Soudain, les enfants ont cessé de
converser dans la classe. Ce surprenant silence a rappelé
à Kellyna l’oiseau
bavard qui vit dans les joncs, la Cisticole, et qui devient subitement
muet à
la saison sèche. Pourtant, la demande que le professeur
vient de formuler est
simple : « Vous avez
jusqu’à demain pour m’inventer une jolie
phrase
en français ! ».
Mais le français est
semblable au papillon : s’il a de jolies couleurs il
n’est pas aisé de le capturer.
La jeune Congolaise s’est
hâtée de
rentrer chez elle et la voilà assise à son
bureau, prête à affronter le gros
dictionnaire et l’imposant livre des synonymes.
Après avoir pris une profonde
inspiration, elle les ouvre, se jette entre les pages, y pioche une
poignée de
mots qu’elle dépose en vrac sur une feuille. La
partie la plus difficile
l’attend encore. Il faut les assembler, les relier
serrés l’un contre l’autre
comme une cordée d’alpinistes
lancés à l’assaut des cimes
enneigées.
Peine perdue ! Les mots gigotent, se trémoussent et
échappent à la pointe
de son stylo qui s’évertue pourtant à
les plaquer sur le papier.
Dépitée,
Kellyna songe alors que
seul le tam-tam moderne, rebaptisé
« Internet », pourra la sortir de
cette impasse. A force de réseauter, les
tchateurs sont devenus ses complices,
elle espère que son appel ne les laissera pas insensibles.
Elle ne se trompe pas. En moins
d’une heure, Justin en France, Abdel au Maroc, Mia au
Québec, Lim au Cambodge,
Boubakar au Sénégal et Fanilo à
Madagascar lui envoient des morceaux de phrase
qu’elle n’a plus qu’à unir.
Voici la majuscule qui entame le
difficile parcours
des premiers mots, la brève respiration d’une
virgule, et ce sont deux
propositions principales – vite, une dernière
bouffée d’air ! – qui
déroulent le tapis de la phrase sous les lettres de la
subordonnée. Le point
final, déjà !
Kellyna est heureuse ; le
résultat dépasse toutes ses
espérances.
« Accueillant mes amis
au cours de folles agapes, nous
déclamerons en chœur de jolies
phrases et nous inventerons, au fil des mots, une
histoire d’amitié que
nous ferons résonner harmonieusement par
delà les frontières et les
océans. »
La jeune Congolaise remercie, du
fond du cœur, ses amis du bout du monde et avoue, par
courriel, à Lim le Cambodgien sa surprise
devant la difficulté rencontrée.
– Je croyais maîtriser le français comme
une langue maternelle. Je réalise qu’il me
faudra encore beaucoup d’efforts pour y parvenir.
– Connaître son ignorance est la meilleure part
de la connaissance ! lui répond Lim qui, en
dépit de son jeune âge,
s’avère être déjà
très philosophe.
Cette nuit-là, Kellyna
fit un rêve magnifique. Elle s’imagina
qu’elle partait, avec
les mots, à la rencontre de ses amis du monde entier et,
pour échanger ils
ouvriraient leurs mains d’où
s’échapperaient des papillons
décorés de
palindromes et d’acrostiches français.
"L'attrape-mots" a été publié sur l'Aède n°26, supplément de l'Union des Poètes francophones pour la Semaine de la langue française 2011.
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