« Très marrante ta
théorie, fit Rigel avec un rire sans joie. La
théorie de Jason Earl
est qu'il n'y a pas un mais des Prophètes.
Sa théorie faisait de Eldrik
Sworn, le consul qui a ordonné l'exécution de
Kest Slender après avoir voulu
saboter les défenses de Springs, l'un des principaux
candidats au rôle de
Prophète. Je ne crois pas que Sworn ait jamais
semblé doué de capacités d'hypnose.
Mais c'est bien pensé, franchement, j'apprécie.
- Ce n'est qu'une théorie d'un vieux consul, qui essaie de
trouver des explications
pendant que sa prétendue forteresse s'effondre de
l'intérieur..., objecta Mist.
- Ce vieux fou me paraît un peu plus digne de confiance que
toi. Rien contre ta
personne, mon petit Brume, mais je l'ai secondé pendant
plusieurs années, et ça
me donne une idée assez précise de son
intelligence et de ses capacités
d'analyse.
- D'accord, alors admettons qu'il soit bien le
Prophète, ou l'une des
personnes endossant l'identité du Prophète... Il
n'avait aucun intérêt à vous
montrer ses pouvoirs. Ca aurait pu vous mettre la puce à
l'oreille. Et à la
base, l'hypnose, ça n'a rien d'extraordinaire. Il y a des
limites à ce qu'on
peut faire pour la mettre à oeuvre, et il y a des limites
aux volontés qu'on
peut imposer aux personnes qu'on hypnotise. Ces limites doivent
« simplement » être
beaucoup moins contraignantes, pour le Prophète,
que pour les hypnotiseurs de bas étage.
- S'il avait détenu pareil pouvoir, il s'en serait servi
pour amplifier encore le
chaos lors de la bataille des invisibles, quand les citoyens d'Alice
Springs se
sont entretués. N'était-ce pas une occasion
rêvée de profiter de la confusion
pour détruire la ville de l'intérieur ?
- Si ce pouvoir était assez puissant pour affecter la
volonté de centaines de personnes
en l'espace d'une soirée, alors toute l'Australie serait
déjà à ses ordres.
Nous parlons d'un pouvoir plus modéré,
utilisé de façon insidieuse, et
probablement sous un certain nombre de conditions. Il a très
bien pu en user
lors de la bataille des invisibles, d'ailleurs. Ca pourrait expliquer
l'ampleur
de votre déroute !
- Bon, vous nous lâchez, les Techs ? s'impatienta Ophandre.
Je vous rappelle qu'on a
une trappe à ouvrir. J'ai hâte de
découvrir le coffret à bijoux des
Fidèles. Je
ne serais pas contre découvrir une centrale
thermonucléaire en parfait état de
marche dans les sous-sols de Manners Creek… Notez que si on
tombe sur une cave
à vins de l'ancien temps en parfait état de
conservation, ça me convient
aussi. »
Joignant le geste à la parole, le Falun étreignit
la barre, cherchant d'abord la
meilleure prise, puis tira de toutes ses forces. Il leur sembla
reconnaître,
sous ses atours minéraux, la forme de veines se contractant
sous la violence de
l'effort.
La trappe ne bougea pas d'un
millimètre.
« Bon, s'énerva le Falun, vous m'aidez, oui ou
merde ? »
Presque à contrecoeur,
Mist et Rigel Mercs prirent en main les barres de fer
dénichées
dans le bric-à-brac de l'entrepôt, et vinrent se
placer de part et d'autre de
l'homme de pierre. Kyan ne fit pas mine de les rejoindre, mais
surveilla
l'entrée la main sur la crosse de son revolver,
prête à bondir.
Ophandre compta à
rebours, et à zéro les trois guerriers, dont deux
avaient tenté de
s'entretuer moins d'une heure plus tôt, joignirent leur force
pour tenter
d'ouvrir la dalle de métal. Mist tira jusqu'à
sentir ses muscles brûler, gémit
sous l'effort ; rien n'y faisait, c'était comme tenter de
soulever une montagne
avec un cure-dents. Au bout de son effort, il finit par
lâcher prise et tomba à
la renverse dans un grand fracas métallique.
Alors qu'il se sentait
déjà miné – deux d'entre eux
détenaient des caractéristiques
physiques les plaçant dans la catégorie des surhumains,
mais ils étaient
tenus en échec par un stupide bout de ferraille –
il entendit Rigel et Ophandre
se lancer des encouragements joyeux.
Ca a mieux
réussi que tu ne le pensais,s'amusa
Kest.
« Allez, debout, Brume, rigola le consul. On va montrer
à ce tas de ferraille que
trois hommes libres valent mieux qu'une bande de Fidèles
dégénérés, fanatiques
et sous hypnose. »
En un sens, les encouragements de
Rigel le revigorèrent. Il continuait à trouver le
consul fou à lier, mais il avait conscience de son
caractère exceptionnel,
comme de celui d'Ophandre - et Kest avant eux.
Côtoyer des
êtres aussi uniques, ça valait le coup
d'être vécu.
Il se releva, reprit place
à leurs côtés, et cette fois, il se
chargea du compte à
rebours, égrenant un « 3, 2, 1,
zéro ! » sonore. L'effort lui parut
aussi intense que le précédent, mais il garda son
équilibre, et sentit la
trappe de métal qui cédait peu à peu
sous leurs coups de boutoir. Le métal
n'avait pas dû être déplacé
depuis des siècles et s'était retrouvé
quasiment
scellé dans la terre ; les premiers mouvements l'avaient
déscellée, et ils
avaient un peu plus de facilité à la
déplacer.
Il leur fallut s'y reprendre à cinq fois pour ouvrir
entièrement la trappe. Quand
ce fut terminé, Mist se laissa tomber à terre,
à bout de souffle et ruisselant
de sueur.
J'ai plus de satisfaction à avoir
déplacé ce bout de ferraille qu'à tuer
qui que ce
soit.
- Ne te repose pas sur tes lauriers. Il faut que vous
découvriez ce qu'il y a au
fond de ce passage.
- Je parie que tu as déjà ton
idée sur la question ?
- Une idée un peu trop précise,
hélas.
Une échelle métallique était
amarrée sur l'une des faces du passage. Impossible de
dire si la trappe menait à une cave à un
mètre de profondeur, à une excavation
enfouie à huit mètres, ou jusqu'aux
tréfonds de l'enfer. La lumière de
l'entrepôt ne pénétrait pas
à plus d'une quarantaine de centimètres.
Au-delà,
c'était l'inconnu d'un passage demeuré
scellé depuis plusieurs siècles.
« Si ça se trouve, c'est le reste d'un
passage qui a été comblé il y a deux
cents
ans, ricana Rigel. Tout ce qu’on aura gagné,
c’est un débarras supplémentaire
pour ta ville de bouseux. »
Ophandre haussa les
épaules. Puis il ramassa un gravillon, et le lâcha
au-dessus de la
trappe.
Il y eut un léger bonk.
Douze mètres,
évalua Kest.
« Douze mètres, annonça Mist.
Il y a forcément quelque chose.
- Puisque t’en es sûr, répondit
Ophandre, descends voir. De toute façon, j’ai un
peu peur
qu’après deux cents ans, ces deux bouts de
métal aient du mal à supporter mon
poids
Vas-y, lui
intima son moi-Kest.
-Très bien. J’utiliserai mon
communicateur pour m’éclairer une fois en bas. Je
vous
dirai si ça en valait la
peine… »
Personne ne protesta. Pas
même Kyan.
L’échelle
était composée d’un alliage
métallique dont il ignorait la nature, mais dès
les
premiers échelons, il le sut imperméable
à l’usure du temps. L’installation
était comme neuve, sans la plus petite parcelle de rouille
ou égratignure.
Par prudence, toutefois, il testa
chaque échelon du bout du pied avant d’y prendre
appui. Comment savoir quel piège avait pu être
laissé là… Ou dans quel
piège il
se jetait.
Au lieu d’un nouvel échelon, son pied
toucha enfin le sol. Alors qu’il
s’apprêtait
à allumer son communicateur, une lumière
puissante se diffusa autour de lui.
Ophandre jura.
D’autres
lumières se réactivèrent,
peut-être réveillées après
deux siècles de sommeil,
révélant un couloir en forme de tube, long
d’une trentaine de mètres au moins,
assez large pour laisser passer un gros véhicule. Aucune
décoration, aucun
affichage, seulement le blanc d’un béton lisse et
sans imperfection, taillé
pour traverser les âges.
Mais enfin, c’est quoi, ici ?
Tu le vois très bien, répliqua
Kest.
Arrête de parler par énigme !
Ces infrastructures proviennent de l’ancien
monde.
Ca ne m’apprend rien !
Ce qui prouve que tu en sais autant que moi.
Irrité, Mist coupa
l’échange. Derrière lui, Rigel
descendait à son tour dans la trappe,
mais il n’en avait cure. Où
étaient-ils ? Qu’y avait-il dans ce
complexe
souterrain pour que les Fidèles aient
été prêts à tuer, et
à sacrifier les
leurs par dizaines, pour s’en emparer ?
Après quelques pas, il se
mit à courir.
Le passage débouchait sur
quatre couloirs perpendiculaires, plus larges encore. Il
en prit un au hasard, ignorant les appels de Rigel, Ophandre et Kyan,
qui
étaient tous trois descendus, incapables de
résister à leur curiosité. Il ne leur
restait plus qu’à espérer
qu’aucune sécurité ne puisse les
enfermer ou les tuer
dans ces sous-sols, ou ils disparaîtraient de la surface de
l’Australie sans
que nul puisse jamais les retrouver.
La section dans laquelle il s'engouffrait différait par son
apparence, les murs
étaient laqués de vert, et quelques panneaux
d’affichage retenaient
l'attention.
Ecrits en anglais, les panneaux
édictaient ce qui semblait un vieux règlement
intérieur. Un plan d’évacuation,
était dessiné, visiblement partiel, indiquant
que l'issue, qu'ils avaient empruntée, était
réservée aux cas d’ « incendie,
intrusion ennemie, contamination
des lieux par une susbstance toxique ou une arme
bactériologique ».
Un frisson lui parcourut
l’échine et il se remit au pas de course,
pénétrant plus
profond encore dans les lieux. Des portes, des sas. Des
lumières à la source
indétectable, paraissant se diffuser du revêtement
lui-même, s’allumaient sur
ses pas, le précédant pour lui ouvrir la voie
comme si quelqu’un le
surveillait, et s’amusait à épier ses
faits et gestes. Mais il n’en était rien.
Ce n’était qu’une facétie des
hommes de l’ancien temps, un gadget technologique
parmi tant d’autres, parmi ces milliers de
créations qui avaient existé en un
autre époque, et dont certaines avaient mené le
monde à sa perte, ne laissant
pour seuls rescapés qu’une poignée de
mutants dans les déserts d’Australie.
Les brancards abandonnés,
le matériel médical, les indications
fléchées griffées
sur les murs, identifiaient sans ambigüité cette
aile du bâtiment : un hôpital.
Pourquoi on s’était échiné
à l’enterrer à douze mètres
sous la terre du
Victoria, il n’en avait aucune idée. Il entra avec
fracas dans la plus vaste salle
localisée sur le plan, labellisée
« réfectoire ».
Des tables et des chaises par dizaines, toujours cette
lumière tenant de la magie,
qui le précédait, lui
révélant chaque parcelle de ce lieu que
même la poussière
et le sable n’étaient jamais parvenus à
investir. C’était irréel. En claquant
le double battant de l'entrée, il
s’était presque attendu à tomber sur
une
centaine d’humains de l’ancien temps en plein
repas, buvant, mangeant, parlant
et riant comme si aucune guerre n’avait jamais eu raison de
leur monde. Mais il
n’y avait rien. Difficile d'imaginer les anciens Humains
quittant les lieux dans
le calme, en rang, pour aller se faire tuer à
l'extérieur, proprement, sous le
coup des bombes nucléaires.
On imaginait plutôt ce
bunker quitté dans l’urgence, fui en pleine
attaque
surprise, laissant sur place repas, affaires personnelles, et les
blessés trop
faibles pour se déplacer.
Les tables étaient
propres et laissées en rang, les chaises rangées.
Insensé.
Il rebroussa chemin,
s’aida d’un autre plan placardé au
détour d’une porte, et se
dirigea vers les dortoirs.
La première porte
était entrouverte ; c’était le
premier détail discordant
depuis le début de leur découverte, le seul
élément à suggérer
qu’il ait pu y
avoir, un jour, âme qui vive, que les lieux aient pu un jour
être utilisés. Il
poussa la porte et sursauta en découvrant une silhouette
humaine, penchée sur
une table de travail, avant de reconnaître Rigel.
Le consul ne l'accueillit d'aucune moquerie, ni mauvaise plaisanterie.
« Ophandre et Kyan nous attendent à
l’entrée. J’aurais
préféré que nous restions
groupés.
C'est peu probable, mais un autre groupe de Fidèles pourrait
s’être introduit
par une autre issue. Ophandre ignorait l’existence de
celle-ci, pourtant, des
générations entières
d’habitants de Manners Creek sont passés par la
pièce qui
en abritait l’entrée. Il peut y en avoir d'autres
- Il n’y a pas d’autres groupes de
Fidèles ici. S'il y avait une autre issue, il l'aurait
utilisée, plutôt que de s’enfermer
stupidement dans cet entrepôt.
Rigel fit la moue, guère
convaincu, puis désigna le bureau.
-J’ai visité quatre chambres, et voici tout ce que
j'y ai trouvé : des feuilles
vierges, et des meubles. Cet endroit est anonyme.
Aucun indice sur qui a
bâti ce lieu, dans quel but, à quelle
époque… Je suppose qu'ils l'ont fondé
peu avant la guerre qui a mis fin à leur monde. Ils
voulaient en faire un abri,
un bunker qui les protègerait des radiations qui balayaient
la surface… Je
parierais que les parois bloquent les radiations. Peut-être
que ça n'a pas
suffi...
-Tu crois que ceux qui vivaient ici sont
morts irradiés ? Il n’y a rien
ici,
Rigel, pas un mort, pas un squelette, pas le moindre effet personnel !
On
croirait un appartement témoin, peut-être qu'ils
faisaient visiter ce complexe
pour convaincre leurs clients ? Les vrais
modèles sont bâtis ailleurs, à
Sydney ou Canberra, à trois cents mètres de
profondeur, et nous ne les
découvrirons jamais ! Plus sérieusement, je
serais presque heureux de tomber
sur un charnier. Note qu'un simple tibia rongé par les rats
me suffirait...
- Nous n’avons pas encore tout visité. Cette place
est immense…
- Et nous sommes dans leur infirmerie ! Si ces hommes avaient
été en guerre,
affectés par les radiations ou Dieu sais-je quelle arme
bactériologique, ils
auraient eu des blessés, des malades, s’il y a un
corps quelque part, ce doit
être ici ! Mais il n’y a rien !
Cet endroit a été abandonné
sciemment, rangé, nettoyé, vidé de
toute trace de ses habitants !
- Peut-être est-ce arrivé après le
cataclysme. Peut-être ont-ils survécu pendant
plusieurs
années, peut-être plusieurs décennies,
attendant que les radiations se
dissipent, puis ils ont quitté cet endroit et se sont fondus
dans la population
des rescapés d’Australie. Ils ont
scellé ce lieu pour que personne ne puisse le
retrouver. »
Mist resta pensif,
réfléchissant à la théorie
de Rigel. Il lui fallait l’opinion de Kest.
Tu es parfaitement capable de penser par toi-même
« Des hommes qui se seraient fondus dans la
population du nouveau monde… pensa-t-il à voix
haute. Et qui seraient
restés disséminés dans
l’Australie sans jamais se
révéler ? »
Rigel se releva, et lui fit signe de
le suivre. Ils marchèrent jusqu’au premier
couloir, celui où débouchait
l’échelle métallique, où
Ophandre et Kyan les rejoignirent. Le consul résuma
ses découvertes – ce fut très bref
– et leurs compagnons partagèrent les leurs
– du même acabit. On dénotait seulement
la présence, un peu partout, et
quasiment intégrés au mobilier et aux murs,
d’appareils et installations d’un
niveau technologique exceptionnel, sans commune mesure avec ce que les
chercheurs Techs déterraient habituellement aux quatre coins
de l’Australie. Et
cet endroit aurait été laissé
à l'abandon ?
Rigel Mercs leur exposa sa théorie, sans grande
conviction.
« Si les occupants des lieux ont survécu
à la grande guerre, et si leurs descendants sont
disséminés à
travers l’Australie, cela expliquerait bien des choses, fit
Kyan.
- Expliquerait bien des choses ? Rigola le Falun. Ca
n’explique rien du tout. Dans leur
apparence, le peuple le plus proche des humains de l’ancien
temps, c'est les
Techs. Et c’est aussi l’un des plus
peuplés. Le seul peuple à être
minoritaire
et disséminé à travers toute
l’Australie, sans que ses représentants se soient
jamais regroupés, ce sont les Outlines… Alors
ça ne tient pas debout !
- Cela expliquerait au moins pourquoi les
Fidèles, et eux seuls, connaissent l’existence de
cet endroit, s’énerva la
Terrestre. Ca se tient. Les donneurs d’ordres,
Prophète en tête, seraient les
héritiers en ligne directe des humains de l’ancien
monde. Ca justifie qu'ils
montrent le moins possible leurs visages, non ? La connaissance de
toutes les
installations de pointe – comme le réacteur
thermonucléaire de South Key, ou
cet endroit – leur a été
léguée. Ce complexe souterrain devait
déjà être secret
du temps de sa construction, supposons que dans l’ancien
monde, seuls quelques
initiés en avaient connaissance.
- Si je suis ta théorie, poursuivit Mist, Sworn serait
l’un d’entre eux ? Pourquoi
pas, après tout. Mais si c’est le cas, si ce sont
vraiment des héritiers de
l’ancien monde, leur apparence doit effectivement
être celle de Techs – et
c’est donc parmi les Techs qu’ils sont
infiltrés. Je ne trouve pas cela de très
bon augure.
- Et cela n’explique pas pourquoi ils ont besoin de revenir
ici, fit Rigel. Allons voir
ce qu’il y a dans les autres ailes… Nous y
trouverons certainement la réponse.
- On appelle cela la téléologie, ricana Ophandre.
- La quoi ?
- Téléologie Toute chose,
toute forme a une finalité. C’est toute la
question, pour ces
foutus Fidèles. Comprendre leur téléologie,
leur but. Si vraiment la fin justifie les moyens, alors, au regard des
moyens
qu’ils déploient, la fin doit être
fantastique… Ou terrible. »
Rigel secoua la tête. Il avait momentanément perdu
son rictus moqueur et son air de
doux dingue. Ophandre
prit la tête du petit cortège, se dirigeant vers
le dernier couloir.
« Si Kest voyait ça, murmura le Tech, il
exulterait.
- Je n’exulte pas , laissa échapper Mist.
Mais personne ne remarqua
l’expression de panique qu’il arbora pendant
quelques secondes. »
Et pourquoi diable tu exulterais,
d’ailleurs ?
Un rapport avec l’anti-Darwinisme. Mon père et moi
étions à la recherche de ce genre
d’endroit, de ce genre d’anomalie.
Mais c’est quoi, l’anti-Darwinisme, nom
d’un chien ?
Demande-toi d’abord ce qu’est le Darwinisme.
Si tu as côtoyé suffisamment longtemps les Techs,
tu ne peux pas ignorer ce dont il s’agit.
Une nouvelle surprise les attendait dans le
quatrième couloir. Une porte de métal
noir en verrouillait l’accès, coupant leur route
après plusieurs minutes de
marche pendant lesquelles ils ne pouvaient que
s’étonner du gigantisme de
l’endroit. L’aile médicale
n’avait sans doute été qu’une
sous-section mineure
de ces sous-sols. Et s'il y avait d'autres niveaux, sous leurs pieds ?
Une
ville entière dissimulée sous leurs pieds... Mais
dans quel but ? Le
refuge de fortune de quelques puissants de l’ancien
monde ?
Vraiment ?
« Sésame, ouvre-toi ,
lança le colosse de pierre.
Une voix synthétique
surgit des murs, aussi diffuse et indétectable que la source
de lumière, et leur répondit d’un ton
monocorde, après s’être
accordée quelques
instants de réflexion :
- Voix non reconnue. Vous ne faites pas partie du personnel
autorisé. Accès interdit.
Ils se regardèrent tous
les quatre, abasourdis. Ce n’était pourtant pas la
plus
impressionnante prouesse technologique qu’ils aient
rencontrée. Mais pour la
première fois, on leur barrait la route. Il y avait donc
quelque chose à cacher !
- Essayez donc, les Techs, fit Ophandre sans grande conviction. Cet
endroit n’a pas été
utilisé depuis des décennies, au moins pas depuis
que j’habite à Manners Creek.
Je doute fort que ce truc reconnaisse les gens, ou alors, plus personne
n’y
aura jamais accès. Il doit plutôt
reconnaître les peuples, leurs marqueurs
génétiques, ou quelque chose dans ce
goût-là.
- Ton hypothèse est démente, fit Kyan.
C’est sans commune mesure avec tous les
équipements de l’ancien monde sur lesquels les
Techs ont pu mettre la main.
- Voix non reconnue. Vous ne faites pas partie du personnel
autorisé. Accès interdit.
- Et d’ailleurs, poursuivit-elle, ça ne marche
pas. Vous espériez quoi ?
- Bah, j’espérais qu’entre les Techs et
les humains de l’ancien monde, il n’y ait pas
une grande différence, et que ce truc puisse vous confondre.
C’est pas comme si
j’avais été mitraillé pour
avoir voulu approcher...
Ainsi, se désola Mist,
leur exploration se finissait en cul-de-sac. Les anciens
locataires avaient été prudents. Ils avaient
débarrassé les parties
« publiques » de toute trace de
leur existence, et avaient verrouillé
l’accès à la seule partie qui importe.
- Ca vous apprendra à tuer, maugréa-t-il. Si vous
aviez gardé en vie quelques-uns de ces
Fidèles, nous aurions peut-être pu leur faire
ouvrir cette porte. Car il semble
qu’il n’y ait pas de mot de passe,
n’est-ce pas ? Il leur aurait suffi de
parler ! »
Ophandre et Rigel
évitèrent son regard, l’air presque
penauds. Trop tard pour revenir en
arrière.
« Voix reconnue. Vous êtes
apparenté au personnel autorisé. Accès
activé. »
Puis dans un grand fracas de métal, le sas coulissa devant
eux.