LE PEINTRE ET L'ENFANT

                                   par Claude Jégo

Courant à perdre haleine, Loïs poursuivait le chat tigré à travers le jardin, contournant le bassin, piétinant les pensées jaunes et mauves ; quand le félin s'engouffra dans la maison du voisin sans hésiter Loïs fit de même.
Mais le chat se glissait déjà dans la chatière d'une vieille porte ; d'un bond il avait disparu.

Loïs demeura seul dans une vaste pièce aux murs blancs, joliment éclairée par les rayons du soleil qui traversaient une verrière. Aucun meuble, pas de table ni de chaise, rien qu'un tableau qui s'exposait sur un chevalet.
L'enfant s'en approcha et se prit le menton entre le pouce et l'index.
«Je n'ai jamais rien vu de pareil.»
– Bonjour !
Loïs sursauta et se retourna.
Un homme se tenait à deux pas de lui ; il portait une large blouse couverte de taches de couleurs.
– Que fais-tu chez moi ? demanda-t-il à l'enfant.
– C'est à cause du chat. Je voulais lui faire des câlins mais il a mauvais caractère alors il s'est sauvé.
– Je m'appelle Marc, et toi ?
– Je suis Loïs et j'ai sept ans. Je viens d'arriver dans le chalet avec mes parents pour les vacances.
L'enfant désigna le tableau et fronça son petit nez.
– C'est quoi ? Un homme aux deux visages ou un violoncelle ?
Marc eut un rire léger.
– Peut-être les deux. Je suis peintre et j'ai choisi, parmi les couleurs qui existent, celles qui me plaisaient. Avec un pinceau j'ai esquissé des traits bleus, des contours bruns sur une grande toile blanche ; j'ai rajouté des courbes jaunes, un arrondi orangé pour dessiner une longue silhouette.
Loïs fit la moue, quelque chose semblait le contrarier.
– Il est bizarre avec son ventre rond couvert de lignes.
– Regarde sa main gauche ! Elle tient l'archet et le fait glisser sur des cordes, lui expliqua le peintre. Ecoute ! Tu entends les notes qui s'envolent pour former une mélodie ?
L'enfant tendit l'oreille et un beau sourire apparut sur ses lèvres.
– C'est joli. Mais je ne sais pas s'il joue une chanson pour les amoureux ou une berceuse ?
– Je vais t'aider à deviner, dit le peintre. Décris-moi ce que tu vois.
– C'est difficile.
– Fais un effort !

L'enfant s'absorba pleinement dans le tableau.
– Le bonhomme se tient debout dans la neige, c'est l'hiver, et tout autour il y a des maisonnettes qui se serrent les unes contre les autres. Il fait si froid.
– Continue, tu es sur la bonne voie.
Les yeux de l'enfant balayèrent le haut du tableau.
– Le ciel bleu foncé ressemble à un étang glacé où se reflète une lune argentée. Le vent agite le feuillage des arbres et bouscule les cheveux du bonhomme, c'est amusant.
– Cherche encore !
L'enfant inclina un peu la tête vers son épaule.
– Une jolie chevrette assise sur une chaise fait chanter son violon. (L'enfant bâilla.) Alors c'est sûrement une berceuse.
– Peut-être, je te laisse choisir. Les gens m'appellent le peintre musicien sauf que je ne joue pas très bien du violon.
Loïs haussa les épaules et soupira :
– Il fallait apprendre la musique au lieu de peindre.
Marc comprit qu'avec cet enfant il n'aurait pas le dernier mot.
– Oui, sans doute j'aurais dû.
D'un signe de tête l'enfant approuva avant de s'enquérir :
– Tu n'as peint qu'un seul tableau ?
Et ses yeux écarquillés témoignaient que c'était une question primordiale.
Marc se hâta de le rassurer. Il tapota les taches de peinture qui maculaient sa blouse.
– J'en ai réalisé bien d'autres comme « Le violoniste » ou « Paris à travers la fenêtre ». Mon préféré ? J'ai dessiné des acrobates et des clowns entourés de musiciens sur la piste d'un cirque.
Le visage de Loïs s'éclaira.
– J'aime bien ton dessin.

Soudain un chat tigré, surgi de nulle part, traversa la pièce blanche et fila dans le jardin. Sans une hésitation l'enfant se lança à sa poursuite en criant :
– Au revoir, monsieur !
Le peintre se hâta jusqu'au seuil de la porte mais, déjà, il n'apercevait plus l'enfant qui traversait les fougères.
Il murmura sur un ton désolé :
– Pas monsieur, petit ! Je m'appelle Marc, Marc Chagall.

F I N

Marc Chagall (1887-1985) fut l'un des plus célèbres peintres vivant en France au XXe siècle.

second prix de la Nouvelle au concours de poésie, conte et nouvelle des Journées du livre de Sablet 2016 (Vaucluse)



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