Assis sur le sable fin, à l’ombre
d’un palmier chétif, Mamadou scrutait
l’océan aux
reflets verdorés, quand un point enfla à
l’horizon.
Bientôt un canoë, manoeuvré par un
adolescent
au teint cuivré, s’échoua sur
l’îlot. Le jeune Noir courut à sa
rencontre et
ses lèvres se relevèrent sur une double
rangée de dents blanches, un sourire tel
une bouffée de bonheur.
– Mon nom est Mamadou, je suis
Sénégalais et ma terre se meurt,
assoiffée. Et toi ?
Conte-moi ton histoire !
Ravi d’entendre
résonner les mots de sa langue, l’indien
désigna son fragile esquif.
– Creek, le Canadien, habitant les neiges que l’on
disait éternelles. J’ai ramé tant
et tant de lunes que l’espérance avait
déserté mon âme.
M’accordes-tu
l’hospitalité ?
Mamadou lui ouvrit les bras dans un
geste fraternel :
– Je t’offre ma modeste demeure de silice. Sois le
bienvenu !
Les deux garçons
n’eurent pas le loisir de converser davantage ; une
mouette les survola, messagère d’un
nouvel arrivant.
Les mains en visière
au-dessus des yeux, ils découvrirent un radeau de rondins
peuplé de couples de renards, de
sangliers, d’écureuils et de hiboux. A
l’abord du rivage, un jeune Blanc plongea
dans les vagues et vint se joindre à eux.
– Bonjour! Manuel, venu de la France lointaine
et bienheureux de quitter mon arche de Noé.
Ma capitale s’est changée en cité
lacustre et je cherche asile pour mes
animaux. Sans oublier Mia (la mouette vint se percher sur son
épaule), ma
compagne d’infortune. J’ignore lequel, de nous
deux, a apprivoisé l’autre
et l’a sauvé de ses pensées de
misère. Mais me comprenez-vous ?
– Oui, ne crains rien, répondit Mamadou. Et parce
que notre langage partagé crée le
plus beau des liens te voici désormais l’un des
nôtres.
– Là, regardez ! s’écria
soudain Creek. Voici venir un autre frère
d’errance.
Une étrange embarcation
à voile unique se dirigeait droit sur eux et c’est
un
sampan qui mouilla devant leur minuscule terre. Une passerelle
fut jetée et un jeune homme la dévala pour
échanger,
avec eux, une chaleureuse accolade.
Chan raconta comment il avait fui
le silence de son Viêt Nam natal.
– Mes beaux oiseaux se sont tus, leurs trilles
étouffés par l’air pollué.
– Nos pères avaient promis de veiller sur la
planète qu’ils lègueraient à
leurs
enfants ! se lamenta Creek. Hélas ! Toutes leurs
réunions, leurs discussions n’ont abouti
à rien.
– La palabre a toujours
été le passe-temps favori de l’homme,
soupira Mamadou
en songeant à ses champs, brûlés par la
fournaise irradiant du ciel chauffé à blanc.
Les quatre enfants
scrutèrent la plaine liquide sur laquelle ils
dérivaient avec une infinie lenteur. Au fil des
heures, six ou sept dauphins rieurs, une très vieille
baleine et des poissons
d’argent vinrent égayer leur route solitaire.
– Dans quelle direction le vent nous porte-t-il ? demanda
Chan.
– L’aiguille indique l’Ouest,
répondit Mamadou en lui tendant son insolite boussole.
– Le temps nous semblera long, fit remarquer Manuel. Comment
l’occuper sans ennui ?
– Par une chanson ? suggéra Creek. Et, un air jubilatoire
sur le visage, il leur chuchota quelques mots
à l’oreille.
Alors, épaule contre
épaule, l’espoir gonflant leur coeur, ils
entonnèrent :
«Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est
l’hiver,
Mon jardin, ce n’est pas un jardin, c’est la
Terre...»
Et, sur le vaste océan,
une petite île, plantée d’un palmier
chétif, emportait quatre enfants vers la promesse
d’un
monde meilleur.
"Aux quatre vents" a été publié dans "Les dix mots de la langue française" de l'Union des Poètes francophones en 2008.
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