouvelle surprise les attendait dans le quatrième couloir. Une porte de métal noir en verrouillait l’accès, coupant leur route après plusieurs minutes de marche pendant lesquelles ils ne pouvaient que s’étonner du gigantisme de l’endroit. L’aile médicale n’avait sans doute été qu’une sous-section mineure de ces sous-sols. Et s'il y avait d'autres niveaux, sous leurs pieds ? Une ville entière dissimulée sous leurs pieds... Mais dans quel but ? Le refuge de fortune de quelques puissants de l’ancien monde ? Vraiment ?
« Sésame, ouvre-toi , lança le colosse de pierre.
Une voix synthétique surgit des murs, aussi diffuse et indétectable que la source de lumière, et leur répondit d’un ton monocorde, après s’être accordée quelques instants de réflexion :
- Voix non reconnue. Vous ne faites pas partie du personnel autorisé. Accès interdit.
Ils se regardèrent tous les quatre, abasourdis. Ce n’était pourtant pas la plus impressionnante prouesse technologique qu’ils aient rencontrée. Mais pour la première fois, on leur barrait la route. Il y avait donc quelque chose à cacher !
- Essayez donc, les Techs, fit Ophandre sans grande conviction. Cet endroit n’a pas été utilisé depuis des décennies, au moins pas depuis que j’habite à Manners Creek. Je doute fort que ce truc reconnaisse les gens, ou alors, plus personne n’y aura jamais accès. Il doit plutôt reconnaître les peuples, leurs marqueurs génétiques, ou quelque chose dans ce goût-là.
- Ton hypothèse est démente, fit Kyan. C’est sans commune mesure avec tous les équipements de l’ancien monde sur lesquels les Techs ont pu mettre la main.
- Voix non reconnue. Vous ne faites pas partie du personnel autorisé. Accès interdit.
- Et d’ailleurs, poursuivit-elle, ça ne marche pas. Vous espériez quoi ?
- Bah, j’espérais qu’entre les Techs et les humains de l’ancien monde, il n’y ait pas une grande différence, et que ce truc puisse vous confondre. C’est pas comme si j’avais été mitraillé pour avoir voulu approcher...
Ainsi, se désola Mist, leur exploration se finissait en cul-de-sac. Les anciens locataires avaient été prudents. Ils avaient débarrassé les parties « publiques » de toute trace de leur existence, et avaient verrouillé l’accès à la seule partie qui importe.
- Ca vous apprendra à tuer, maugréa-t-il. Si vous aviez gardé en vie quelques-uns de ces Fidèles, nous aurions peut-être pu leur faire ouvrir cette porte. Car il semble qu’il n’y ait pas de mot de passe, n’est-ce pas ? Il leur aurait suffi de parler ! »
Ophandre et Rigel évitèrent son regard, l’air presque penauds. Trop tard pour revenir en arrière.
« Voix reconnue. Vous êtes apparenté au personnel autorisé. Accès activé. »

Puis dans un grand fracas de métal, le sas coulissa devant eux.

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