Les premières lueurs du jour avaient fait pâlir
la façade de la maison, s'étaient infiltrées sous la porte d'entrée,
avaient illuminé le vestibule. C'est là que dormait l'imposante horloge
franc-comtoise, sagement adossée au mur, son balancier rythmant
doucement les secondes. La longue aiguille de métal noir atteignit le
sommet du cadran et les sept coups résonnèrent, réveillant la
maisonnée.
Aussitôt, la demeure ouvrit ses volets et ses
vitres
scintillèrent, éblouies par le flux de lumière qui apparaissait à
l'horizon. Les cendres, assoupies dans l'âtre, se mirent à rougeoyer et
laissèrent échapper un bouquet de flammes. Un mince ruban de fumée se
dégagea du feu renaissant et s'engouffra dans la cheminée de briques
pour jaillir à l'air libre.
Une belle journée commence, dit la maison.
Vite mes amis, dépêchons-nous d'en profiter !
Dans la cuisine, les
souris se hâtèrent de ramasser les miettes de pain tombées au pied de
la table avant de regagner leur trou où elles passeraient la journée, à
l'abri du matou.
Il était temps pour les petits rongeurs car le
chat au
poil tigré venait de rouvrir les yeux. Le ventre creux, il alla se
percher sur le dossier du fauteuil, devant une fenêtre, et se régala du
spectacle qu'offraient les moineaux sautillant dans l'allée du jardin à
la recherche d'un asticot.
Dans le vestibule, cachés derrière une paire
de bottes en caoutchouc, des criquets étirèrent leurs longues pattes
vertes. La veille, ils s'étaient laissés enfermer dans la maison pour
s'abriter de l'averse qui abreuvait le jardin, les fleurs, les arbres,
de son eau fraîche.
– Abandonnons ce palais qui nous a accueillis
cette
nuit et regagnons nos belles fougères, ma douce ! dit monsieur Criquet.
Madame Criquet le suivit lorsqu'il se glissa sous la porte d'entrée et,
en quelques bonds élégants, ils avaient regagné leur prairie.
Au même
instant, l'effraie se faufilait par la lucarne pour retrouver
l'obscurité du grenier. Elle avait chassé toute la nuit et aspirait à
regagner la grande armoire en bois qui lui servait de refuge.
Martha
fut tirée de son sommeil par le chuchotis de son réveil.
Debout !
Debout ! Il est temps de se lever pour savourer cette nouvelle matinée.
La vieille dame s'assit sur le bord de son lit, mit ses chaussons et
enfila son peignoir de laine. Bien au chaud dans la chambre, le
faucheux, niché dans son coin de plafond, se rendormit rapidement.
La vieille dame descendit l'escalier et se
rendit à la cuisine. Elle
entrouvrit une fenêtre et se mit à préparer la cafetière. Dehors, le
soleil dardait ses rayons et le vent apportait un air doux et chaud qui
caressait un lézard venu poser son ventre blanc contre la vitre.
Je suis bien seule dans cette maison,
songeait-elle en prenant le lait
dans le réfrigérateur. Elle ne vit pas le mille-pattes traversant la
cuisine en courant pour échapper aux chaussons qui tentaient de
l'écraser. Peut-être qu'un canari, ou un joli poisson rouge,
mettrait
un peu de vie dans ma demeure ?
Demain, j'achèterai un canari, décida
Martha. Poussy le chat sera ravi d'avoir un peu de compagnie. Oui,
j'irai demain.
Et pendant que Martha savourait son café et sa tartine
de confiture, un escargot sortit de sa coquille, déplia ses antennes et
se hâta lentement vers la fenêtre toujours entrouverte.
J'en ai plus
qu'assez de cet endroit où on ne peut pas faire un pas sans croiser un
chat, se cogner à un criquet ou bousculer un mille-pattes,
marmonnait
l'escargot qui était de mauvaise humeur. Dans le vaste jardin je
retrouverai le calme et la solitude, et désormais je vivrai loin de
cette maison surpeuplée.
1er prix de la Nouvelle au concours de poésie, conte et nouvelle des Journées du livre de Sablet 2014 (Vaucluse)