Nuel venait de jeter de la poussière argentée pour faire briller les étoiles lorsqu'un bruit attira soudain son attention. C'était un fait inhabituel pour lui car il n'y avait jamais de bruit sur la Lune où il vivait seul.
Au détour d'un cratère, il découvrit un petit bonhomme comme il n'en avait jamais vu. Deux fois plus petit que Nuel, une tête toute ronde surmontée par deux yeux globuleux et une antenne, et un simple rond à l'emplacement de la bouche. Pas de jambes, des pieds qui semblaient sortir directement de son ventre, rond lui aussi, et des bras si longs qu'on pouvait confondre les mains et les pieds. L'ensemble était d'un joli rose pâle.
– Bouhou, sanglotait le petit bonhomme, et de grosses larmes sortaient de ses yeux puis coulaient lentement sur ses joues.
A chaque fois que l'une d'elles touchait le sol, il se produisait un petit nuage de fumée accompagné d'un " Pschiiitt " et Nuel n'avait jamais vu cela.
Il détailla d'abord le petit bonhomme de la tête aux pieds puis décida de lui parler.
– Je m'appelle Nuel, dit-il en s'avançant vers lui.
Le petit bonhomme parut si surpris en le voyant qu'il cessa de pleurer. Mais ça ne dura pas, il se mit à hurler :
– Je veux ma mamannnn !!!
Nuel vit trois nouvelles larmes couler puis trois petits nuages de fumée montèrent du sol.
– Mais où est-elle, ta maman ? demanda le pantin en se tournant de tous côtés sans rien apercevoir sauf la Lune déserte.
– Elle est partie avec papa dans notre soucoupe. OUUUIN !!!
Nuel attendit que le petit bonhomme rose s'arrête pour reprendre sa respiration, et il profita de ce court répit pour lui poser toutes les questions qui lui venaient à l'esprit :
– Quel est ton nom ? De quelle planète viens-tu ? Où sont partis tes parents ? Que fais-tu seul sur la Lune ?
– Je m'appelle Kriiibooutonkraxshkkkrrr et je suis un martien. Mes parents sont allés rendre visite à nos cousins sur Upsilon 35 et ils m'ont oublié.
Pendant que le petit bonhomme reniflait, Nuel se gratta la tête en réfléchissant, ce qui eut pour effet d'ébouriffer ses cheveux bleus.
– Je croyais que les Martiens étaient verts ? s'étonna-t-il.
– Seulement les grands, dit Kriiibooutonkraxshkkkrrr. Moi je suis encore trop petit.
– Comment tes parents ont-ils pu t'oublier ?
– Papa a fait un arrêt pour laisser refroidir le moteur de notre soucoupe qui avait tendance à surchauffer. Maman a dit qu'on pouvait se dégourdir les jambes, moi et mes 38 frères et sœurs, mais à condition de ne pas s'éloigner. Et j'ai désobéi. Bouhou !!
Nuel faillit se boucher les oreilles car il n'aimait pas le bruit, mais il avait de bonnes manières. Il s'efforça de rassurer le petit martien.
– Je suis certain que tes parents vont revenir te chercher. Je vais les attendre avec toi.
– Upsilon 35 se trouve à l'autre bout de la galaxie, pleurnicha le petit martien. il leur faudra longtemps, très longtemps. Bou...
– Si tu arrêtes de pleurer, je te fais visiter la Lune, proposa Nuel. C'est un endroit très joli. Tu veux bien, Kkkrrii… euh, je peux t'appeler Pompon ?
Pompon fit signe que oui, et il suivit sagement Nuel qui l'emmena faire le tour complet de la Lune.

Dans un observatoire sur la Terre

Robert guettait, du coin de l'œil, son collègue Julien qui se tenait immobile depuis un certain temps déjà, l'œil collé à l'immense télescope. Il croisa nerveusement ses mains rendues humides par l'inquiétude et demanda :
– Rien de spécial à signaler, Julien ?
– Non. La nuit est tranquille, répondit Julien sans modifier sa position d'observation.
Robert aurait dû se sentir rassuré mais ce n'était pas le cas. Julien, jeune homme sympathique d'une trentaine d'années, venait de reprendre le travail après un séjour prolongé en maison de repos pour surmenage intellectuel. Il faut dire qu'à force d'observer la Lune, il avait fini par être l'objet d'une étrange hallucination et prétendait qu'un petit pantin vivait sur l'astre lunaire où il s'amusait à faire de la balançoire.
Après avoir longtemps hésité - une rechute était toujours possible - Robert finit par regagner son bureau où l'attendait une impressionnante pile de dossiers.
Dès que la porte du bureau eut claqué, Julien s'écarta du télescope, une lueur mauvaise dans les yeux. Ce maudit pantin était toujours là avec son habit bleu assorti à ses cheveux.
Envahi par la colère, Julien serra les poings et ses pensées se mirent à vagabonder.
A cause de lui, j'ai dû rester enfermé dans cette sinistre clinique, avec des infirmiers rouges et bleus qui m'obligeaient à avaler des pilules en blouse blanche. Mais ça ne se passera pas comme ça. Oh ! non, je vais leur prouver que je ne suis pas fou.
Depuis son retour à l'Observatoire, Julien cherchait un moyen de confondre le pantin et il en était là de ses réflexions quand un deuxième personnage apparut à l'autre bout du télescope : une chose informe, toute rose, avec de longs bras et pas de jambes. Il y avait un deuxième extraterrestre sur la Lune !
– Ces monstres de l'espace me narguent, gronda Julien qui ne put retenir un rire nerveux. Mais je vous aurai, vous m'entendez ? Je vous aurai !

– Bouhou, J'AI FAIM !!!
– Ça y est ! c'est reparti, soupira Nuel quand Pompon se remit à hurler de plus belle.
Nuel ne mangeait jamais, ce qui était tout à fait normal pour un pantin de chiffon, mais depuis qu'il était tombé sur Terre, en voulant suivre une étoile filante, il avait rencontré des êtres vivants et avait découvert qu'ils avaient besoin de nourriture. Capucine, Tom et Rémi, ses trois amis terriens, adoraient les gâteaux, le chocolat et les bonbons. Seulement, il n'y avait rien de tout cela sur la Lune.
– Si tu arrêtes de pleurer, je te promets que tu pourras manger.
L'effet fut immédiat. Il n'y eut pas de nouvelles larmes, ni de petits nuages de fumée.
Nuel emmena le martien au bord de la Lune et, se penchant, il lui montra la planète bleue, juste en dessous d'eux.
– Sur Terre, il y a tout ce qu'il faut. Ferme les yeux, nous serons vite arrivés.
Nuel prit Pompon dans ses bras puis il sauta dans le vide spatial. Ils tombèrent, tombèrent, tombèrent… et finirent par atterrir sur le toit d'une cabane construite entre les branches d'un arbre majestueux. Aussitôt trois enfants jaillirent de la cabane et grimpèrent entre les branches pour accueillir le nouvel arrivant.
– C'est Nuel ! s'écria Capucine avec un sourire enchanté car elle adorait le pantin.
– Bonjour Nuel, dirent en chœur Rémi et Tom, les frères de Capucine.
Nuel ouvrit les bras et déposa le petit martien à côté de lui.
– C'est quoi ce tas de guimauve rosâtre ? demanda Tom sans ménagement.
Tom s'exprimait toujours avec une franchise qui lui valait parfois des ennuis avec ses parents.
– Mais c'est un petit bonhomme ! s'extasia Capucine. Qu'il est mignon !
La petite fille adorait les poupées et les peluches qui remplissaient littéralement sa chambre.
– Tu nous expliques, Nuel ? dit Rémi qui était l'aîné des trois enfants et aussi le plus raisonnable.
Le pantin se débarrassa du feuillage qui était resté accroché à ses vêtements puis il raconta comment le petit martien avait été oublié par ses parents et pour quelle raison il hurlait sans cesse.
– Je n'ai rien à lui donner à manger, expliqua le pantin à ses amis.
– Il a un nom ? demanda Capucine.
– Oui mais je n'arrive pas à m'en souvenir, dit Nuel. Alors, je l'ai appelé Pompon.
– Tu lui as donné le nom de notre chien ? s'étonna Rémi. Quelle drôle d'idée !
– Je n'en connais pas d'autre, fit Nuel, et c'était vrai.
– Ce n'est pas normal cette couleur rose ? fit remarquer Tom. Ton martien a peut-être attrapé un dangereux virus galactique ?
Capucine protesta que c'était vraiment une idée saugrenue, et Pompon fut vexé :
– Quand je serai grand, je serai vert comme mes parents, répondit-il en agitant la tête, l'air mécontent.
Et son antenne gigota comme une folle.
– Il parle ! s'émerveilla Capucine qui voulut en savoir plus : Tu as des frères et des soeurs ?
– Bien sûr. J'en ai trente-huit.
– C'est une grande famille, fit remarquer Rémi qui regarda le martien de la tête aux pieds. Il n'a pas de jambes, par contre, il a de très longs bras.
– Oui et parfois, il doit se marcher sur les mains, fit Tom qui éclata de rire : Elle est bien bonne celle-là, non ?
– Elle est nulle ! répondit Capucine qui proposa de tous se retrouver dans la cabane.
La porte à peine refermée, Tom s'empara d'un paquet de biscuits posé sur une petite étagère et le proposa à Pompon qui se mit à hurler :
– J'AI FAIM !!!
Les enfants et le pantin échangèrent des regards catastrophés.
– Qu'est-ce que ça mange un martien ? demanda Tom avant d'avaler un biscuit.
– Du Truch-Truch, pleurnicha Pompon, et une grosse larme coula de ses yeux, tomba sur le plancher de la cabane et il y eut un " pschitt ", avec un peu de fumée.
– Hé ! c'est quoi ce phénomène ? protesta Tom tandis que Rémi se mettait à quatre pattes pour observer, de plus près.
– Il y a un trou dans le plancher, expliqua-t-il en se relevant. Les larmes de ce martien sont acides.
– Et ça ressemble à quoi, le Truch-Truch ? dit Capucine.
– C'est comme ça mais en rouge, dit Pompon en désignant le pot de fleurs qui ornait le rebord de la fenêtre. Vous en avez ?
– On sait où en trouver ! s'écria Tom sans hésiter. Capucine et Rémi diront la même chose que moi, j'en suis certain, parce que si Pompon se met à sangloter, notre cabane va vite ressembler à un morceau de gruyère.
– Tom a raison, on sait où trouver du Truch-Truch, confirma Capucine pour rassurer Pompon, mais elle paraissait au bord de l'affolement. Rémi, si tu as une idée de génie, c'est le moment où jamais de nous la faire partager.
Rémi n'eut pas besoin de chercher longtemps dans sa mémoire. Le mois précédent, le maître d'école avait fait devant ses élèves un exposé sur l'Espace qui les avait tous passionnés. Ensuite, il les avait emmenés visiter le musée de l'Observatoire.
– Le maître nous a raconté qu'il y a très longtemps de cela, il y a eu de l'eau sur Mars, et une espèce d'algue rouge poussait au fond des rivières. Les robots explorateurs en ont ramené de grandes quantités et, quand nous avons visité le musée j'en ai aperçu dans des bocaux en verre.
– Chouette nouvelle ! dit Tom. Et tu crois que les gardiens vont nous laisser voler leur Trukmuch parce qu'on leur demande gentiment ?
– On peut prétendre avoir un travail à faire pour l'école, répondit Rémi. Et on se débrouille pour prendre un peu de Truch-Truch sans que personne ne nous voit faire. Ça ne me paraît pas compliqué.

A cet instant retentit une voix venue de l'extérieur :
– Capucine, Tom, Rémi ? C'est maman !
Les enfants réagirent avec une incroyable rapidité. Capucine avait apporté dans la cabane un couffin en osier dans lequel dormait le magnifique poupon que sa tante Liliane lui avait offert pour son anniversaire. D'un geste vif, la petite fille éjecta le poupon du couffin et le jeta dans les bras de son frère.
– Rémi, attrape !
– Hé ! J'en fais quoi de ta poupée ?
La fillette coiffa Pompon d'un bonnet de dentelle et le coucha dans le couffin sous la couverture.
– Chut ! Pas un mot, Pompon.
De son côté, Tom coiffa Nuel d'une casquette pour couvrir ses cheveux bleus et lui installa des lunettes de soleil sur le nez pour dissimuler les yeux dorés du pantin. Rémi, ne sachant quoi faire de la poupée, la cacha derrière son dos... Et la porte s'ouvrit.
La maman ne fut pas surprise en voyant Nuel. Dès sa première rencontre avec le pantin de la Lune, Capucine, Rémi et Tom avaient inventé un copain de classe prénommé Olivier pourvu d'un cousin norvégien, un certain "Nuel" qui venait passer quelques jours de vacances.
– Décidément, les vacances scolaires ne manquent pas en Norvège ! s'étonna la maman. Quant à ton cousin Olivier, je ne l'ai pas encore croisé à la sortie de l'école.
– Bonjour madame, dit Nuel en répétant sagement ce que Capucine lui avait appris à dire en pareille circonstance. Comment allez-vous ?
– Euh… bien, merci Nuel, répondit la maman qui n'eut pas le loisir de s'attarder davantage sur le cas du "Norvégien" car elle venait d'apercevoir un étrange bambin rose dans le couffin de Capucine.
– Voilà donc le cadeau que tante Liliane t'a envoyé pour ton anniversaire ? dit la maman qui ouvrit grands les yeux. On dirait un… Ou bien une...
La maman hésitait sur le terme à employer pour définir cette chose enfouie, sous la couverture, qui avait la tête d'un gnome, les yeux de E.T. et le sourire de la fée Carabosse.
– C'est un poupon, dit Capucine. Mes amies l'adorent, elles veulent toutes avoir le même.
– Ah, vraiment ? fit la maman qui ajouta, désolée : Décidement, les goûts ont changé depuis que j'étais petite fille. Les enfants, je vais m'absenter une heure ou deux pour aller faire des courses. Soyez sages jusqu'à mon retour !
Et tandis qu'elle repartait vers sa maison, la maman se promit de raconter à son mari l'affreux cadeau que sa soeur Liliane venait d'offrir à leur fille chérie.
– Maman est partie, souffla Capucine en regardant par l'entrebâillement de la porte. Vite ! Il faut qu'on se rende au musée avant qu'elle ne soit de retour.
La petite fille, Tom et Nuel se dirigeaient déjà vers la sortie quand Rémi les arrêta :
– Il vaut mieux que Pompon nous accompagne, on ne peut pas le laisser seul dans la cabane.
Tom fit signe qu'il était d'accord avec son frère :
– On dira au gardien que notre copain le martien a une petite faim et qu'on est pressés parce que la soucoupe est garée en double file devant le musée. Ouais ! Ça roule pour moi !
– Je peux rester avec lui, proposa Nuel qui voyait que les enfants hésitaient.
Rémi pensa que ce n'était pas une bonne idée.
– Et si notre maman rentre avant que nous ne soyons revenus du musée et qu'elle te pose des questions ?
Nuel dit qu'il n'y avait aucun problème.
– Je lui expliquerai que Pompon a été oublié sur la Lune par ses parents. elle comprendra
– Et moi je lui dirai que la soucoupe volante va venir me chercher, poursuivit Pompon qui ajouta : elle comprendra sûrement.
Tom, Rémi et Capucine dévisagèrent tour à tour Nuel et ses yeux dorés, et Pompon qui agitait ses longs bras roses.
– On y va tous ensemble, dit Rémi.
Et Tom et Capucine furent entièrement d'accord.

Julien était encore sous le coup de l'émotion. Il ne rêvait pas, c'était bien vrai ! Le pantin et la chose rose venaient de sauter dans le vide.
Julien réussit à les suivre un certain temps grâce au télescope puis il les perdit de vue mais pour lui, il n'y avait aucun doute possible : non seulement les deux extraterrestres allaient se poser sur la Terre mais leur point de chute se situerait sur le territoire national. Mais où précisément ? La question était d'importance.
Julien prit son bloc-notes et s'en servit pour effectuer de laborieux calculs.
Son cœur se mit soudain à battre comme un fou : les monstres interplanétaires allaient atterrir dans sa région, et même dans l'agglomération où se situait l'observatoire ; il lui fallait absolument une carte plus détaillée.
Il se rua sur une armoire dans laquelle il dénicha un tas de cartes empilées. La première carte qu'il déplia était trop grande, celle-çi était trop petite, ou bien ce n'était pas la bonne région, pas la bonne échelle, une carte racontait les montagnes, une autre détaillait les rivières...
Julien jeta un regard exaspéré autour de lui et aperçut un gros classeur métallique. Peut-être contenait-il la carte tant espérée. Non ! Il ne renfermait que des dossiers, des sous-dossiers, de la paperasserie. Un tic agita sa joue droite et il se frappa le front avec sa paume de main.
– Mais oui ! Ma vieille carte dans la boîte à gants de ma voiture, c'est exactement ce qu'il me faut.
Julien fit demi-tour et fonça vers la porte ; il faillit heurter de plein fouet son collègue qui sortait de son bureau. Robert, qui contempla, ébahi, les dizaines de cartes et de dossiers étalés pêle-mêle sur le sol.
– C'est... c'est que, quoi tout ce..., bégaya-t-il sans parvenir à trouver ses mots.
– J'ai oublié mes cigarettes dans ma voiture, lui jeta Julien avant de filer sans se retourner.
– Mais Julien..., commença Robert mais son collègue était déjà loin. Robert regarda l'énorme tas de papiers qui l'encerclait et finit sa phrase dans un murmure : Mais Julien tu n'as jamais fumé ?

Tom, Rémi et Capucine avaient enfourché leurs vélos et roulaient à vive allure. Nuel était assis sur le porte-bagages derrière Rémi, et Capucine avait installé Pompon - toujours coiffé du bonnet de dentelle – dans la sacoche à l'arrière de sa bicyclette. Bientôt les enfants mirent pied à terre devant l'entrée du musée de l'Observatoire.
Le gardien-chef fut ravi de les voir ; à cette heure-ci, il y avait peu de monde et le brave homme s'ennuyait.
– Bonjour les enfants ! dit-il en leur adressant un sourire chaleureux. Oh ! Quelle jolie poupée, ajouta-t-il en découvrant Pompon dans les bras de Capucine. Comment s'appelle-t-elle ?
– Dorothée ! lâcha Capucine en pensant à l'une de ses cousines.
Par contre le gardien-chef parut intrigué en découvrant Nuel et ses lunettes de soleil :
– Dis-moi, jeune homme, tu dois être très célèbre pour te cacher derrière des lunettes noires ? Si tu les enlèves, je te demanderai un autographe.
– Bonjour ! répondit Nuel. Comment allez-vous ?
– Notre cousin s'est cogné en tombant de son vélo, expliqua Rémi. Il a un œil de toutes les couleurs et il préfère le cacher.
Le gardien-chef s'esclaffa :
– Tu veux dire qu'il s'est fait un coquart ? Ça m'est arrivé plus d'une fois quand j'avais votre âge, moi aussi j'adorais faire du vélo. Hélas, avec ces maudits rhumatismes, je ne peux plus.
– On a un devoir à préparer pour l'école, dit Rémi. Combien coûtent quatre billets ?
– Entrez les enfants. Pour vous, c'est gratuit.
Les enfants remercièrent le gardien-chef et pénétrèrent dans le musée. Rémi les guida rapidement jusqu'à une vaste salle consacrée à la planète rouge ; les murs étaient recouverts de nombreuses photos en noir et blanc montrant différentes faces de la planète Mars. Sur de longues tables avaient été exposés de superbes maquettes de fusées et de robots miniatures semblables à ceux qui avaient exploré le sol martien.
– Suivez-moi, dit Rémi. C'est un peu plus loin.
Les enfants firent semblant de s'intéresser aux photos puis, tout en se faufilant parmi les rares visiteurs, ils s'approchèrent de larges bocaux en verre remplis d'une étrange plante rougeâtre. L'un après l'autre, les visiteurs finirent par s'en aller dans une autre salle et il ne resta bientôt plus qu'un gardien au regard soupçonneux.
A cet âge-là, ça fait toujours des bêtises, pensait-il sans lâcher les enfants des yeux. Et il s'intéressait surtout à celui qui portait des lunettes noires. Nuel d'en rendit compte et il s'écarta de ses amis. Le gardien le suivit. Nuel s'écarta encore un peu plus et fit mine de se passionner pour une fusée. Le gardien resta à quelques pas de lui.
Pompon comprit que c'était le moment où jamais. Il sauta hors des bras de Capucine et plongea la tête la première dans un bocal plein à ras-bord de Truch-Truch qu'il se mit à dévorer car il mourait de faim.
– Pompon, veux-tu sortir de là et vite ! gronda Capucine en ouvrant des yeux effarés. Tom, Rémi, aidez-moi !
Les deux frères se précipitèrent pour attraper le petit martien enfoui au fond du bocal mais, complètement affamé, Pompon n'écoutait plus. Il leur échappa et se jeta dans un autre bocal qu'il vida aussi vite que le premier
– Le gardien va se fâcher, murmura Capucine.
La fillette n'avait pas tort. Le gardien avait entendu tinter le verre d'un bocal et il s'était retourné pour découvrir un petit être rose en train d'avaler des algues rouges par poignées entières.
Tom comprit que les choses tournaient mal pour eux et leurs étranges amis, mais il était trop tard pour faire marche arrière.
– Les parents vont nous priver de dessert pendant au moins deux ans, dit-il et il fit la grimace à cette idée.
Le gardien avait couru pour atteindre les bocaux posés sur une large table. Déjà, il tendait le bras pour s'emparer du petit martien.
– Sors de là, espèce de chose bizarre ! cria-t-il. Sinon...
Mais sa menace resta en suspens. Pompon pointa sur lui un boîtier dont jaillit aussitôt un fin rayon vert. Avant que le malheureux gardien n'ait compris ce qui lui arrivait, il quitta le sol pour se retrouver plaqué contre le plafond.
– Il est "grave" ce martien ! s'exclama Tom, médusé. Et, en plus, il a vidé tous les bocaux.
– Je crois qu'on devrait déguerpir, dit Rémi qui s'empara de Pompon et le rendit à sa soeur. Nuel, tu nous suis !
Les enfants retraversèrent la grande salle d'un pas rapide en espérant ne pas croiser un autre gardien. Blotti dans les bras de Capucine, le petit martien se frottait le ventre de bonheur, un sourire ravi sur sa tête ronde.
Par chance, quand les enfants arrivèrent à la porte d'entrée, le gardien-chef était occupé à renseigner des touristes étrangers et il ne vit pas sortir les enfants.

Ils regagnaient le petit parking où ils avaient laissé leurs vélos lorsque Nuel s'inquiéta du sort du malheureux gardien :
– Il va rester collé au plafond ?
– On a oublié le gardien ! se désola Rémi. Pompon, tu dois le faire redescendre tout de suite.
Le petit martien reprit le boîtier et appuya sur un bouton lumineux. La lumière s'éteignit.
– Voilà, dit-il simplement.
Quelque part dans le musée, le gardien se détacha du plafond pour tomber sur une combinaison spatiale étendue sur un tréteau ; ce qui amortit un peu sa chute.
Alors qu'il enfourchait son vélo, Tom fut pris d'un terrible fou rire en imaginant l'atterrissage du malheureux.
– A partir d'aujourd'hui, il sera incollable sur la planète Mars.
Tandis que les enfants pédalaient sur leurs bicyclettes pour regagner leur cabane, au même moment Julien se trouvait en ville. Il n'avait pas retrouvé sa vieille carte détaillée de l'agglomération qu'il croyait avoir laissée au fond de sa boîte à gants, aussi avait-il roulé jusqu'à un magasin pour en acheter une neuve.
Il repartait vers l'observatoire quand il aperçut une voiture de police et une ambulance garées devant le musée. Mû par un pressentiment, il se précipita. Des infirmiers étaient en train de faire une piqûre à un gardien étendu sur une civière pendant que le gardien-chef, l'air effondré, racontait à deux policiers ce qui venait de se produire.
Julien s'approcha et tendit l'oreille.
– C'est terrible, disait le gardien-chef. Il semblait en bonne santé, rien ne laissait prévoir une chose pareille.

L'un des policiers acquiesça, puis il se mit à relire sur son calepin les notes qu'il avait prises :
– Donc, vous dites qu'il s'est précipité vers vous en disant qu'un extraterrestre rose l'avait foudroyé à l'aide d'un rayon laser. Et qu'ensuite le monstre s'était enfui après avoir pris, en otages, des enfants qui visitaient le musée.
– Oui, c'est bien ça, confirma le gardien-chef. Et aussi que le monstre l'avait saisi avec ses deux tentacules et l'avait lancé au plafond. Il m'a même montré un hématome sur son bras gauche. Vous vous rendez compte ?
– Vous savez, dit le policier en baissant la voix pour ne pas être entendu par la foule des curieux, tous ces machins qui sont dans votre musée, doivent être bourrés de virus ou de microbes ramassés dans l'espace. Ce qui arrive à votre collègue, ça devrait être reconnu "maladie professionnelle". En tout cas, c'est ce que je pense.
Le gardien-chef roula des yeux effarés :
– Vous savez qu'il me disait qu'il rêvait de vivre sur Mars. Moi qui croyais qu'il plaisantait. Vous pensez que c'était les premiers symptômes ?
Les infirmiers avaient chargé leur malade dans l'ambulance puis ils étaient redescendus pour attendre le feu vert de la police et partir vers l'hôpital. Mais les policiers et le gardien-chef s'étaient lancés dans une conversation sans fin sur les astronautes et les monstrueuses bactéries qu'ils avaient ramenées sur la Terre, à leur retour. Les infirmiers s'étaient donc mis à discuter "football, championnat et Ronaldino", il fallait bien s'occuper un peu.
Julien profita que les hommes en blanc lui tournaient le dos pour grimper dans l'ambulance et interroger le malheureux gardien :
– Est-ce que votre extraterrestre a volé quelque chose ?
A moitié endormi - la piqûre commençait à faire de l'effet - le gardien murmura :
– Il a mangé toute la mousse des martiens.
– Il était petit et rose, c'est bien ça ? demanda Julien.
– Oui. Vous l'avez vu aussi ? dit le gardien, ravi.
– Oh oui, mentit Julien. Et les enfants qu'il a pris en otages, à quoi ressemblaient-ils ?
– Une fille et trois garçons. L'un d'entre eux portait des lunettes de soleil, j'ai trouvé ça bizarre mais je… je…
Le gardien s'était endormi.
Julien se dépêcha de regagner sa voiture et, quelques minutes plus tard, l'ambulance s'éloignait toutes sirènes hurlantes.
La première chose que fit Julien quand il eut regagné l'observatoire fut de relire ses calculs ; les extraterrestres s'étaient posés à proximité de l'observatoire, c'était désormais un fait certain. Pourtant ils ne pourraient pas rester sur la Terre, il leur faudrait très bientôt retourner chez eux.
– Pas de problème, je vais attendre, j'ai de la patience, murmura l'astronome qui eut un petit sourire confiant. Il régla le télescope en direction de la Lune, puis il répéta : Oh oui, j'ai beaucoup de patience.

conscients que leur mère ne tarderait plus à rentrer après avoir fini ses achats, Tom et Rémi allèrent chercher leur trampoline dans l'abri de jardin et revinrent l'installer sous leur arbre. Pompon était content à l'idée de revoir ses parents mais il promit aux enfants de revenir passer un moment avec eux dès que possible. Nuel le prit dans ses bras et monta sur une branche. Il se laissa tomber sur le trampoline et rebondit si fort que lui et Pompon s'envolèrent en direction de la Lune.
Quand ils se posèrent sur l'astre lunaire, Pompon découvrit ses parents qui l'attendaient à côté de leur soucoupe. C'est ainsi que Nuel fit la connaissance de Schuuupriijjzzbww, la maman, et de Mmmkkrrripokk, le papa.
– Je promets de revenir te voir, lui dit Pompon. Au revoir Nuel !
– A bientôt ! dit le pantin.
La soucoupe volante décolla pour disparaître dans l'espace à la vitesse de la lumière.
Alors Nuel ramassa une poignée de poussière lunaire qu'il jeta au-dessus de la Terre. Quand Capucine, Tom et Rémi verraient briller leur arbre ils comprendraient que Nuel et le petit martien étaient bien rentrés.
– J'ai vécu une journée pas comme les autres, songea Nuel qui était heureux. Et je me suis fait un nouvel ami. Oui, vraiment, c'était une journée fantastique.

A l'observatoire

Julien s'étira en bâillant. Il avait les yeux rougis par la fatigue à force d'observer l'espace à l'aide du télescope mais sa patience était enfin récompensée ; deux silhouettes remontaient vers la Lune ! C'était eux, il en était certain, et quatre minutes plus tard, ce fut une soucoupe volante qui décolla avant de disparaître dans l'espace.
Julien se retint de pousser un cri de joie car Robert était en train de sortir de son bureau. Toutes les cartes et tous les papiers étaient à nouveau bien rangés dans l'armoire, Robert en fut étonné : Je n'ai pourtant pas rêvé, Julien avait tout jeté sur le sol !
– Tout va bien, Julien ? Rien d'anormal à me signaler, vous en êtes certain ?
Julien referma le dossier ouvert sur ses genoux et hocha doucement la tête :
– La nuit est calme, Robert. Vous pouvez rentrer chez vous, j'assurerai seul la permanence jusqu'au petit matin. Oui, tout va bien.
Dès que Robert eut quitté la salle du télescope, Julien rouvrit son dossier qui commençait à être de plus en plus gros.
Grâce au télescope, Julien était parvenu à prendre plusieurs photos du monstre de la Lune ; on aurait dit une quille à tête bleue à qui il avait donné le nom de code peu original de "Pierrot". Le portrait du martien manquait de précision et évoquait une grosse tache rose assez flou, baptisé "Martinou". Quant aux trois enfants, les "prétendus" otages qui étaient en réalité des complices de Pierrot, il avait élaboré des portraits-robots en questionnant le gardien à demi endormi dans l'ambulance. Pour la fille il avait dessiné un visage rond encadré de longs traits raides pour les cheveux, deux points pour les yeux, un trait pour la bouche : nom de code "Finette". Le même visage pour les garçons mais avec des "S" sur la tête de "Frison" qui était très frisé. Et des traits droits sur la tête de "Boulou", l'autre garçon, coiffé en brosse.
– Dès que j'en saurai un peu plus, dit Juien en se parlant à voix haute, j'alerterai l'armée. En attendant je travaille sur le mode "Top Secret Défense" et surtout, pas un mot à Robert. Il n'est pas assez intelligent pour comprendre la difficulté de mes recherches.
Justement le gentil Robert était en train de se diriger vers sa voiture, garée sur le parking de l'observatoire. Il s'arrêta pour profiter du silence de la nuit. Quelle tranquillité ! Tout allait pour le mieux, Julien était définitivement guéri et les journées seraient, à nouveau, rythmées par la routine ; ce ne serait sans doute pas passionnant mais ce serait si reposant.
Robert ne put s'empêcher de sourire de satisfaction et c'est le coeur léger qu'il regagna sa voiture.


F I N

Découvrir tous les Contes sur Bopy.net

RETOUR
          version revue et corrigée par l'auteur (août 2015)

          Tous droits réservés.