AUX QUATRE VENTS



                          par Claude Jégo

Assis sur le sable fin, à l’ombre d’un palmier chétif, Mamadou scrutait l’océan aux reflets verdorés, quand un point enfla à l’horizon. Bientôt un canoë, manoeuvré par un adolescent au teint cuivré, s’échoua sur l’îlot. Le jeune Noir courut à sa rencontre et ses lèvres se relevèrent sur une double rangée de dents blanches, un sourire tel une bouffée de bonheur.
– Mon nom est Mamadou, je suis Sénégalais et ma terre se meurt, assoiffée. Et toi ? Conte-moi ton histoire !
Ravi d’entendre résonner les mots de sa langue, l’indien désigna son fragile esquif.
– Creek, le Canadien, habitant les neiges que l’on disait éternelles. J’ai ramé tant et tant de lunes que l’espérance avait déserté mon âme. M’accordes-tu l’hospitalité ?

Mamadou lui ouvrit les bras dans un geste fraternel :
– Je t’offre ma modeste demeure de silice. Sois le bienvenu !

Les deux garçons n’eurent pas le loisir de converser davantage ; une mouette les survola, messagère d’un nouvel arrivant.
Les mains en visière au-dessus des yeux, ils découvrirent un radeau de rondins peuplé de couples de renards, de sangliers, d’écureuils et de hiboux. A l’abord du rivage, un jeune Blanc plongea dans les vagues et vint se joindre à eux.
– Bonjour! Manuel, venu de la France lointaine et bienheureux de quitter mon arche de Noé. Ma capitale s’est changée en cité lacustre et je cherche asile pour mes animaux. Sans oublier Mia (la mouette vint se percher sur son épaule), ma compagne d’infortune. J’ignore lequel, de nous deux, a apprivoisé l’autre et l’a sauvé de ses pensées de misère. Mais me comprenez-vous ?
– Oui, ne crains rien, répondit Mamadou. Et parce que notre langage partagé crée le plus beau des liens te voici désormais l’un des nôtres.
– Là, regardez ! s’écria soudain Creek. Voici venir un autre frère d’errance.
Une étrange embarcation à voile unique se dirigeait droit sur eux et c’est un sampan qui mouilla devant leur minuscule terre. Une passerelle fut jetée et un jeune homme la dévala pour échanger, avec eux, une chaleureuse accolade.
Chan raconta comment il avait fui le silence de son Viêt Nam natal.
– Mes beaux oiseaux se sont tus, leurs trilles étouffés par l’air pollué.
– Nos pères avaient promis de veiller sur la planète qu’ils lègueraient à leurs enfants ! se lamenta Creek. Hélas ! Toutes leurs réunions, leurs discussions n’ont abouti à rien.
– La palabre a toujours été le passe-temps favori de l’homme, soupira Mamadou en songeant à ses champs, brûlés par la fournaise irradiant du ciel chauffé à blanc.
Les quatre enfants scrutèrent la plaine liquide sur laquelle ils dérivaient avec une infinie lenteur. Au fil des heures, six ou sept dauphins rieurs, une très vieille baleine et des poissons d’argent vinrent égayer leur route solitaire.
– Dans quelle direction le vent nous porte-t-il ? demanda Chan.
– L’aiguille indique l’Ouest, répondit Mamadou en lui tendant son insolite boussole.
– Le temps nous semblera long, fit remarquer Manuel. Comment l’occuper sans ennui ?
– Par une chanson ? suggéra Creek. Et, un air jubilatoire sur le visage, il leur chuchota quelques mots à l’oreille.
Alors, épaule contre épaule, l’espoir gonflant leur coeur, ils entonnèrent :
«Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver,
Mon jardin, ce n’est pas un jardin, c’est la Terre...»
Et, sur le vaste océan, une petite île, plantée d’un palmier chétif, emportait quatre enfants vers la promesse d’un monde meilleur.


F I N

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"Aux quatre vents" a été publié dans "Les dix mots de la langue française" de l'Union des Poètes francophones en 2008.

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