Debout derrière l’une de fenêtres à meneaux de son château, le front appuyé contre la vitre, Guillaume contemplait le ciel. Depuis l’aube, de sombres pensées avaient envahi son esprit qu’il ne cherchait plus à combattre ; il n’en avait plus la force. Vaincu, il les laissait se répandre en lui, s’insinuer dans chaque espace vide de son être, l'anéantir.
«Noires nuées de désespoir zébrées des éclairs de mon impuissance, la solitude peuplera-t-elle désormais mon éternité ? Oh ! Phillis, ma douce, vous ai-je donc perdu à tout jamais ?»
Guillaume esquissa un geste, du revers de la main, pour essuyer sa joue.
 « Solitaire, je déambule dans ces galeries désertées et je parcours ces salons où nul écho ne brise le lourd silence de ma vie. Ma mie ! J’ai savouré vos regards éperdus d’amour et me suis enivré de ces instants où nos âmes s’entremêlaient. »
Guillaume ressentit un froid intense. Il frissonna et, se retournant pour s’adosser au mur, il ferma les yeux et tenta d’oublier son effroyable malheur.

Il y eut des bruits de pas, des éclats de voix et même, quelques rires atténués.
La lourde porte en chêne s’ouvrit, laissant déferler une dizaine de visiteurs, hommes et femmes, la plupart arborant chapeau de paille et lunettes noires ; une quadragénaire – corsage blanc et tailleur strict – les menait d’une allure décidée.
« Entrez donc ! C’est par cette magnifique galerie des portraits que nous allons poursuivre la visite du château. Vous constaterez avec plaisir, j’en suis certaine, qu’il règne une agréable fraîcheur dans cette salle, aussi profitez-en pour vous mettre à votre aise. »
Répondant à l’invitation de leur guide, les touristes s’avancèrent, épongeant leur sueur à grands renforts de mouchoirs et foulant, de leurs sandales poussiéreuses, un dallage plusieurs fois centenaires. Certains pestèrent contre ce soleil de plomb qui avait transformé la promenade des jardins en fournaise et auréolé leurs chemises de taches malodorantes.
Mais déjà leur guide enchaînait :
« Vous remarquerez au plafond, les lustres en cristal d’Italie. (ils levèrent la tête) Les murs sont recouverts de tentures réalisées par Ripalli, un artiste inégalable à cette époque ! Cette sculpture, représentant saint Pierre tenant les clés du paradis, est une oeuvre du sculpteur hollandais Vanmeersch. Ce vase provient de... »
Tournant la tête à droite, à gauche, les touristes suivaient, avec la docilité du mouton, chaque indication de leur guide, guettant le moindre geste directif de son index.
« Et maintenant, mesdames et messieurs, si vous voulez bien vous regrouper autour de moi, nous allons parcourir l’une des pages les plus prestigieuses de notre Histoire de France. »
Un sourire professionnel sur les lèvres, la dame en tailleur strict entama sa litanie, entrecoupée de brèves respirations : la dynastie des Malimort remontait au quatorzième siècle, il fallait un certain souffle pour énumérer cette prestigieuse lignée.
Cette voix étrangère, monocorde, haut perchée, fit soudain prendre conscience à Guillaume de l’inutilité de sa présence. S’écartant de la fenêtre, il traversa la salle – pressé de fuir cette insupportable intrusion – et se dirigea vers l’escalier d’honneur en marbre blanc.
Il posait le pied sur la première marche lorsque la voix du guide claqua comme un cri de guerre :
« Des héros ! Laissez-moi vous faire admirer deux des membres les plus glorieux de cette noble famille. »
Les touristes firent mouvement, encerclant la quadragénaire, levant leurs visages vers les tableaux de taille imposante sur lesquels étaient peints deux hommes de belle allure.
« D’abord Adhémar Géraud, le fils aîné de Gontrand et Isabeau de Malimort que nous avons vus précédemment. Il participa à de nombreuses expéditions en Afrique au cours desquelles il mit plusieurs fois sa vie en péril.»
Le guide fit trois pas sur la gauche et désigna la peinture d’un homme de grande taille aux traits sévères.
« Et voici Bertrand Simon, le dernier de cet illustre famille. Il mourut à l’âge de trente ans, au cours d’un terrible duel. »
Agacé, Guillaume ne put retenir un haussement d’épaules.
« Il n’avait jamais su manier l’épée ! »
« Il voulut laver son honneur gravement entaché par un gentilhomme qui tentait de lui ravir une jouvencelle. »
Cette pensée renvoya Guillaume à son triste sort.  « Phillis ! En te perdant j’ai renoncé à toute espérance. »
Mais déjà le guide entraînait sa horde dans une autre direction.
« Ne traînez pas, mesdames et messieurs, nous allons nous rendre à la chapelle du seizième siècle, et nous achèverons cette visite par une descente dans la crypte où reposent plusieurs générations de Malimort. Nous pourrons, par ailleurs, y admirer quelques splendides ossements...»
Le bruit assourdissant de la lourde porte qui se referme, et le silence revint. Ecrasant.
Guillaume abaissa la tête et reprit la lente montée des innombrables marches, ignorant les lourdes tapisseries recouvrant les murs et les armures étincelantes alignées sur les vastes paliers. Chaque pas – chaque seconde sans elle – lui était un supplice, il devait se résoudre à y mettre fin, ne plus retarder l'échéance.
Bientôt, il délaissa les étages de son château pour un étroit escalier de pierre enserré entre d'épais murs glacés.
Il sentit la brise tiède lui caresser le visage tandis qu’il émergeait à l’air libre, au sommet de la tour. Un large drapeau, flottant au bout de sa hampe, étalait sur un ciel d'un bleu éclatant, le blason des Malimort. A des kilomètres alentour on pouvait porter son regard sur les champs et les prés, les massifs boisés, les villages, et savourer cet harmonieux mélange de touches de couleurs sur fond de velours verdoyant.
Les lèvres de Guillaume esquissèrent un pâle sourire : la délivrance était proche.
« Phillis, mon aimée, nous serons à jamais réunis. »
Il monta sur le parapet et murmura, le coeur léger : « Ce fut une belle journée ! » et il sauta dans le vide.
Quelques secondes de chute...
Cinquante mètres plus bas, son corps s’écrasa dans la poussière. Sous la violence de l'impact, la tête se détacha du tronc et l’une des jambes fut arrachée et projetée au loin.
Indifférent au drame qui venait de se dérouler, un merle, perché sur sa branche, reprit joyeusement sa mélodie très brièvement interrompue.

Une silhouette se hâta vers les membres désarticulés et contempla le macabre spectacle avant de s’inquiéter :
– Que faites-vous donc là, sieur Guillaume, dans cette position inconfortable ?
Les yeux se rouvrirent sur la face cadavérique et quelques mots s’échappèrent des lèvres exsangues :
– Je me suicide, vicomte.
– Ridicule ! Mon pauvre ami, dois-je vous rappeler que vous êtes mort depuis plus de trois siècles ?
Le vicomte de la Rocheronde avait toujours fière allure dans son habit d’apparat malgré son squelette flottant dans des vêtements devenus trop amples depuis son trépas.
– Ne pourriez-vous cesser de vous exhiber ainsi, Guillaume de Malimort ? Vous couvrez de honte vos illustres ancêtres.
Les mains de Guillaume cherchèrent sa tête, à tâtons, pour la replacer sur ses épaules puis, tandis que le buste se redressait, elles époussetèrent le pourpoint brodé de fil d’argent. Surgissant de nulle part, et retroussant son suaire pour ne pas le piétiner dans sa précipitation, une ombre blanche accourut à leur rencontre.
– Par tous les cieux ! Dites-moi qu’il n’a pas osé renouveler cette folie ?
Le vicomte extirpa du revers de sa manche un mouchoir de batiste qu’il agita avec élégance.
– Je viens, à l’instant, de lui en faire le reproche, l’abbé. Il devrait enfin renoncer à ses enfantillages.
Le sieur de Malimort se remit d’aplomb sur une jambe et sautilla pour aller récupérer la seconde ; ce qui ne se révélait guère aisé étant donné la distance et le sol légèrement incliné.
– Guillaume, mon fils, notre seigneur Dieu ne tolère pas le suicide, gronda le fantôme de l’abbé Grégoire.
– Je suis déjà mort, l’abbé, et de vieillesse qui plus est.
– Eh bien justement, pourquoi vous comporter avec déraison ?
Le vicomte eut un geste d’exaspération.
– A quoi bon le questionner ? Il va encore évoquer Phillis.
Guillaume esquissa deux ou trois pas avant de réaliser que ses pieds ne pointaient pas dans la même direction. Il s’adossa à un talus et s’efforça de procéder à la rectification. Il dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de parvenir à ajuster parfaitement sa jambe.
– Mon épouse me manque, l’abbé. Ne pouvez-vous compatir à ma peine ?
Le vicomte se montra courroucé et haussa le ton.
– C’est vous-même qui avez « égaré » votre épouse dans les oubliettes de votre château sous le futile prétexte que son verbiage vous agaçait !
– Une malencontreuse erreur de ma part et je la déplore, vicomte. Vous le constatez, je regrette indéfiniment.
– Votre repentir vous honore, mon fils, dit l’abbé Grégoire en lâchant les plis de son suaire afin de recouvrir son intime invisibilité.
– Trêve de repentir, l’abbé ! rugit le vicomte. Il doit mettre un point final à ces exhibitions du plus mauvais goût.
– Je crains qu’il ne soit difficile de soigner une dépression chez un trépassé, objecta l’abbé qui prit quelques secondes de réflexion. A moins que...
– A moins que quoi ? s’énerva le vicomte. Finissez donc cette phrase !
– Si nous retrouvions la belle Philis, son époux pourrait implorer son pardon et peut-être même quitter cette terrestre demeure.
Cette idée parut ravir le vicomte de la Rocheronde. La dépouille de sieur Guillaume, colportant de cimetière en fosse commune son affliction et ses remords, déclenchait la risée de la cohorte des mânes à plus de trente lieues à la ronde.
– Eh bien, qu’il aille parcourir les culs-de-basse-fosse. Qui l’en empêche ? Et nous pourrons enfin hanter en paix.
Sieur Guillaume prit un air contrit. Il voulut parler, se retint, et puis les mots finirent par franchir sa bouche.
– Je ne peux pas, c’est impossible !
Exaspéré, le vicomte secoua la tête dans un affreux cliquetis d'osselets.
– Et pourquoi donc ?
– Parce que... il y a des rats.
– C’est une plaisanterie ? Ils ne peuvent pas vous mordre.
– Je n’ai jamais prétendu redouter une morsure. Je crains leur multitude noire et grouillante, leur puanteur, leurs poils couverts de vermine, et aussi...
L’abbé Grégoire songea que si cette conversation s’éternisait, il allait louper une messe dans sa chapelle en ruines ! Ce qu’il ne désirait à aucun prix, espérant de la sorte s'attirer les bonnes grâces de saint Pierre et écourter son purgatoire sur Terre. Il interrompit donc cette énumération, d’ailleurs peu ragoûtante pour un défunt déambulant quotidiennement au milieu de cadavres démembrés et de corps en putréfaction.
– Oui, oui, je compatis. Ne pourrions nous faire oeuvre de charité chrétienne, vicomte, et l’accompagner dans ces bas-fonds ? Le Tout-Puissant nous en saura gré.
– Vous parlez bien, l’abbé, ironisa le vicomte. Si vous prenez autant de soin de vos brebis, que faites-vous donc à errer en leur compagnie ?
– Euh... un petit péché sans importance qui ne vaut guère la peine d’être évoqué. Alors, messieurs, gagnerons-nous ces oubliettes ?
Sans plus tergiverser, les trois spectres quittèrent le pied de la haute tour et se hâtèrent de réintégrer l'enceinte du château, en se faufilant sous la poterne. Une lourde grille, dissimulée dans un obscur recoin d’une cave, leur ouvrit l'accès aux plus horribles secrets de la lignée des Malimort. Croisant scorpions et scolopendres, lombrics et limaces, ils parcoururent un interminable couloir ponctué de réduits exigus d’où s’exhalait une odeur fétide.
Enfin, ils débouchèrent dans une salle voûtée où régnait une douce quiétude. Les bruits extérieurs – les « barbares » évacuaient la chapelle – leur parvenaient atténués et un rai de soleil s’infiltrait par une fente entre deux pierres tout en haut d’un mur. Sur le sol gisaient quelques squelettes, leurs dépouilles mortelles inutilement rattachées aux murs par des menottes et de longues chaînes de fer rouillées.
A leur vue, l’abbé se signa vivement et le vicomte eut un haut-le-corps avant de s’exclamer :
– Qui diantre étaient ces malheureux, sieur Guillaume ? J’en dénombre neuf, non : dix !
– Euh... ils appartenaient à la famille de Phillis. Divers oncles, tantes, ainsi que deux frères. Ils exigeaient leur part d’héritage après la malencontreuse disparition de mon épouse.
Le vicomte et l’abbé eurent un même mouvement de tête réprobateur.
– Vous n’êtes guère partageur mon fils, murmura l’abbé. « Donnez et il vous sera rendu au centuple », vous devriez méditer ce verset.
Laissant sieur Guillaume sur ce pieux conseil, l'abbé se mit à marmonner quelques paroles chrétiennes, s'efforçant de rendre, avec un certain retard, à ces âmes oubliées les derniers sacrements. Mais un long hurlement l'interrompit brusquement.
« Ooooouuuuuuhhhh ! »
Le vicomte et Guillaume empoignèrent la garde de leur épée, l’abbé s’empressa de se glisser derrière eux.
– Quoi... !
– Qu’est-ce... ?
– Qui va là ?
La voix tremblotante de l’abbé Grégoire répéta :
– Qui va là ? Montrez-vous où je vous excommunie !
A regret, un revenant s’extirpa de derrière un pilori tombé en désuétude. Affublé d’un habit en coton grossier, il dissimulait sa triste face sous un capuchon rouge à large capeline qui recouvrait ses épaules. Quelques gros asticots s’en échappèrent.
– Qui êtes-vous donc ? balbutia l’abbé, tout en demeurant soigneusement en retrait.
– Le vicomte devrait se souvenir de moi, répondit le revenant d’un ton lugubre. Nous avons été si proches à une certaine époque.
– L’un de vos parents ? s’étonna l’abbé qui songea qu’il y avait décidément des mésalliances dans toutes les familles, même les mieux nées. Je ne distingue guère de ressemblance, il n'a pas le profil d'aigle de vos ancêtres, seigneur de la Rocheronde.
– Disons une vieille connaissance, répondit le vicomte en glissant son mouchoir devant son nez pour atténuer le parfum de moisissure du nouveau venu.
– Ah, vicomte, je vois que vous ne m’avez pas oublié ? dit le revenant en s'avançant. Sa haute silhouette se détacha alors plus nettement sur le mur, faisant ressortir sa solide ossature.
– Je ne sais pas pourquoi, souffla Guillaume. Il ne m’inspire pas confiance.
– Et vous avez raison, c’est le bourreau. Encouragé par le peuple et ces maudits sans-culottes, il m’a tranché la tête. Et il dut s’y reprendre à plusieurs fois.
– J’y prenais tant de plaisir, messire, dit le bourreau presque en s’excusant. Mais que me vaut la joie de vous revoir en ce jour ?
– Trêve de politesse, coupa l’abbé pressé d’aller dire sa messe et de fuir la compagnie d’un mécréant. Nous cherchons...
– Oui, vous cherchez ?
– Moi !
Les spectres sursautèrent ; il y eut une légère bousculade entre le suaire et les deux nobliaux.
Une dame ou, du moins ce qu’il en subsistait, venait de faire son apparition. Elle avait encore grande allure dans sa robe de satin et une aigrette de perles fines, ainsi que quelques toiles d’araignée, ornaient sa longue chevelure grise défraîchie tandis qu’une cascade de pierres précieuses recouvrait sa gorge et son cou décharnés.
– Ma chère Phillis, vous m’avez fait une peur ! se plaignit Guillaume en portant la main sur son coeur.
– Pas autant que moi, mon ami, quand vous m’abandonnâtes dans ce lieu infâme. Vous en souvient-il ?
Un silence tomba soudain...qui se prolongea...
Le vicomte et l’abbé faisaient mine de contempler quelques outils de torture oubliés sur une table : une paire de tenailles, un fouet en cuir, des brodequins marqués par l’usure.
Mal à l’aise, le bourreau se dandina sur un pied, puis sur l’autre. La compagnie de la noblesse n’avait jamais eu sa préférence sauf lorsqu’il tenait le manche de sa hache entre ses mains afin de raccourcir quelque lignée.
– Si vous n’avez plus besoin de mes services, j’aimerais m’absenter ?
– Certes, mon brave, vous pouvez aller, dit l’abbé, pas fâché de le voir déguerpir.
– Attends bourreau ! s’écria Guillaume qui venait de se rappeler d’un détail important. Dis-moi, y a-t-il des souris ?
– Certes non, messire. Elles ont toutes été mangées. La nourriture nous était chichement distribuée dans nos geôles.
Sur ses mots, il s’évapora, laissant les trois spectres avec Phillis.
Et le silence à nouveau...
L’abbé perdit patience. Il poussa discrètement le vicomte en direction du couloir en adressant un petit signe d’encouragement à Guillaume.
– Je crois que nous devrions laisser nos amoureux à leurs retrouvailles. Au plaisir de vous revoir, noble dame ! Pressez-vous, vicomte, mes paroissiens doivent se languir.

- - -

Guillaume jeta un regard contrarié sur le cachot et ses occupants. Quel triste décor pour plaider sa cause ! Mais il se ressaisit aussitôt. Ce qu’il avait tant désiré pouvait enfin se réaliser. Son épouse se tenait devant lui et peut-être lui offrirait-elle une chance de se racheter ?
Il n’hésita plus.
– Phillis, ma douce, vous m’avez tant manqué.
Feu la comtesse de Malimort lui tourna le dos dans un bruissement de satin et jeta, avec mépris :
– A qui la faute, mon ami ? J’ignorais tout de cet endroit avant d’y être jetée par vos valets.
– Mes parents exigeaient un fils pour porter le nom des Malimort, vous ne me donniez pas d'enfant. J’ai dû me soumettre.
Phillis fit quelques pas dans la salle voûtée, sous les orbites vides des membres de sa famille, indifférents au drame qui se jouait devant leurs restes.
– Vous n’avez jamais eu grande force de caractère, mon époux. Je le savais en vous épousant mais j’ignorais que ce serait ma perte.
Elle se retourna et lui fit face :
– Depuis tant d’années, j’erre en ces lieux, oubliée de vous.
Guillaume se jeta à ses pieds et, s’agrippant à ses guenilles, il se lamenta :
– Phillis, jamais je n’ai pu vous chasser de mon esprit ! Le remords a broyé ma vie et de vous avoir abandonnée m’a ôté toute espérance.
– Etes-vous sincère, Guillaume ?
– Je le suis, ma tendre. Entendez-vous les larmes qui coulent dans mes veines ? Chaque battement de mon coeur est un cri de souffrance et mes respirations sont autant d’appels à votre pitié !
Emue par tant de désespoir, Phillis tendit la main à son époux et Guillaume s’inclina sur les jolis métacarpes blanchis par les siècles.
– Accordez-moi votre pardon et nous serons unis, pour toujours.
Le joli spectre n'hésita pas davantage :
– Relevez-vous mon ami. Je vous pardonne.
– Oh, Phillis, vous le voulez bien ?
– Oui. J’absous votre trahison et je renonce à la vengeance.
Guillaume se releva.
– Regagnons notre château, ma douce. Désormais, nous le hanterons d’un même pas, je vous en fais le serment éternel.
Mais alors que Guillaume invitait son épouse à le suivre, les pieds de Phillis quittèrent le sol.
– Que m’arrive-t-il donc ? Guillaume, venez à mon secours !
Il était trop tard. La défunte disparaissait déjà à travers la voûte sous le regard, horrifié, de son époux.
– Phillis ! Où allez-vous ? Revenez !

- - -

Le vicomte et l’abbé se rendaient à la chapelle lorsqu’une colonne lumineuse reliant le ciel à la terre s’était matérialisée devant eux. Médusés, les deux défunts s’étaient arrêtés pour contempler l’ascension de la belle Phillis vers le paradis.
– Son pardon l’a libérée de la haine qui pourrissait son coeur, expliqua l’abbé Grégoire avant de confier : saint Pierre va l’accueillir. J’espère qu’elle lui glissera un mot en ma faveur. J’ai beaucoup prié pour que le bourreau ou un scorpion abrège ses souffrances.
– Regardez donc, l’abbé, au lieu de ne penser qu’à votre salut !
Le seigneur de Malimort venait de jaillir des oubliettes et ses cris de désespoir retentissaient tandis qu’il courait, les bras tendus vers sa lointaine épouse.
– Le malheureux ! compatit l’abbé Grégoire. Je dirai ma prochaine messe pour lui.
– Il va en avoir besoin, l’abbé. Le voilà qui change d’avis.
Guillaume de Malimort se ruait maintenant vers son château.
– Il ne va tout de même pas recommencer ? s’inquiéta le vicomte avant de songer tout à coup que :
Voyons l’abbé, pourquoi ne la suit-il pas puisqu’elle lui a pardonné ?
– Hélas ! répondit l’abbé Grégoire et son suaire ondula dans une expression d’impuissance. Guillaume fut marié plusieurs fois. Ainsi, voyez l’aile est du château...
Le vicomte agita son mouchoir dans la direction indiquée.
– L’échauguette de la garde ?
Le fantôme de l’abbé opina du chef.
– Pas de « la garde », vicomte, mais bien de « Hildegarde ». Le nom a été déformé par l’usage au fil du temps.
– Je n’en avais pas connaissance.
– Emmurée vivante. Et l’histoire ne dit pas si la malheureuse...



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