Mist haussa les épaules. Il avait dit tout ce qu'il
savait. Kest finirait par comprendre pourquoi le Prophète le
prenait pour cible, il avait seulement des difficultés
à l'accepter. Question de perspective.
Mist avait longtemps
repoussé l'heure de quitter le troupeau des
fidèles. Il craignait pour sa vie, bien sûr ; mais
le discours de cet homme étrange, et si charismatique,
n'avait-il pas aussi fini par le séduire ? Cette fusillade
l'avait cloué de force à la
réalité ; une piqûre de rappel lui
réinjectant une haute dose de lucidité. Le
Prophète n'était nullement l'être
pacifique, ni le rassembleur d'hommes, qu'il prétendait
incarner. Il était un malade calculateur, qui ne voyait les
habitants du nouveau monde que comme des pions sacrifiables
disposés sur un immense échiquier.
Seule cette
vérité comptait.
En reconnaissant le visage de Kest,
il avait réagi d'instinct, s'était abstrait de
toute réflexion sur la situation. Il continuait à
penser que cette rencontre ne pouvait que lui profiter... Du moins
à long terme, car la menace immédiate des
fidèles pesait sur leurs têtes. Le
Prophète devait déjà l'avoir
rajouté à la liste des ennemis du peuple
élu, les personnes à abattre. Si les
Fidèles les localisaient, ou parvenaient à les
pister, ils feraient d'eux leur cible numéro un.
Et on risque quoi, au
fond ? Qu'ils viennent donc ; je les éliminerai un par un.
- Pourquoi les fidèles se sont-ils mis à raser
des villes entières ? interrogea Kest après
plusieurs longues et silencieuses minutes de route.
- Ils s'équipent ! s'exclama l'ex-fidèle. Ils ont
pris des vivres, des véhicules, des moteurs, des
générateurs. Le plus important se trouvait
à South Key : un authentique
générateur nucléaire,
conservé pratiquement intact depuis l'ancien temps. Une
source d'énergie intarissable pour peu qu'on sache
l'entretenir. Ils ont réuni presque tout ce qui leur est
nécessaire pour entreprendre le voyage jusqu'à la
terre Promise.
- Déjà ? Mais... Si ce voyage
est imminent, pourquoi continuent-ils à vouloir rassembler
les peuples ? Que leur importe le sort de l'Australie, s'ils ont
l'intention de la quitter ?
- Question de philosophie, Kest. Simple question de philosophie.
Voyant passer un panneau indicateur à demi
effacé, vestige de l'ancien temps, le Outline remarqua :
- Nous arrivons à Alice Springs. Je compte sur vous pour
m'annoncer comme un Tech. Nul ne doit savoir que je suis Outline, on me
refuserait l'entrée de la ville. Avec des fidèles
à nos trousses, il faut impérativement que je
puisse m'y cacher. Les fidèles eux-mêmes n'oseront
pas s'introduire dans la ville. Les défenses des Techs leur
font peur.
La situation paraissait l'amuser.
Il avait usé de tous ses
pouvoirs pour modifier sa morphologie : des yeux noirs de Tech, une
chevelure foncée, un teint cuivré. Il chaussa des
lunettes de soleil pour parfaire son déguisement.
L'usage de son exceptionnelle agilité parachevait la
métamorphose en Tech : plus rien ne pouvait trahir sa vraie
nature. Kest se demanda furtivement si tous ceux de son "peuple"
détenaient pareils pouvoirs de mimétisme.
Il existait cependant une faille
dans sa couverture : le moindre manquement aux préceptes des
Techs et c'en serait fini de lui. Un homme habitué
à vivre sans précepte saurait-il faire illusion ?
Kest en doutait.
Alice Springs avait pris au fil des
générations les allures d'une forteresse, aux
dimensions d'une ville. Les Techs avaient longtemps bataillé
pour la conquérir, à une époque
où ils craignaient encore d'être
éradiqués de la surface de l'Australie ; pour la
première fois ils s'étaient
rassemblés, s'étaient trouvé des
meneurs, avaient appris à se battre, et ils avaient
chassé d'Alice Springs ses anciens occupants.
L'éclatante victoire par laquelle s'étaient
soldées leurs attaques avait assis leur
réputation sur la moitié centrale du continent.
Il n'y eut pas jusqu'au plus téméraire des chefs
de clan Stalker qui ne considérât la ville comme
inexpugnable.
A Sydney, autre repaire de leur
engeance conquis bien après Alice Springs, la technologie de
pointe renaissait de ses cendres ; le sanctuaire des Techs n'atteignait
pas le même degré de développement,
mais s'était trouvé des bâtisseurs, des
agriculteurs, des éleveurs, des dirigeants, des
défenseurs : ils avaient cessé d'aller et venir
à travers le continent comme des mercenaires sans
unité. Ils s'étaient organisés sans
l'aide des autres peuples. Comme pour prouver qu'eux seuls pouvaient se
passer du concours de leurs congénères. Ne s'en
étaient-ils pas passé pendant des
millénaires - dans l'ancien temps ? Si vraiment ils
étaient les héritiers des humains de l'ancien
monde...
Des murailles de béton
avaient été érigées sur
toute la périphérie de la ville avec,
à leurs sommets, serpentant à cinq
mètres de hauteur, des courtines le long desquelles des
rondes surveillaient les alentours, des jumelles dans une main, une
radio ouverte dans l'autre, un fusil d'assaut porté en
bandoulière. Le sanctuaire des Techs... Le fort Alamo des
temps nouveaux !
La muraille entourant Alice Springs
se profilait à peine à l'horizon qu'une
patrouille vint à leur rencontre. Deux miliciens
à moto, engoncés dans des armures pare-balles,
fusils thermiques à la main. Ils leur firent signe de
s'arrêter, et Kest obtempéra. L'un des motards se
plaça à sa hauteur, et malgré le
pare-brise pulvérisé, attendit que la
fenêtre descende, son arme pointée vers
l'habitacle.
L'émotion du
patrouilleur, lorsqu'il reconnut Kest, fut perceptible.
"Je... Nous, nous allons vous escorter, monsieur Slenders,
bafouilla-t-il."
Kest hocha la tête, et
redémarra le moteur pendant que le milicien crachait
quelques ordres dans son communicateur
Pourquoi diable me
recevrait-on comme un VIP ?
Grandes ouvertes, les portes sud de
la ville les accueillirent - on ne les refermait qu'à la
tombée de la nuit. Ils les franchirent encadrés
par les deux miliciens, sous le regard flegmatique de quelques Techs.
Un officier descendait de la
courtine, armé d'une radio multi-fréquences, une
unique étoile sur le revers de son uniforme le distinguant
de ses subordonnés. Il s'avança vers la
Lamborghini, en essayant sans trop de succès de se composer
une figure souriante.
"Vous êtes Kest Slenders ? lança-t-il.
- En personne, répondit Kest. Et j'aimerais beaucoup savoir
pourquoi ma venue à Alice Springs semble attendue. Quand
bien même j'aurais averti de mon arrivée, je ne
suis rien ici, je ne suis jamais resté à Alice
Springs plus d'une semaine. Tout le monde sait que mon père
est opposé à toutes vos conceptions et qu'il est
persona non grata au consulat. Alors qu'est-ce que vous me voulez ?
L'officier se contentait de suivre
ses directives, et le lui fit comprendre.
- Ordres des consuls, ils vous en expliqueront mieux que moi les
raisons. Deux de mes gardes assureront votre protection
jusqu'à l'enceinte du consulat, jusqu'à ce que
votre... Garde rapprochée arrive à Alice Springs.
- Assurer ma protection ? Ici ?
L'homme ignora sa question. Kest
était sidéré. Au cœur du
sanctuaire des Techs, la forteresse la mieux
protégée du nouveau monde, on venait encore lui
assigner une garde personnelle ? Quel sens avait
donc cette agitation ? Devait-il flairer un lien avec les
fidèles ? Les consuls le savaient-ils pris pour cible par le
Prophète, craignaient-ils que des traîtres
à la solde de cet illuminé ne se soient
infiltrés dans leurs rangs ?
- Un instant ! rugit-t-il, alors que l'officier tournait les talons.
Par "garde rapprochée", vous vouliez parler de Kyan ?
- Vous aviez déjà été
averti ? Elle est introuvable, pourtant elle aurait dû
arriver à temps pour vous accueillir...
- Je suis là, colonel Taran, répondit une voix
fatiguée depuis l'arrière du véhicule.
Taran se rapprocha, surpris.
- Que vous arrive-t-il ? Vous êtes blessée ?
- Ce n'est rien, une légère commotion... Ne vous
souciez pas de cela. Et oubliez les deux gardes assignés
à Kest, ma présence suffira...
- Hors de question, coupa-t-il d'un ton péremptoire. Vous
partez à l'infirmerie, et entamerez votre mission quand
Slenders quittera Alice Springs, comme prévu."
Kyan voulut remarquer que sa
mission avait déjà
commencé, mais il aboya quelques ordres sur sa radio, et
deux infirmiers surgirent dans la minute. Ils eurent des regards
respectueux pour Kest - presque apeurés - puis
encadrèrent Kyan, et l'escortèrent quelques rues
plus loin, avant de bifurquer dans un chemin adjacent. Avant de quitter
son champ de vision, ils eurent un dernier coup d'œil pour
Kest, où se lisait à présent la
méfiance, voire l'hostilité. Sans doute
croyaient-ils qu'à cette distance, il ne pourrait distinguer
les expressions de leurs visages. Ils se trompaient : comme ses
réflexes et sa mémoire, il possédait
des sens hors normes.
Endormie à son
entrée dans la ville-sanctuaire, sa vigilance se
réveilla brutalement. L'impression de
sécurité ressentie à la vue des
murailles et des gardes fut reléguée au rang de
souvenir.
Encadré par ses deux
nouveaux gardes juchés sur leurs motos, il conduisit la
Lamborghini en direction du centre-ville, jusqu'au bâtiment
du consulat.
Autant en finir
dès maintenant. Il trouverait les vieilles
barbes, il écouterait ce qu'ils avaient à lui
raconter, s'engueulerait probablement avec eux - comme son
père l'avait fait avant lui, à d'innombrables
reprises - puis reprendrait la route de Darwin. Rien de plus simple.
Qu'est-ce qu'il en avait à foutre, de ce que le
Prophète pouvait bien accomplir ? Ils en seraient
bientôt débarassés, il rejoindrait le
continent avec la cohorte de tarés à sa solde et
on les oublierait, comme on avait oublié tous les groupes
ayant semé la terreur dans l'Australie centrale.
"Tu m'as l'air troublé, Kest.
Il avait presque oublié
la présence de Mist, le Outline. Personne ne lui avait
prêté attention ; le colonel l'avait
traité avec indifférence, comme s'il
n'était qu'un suivant sans intérêt de
Kest.
- Rien qui te regarde.
- En ce cas, il ne fallait pas me laisser rentrer. Il semble que tu
t'apprêtes à rencontrer le consulat en chair et en
os... Sans avoir ne serait-ce qu'à réclamer
audience, juste en te présentant à leur porte. Un
accueil à la hauteur d'une sommité !
- Ne te berce pas d'illusion à ce sujet. Je ne
considère pas cela comme un honneur. Surtout si c'est pour
m'entendre dire qu'il serait bon de surveiller mon père, de
les aider à le rallier à leur cause, etc, etc. Le
pauvre Kest Slenders ne les intéresse guère.
C'est mon père, ses connaissances, et ses
théories, qui les intéressent.
- Théories ? Quel genre de théorie ?
- Ce qu'il appelle l'anti-darwinisme... Mon père se fondait
sur des conceptions issues des temps anciens, c'est pourquoi seuls des
hommes extrêmement cultivés, tels les consuls,
mesurent la portée de ses idées.
- Pas toi ?
- Si, bien sûr. Mais j'ai grandi avec les théories
de mon père. Elles n'ont rien de révolutionnaire
pour moi. Il n'avait fait que mettre des mots sur ce qui... Ce qui
n'allait pas dans le monde nouveau.
- Cette entrevue serait donc sans rapport avec le Prophète ?
Ils me semblaient fort pressés par la question de ta sécurité.
- Je l'ai envisagé une seconde, mais ça ne colle
pas. Kyan m'a été envoyée il y a
plusieurs semaines, or elle ignorait que les Fidèles me
prenaient pour cible. Les consuls souhaitaient
déjà me voir quand ils l'ont envoyée
après moi..."
La ville n'était pas
surpeuplée comme les anciennes métropoles du
sud-est ; de nombreux véhicules et nombre de Techs y
circulaient, mais la sensation d'étouffement parfois
ressentie à Adelaïde et Melbourne - les deux villes
les plus densément peuplées d'Australie - ne
l'étreignait jamais à Alice Springs. La ville
avait surtout été conçue à
la perfection ; pensée pour que des milliers d'hommes et de
femmes y cohabitent en éprouvant un minimum de stress.
Certaines personnes le
reconnaissaient à son passage, surtout celles arborant les
tenues de la milice ou plus rare, du Terrestre - il semblait imposer un
certain respect à ces derniers. Pourtant, quelque chose
d'autre se lisait, une aura de méfiance, de
méfiance à l'état brut, se
dégageait de la masse des passants. Impossible que tous
connaissent de visage le fameux leader du désastre de
Brisbane...
A moins...
A moins qu'on n'ait fait circuler
son portrait ? Ou pire, une photographie prise à son insu.
Peut-être était-il, en son absence, devenue une
triste célébrité entre les murs
d'Alice Springs ? Cela pourrait-il être la vraie raison de
l'intérêt porté par la milice et le
consulat ? La raison pour laquelle une protection lui était
devenue nécessaire ?
L'espace de quelques instants, il
se morigéna, tenta de se convaincre qu'il subissait les
contrecoups de l'anxiété, de la terreur
éprouvée devant le carnage de South Key, la
tuerie des Fidèles, et les révélations
de Mist ; un contrecoup prenant la forme d'une crise aigüe de
paranoïa.
Mais il l'avait
déjà noté par le passé : il
ne se sentait pas en sécurité dans ces rues. Il
s'y sentait dans la peau d'un étranger. Le même
rejet qu'avait ressenti son père pour le "sanctuaire des
Techs". C'était comme si au coin d'un miroir la face
cachée de la ville, négative, repoussante, lui
avait été
révélée. Le masque de la
réalité se soulevait pour lui montrer le
cœur d'une cité qui ne s'était pas
élevée sur le bonheur et la joie de vivre, mais
sur les ruines d'une guerre après laquelle les Techs
n'avaient jamais cessé de culpabiliser, et depuis laquelle
ils redoutaient une contre-attaque.
Comme si Alice Springs vivait dans
un perpétuel état de siège.
"Je crois savoir ce que vous pensez, murmura le Outline. Vous vous
demandez si cette ville est bien l'utopie dont les Techs
rêvaient... Ou juste son contraire ? Veulent-ils vivre ainsi,
entourés par les miradors qui surveillent le
désert, sans contact avec les autres peuples,
menés par des vieillards inflexibles, intransigeants,
dictatoriaux... Ou se rassemblent-ils ici par peur du dehors ? Quel
plaisir peut-on éprouver à vivre cette vie morne,
enfermé à Alice Springs sans même la
volonté de voir au-delà des murailles qui
l'entourent ?
- Je te trouve un peu dur, ils ne sont pas
cloîtrés à vie...
- Ah ouais ? le coupa Mist. Ne te cite pas en exemple - tu n'es pas
l'un d'entre eux. Tu prends leur défense, mais au fond de
toi, qu'est-ce que tu penses ? Cette ville est un non-sens, une
anomalie. Je ne prétends pas que vivre à
l'extérieur soit gai. Les Techs sont
méprisés dans les deux tiers de l'Australie. Les
villes aux mains d'autres peuples ne sont guère plus
accueillantes qu'Alice Springs... Mais pour toi et moi,
habitués à survivre par-delà
l'hostilité et la xénophobie, nous ne pouvons pas
accepter qu'Alice Springs soit la réponse, la solution aux
problèmes du nouveau monde.
Tu sais ce que je ressens ici ? Je
me sens oppressé, comme si j'étais un
étranger, ostracisé, regardé avec
méfiance, comme un danger ambulante. Et pourtant
. Et pourtant comment sauraient-ils me distinguer des leurs ? De par
mon apparence, mon visage, ma tenue, mon allure, je devrais passer pour
l'un d'entre eux...
- Es-tu vraiment un Outline ? Tu parles comme un Tech.
Mist se renfrogna.
- Je suis bien Outline, assura-t-il, mais j'ai passé la
majeure partie de ma vie sous les traits d'un Tech, en assumant le
comportement d'un Tech. Et ce n'était pas une question de
déguisement ; j'aurais pu me faire passer pour un
Sympathique, un Albi ou un Archie. Mes capacités
morphologiques sont concentrées sur mon visage, mais elles
m'auraient permis de mener une vie paisible dans n'importe quelle
cité.
-Pourquoi donc endosser l'apparence d'un Tech ?
- Alors que les Techs sont les parias de l'Australie ? Parce que leur
mode de vie est le seul que je supporte. Pas celui des Techs d'Alice
Springs, mais celui des solitaires dans ton genre, les mercenaires des
temps nouveaux, ceux qui n'ont pas peur de vivre. On vous reproche
d'être les descendants directs des hommes de l'ancien temps.
Les autres Peuples vont jusqu'à se prétendre
destinés à vous supplanter, ils croient que
l'extinction est votre seul avenir...
Pourtant, si j'en crois mes connaissances, ils se méprennent
sur la nature de l'ancien monde. Nos ancêtres se regroupaient
par ethnies, par peuples, par villes, ils se méfiaient les
uns des autres, se faisaient la guerre pour obtenir les terres,
l'argent, le pouvoir, ou à l'apogée de leur
civilisation, pour des questions de religions et de règles.
Voilà tout ce qui, à grande échelle, a
détruit l'ancien monde. Ca ne te rappelle rien ? Mais tu
sais déjà tout ça Kest, pas vrai ?
Quant à la manière dont la technologie ancienne
est reniée, sous prétexte qu'elle aurait
causé la mort de l'ancien monde, elle est grotesque.
Même une fourchette peut être une arme mortelle.
Tout dépend comment on s'en sert...
En vérité, je
crois que seuls les Techs sont réellement adaptés
à ce monde nouveau. Ceux dans ton genre - ou dans le mien -
qui passent leur vie à voyager à travers
l'Australie, qui cherchent à devenir meilleurs, et pas
à tuer tout ce qui leur déplaît,
entrave leur route, ou n'est pas d'accord avec eux. Autre indice
d'évolution, les Techs ne s'entre-tuent pas. Ils peuvent se
détester, ou plus souvent, se méfier les uns des
autres, mais jamais donner la mort à un autre Tech. Alors
que pour les autres peuples, les vendettas mortelles, les crimes de
sang, les guerres intestines, sont le pain quotidien.
- Un indice d'évolution, dis-tu ?
- Je le pense.
- Ou un effet de la culture. Si vraiment nous héritons des
Humains de l'ancien temps, alors leur culture a dû se
transmettre, comme leurs gènes. Les religions de l'ancien
temps, dans leurs formes d'origine, professaient le pacifisme,
enjoignaient à ne pas tuer, enseignaient la
tolérance. Une vision utopiste qui n'a pas su
prévaloir - sinon, comment expliquer la destruction de
l'ancien monde - mais je me plais à croire qu'il en est
resté quelque chose.
- Comme si les Techs étaient plus
expérimentés, et avaient
dépassé certaines erreurs à force
d'expérience... Des erreurs dans lesquelles
s'entêtent les autres peuples ?
- C'est mon idée. C'est aussi ce que suggérait
mon père. Bien sûr, ce n'était qu'une
poignée de ses réflexions, parmi tant d'autres.
Et cela n'a rien à voir avec sa théorie.
- Les Fidèles vont mettre fin à tout
ça, prophétisa Mist. Ils vont apprendre aux Techs
à se méfier d'eux-mêmes. Les
Fidèles croient être l'avenir mais ils pourraient
bien nous ramener mille ans en arrière."
Kest grimaça, puis de la
tête, fit signe à Mist de regarder devant eux. Le
palais du consulat les toisait. Un édifice resurgi de
l'ancien temps, haut d'une vingtaine d'étages, avec lequel
les meilleurs bâtisseurs Archies n'auraient jamais pu
rivaliser. L'architecture, comme tant d'autres sciences, se perdait. A
ce titre, le Consulat représentait plus que le centre
administratif d'Alice Springs, il symbolisait l'héritage
d'une civilisation perdue - sans doute à jamais.
"Finissons-en, tonna Kest. Je vais écouter ce que les
vieilles barbes ont à me dire. Puis je quitterai Alice
Springs. Mist, tu restes ici. Si quelqu'un découvre que tu
n'es pas un Tech, au cœur du Consulat, tu ne t'en sortiras
pas vivant."
Sur ce, il claqua sa
portière, et s'avança d'un pas
décidé vers le bâtiment, à
la rencontre des Consuls.
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