LE VOL DE L'AIGLE

                           par Claude Jégo

José secoua vigoureusement sa paillasse, ce qui ne lui rendit guère de volume. Puis il fit de même avec la couverture avant de la replier, avec soin, et de la déposer au bout du lit. Le balai de paille de riz attendait, debout contre le mur crasseux. José l'empoigna et balaya, sans en négliger un centimètre, le sol en terre battue. Avec satisfaction, il constata que, désormais, tout était en ordre.
Alors qu'il rajustait les pans de sa chemise élimée, le cri perçant d'un oiseau de proie retentit à l'extérieur de sa cellule. José vint se coller contre le mur sous la lucarne ; sa haute stature lui permettait d'apercevoir le ciel à travers les barreaux. Il attendit patiemment que l'oiseau revienne.
« C'est un aigle, murmura-t-il quand l'animal, toutes ailes déployées, traversa son champ de vision. Il vole haut et peut admirer l'étendue de la vallée depuis son nid. Un sacré veinard.»
Il y eut le grincement de la clé dans la serrure et la porte s'ouvrit.
– Oh, José, encore en train de rêver ?
Le garde déposa le plateau-repas sur le tabouret de bois et, avisant le balai qui avait retrouvé sa place contre le mur :
– Je le prends. Diego me l'a réclamé. Je me demande à quoi ça vous sert de balayer la terre ?
José s'assit sur le bord du lit et but la moitié du bol de café – il était déjà tiède – avant de croquer dans le quignon de pain sec.
Le garde lui tendit une petite brioche.
– C'est de la part de ma femme, elle t'aime bien. Faut dire que depuis le temps que tu es là ! Quinze ans, c'est ça ?
José hocha la tête et finit son café.
– Écoute, je devrais pas te le dire mais... il y a un prisonnier qui vient d'être relâché, dans un pays quelque part en Afrique. Le gars s'appelle Nelson Marela ou Mandela. Il croupissait derrière les barreaux depuis vingt-sept années.
José avait terminé son petit-déjeuner. Le garde prit le plateau d'une main, récupéra le balai de l'autre. José n'eut qu'à pousser la porte pour l'ouvrir.
– Chez nous aussi, parfois, on libère un prisonnier politique. Si ça t'arrive, tu me manqueras.
Le garde sortit, José referma la porte derrière lui et entendit la clé tourner dans la serrure.
Il se baissa pour ramasser quelques miettes de pain tombées sur le sol. Quand il se releva son regard tomba sur l'aigle, en train de tournoyer dans le ciel bleu, et s'y cramponna désespérément.
« La liberté, murmura José. Ma liberté. »
Et un sanglot s'étrangla dans sa gorge.



F I N


RETOUR

Découvrir toutes les Brèves sur Bopy.net