La cloche de la chapelle avait égrené les douze coups de minuit et le vent, malicieux, s'était emparé des notes pour leur faire parcourir les ruelles du village, les emporter par-delà les champs de blé jusqu'aux vieux murs de la ferme. Dans la quiétude de leurs chambres le paysan, sa femme, leurs enfants dormaient d'un sommeil profond que rien n'aurait pu troubler. Les notes se perdirent.
Du haut d'un grenier à foin, un chat contemplait
la lune et, dans ses pupilles rondes, si noires, se reflétait le cercle
blanc lumineux. Sur l'immense étendue du ciel, la nuit avait déroulé
son velours sombre ; l'air était doux, parfumé, apaisant.
A côté du chat se tenait une souris grise. Elle
vivait depuis longtemps sous les combles de la ferme et, à la nuit
tombée, elle délaissait son refuge pour aller admirer les étoiles
scintillantes ; de ce spectacle, elle ne se lassait jamais.
Le chat prit soudain conscience d'une présence.
Il tourna la tête et découvrit le rongeur assis sur son petit derrière,
ses pattes toutes roses croisées sur son ventre rond. Le félin n'en
crut pas ses yeux.
– Tu es une souris !
Le rongeur haussa doucement les épaules.
– Eh oui.
Les yeux du félin étincelèrent et il exhiba une
patte armée de longues griffes acérées.
– Les chats adorent manger les souris. Que dirais-tu s'il me venait
l'idée de me régaler de ton petit corps dodu ?
La question ne parut pas inquiéter le rongeur.
– Menteur ! Ton estomac déborde de croquettes. Il ne s'y trouve plus la
moindre place pour y glisser l'adorable bête que je suis.
Le matou dut convenir, à regret, que c'était vrai : il n'avait pas
faim. Il en fut agacé.
– Que fais-tu là ? grommela-t-il.
– La même chose que toi, répondit la souris. Je rêve à la lune.
Les yeux verts du félin quittèrent le rongeur
pour parcourir, à nouveau, le ciel. Les chats aiment le silence de la
nuit, lorsque humains et animaux de la ferme sommeillent sur un lit de
coton ou de paille. Le monde devient terrain de chasse où seuls se
déplacent les chouettes et les renards, les crapauds et les chats ;
chacun partant à la recherche de son mets favori. La chouette aime à se
régaler d'une musaraigne, le renard préfère la poule, le crapaud est
friand de la limace. Le chat adore... les souris.
Je la mange ou je ne la mange pas ? s'interrogea le chat.
– A quoi songes-tu ? demanda la souris.
– Aux averses que déverseront les nuages demain matin, répondit
l'hypocrite. Un temps à ne pas mettre un chat dehors.
Cette réflexion amusa le rongeur. Les gouttes de
pluie cognant sur la toiture n'atteindraient pas son trou de souris où
il vivait à l'abri des chats. Il aurait tout loisir de savourer le
morceau de gruyère que le maître de la maison avait oublié, par mégarde
sans nul doute, sur une planchette de bois pourvue d'un étrange fil de
fer.
La souris se plaisait dans cette ferme où elle
était née au sein d'une famille de douze souriceaux. Les années
passant, ses frères et sœurs s'étaient éparpillés dans les lieux
environnants, choisissant qui un moulin, qui une boulangerie, qui une
menuiserie pour y loger et y élever, à son tour, sa nombreuse famille.
La souris s'était retrouvée seule mais elle ne s'en plaignait pas. Les
élans de tendresse que lui manifestait la fermière, quand toutes deux
se croisaient dans un couloir, lui réchauffaient le cœur.
« La souris ! La souris ! » hurlait-elle en se
hâtant de porter la nouvelle à qui voulait l'entendre. Le petit rongeur
en rosissait d'émotion.
La petite bête restant silencieuse, le chat
relança la conversation.
– Crois-tu que la lune nous observe à cet instant ? Sa luminosité
éclaire nos prés, nos rivières, nos maisons (Une libellule survola le
matou.) et jusqu'à nos plus fragiles insectes. Elle peut donc nous
scruter à sa guise, observer chacun de nos gestes. Je vais te donner un
simple exemple afin que tu comprennes bien ma pensée : s'il me prenait
l'envie de me jeter sur toi et de t'engloutir, la lune serait-elle
témoin de mon « infamie » ?
Tandis qu'il parlait, le chat avait fait un pas
de côté ; son poil tigré frôlait désormais le poil gris de la souris
qui s'écarta de deux pas et révéla :
– La lune n'ayant pas d'yeux, elle ne peut pas te voir.
Le félin éprouva un doute.
– Tu en es certain ? demanda-t-il et ses yeux brillèrent méchamment.
– Assurément. Mais moi, je te vois.
Ce fut au tour du chat de garder le silence. Il
cherchait à interpréter les mots entendus sans y parvenir.
– Je ne comprends pas, finit-il par avouer
sottement.
– Tantôt, cachée auprès d'un sac de graines, j'ai vu la fermière
remplir
ton plat d'une pâtée que tu as dédaignée.
Au souvenir de cette bouillie
grisâtre et grumeleuse le chat ne put contenir un haut-le-cœur.
– Nauséabond, répugnant, non : immangeable ! voilà le mot qui convient
pour qualifier cette nourriture que l'on me destinait.
– Tant pis pour
toi ! Je l'ai, pour ma part, tant aimée que j'ai vidé ton plat. Alors,
et c'est un « simple exemple que je prends pour que tu comprennes ma
pensée » : s'il te venait l'envie de me croquer, tu pourrais sentir se
répandre, sur ta langue râpeuse, cette bouillie immangeable dont j'ai
rempli mon ventre bien rond...
Le chat frissonna et ne le laissa pas
finir sa phrase.
– Par pitié, si l'on parlait d'autre chose.
– De la pluie et du beau
temps, peut-être ? suggéra le rongeur.
Tandis que le félin et le
rongeur se mettaient à discourir de la moisson qui aurait lieu dans
quelques jours, un papillon, voletant joliment, traversa le champs de
lavande, se posant de-ci de-là sur les fleurettes mauves.
Et pendant ce
temps, du haut du ciel noir, la lune regardait un chat et une souris en
train de converser.
Second prix de la nouvelle aux Apollon d'Or 2013 de Vaison-la-romaine
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