Le volcan crachait de la fumée de cendres depuis plus de deux semaines
quand la première explosion se produisit. Les habitants du hameau
interrompirent la fenaison et fixèrent l'énorme montagne qui les
menaçait depuis des générations.
La deuxième explosion survint rapidement et
l'île fut ébranlée par un tremblement de terre.
Mogar entendit, autour de lui cette même phrase,
inlassablement répétée :
« Ça finira par se calmer, c'est ainsi à chaque
fois. Allez, on reprend le travail ! Et toi, Mogar le trouillard,
barre-toi dans ton cagibi retrouver tes jouets métalliques. Tu fais
honte à ta famille. »
Mogar n'attendit pas d'autres insultes. Il
partit en courant jusqu'au hangar où il avait garé son AéroCube dès le
réveil du volcan. La mort arrivait, elle se rapprochait de jour en jour
et il la refusait de tout son être. Il avait stocké des sacs de
graines, ainsi qu'une ruche d'abeilles stabilisée par des sangles de
fixation et Tify, son robot guettait le signe du départ.
C'était maintenant ou jamais ! L'appareil
décolla, sortit du hangar et s'éleva dans les airs pour s'éloigner
rapidement du hameau.
Soudain, Mogar vit le hangar disparaître au fond
d'un gouffre, il entendit les hurlements déchirants des villageois.
Mais non, c'était impossible, puisque l'île avait déjà sombré dans
l'océan provoquant une gigantesque vague blanche à la surface !
Brusquement, Mogar se réveilla, haletant, le corps couvert de
transpiration. Tout cela n'était qu'un cauchemar, ça ne pouvait pas
être la réalité ! Il s'effondra sur sa couchette et perdit conscience.
Les jours passèrent. Tify gérait la vie à bord
de l'AéroCube. Il fallait atterrir pour trouver de l'eau, de la
nourriture, chercher de l'aide. L'état de Mogar finit par s'améliorer.
Le matin commençait à poindre lorsque Magor
s'extirpa de son épais duvet. Il grogna, les yeux à demi fermés :
–
Saleté de machine ! Je t'avais dit de me réveiller à 6 heures.
Le
silence qui lui répondit l'énerva plus encore. Il était seul, Tify
avait déserté son poste.
Magor enfila ses chaussures usées qui
laissaient entrevoir le bout de ses orteils, attrapa son bipeur et
émergea de son AéroCube. Son atterrissage, la veille, l'avait mené au
milieu d'une pommeraie ; ce qui donnait, dans la pâle lumière du jour,
un mélange d'arbres couverts de pommes jaunes, rouges, vertes et même
bicolores.
Encore mal réveillé, il lui suffit de tendre la main pour empoigner un
fruit savoureux et le croquer à pleines dents.
« Mmm, ch'est un régaaal. Che me demande qui a
pu faire poucher ches merveilles ?»
Il avança de quelques pas puis, lentement, fit
un tour sur lui-même, essayant d'apercevoir ce fichu bout de tôle...
« Tify !... Tiiiffyyy ! »
C'était impossible de le repérer dans cette
forêt de pommiers où n'importe qui, n'importe quoi se retrouverait noyé
dans cette anarchie de couleurs. Après avoir décroché une autre pomme
pour se remplir un peu plus le ventre, Mogar s'en alla, abandonnant la
pommeraie derrière lui. Très vite, il repéra des traces que les trois
pieds du robot avaient laissées sur le sol. Dans le ciel, des
hirondelles crayonnaient, de la pointe de leurs ailes, des touches
noires dans l'azûr.Un couple d'écureuils attira son attention et il
s'arrêta pour admirer les panaches des deux rouquins. C'est alors qu'un
son le fit sursauter :
« Zzzzz... A vos zzzzordres ! »
Mogar se retourna et découvrit, à deux pas de
lui, un prisme argenté monté sur trois bâtons dotés de roulettes. Un
clavier numérique s'affichait sur son ventre et sur sa tête ronde des
yeux scintillaient et une bouche rectangulaire s'entrouvrit pour
émettre quelques mots :
– Tranche de planète rénovée en visuel à trois
hectomètres ! Copier-coller des pommes.
Sans attendre de réponse, Tify
partit en se hâtant, suivi par Mogar intrigué par l'étrange annonce de
son robot.
Ils escaladèrent sans difficulté une verte
colline et du
sommet admirèrent des rangs de vigne bordés de rosiers.
« Zzzz Tify Maison ! s'exclama le robot et il
ricana : Hi hi hi »
Mogar écarquilla les yeux, son cœur se mit à
cogner... Des gens, il y avait des gens ! Il n'en avait pas cotôyés
depuis si longtemps. Presque une éternité.
– Regarde, Tify, il y a un couple avec des
enfants. On y va !
Tify et lui descendirent la colline et allèrent
se présenter :
– Je suis Mogar et voici Tify. Nous avons
échappé à la destruction de notre île Lobamira à cause d'un volcan.
Tify a fait décoller notre AéroCube et nous avons fui, le plus loin
possible.
Alban et Rosa les accueillirent chaleureusement
et leur racontèrent :
– La pollution étouffait nos villes et nos
campagnes et empêchaient nos enfants, Mirna et Colin d'avoir un futur.
Nous avons acheté une roulotte tirée par des chevaux et, après des mois
d'errance, nous sommes arrivés sur cette belle terre. Voilà le résultat
de notre travail !
D'un geste de la main, Alban désigna les
vignobles, et il en était très fier.
– Ils sont vraiment très beaux, apprécia Mogar.
Rosa expliqua à Mogar que quelques hectares
étaient toujour disponibles et qu'il pouvait en disposer, s'il en avait
le courage.
– Qu'est-ce que vous allez faire pousser ?
interrogèrent les enfants.
Mogar n'eut pas besoin de réfléchir :
– J'ai des
sacs de graines à bord de l'AéroCube et j'étais, pardon : je « suis »
agriculteur ! Je serai l'homme le plus heureux qui soit quand je
pourrai, à nouveau, retourner la terre de mes mains.
Mogar chercha son
robot des yeux mais il avait disparu.
– Votre robot n'est plus là ?
s'étonna Alban.
– Ecoutez ! Vous entendez ce bruit de moteur ?
Tify est
parti chercher l'AéroCube et il va bientôt le faire atterrir ici.
Quelques minutes plus tard, l'appareil apparut sur la colline et
descendit se poser près des vignes. Tify en sortit, suivi d'un petit
nuage sombre qui émettait un doux murmure.
– Regardez les enfants, dit Mogar dans un
sourire. Ce sont des abeilles. Elles ramènent la vie avec elles.
Les abeilles se précipitèrent vers les rosiers
et leurs bourdonnements se firent plus forts.
Ne pouvant se retenir, les enfants jetèrent les
bras en l'air et ils se mirent à pousser des cris de joie.
« Elles chantent, vous les entendez ! Les
abeilles chantent ! »
Création réalisée lors du Prix Nouvelles Renaissances 2021 organisé
par
Short Edition et la Région Centre – Val de Loire
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