LE CHANT DES ABEILLES

                           par Claude Jégo

Le volcan crachait de la fumée de cendres depuis plus de deux semaines quand la première explosion se produisit. Les habitants du hameau interrompirent la fenaison et fixèrent l'énorme montagne qui les menaçait depuis des générations.
La deuxième explosion survint rapidement et l'île fut ébranlée par un tremblement de terre.
Mogar entendit, autour de lui cette même phrase, inlassablement répétée :
« Ça finira par se calmer, c'est ainsi à chaque fois. Allez, on reprend le travail ! Et toi, Mogar le trouillard, barre-toi dans ton cagibi retrouver tes jouets métalliques. Tu fais honte à ta famille. »
Mogar n'attendit pas d'autres insultes. Il partit en courant jusqu'au hangar où il avait garé son AéroCube dès le réveil du volcan. La mort arrivait, elle se rapprochait de jour en jour et il la refusait de tout son être. Il avait stocké des sacs de graines, ainsi qu'une ruche d'abeilles stabilisée par des sangles de fixation et Tify, son robot guettait le signe du départ.
C'était maintenant ou jamais ! L'appareil décolla, sortit du hangar et s'éleva dans les airs pour s'éloigner rapidement du hameau.
Soudain, Mogar vit le hangar disparaître au fond d'un gouffre, il entendit les hurlements déchirants des villageois. Mais non, c'était impossible, puisque l'île avait déjà sombré dans l'océan provoquant une gigantesque vague blanche à la surface !

Brusquement, Mogar se réveilla, haletant, le corps couvert de transpiration. Tout cela n'était qu'un cauchemar, ça ne pouvait pas être la réalité ! Il s'effondra sur sa couchette et perdit conscience.
Les jours passèrent. Tify gérait la vie à bord de l'AéroCube. Il fallait atterrir pour trouver de l'eau, de la nourriture, chercher de l'aide. L'état de Mogar finit par s'améliorer.

Le matin commençait à poindre lorsque Magor s'extirpa de son épais duvet. Il grogna, les yeux à demi fermés :
– Saleté de machine ! Je t'avais dit de me réveiller à 6 heures.
Le silence qui lui répondit l'énerva plus encore. Il était seul, Tify avait déserté son poste.
Magor enfila ses chaussures usées qui laissaient entrevoir le bout de ses orteils, attrapa son bipeur et émergea de son AéroCube. Son atterrissage, la veille, l'avait mené au milieu d'une pommeraie ; ce qui donnait, dans la pâle lumière du jour, un mélange d'arbres couverts de pommes jaunes, rouges, vertes et même bicolores.
Encore mal réveillé, il lui suffit de tendre la main pour empoigner un fruit savoureux et le croquer à pleines dents.
« Mmm, ch'est un régaaal. Che me demande qui a pu faire poucher ches merveilles ?»
Il avança de quelques pas puis, lentement, fit un tour sur lui-même, essayant d'apercevoir ce fichu bout de tôle...
« Tify !... Tiiiffyyy ! »
C'était impossible de le repérer dans cette forêt de pommiers où n'importe qui, n'importe quoi se retrouverait noyé dans cette anarchie de couleurs. Après avoir décroché une autre pomme pour se remplir un peu plus le ventre, Mogar s'en alla, abandonnant la pommeraie derrière lui. Très vite, il repéra des traces que les trois pieds du robot avaient laissées sur le sol. Dans le ciel, des hirondelles crayonnaient, de la pointe de leurs ailes, des touches noires dans l'azûr.Un couple d'écureuils attira son attention et il s'arrêta pour admirer les panaches des deux rouquins. C'est alors qu'un son le fit sursauter :
« Zzzzz... A vos zzzzordres ! »
Mogar se retourna et découvrit, à deux pas de lui, un prisme argenté monté sur trois bâtons dotés de roulettes. Un clavier numérique s'affichait sur son ventre et sur sa tête ronde des yeux scintillaient et une bouche rectangulaire s'entrouvrit pour émettre quelques mots :
– Tranche de planète rénovée en visuel à trois hectomètres ! Copier-coller des pommes.
Sans attendre de réponse, Tify partit en se hâtant, suivi par Mogar intrigué par l'étrange annonce de son robot.

Ils escaladèrent sans difficulté une verte colline et du sommet admirèrent des rangs de vigne bordés de rosiers.
« Zzzz Tify Maison ! s'exclama le robot et il ricana : Hi hi hi »
Mogar écarquilla les yeux, son cœur se mit à cogner... Des gens, il y avait des gens ! Il n'en avait pas cotôyés depuis si longtemps. Presque une éternité.
– Regarde, Tify, il y a un couple avec des enfants. On y va !
Tify et lui descendirent la colline et allèrent se présenter :
– Je suis Mogar et voici Tify. Nous avons échappé à la destruction de notre île Lobamira à cause d'un volcan. Tify a fait décoller notre AéroCube et nous avons fui, le plus loin possible.
Alban et Rosa les accueillirent chaleureusement et leur racontèrent :
– La pollution étouffait nos villes et nos campagnes et empêchaient nos enfants, Mirna et Colin d'avoir un futur. Nous avons acheté une roulotte tirée par des chevaux et, après des mois d'errance, nous sommes arrivés sur cette belle terre. Voilà le résultat de notre travail !
D'un geste de la main, Alban désigna les vignobles, et il en était très fier.
– Ils sont vraiment très beaux, apprécia Mogar.
Rosa expliqua à Mogar que quelques hectares étaient toujour disponibles et qu'il pouvait en disposer, s'il en avait le courage.
– Qu'est-ce que vous allez faire pousser ? interrogèrent les enfants.
Mogar n'eut pas besoin de réfléchir :
– J'ai des sacs de graines à bord de l'AéroCube et j'étais, pardon : je « suis » agriculteur ! Je serai l'homme le plus heureux qui soit quand je pourrai, à nouveau, retourner la terre de mes mains.
Mogar chercha son robot des yeux mais il avait disparu.
– Votre robot n'est plus là ? s'étonna Alban.
– Ecoutez ! Vous entendez ce bruit de moteur ? Tify est parti chercher l'AéroCube et il va bientôt le faire atterrir ici.
Quelques minutes plus tard, l'appareil apparut sur la colline et descendit se poser près des vignes. Tify en sortit, suivi d'un petit nuage sombre qui émettait un doux murmure.
– Regardez les enfants, dit Mogar dans un sourire. Ce sont des abeilles. Elles ramènent la vie avec elles.
Les abeilles se précipitèrent vers les rosiers et leurs bourdonnements se firent plus forts.
Ne pouvant se retenir, les enfants jetèrent les bras en l'air et ils se mirent à pousser des cris de joie.
« Elles chantent, vous les entendez ! Les abeilles chantent ! »



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Création réalisée lors du Prix Nouvelles Renaissances 2021 organisé par Short Edition et la Région Centre – Val de Loire

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