LA CIGALE EST AMOUREUSE

                          par Claude Jégo

Monsieur Jacobi marchait à pas tranquilles dans les allées. Sa chienne Lilas, un joli Cavalier King Charles, trottinait devant lui, le nez au vent, son poil soyeux ondulant sous le léger mistral. Elle s'arrêta à la fontaine et lapa l'eau fraîche qui coulait. Son maître la dépassa et l'appela pour poursuivre cette jolie promenade qui les menait, Lilas et lui, aux limites de la colline. On y découvrait un très beau point de vue sur les dentelles de Montmirail et, à l'arrière-plan, le géant de Provence, le célèbre mont Ventoux.
Monsieur Jacobi entendit tout à coup  un son qu'il connaissait bien : une cigale venait de se mettre à chanter. Le vieux monsieur jeta un rapide coup d'oeil à sa montre : 10 heures 15 ! et songea que si les cigales commençaient leur sérénade à une heure si matinale cela annonçait, à coup sûr, une journée chaude.
Monsieur Jacobi rattacha la laisse au collier de Lilas et tous deux se dirigèrent vers la sortie du parc.
Un peu plus loin, des enfants accompagnés de leurs parents s'amusaient à glisser sur le toboggan pendant que des bambins riaient aux éclats sur des balançoires.

Sur les arbres une deuxième cigale se mit à chanter, puis une troisième et une quatrième. Le soleil envoya ses rayons pour leur caresser les ailes et les encourager à poursuivre.
Perchée sur la haute branche d'un superbe platane, une cigale ne chantait pas : elle soupirait, et ses lourds soupirs auraient pu fendre le coeur de n'importe qui.
Sa vie d'insecte avait été bouleversée le jour où elle avait croisé celui qui avait pris son tout petit coeur. C'était un matin alors qu'elle s'apprêtait à pousser sa première note. Une étrange musique était parvenue vers elle, un léger tintement qui avait fait vibrer jusqu'au bout de ses ailes. Et puis, soudain, il y avait eu ce ronronnement qui allait s'amplifiant doucement, tout doucement.
Intriguée, la cigale avait quitté sa haute branche pour une branche plus basse et c'est alors qu'elle l'avait vu arriver. Avec ses pneus noirs, ses banquettes bordeaux et sa mini locomotive tractant quatre petites voitures de plein air : bleue, verte, rouge, jaune, quelle merveille ! La cigale n'avait jamais rien vu d'aussi beau que ce petit train touristique.
Depuis ce jour mémorable elle avait vite pris l'habitude de le guetter.
Tous les matins, le tintement aussitôt entendu, elle s'installait sur un arbre et attendait qu'il s'arrête à ses côtés. Les touristes assis sur les banquettes descendaient alors et le conducteur du train leur racontait l'histoire de cette belle colline, du château qui avait décoré son sommet et du théâtre antique qui, depuis deux mille ans, s'appuyait sur son flanc.
La cigale en profitait pour converser longuement avec son amoureux qui l'écoutait sans jamais l'interrompre. Quelle joie pour une cigale qui chante toute la journée que d'avoir rencontré un petit train qui aimait l'entendre. Parfois même il lui répondait par un gentil tintement – Ding ! Ding ! faisait la cloche dorée – et elle se sentait envahie par le bonheur.
Mais l'été ne dure pas toute une année.

Au fur et à mesure que s'écoulaient les semaines les touristes devenaient de moins en moins nombreux, et les premières feuilles mortes tombèrent au pied des arbres.
Un jour le petit insecte vit ses amies, les cigales, partir chercher un abri pour l'hiver qui ne tarderait plus à venir. Et elle se retrouva être la seule cigale vivant encore sur la colline.
C'est alors qu'une chose incroyable se produisit. Alors que le conducteur racontait l'histoire de la colline aux deux derniers touristes de passage dans la ville un fort coup de mistral déferla sur les arbres. Il secoua la cloche qui se mit à tinter très fort et brusquement une rafale fit tomber la cigale dans la cabine de la locomotive. A cet instant le joli petit train demanda à la cigale de vivre avec lui et de ne jamais plus le quitter. Et elle lui répondit « oui ! ».

Désormais l'hiver s'est installé sur la ville avec son cortège de neige qui recouvre les routes et les toitures des maisons. Parfois un vent glacé souffle sur la région et les températures s'efforcent de battre des records de froid.
Les touristes sont tous repartis chez eux, ils reviendront sûrement l'année prochaine pour monter dans le petit train et partir à la découverte de la colline. En attendant leur retour, le petit train reste, bien à l'abri, dans un hangar où il règne une agréable tiédeur. Il ne s'ennuie pas car, assise sur le siège du conducteur dans la locomotive, sa jolie cigale lui tient compagnie en lui racontant mille histoires.

Par exemple, connaissez-vous l'étrange aventure qui arriva, un jour d'automne, à dame Rose ? Non ? Ecoutez, tendez bien l'oreille, la cigale est en train de la raconter à son amoureux et elle raconte si joliment :

« Il était une fois une vieille dame, prénommée Rose, qui vivait seule dans sa petite maison où elle s'ennuyait beaucoup. Tous les après-midis, Rose mettait une poignée de graines dans la poche de sa jupe et elle s'en allait jusqu'à la colline où elle s'asseyait sur un banc. Les pigeons avaient appris à la connaître et ils venaient autour d'elle pour manger ces graines qu'elle leur donnait avec tant de gentillesse. Un après-midi, un pigeon pas comme les autres vint se poser sur le banc et il se mit à lui parler : Bonjour, dame Rose !... »

F I N


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