Pendant l'absence de Gorane, Channe et Oti étaient allés récupérer les
Octopattes dans la chambre de l'enfant et tous deux les avaient
emportés dans la serre et les avaient déposées sur les fleurs. Le robot
ne connaissait que très peu d'animaux vivants. Il savait que
quelques-uns d'entre eux vivaient sous terre et qu'ils sortaient de
temps en temps.
– Ils viennent nous saluer et nous montrer qu'ils existent encore, dit
Channe qui ajouta : je suis certain qu'il y en a d'autres mais je ne
sais pas où ils se cachent.
Oti se sentit un peu inquiet en voyant les
araignées courir d'une fleur à l'autre.
– Tu crois qu'elles seront heureuses ici, Channe
? L'endroit mystérieux leur servait de maison et c'est là-bas qu'elles
dormaient, qu'elles jouaient entre copines et qu'elles mangeaient je ne
sais pas trop quoi. J'espère
qu'elles ne vont pas mourir d'ennui dans la serre.
– Je ne crois pas, Oti. Il faut simplement qu'elles prennent de
nouvelles habitudes et si cela ne leur plait pas, je suis persuadé
qu'elles nous le diront d'une façon ou d'une autre.
Channe ne connaissait pas plus que son robot ces drôles de petites
bêtes à huit pattes mais il trouvait amusant de les voir sautiller dans
tous les coins de la serre.
– Mon père m'a dit qu'avant le Grand Hiver il y avait beaucoup de
fleurs sur notre planète. Qu'elles étaient de toutes les couleurs et
aussi jolies que celles qui sont dans notre serre. Cela devrait leur
plaire ?
Oti regarda les bestioles qui s'agitaient sur
les marguerites et les tulipes en plastique.
– Elles n'ont pas l'air contentes. Peut-être que
les vrais fleurs étaient en fer ou en carton ? Que dit maître Gorane
quand il t'en parle ?
Channe aimait entendre son père lui raconter la Terre qui existait il y
a bien longtemps, lorsque la nature déployait des palmiers si grands
qu'on pouvait escalader leurs troncs. Et il y avait les fleurs que l'on
pouvait cueillir car elles repoussaient sans cesse, et partout
d'étonnantes bêtes de toutes tailles qui savaient courir, nager ou
voler.
– Voler plus haut que nos glisseurs ? s'inquiéta Oti. Une chose
pareille est donc possible ?
– Ces bêtes volaient beaucoup plus haut que nos glisseurs ! répondit
Channe. Elles aimaient se rapprocher du soleil qui réchauffait leurs
longues ailes. Elles aimaient aussi la pluie qui tombait des nuages et
leurs milliers de gouttelettes d'eau qui mouillaient la terre.
Oti poussa un cri d'effroi et agita ses bras en l'air.
– Griiikkk ! Avec la pluie je me retrouverais couvert de rouille et il
faudrait me jeter.
Le robot avait à peine prononcé ces mots qu'il resta les deux bras en
l'air sans plus pouvoir bouger.
– Channe ! Je suis coincé. Peux-tu me sauver une fois de plus ?
La burette à la main, Channe mit quelques
gouttes d'huile et Oti abaissa ses bras dans un joli grincement.
Quelques semaines plus tôt, Gorane avait informé son fils qu'il
s'apprêtait à lui fabriquer un nouveau robot mais le problème de
l'astéroïde avait retardé ce projet. Hélas, Channe savait qu'une fois
l'astéroïde détruit, son père se consacrerait au remplacement de Oti.
Le visage grave, Channe se tourna vers son robot.
– On a déjà attendu trop longtemps, Oti. C'est
maintenant qu'il faut agir sinon tu seras réduit en pièces détachées.
Le robot se mit à trembler et cela fit un cliquetis si fort que Channe
faillit se boucher les oreilles.
– Tu vas me débrancher ? demanda Oti et ses yeux
s'embuèrent de larmes d'huile.
– Jamais je ne ferai une chose pareille parce que tu es mon ami, ne
l'oublie pas. (Channe fit un grand sourire à son ami robot.) Cette nuit
j'ai eu une idée géniale mais il va falloir que tu me fasses confiance.
Oti hocha la tête pour acquiescer et grinça.
Channe mit encore quelques gouttes d'huile et lui raconta que Gorane,
son ami Kal et tous les spécialistes du Centre spatial allaient encore
devoir travailler sur la fusée Arès durant de longues heures. Tout
devra être parfait quand elle sera sur le pas de tir, prête à décoller.
Aucune erreur ne pourra se produire au moment du décollage. Tu
comprends, Oti ?
– Oui, mais... non. Pas vraiment..
– C'est très important, Oti, parce qu'Arès emportera deux astronautes à
son bord et il ne faut pas qu'il y ait le moindre souci durant le vol
qui sera très long. C'est pour ça que mon père rentrera très tard ce
soir car il aura
beaucoup à faire avec Kal et l'équipe du Centre spatial au grand
complet.
Channe se pencha vers son robot et lui murmura :
– Alors, toi et moi nous allons en profiter pour passer à l'action sans
plus attendre. Suis-moi !
L'enfant et le robot se déplacèrent dans les couloirs où seuls des
petites lampes apportaient des bulles de lumière qui éclairaient leurs
pas. C'est en trottant rapidement qu'ils se rendirent au laboratoire de
Gorane et entrèrent tous les deux. A leur grande surprise, ils
découvrirent
qu'un grand désordre y régnait.
– Maitre Gorane semble très contrarié ! s'étonna
Oti en marchant sur un carnet qu'il parvint à ramasser sans rester
coincé. D'habitude,
il aime que tout soit rangé avec soin car maître Gorane est quelqu'un
de très consciencieux, ordonné, méticuleux. C'est la raison pour
laquelle il n'apprécie pas que le robot de son fils ait l'air d'une
petite machine rouillée, délabrée, usée.
Channe récupéra une dizaine de boulettes de papier chiffonnées qui
jonchaient le sol et les jeta dans la corbeille vide.
– Voilà, comme ça c'est plus propre. Qu'en dis-tu, Oti ?
– Je dis que maître Gorane ne serait pas content de nous trouver ici,
tous les deux, durant son absence.
– C'est vrai, confirma Channe, mais nous n'avons
plus le choix. Il faut agir sinon tu finiras recyclé en clous et en
boulons.
– Quel moteur ! gémit Oti, victime d'un autre bug. Je veux dire : Quel
malheur ! S'il-te-plait, Channe, chauve-moi !
Channe se dirigea vers une masse informe recouverte d'une couverture.
Il l'attrapa par un bord et par un autre et, lentement il la fit
glisser jusque sur le sol.
– Regarde, Oti, comment les trouves-tu ?
Trois superbes robots se tenaient debout, côte à côte. Trois droïdes
que l'on aurait pu confondre avec des humains si leur cou d'une extrême
finesse et l'étrange couleur jaune vif de leurs yeux n'avaient marqué
leurs différences.
– Ils sont tout neufs ! Mon père vient juste de les achever mais il ne
les a pas encore
activés, expliqua Channe qui eut un sourire amusé : Je l'ai aidé à
réaliser quelques finitions et c'est là qu'une idée m'a traversé
l'esprit à la vitesse de la lumière. Devine à qui j'ai pensé en les
voyant la première fois ?
Oti s'efforça de donner une réponse mais il fut victime d'un bug
:
– A une cafetière ?
– Oh non, Oti ! dit Channe qui se mit à rire. Non, tu ne ressembles pas
à une
cafetière.
Channe posa alors la main sur le ventre d'un droïde et raconta de façon
précise :
– Son cerveau central est à cet endroit, juste là. Je vais le remplacer
par le tien et tous tes bugs, tous tes grincements disparaîtront à la
seconde même. Qu'en penses-tu, Oti ?
Noyé sous le flux de l'émotion, le vieux robot resta silencieux. Son
cerveau se mit à grésiller et quelques étincelles jaillirent autour de
sa tête faisant redouter un court-circuit. Enfin, il retrouva ses mots
:
– Je vais me muer en super robot, en super Oti ! Quel bonheur ! Mais
c'est incroyable et que dira
maître Gorane quand il le découvrira ? Il risque d'être fâché contre
toi.
Et contre moi aussi, je le crains.
Channe n'eut qu'une brève hésitation car Oti avait tant d'importance
pour lui.
– Je lui en parlerai, je te le promets. (il désigna les droïdes d'un
geste de la main) Ils sont identiques, mis à part les plaques
d'immatriculation qu'ils portent autour du cou. Voici Nati32, Zeta40 et
Hogua58. Tu n'as que l'embarras du choix.
Oti s'approcha des droïdes jusqu'à les frôler. Comme ils étaient beaux
avec leur peau en résine de plastique, et leur grande taille, leur
apparence si solide, et l'absence d'articulations.
– Pas d'articulation, pas de burette d'huile ! s'écria le vieux robot.
Griiikkkk ! Je choisis Zeta40.
– Prends place sur la table, Oti ! Je prépare les outils dont j'ai
besoin et, dans moins d'une heure, je t'aurai métamorphosé en super Oti.
Le vieux robot s'allongea dans une cacophonie de grincements puis il
écouta le cliquetis des instruments que Channe posait à côté de lui. Un
humain aurait sans nulle doute redouté ce genre d'intervention mais
pour Oti les choses étaient différentes et, à cet instant, le vieux
robot se sentait le plus heureux au monde.
Au petit matin, quand Gorane regagna son bunker, la première chose
qu'il aperçut, en descendant de son glisseur, fut les morceaux plus ou
moins rouillés d'un vieux robot jetés au fond d'un conteneur de
récupération. Mais il ne s'attarda pas.
Après avoir accroché un mot sur la porte de son
laboratoire : « Ne me déranger sous aucun prétexte », le scientifique
alla enlever la toile qui recouvrait trois droïdes d'une qualité
exceptionnelle.
«C'était une bonne idée de les inventer, se
félicita Gorane à mi-voix. Quand je pense que j'ai failli ne pas les
construire, que je les croyais inutiles... (Gorane songea à Lommer et à
Grant, les deux courageux astronautes.) Mes droïdes vont leur sauver la
vie, et sans doute la nôtre aussi. Il ne me reste plus qu'à les rendre
opérationnels.
Allons, il n'y a pas de temps à perdre. Bon, je commence par Nati32.»
Gorane connecta le droïde à son puissant ordinateur et se mit à
pianoter sur son clavier.
A quelques pas de lui, les deux autres droïdes
demeuraient immobiles. Pourtant l'un d'eux suivait avec une certaine
inquiétude le travail de Gorane sur Nati32.
« Il est en train de lui transmettre des informations. Il vérifie que
tout est correctement enregistré... mais « Ouf ! » il ne semble pas
vouloir lui ouvrir le ventre. Tant mieux, je suis si
chatouilleux. Oohoo, il s'approche de moi, il a un tournevis à la main.
Channe ! Où es-tu ? Tu aurais dû prévenir ton père !»
Channe était bien incapable d'entendre l'appel à l'aide muet de son
robot. Son réveil venait de se mettre à sonner, puis avait ordonné à
Channe de
se lever, de petit-déjeuner et de se rendre sans tarder au collège.
Ce lieu était, en réalité, surnommé le Cubécole par Channe et les
autres élèves qui trouvaient ce nom plus amusant.
Dès qu'il fut prêt, Channe pensa à rendre une
visite
à son père avant de quitter le bunker.
« Il doit être rentré du Centre spatial.
Je vais pouvoir lui parler d'Oti et, ensuite, je partirai
pour le Cubécole. »
Prenant sa sacoche en bandoulière, Channe partit à la recherche de
Gorane et se retrouva face à la grande pancarte accrochée sur la porte
du Laboratoire.
« Ne me déranger sous aucun prétexte »
Channe fit une grimace de dépit.
« Je ne suis pas un prétexte, je suis son fils.
Il finira par l'oublier. Je voulais l'avertir au sujet de Oti. Tant
pis, je le ferai
quand je serai de retour du collège, je ne suis pas à une ou deux
heures près.
Et mon père a tellement de choses plus importantes à faire qu'à
s'occuper de son fils
et de son robot... Bon, je vais lui laisser une réponse. "
Sortant son stylo, le jeune garçon retourna la pancarte et écrivit au
dos :
" Parti au collège – à plus
tard. "
Satisfait, il songea qu'il n'aurait pas pu faire plus court et plus
précis. Il emprunta un couloir pour gagner l'emplacement des glisseurs,
s'installa à bord de l'un d'eux et programma sa destination. Il appuya
sur le
bouton de contact et le moteur se mit à ronronner. Le petit glisseur
sortit de son
abri et s'éloigna du bunker.
Dans son laboratoire, Gorane se sentait épuisé Il
contacta Kal et lui demanda d'envoyer un glisseur pour emporter les
deux droïdes au Centre.
– Je fais le nécessaire immédiatement, répondit
Kal. Mais je voudrais te faire une
proposition, Gorane ? Tes droïdes n'ont pas besoin de manger, ni de
dormir. Pourquoi ne pas en
profiter pour faire décoller la fusée dès cet après-midi ? Si tu es
d'accord, bien sûr. Cela nous
ferait gagner beaucoup de temps et tu sais que chaque heure nous est
compté.
Gorane accepta sans hésiter.
Alors que Channe arrivait au Cubécole, un gros glisseur portant le logo
du Centre spatial
vint se garer devant le bunker de Gorane. Deux hommes en
descendirent et le scientifique leur confia ses deux droïdes.
– Ils sont destinés au chef Kal qui les attend avec impatience. Surtout
prenez-en grand soin eet vous ne les remettez qu'entre ses mains. Vous
m'avez compris ?
Les deux hommes acquiescèrent et bientôt ils repartirent, emportant
leur précieux bagage dans le gros glisseur.
Ce n'est qu'en regagnant son laboratoire que Gorane avisa le message de
son fils. Il se promit
de lui consacrer plusieurs jours dès que tout danger aurait été écarté
de la Terre. Puis il gagna
sa chambre et, fatigué, il se jeta sur son lit et s'endormit.
L'après-midi tirait à sa fin quand Gorane récupéra son fils au
Cubécole et prit la direction du
Centre spatial. Channe avait été très surpris en découvrant que son
père était venu le chercher mais,
croyant qu'il allait lui faire visiter la fusée Arès, le jeune garçon
était content. Ses camarades de classe seraient tous jaloux de la
chance qu'il avait.
– Le Grand Dirigeant va nous honorer de sa
présence, dit Gorane à son fils. Cela fait bien longtemps qu'il n'a pas
quitté le Dôme et ses deux adjoints l'accompagneront. C'est un grand
honneur pour le Centre spatial et tous ceux qui y travaillent. N'oublie
pas de le saluer, Channe ! Je suis certain qu'il sera ravi de te voir.
Le glisseur pénétra dans l'enceinte du Centre et Channe aperçut d'abord
l'imposant bâtiment en forme d'énorme bunker. Quand le glisseur
s'approcha du site, le jeune garçon aperçut la fusée bleue dressée sur
le pas de tir.
« Quelle merveille ! » murmura-t-il et son père
acquiesça : Oui, tu as raison. Et c'est toute l'équipe du Centre qui
l'a réussie. Ils méritent tous nous félicitations.
Prochain épisode le 23 janvier 2019 : Centre
spatial
appelle Arès !